La notion de marché financier en France et aux Etats-Unis, par Nicolas Boittin

Aux Etats-Unis, comme en France, les marchés se sont développés de façon parallèle. Pourtant, certaines divergences culturelles persistent et le concept de marché financier en est naturellement affecté. L’approche du droit américain est économique alors que l’objectif du droit français est de rationaliser les marchés financiers et les risques qu’ils impliquent. Malgré ces divergences, les moyens de contrôle instaurés par les deux droits sont similaires : un contrôle exercé à la fois par le législateur et des organes indépendants.

« Après avoir longtemps vanté les mérites de la dérégulation et de la déréglementation des marchés financiers , les marchés ont découvert le revers de la médaille » écrivait Antoine Reverchon dans Le Monde Economie, Quatorze initiatives pour améliorer la transparence du système, le 27 octobre 2008. Les marchés financiers sont devenus, au fil de l’internationalisation des échanges, des marchés mondiaux interconnectés et dépendants les uns des autres. Les différences d’approche mais également les nombreuses similitudes entre droit français, droit communautaire et droit américain nous permettrons de mieux comprendre les enjeux actuels inhérents aux marchés financiers. La notion de marché comporte trois sens principaux. Le marché est souvent défini comme un lieu fictif de rencontre entre acheteurs et vendeurs où se déroulent des transactions (G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 2004 ; S. Valdez, An introduction to Western Financial Markets, MacMillan, 1993). Il convient à ce titre de distinguer le lieu de rencontre entre offre et demande, de la localisation géographique des places de marché. Le marché peut également être identifié aux contrats conclus entre acheteurs et vendeurs (T. Bonneau et F. Drummond, Droit des marchés financiers, Economica, 2005). Enfin, le marché peut être assimilé à sa régulation, dont le rôle est en réalité de délimiter les contours du marché. La notion de marché financier, marché de l’argent à court et long terme, ne doit pas être confondue avec celle de marché monétaire, marché de l’argent à court terme. Traditionnellement, le marché monétaire est celui des établissements de crédits alors que le marché financier est ouvert à tous les opérateurs économiques. Cependant, cette distinction s’est estompée et le marché monétaire s’est ouvert à d’autres opérateurs et d’autres produits à moyen terme. Ainsi, il convient de se demander si les marchés financiers, tant dans leur structure que leurs caractéristiques, font l’objet d’une approche différente en droit français et en droit américain. Nous verrons dans un premier temps que les marchés financiers ont connu la même évolution en France et aux Etats-Unis même si, d’un côté, le droit américain apparaît comme un moyen au service de l’intérêt financier et économique des marchés alors que de l’autre, le droit français se présente davantage comme un moyen de contenir et rationaliser le monde financier (I). Dans un second temps, nous constaterons que les moyens de contrôle des marchés sont similaires (II).

I/ Des bases similaires malgré une approche différente des types de marchés Alors que les marchés financiers français et américain ont connu une évolution commune (A), l’approche dans la classification juridique des marchés est différente (B).

A. Une direction commune : du marché de financement au marché dérivé Les marchés financiers, que ce soit en France ou aux Etats-Unis, ont été créés dans l’objectif premier de lever des capitaux pour financer la création et le développement d’agents économiques. Il s’agit des marchés de financement. C’est la rencontre au sein d’un même marché d’agents qui disposent de capitaux et d’agents à la recherche de capitaux qui permet aux seconds d’obtenir un financement grâce aux premiers. A l’origine de cette transaction correspond différents types de contrat. Par exemple, c’est en vertu d’un contrat de prêt entre un prêteur, le premier créancier, et un emprunteur, le débiteur, que l’emprunteur émet un titre obligataire. En revanche, lorsque l’instrument est une action, il ne s’agit plus d’un contrat de prêt mais d’un contrat de société. En droit américain comme en droit français, un instrument négociable et fongible correspondant à une valeur financière est appelé « security » ou « titre ». C’est pour faciliter la transmission des créances sur un marché financier que ces dernières sont transformées en titres négociables. Ce mécanisme, connu sous le nom de « titrisation », a été créé aux Etats-Unis et s’inspire du procédé juridique du « trust ». Les créances sont cédées à un fonds commun créé spécialement pour les acquérir, moyennant l’émission de parts représentatives, les titres, ensuite offertes aux investisseurs sur les marchés financiers. Au départ, les titres prenaient la forme de certificats sur support papier mais progressivement, la dématérialisation des titres a permis de gagner en sécurité, efficacité et rapidité lors de la transmission des titres sur les marchés. En France, depuis 1984, tous les titres doivent faire l’objet d’une inscription en compte sous la forme d’une écriture informatique. Aux Etats-Unis, l’inscription en compte coexiste avec les certificats papiers alors même que les autorités américaines et spécialistes financiers dénoncent l’inefficacité d’un tel système (Jill Considine, Escaping the Parallel Universe of Paper Certificates, Securities Industry News, 2004). La raison principale pour laquelle le créancier est disposé à investir au départ est que le créancier est en mesure de revendre son titre sur le marché dès qu’il le souhaite. Ainsi, le même titre est acheté et vendu à multiples reprises sur le marché. Les taux d’intérêt, les taux de change et la valeur du titre varient à la hausse ou à la baisse ce qui crée un risque financier. C’est ce risque financier qui est exploité ou contrôlé par les produits dérivés achetés et vendus sur les marchés dérivés. Les marchés dérivés ont fait l’objet d’un engouement important ces dix dernières années en France et aux Etats-Unis. A titre d’exemple, un titre dérivé ne sera pas issu d’un contrat de société dont la valeur correspond à une partie du capital social. Le titre est « dérivé » d’un actif dit « sous-jacent » qui peut être un autre titre financier, un taux ou encore un indice. L’instrument dérivé permet au titulaire du titre d’obtenir, à terme, l’actif sous-jacent ou la différence de cours de cet actif entre la date de formation du contrat et le terme prévu. Ainsi, les marchés financiers ont fait l’objet d’une évolution similaire en France, en Europe et aux Etats-Unis en raison de la mondialisation des échanges économiques. Pourtant, certaines différences de conception de la notion de marché perdurent entre la France et les Etats-Unis.

B. Un rôle différent du droit : le reflet de différences culturelles L’approche française met l’accent sur l’opposition entre marché réglementé et marché non réglementé ou de gré à gré. En France, les marchés réglementés doivent être reconnus par le ministre chargé de l’économie et sont contrôlés par l’AMF (Autorité des Marchés Financiers). Aux Etats-Unis, ces mêmes marchés sont contrôlés par la SEC (Securities and Exchange Commission). A la différence des marchés réglementés, les marchés de gré à gré sont soumis à la seule loi des parties, c'est-à-dire la volonté contractuelle. L’attachement à cette classification des marchés a été renforcé par l’influence du droit communautaire, qui, de façon similaire, s’est appuyé sur une distinction entre marché réglementé et marché non réglementé avec la directive 93/22/CEE du 10 mai 1993. Suite à la directive 2004/39/CE du 21 avril 2004, le droit communautaire a retenu la notion de « système multilatéral de négociation » et modifié les critères de détermination et de différentiation entre marché réglementé et marché non réglementé afin d’intégrer un rapprochement entre marché réglementé et marché de gré à gré constaté dans la réalité. Pourtant, la différence de classification subsiste entre marché réglementé d’un coté et « systèmes multilatéraux de négociation » de l’autre. Jusqu’en 2007, avec la transposition en droit français de la directive 2004/39/CE, les catégories du droit communautaire et du droit français n’étaient pas identiques. Cependant, au cours de cette période, la même distinction entre davantage de réglementation ou davantage de liberté contractuelle était toujours bien présente au sein des deux droits. La directive 2004/39/CE permettait l’unification des règles applicables aux marchés financiers dans leur ensemble sans pour autant abandonner la catégorie de marché réglementé soumise à un encadrement plus strict que les autres marchés. L’approche américaine de la notion de marché financier n’est pas juridique mais financière et économique. Le droit n’est qu’un moyen au service de l’efficacité des marchés. Les règles existent davantage pour un meilleur fonctionnement du système financier que pour contrôler des marchés qui, par essence, s’autorégulent. Ainsi, la distinction s’opère entre le marché des actions, le marché des obligations, le marché des produits dérivés mais la différence entre marché réglementé et non réglementé est moins évidente. Pourtant, cette différence existe bien aux Etats-Unis également et les marchés réglementés sont aussi présents aux Etats-Unis qu’en France ou au sein de la Communauté Européenne. La réalité juridique est donc similaire entre les Etats-Unis et la France mais la conception de la notion de marché financier reste liée à certaines spécificités culturelles. Pour le droit américain, la notion de marché financier est une notion économique et financière, embrassant ainsi le premier sens du marché comme lieu de rencontre entre offre et demande. Le droit français penche davantage pour la troisième définition du marché. Le marché serait donc assimilé aux règles qui le régulent pour mieux le contrôler. Au regard de ces différences d’approches entre droit américain et droit français, nous allons désormais nous intéresser au risque financier ainsi qu’à la façon dont les deux droits le contrôlent.

II/ Un risque inhérent aux marchés financiers contrôlés de façon semblable Le risque étant une composante universelle et commune aux marchés financiers (A), le droit français et le droit américain maîtrisent ce risque par le biais de moyens similaires (B).

A. Le concept et les enjeux du risque financier Le risque financier individuel réside tout d’abord dans le fait que tout acheteur sur un marché est en réalité un créancier soumis au risque d’insolvabilité du débiteur. En effet, lorsque le contrat conclu sur les marchés de financement est un contrat de prêt, l’agent économique qui emprunte les fonds devra ensuite rembourser la somme avec intérêts. Toutefois, le risque financier individuel résulte davantage de l’existence de marchés à terme, qui permettent de décaler la date de conclusion de la cession de créance et celle de l’exécution de l’opération. A la date de la conclusion de la cession, le cessionnaire ne dispose pas des fonds nécessaires à l’acquisition du titre et le cédant ne dispose pas du titre qu’il s’engage à livrer. L’effet de levier qui caractérise l’espoir d’un plus grand gain par rapport à l’investissement de base est le mécanisme financier utilisé par les spéculateurs sur ces marchés à terme. Ces risques individuels sont encourus par les investisseurs eux-mêmes et les professionnels qui agissent en tant qu’intermédiaires financiers. Il existe un autre risque, tout particulièrement d’actualité, qui ne concerne pas les agents économiques individuellement mais affecte les marchés et systèmes financiers de façon globale. Il s’agit du risque systémique. Le risque systémique est une crise de grande ampleur qui porte atteinte aux équilibres économiques généraux. Ce risque résulte d’une situation d’instabilité bancaire et financière où le danger est la faillite en chaîne d’établissements bancaires et financiers, acteurs majeurs et indispensables sur les marchés financiers. Afin d’éviter ces risques financiers, divers moyens sont mis en œuvre par les droits nationaux pour se prémunir des conséquences des risques individuels et systémiques.

B. Un contrôle exercé par le législateur et des organes indépendants Le risque financier peut être contrôlé par la mise en œuvre de mécanismes financiers. Ainsi, par exemple, la création du marché dérivé, a été présentée précédemment comme un moyen de réduire le risque financier. Toutefois, cette méthode comporte ses propres dangers car il s’agit d’une réduction d’un risque par la création d’un nouveau risque. Ainsi, une solution financière conserve une part de danger d’où la nécessité de contrôles d’ordre juridique. Le droit s’applique aux marchés réglementés et non réglementés mais sa présence est plus importante sur les marchés réglementés tant en France, au sein de la Communauté Européenne qu’aux Etats-Unis. Le droit est utilisé sur ces marchés afin d’intégrer au sein des marchés financiers un certain nombre de principes directeurs que sont la sécurité, la transparence, l’intégrité, l’égalité et l’équité. Ces cinq principes permettent de réduire ou d’éliminer les risques du marché mais également de sanctionner les comportements qui affectent négativement les marchés financiers. Certains de ces principes comme la sécurité ne s’appliquent pas aux marchés non réglementés, surtout lorsqu’il s’agit de marché dérivé non réglementé. Pourtant, il convient de rappeler que le droit commun, qu’il soit français ou américain, s’applique respectivement en France et aux Etats-Unis à ces marchés non réglementés. Ainsi le droit civil, le droit pénal ainsi que le droit commercial ne sont pas écartés. Les législateurs français et américain ont votés des lois permettant d’encadrer les marchés financiers et de mettre en œuvre plusieurs des principes directeurs énoncés précédemment. Aux Etats-Unis, le « Sarbanes-Oxley Act » du 30 juillet 2002 a soumis les sociétés cotées sur les marchés américains à de nouvelles règles de transparence financière et de contrôle comptable. De façon similaire, en France, la Loi sur la Sécurité Financière du 1er août 2003 a imposé aux sociétés anonymes cotées ou non cotées de nouvelles obligations d’information vis-à-vis des actionnaires et du public. La création d’organes indépendants de contrôle des marchés financiers et des entreprises de marché permet également d’introduire une forme de régulation au sein des marchés. En France, c’est l’AMF, crée par la loi du 30 juillet 2002, ainsi que le Règlement Général de l’AMF qu’elle applique, qui permettent de contrôler les marchés financiers français. Il existe également d’autres organes qui participent à l’élaboration d’un contrôle sur les marchés financiers comme la Commission bancaire ou encore le Comité consultatif de la législation et de la réglementation financières. Aux Etats-Unis, la SEC instituée par le « Securities Exchange Act » de 1934 a pour objectif premier d’assurer l’information des investisseurs lors de l’émission de titres par les sociétés cotées et de sanctionner les opérateurs fraudeurs lorsque ceux-ci vendent des titres sur les marchés. Les entreprises de marché, sociétés commerciales propres à chaque marché, exercent également une forme de contrôle par le biais de règles des marchés qu’elles établissent, même si ces règles sont en réalité le prolongement des textes rédigés par les autorités des marchés et le législateur. Il semblerait pourtant que ce contrôle, exercé directement par le législateur ou par le biais d’organes indépendants, n’ait pas suffit à éviter la crise financière actuelle. Antoine Reverchon apportait peut-être une explication à cette interrogation en affirmant dans Le Monde Economie, Quatorze initiatives pour améliorer la transparence du système du 27 octobre 2008, « On peut se demander si les marchés ne souffrent pas non seulement d'une insuffisance de régulation, mais encore d'un trop-plein d'organes de régulation - ce qui n'est pas contradictoire. »

Bibliographie Thierry Bonneau, France Drummond, Droit des Marchés Financiers, Economica, 2005. Alain Couret et alii, Droit financier, Dalloz, 2008. Michel Jeantin, Paul Le Cannu, Thierry Granier, Droit commercial : Instruments de paiement et de crédit-Titrisation, Dalloz, 2005. Antoine Reverchon, Quatorze initiatives pour améliorer la transparence du système, Le Monde Economie, 27 octobre 2008. Stephan Valdez, An introduction to Western Financial Markets, MacMillan, 1993. Frederic S. Mishkin, Economics of Money, Banking, and Financial Markets, Harper Collins, 1995.