La parodie : Etude comparée en droit d’auteur et copyright par Caroline RAWSKI

L’exception de parodie suscite de nombreuses interrogations, dues notamment à la multitude d’intérêts en présence : il s’agit en effet de trouver un équilibre entre la liberté d’expression du parodiste et les intérêts économiques et moraux de l’auteur de l’œuvre parodiée. Il est particulièrement intéressant d’analyser ces difficultés en comparant la manière dont est traitée la parodie dans les pays de droit d’auteur et ceux de copyright. On se focalisera plus particulièrement sur la France, qui a toujours défendu cette exception, et sur la Grande-Bretagne, dont l’approche restrictive sur le sujet (via le fair dealing) ne concorde ni avec ses traditions culturelles ni avec la directive de 2001. Nous mentionnerons par ailleurs « l’autre pays du copyright », les Etats-Unis, puisqu’il régit la parodie de façon différente (à travers le fair use), conférant aux parodistes une liberté proche de celle qui leur est reconnue France.

Le copyright, apanage des pays anglophones, et le droit d’auteur, que l’on retrouve en France, mais également dans la majorité des pays européens, s’opposent traditionnellement dans de nombreux domaines, même si le fossé tend peu à peu à se réduire. Les exceptions ou limitations aux droits conférés aux auteurs en font partie. Les pays du droit d’auteur, clairement plus favorables à ce dernier, privilégient ses intérêts sur l’intérêt public. Toute exception aux droits de l’auteur doit être interprétée de façon restrictive. Dans les pays du copyright, en revanche, ce sont les droits exclusifs accordés à l’auteur qui sont interprétés strictement. La flexibilité est bien plus importante concernant les exceptions. Parmi ces exceptions figure notamment la parodie. En effet, la parodie d’une œuvre première protégée, limite aux droits exclusifs conférés à l’auteur de celle-ci, est justifiée, plus encore que la citation, par la liberté d’expression. Le tout étant de trouver un équilibre entre les intérêts en présence : ceux des titulaires des droits, ceux des parodistes, et l’intérêt du public, équilibre recherché dans tous les systèmes confondus. La jurisprudence hésite, par ailleurs, à étendre l’exception de parodie aux marques ainsi qu’aux dessins et modèles. Le problème de la parodie vient du fait qu’on ne peut critiquer, faire rire à partir d’une œuvre sans utiliser ladite œuvre, et risquer donc de la contrefaire ou de porter atteinte aux droits moraux conférés à son auteur. Le mot parodie vient du grec « parôidia », généralement traduit de la façon suivante : « chanson chantée à côté d’une autre ». En pratique, les définitions sont nombreuses et variables. Un ouvrage en a récemment recensé pas moins de 37 (Margaret Rose, Parody : Ancient, Modern and Post-Modern, Cambridge University Press, 1993, p280 à 283). Le statut de la parodie est intéressant, notamment lorsqu’on compare son rôle dans les pays de droit d’auteur et ceux de copyright. Nous étudierons donc la manière dont est traitée la parodie au sein de ces deux systèmes, en nous focalisant plus particulièrement sur la France, qui a traditionnellement toujours défendu cette exception, et sur la Grande-Bretagne, dont l’approche restrictive sur le sujet ne cadre ni avec ses traditions culturelles ni avec la directive de 2001. Nous mentionnerons par ailleurs « l’autre pays du copyright », les Etats-Unis, puisqu’il régit la parodie de façon différente, conférant une liberté aux parodistes proche, une fois n’est pas coutume, de la France.

I L’exception de parodie : Une limite aux droits conférés aux auteurs qui varie selon les systèmes juridiques

La parodie, si elle existe aussi bien en France que dans les pays du copyright, n’y fait pas l’objet d’un même traitement. En France, elle est visée par une disposition spécifique; le système des exceptions au droit d’auteur français est un système fermé, c’est-à-dire fondé sur une liste exhaustive de circonstances particulières dans lesquelles le droit d’auteur s’efface en tout ou partie. En revanche, les pays du copyright proposent des systèmes d’exceptions ouverts, de « clause générale » susceptibles de s’appliquer à de nombreuses situations, qui ne mentionnent pas explicitement la parodie: il s’agit du système de fair dealing en Grande-Bretagne, et de fair use aux Etats-Unis. Les exceptions y sont envisagées plutôt comme des limitations ou des exemptions, et l’on peut parler de véritable « droit des utilisateurs » (André Lucas, « Droit d’auteur et numérique », Litec, 1998, n°342).

A) La parodie distinctement visée : une tradition française

En France, l’article L122-5 4° du Code de la propriété intellectuelle dispose que l’auteur ne peut interdire « la parodie, le pastiche et la caricature, compte tenu des lois du genre ». Selon Desbois (in « Le droit d’auteur en France », Dalloz, 3e éd., 1978, n°254), les trois expressions utilisées dans ce texte recouvraient les trois principaux genres d’œuvres : ainsi, la parodie intéressait les œuvres musicales, le pastiche les œuvres littéraires et la caricature les arts graphiques. La Cour de cassation a, pour sa part, essayé de distinguer parodie et caricature, ainsi que parodie et pastiche (en l’espèce, elle avait affirmé que la parodie permettait « l’identification immédiate de l’œuvre parodiée », tandis que la caricature se « moquait d’un personnage par l’intermédiaire de l’œuvre caricaturée ») (CA Paris, 4ème ch., 25 octobre 1990, Dalloz 1992, p.14). Au final, c’est le terme « parodie » qui est utilisé de façon générique. La parodie est libre et gratuite, à condition que les « lois du genre » soient respectées. Le juge français est tenu de rechercher l’équilibre des intérêts entre les parties, au cas par cas. Il est investi d’un pouvoir d’ « interprétation-création » (Brad Spitz, « Droit d’auteur, Copyright et Parodie, ou le mythe de l’usage loyal », RIDA 2/2005, p 55-153), et bénéficie donc d’une grande liberté, ce qui ne favorise pas la sécurité juridique.

La directive du 22 mai 2001 mentionne l’exception de parodie dans son article 5 alinéa 3 lettre k : « Les États membres ont la faculté de prévoir des exceptions ou limitations aux droits prévus aux articles 2 et 3 dans les cas suivants : k) lorsqu'il s'agit d'une utilisation à des fins de caricature, de parodie ou de pastiche ». Cependant, elle figure dans la liste des exceptions facultatives. La France avait inclus la parodie bien avant la directive. D’autres pays de droit d’auteur avaient fait de même, comme l’Espagne.

B) Le silence de la loi dans les pays de copyright

Contrairement au Code de la propriété intellectuelle, le Copyright, Designs and Patents Act (CDPA) 1988 britannique, tout comme le Copyright Act 1976 américain, ne mentionnent pas la parodie. Mais même si ces textes n’en soufflent mot, l’exception de parodie y est implicitement admise.

En Grande-Bretagne, une parodie constitue une contrefaçon si le parodiste utilise une partie substantielle d’une œuvre protégée (article 16 du CDPA). Afin d’éviter la contrefaçon, le parodiste doit démontrer que sa parodie n’a pas reproduit une partie substantielle de l’œuvre. La jurisprudence n’a pas été constante sur le sujet. Dans l’arrêt Glyn v Weston Feature Film Company ((1916) 1 Ch. 261), comme dans Joy Music Ltd v Sunday Pictorial Newspapers Ltd ((1960) 1 All E.R. 703), il a été retenu que la parodie devait avoir un statut spécial, puisque le parodiste altère et modifie de façon suffisante les éléments qu’il emprunte à l’œuvre première. Mais des décisions ultérieures, notamment Schweppes Ltd and others v Wellingtons Ltd ((1984) FSR 210) ou Williamson Music Ltd v Pearson Partnership ((1987) FSR 97) en sont revenues au test de la « partie substantielle » (substantial part). La parodie ne fait pas l’objet d’une exception expresse. Cependant, l’exception du fair dealing (ou « usage loyal ») anglais permet de pallier à ce manque (de manière lacunaire il est vrai). Le CDPA stipule que « l’utilisation loyale d’une œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique justifiée par la recherche pour une utilisation non commerciale ne constitue pas une contrefaçon de l’œuvre ». De même, « l’utilisation loyale d’une œuvre justifiée par la critique ou la chronique de cette œuvre ou d’une autre, ou de l’interprétation d’une œuvre, ne constitue une contrefaçon d’aucun aspect du copyright, dès lors que cette utilisation est accompagnée d’une indication suffisante des sources (le sufficient acknowledgment) et à condition que l’œuvre ait été rendue accessible au public ». Enfin, « l’utilisation loyale d’une œuvre (autre qu’une photographie) justifiée par l’information d’actualité ne constitue pas un acte de contrefaçon si elle est accompagnée d’une indication suffisante des sources ». On arrive donc à une liste limitative de domaines d’utilisations dites loyales et donc autorisées : la recherche, l’étude privée, la critique, la chronique, l’information d’actualité. Le juge doit par conséquent déterminer si la parodie correspond exactement à l’un de ces domaines. Si tel n’est pas le cas, peu importe que l’usage soit loyal ou non; la parodie sera alors contrefactrice, l’interprétation ne faisant l’objet d’aucune souplesse. La jurisprudence impose elle aussi une interprétation restrictive du fair dealing. En somme, le fair dealing, très rigide, n’est pas adapté à la parodie. Une question se pose alors : puisque la directive de 2001 lui en donne la possibilité, pourquoi la Grande-Bretagne n’incorpore-t-elle pas cette exception de parodie, alors même que ce domaine est problématique en droit anglais? La préoccupation principale pour la Grande-Bretagne lors de la transposition de la directive dans le droit national a été de garder les choses en l’état : le changement devait être minimal. Mais la porte n’est pas fermée et le pays a encore la possibilité de changer d’avis (Christian Rütz, « Parody, a missed opportunity » (2004) 3 I.P.Q. 284), même si certains auteurs n’estiment pas cette mesure indispensable (Michael Spence, « Intellectual Property and the problem of parody », L.Q.R. 1998, 114 (Oct.), p. 594-620). Une autre incertitude subsiste par ailleurs: la parodie ne pourrait-elle pas être couverte par l’article 30(1) du CDPA, qui mentionne la critique et la chronique ? Tout d’abord, le fair dealing ne s’appliquerait au parodiste uniquement si sa parodie était une critique, ce qui n’est pas, a priori, la vocation première d’une telle œuvre. Par ailleurs, aucun Tribunal anglais n’a eu l’occasion de se prononcer sur la question. Dans l’affaire Williamson Music Ltd v Pearson Partnership ((1987) FSR 97, précité), la question a été évitée, puisqu’en l’espèce la parodie ne critiquait pas l’œuvre première. De plus, afin d’appliquer l’article 30(1), la parodie aurait à identifier l’œuvre première et à permettre au public de la reconnaître de manière significative. Malgré tout, on peut espérer un assouplissement de cette interprétation du fair dealing, grâce notamment à l’introduction du Human Rights Act de 1998, qui transpose en Grande-Bretagne la Convention Européenne des Droits de l’Homme. En effet, depuis son entrée en vigueur, les lois existantes doivent être interprétées de façon compatible avec le droit à la liberté d’expression. Dans l’arrêt Ashdown v Telegraph Group Ltd , une Cour d’appel a admis que le copyright pouvait constituer une restriction à la liberté d’expression dans certains cas. Dans l’arrêt Pro Sieben v Carlton Television Ltd ((1999) F.S.R. 610), une Cour d’appel a, elle, encouragé une approche plus libérale de l’interprétation du fair dealing. Pour finir, il s’agit de rappeler que l’exception de fair dealing ne joue pas contre l’atteinte aux droits moraux de l’auteur. Ce dernier peut donc librement objecter à la fausse attribution de la paternité de son œuvre, ou à son « traitement dérogatoire » (Christian Rütz, « Parody, a missed opportunity ? » (2004) 3 I.P.Q. 284).

Le fair dealing anglais se distingue clairement du fair use américain. Bien qu’il s’agisse de deux systèmes dits « ouverts », la ressemblance s’arrête là. Le fair use américain (on peut là aussi parler d’« usage loyal ») est bien plus souple que le fair dealing. Contrairement à ce dernier, il est composé de quatre facteurs développés par la jurisprudence et consacrés à l’article 107 du Copyright Act de 1976, ainsi rédigé : « Nonobstant les dispositions de l’article 106, l’usage loyal d’une œuvre protégée y compris par reproduction sous forme d’exemplaires ou de phonogrammes ou par tous moyens spécifiés dans cet article, à des fins telles que de critique, de commentaire, de compte rendu d’actualités, d’enseignement (…), de formation ou de recherche, ne constitue pas une infraction au copyright. Afin de déterminer si l’usage d’une œuvre dans un cas déterminé est loyal, les facteurs suivants doivent notamment être pris en considération : 1) le but et le caractère de l’utilisation et notamment, la nature commerciale de celui-ci ou sa destination à des fins éducatives et non lucratives ; 2) la nature de l’œuvre protégée ; 3) le volume et l’importance de la partie utilisée par rapport à l’ensemble de l’œuvre protégée ; et 4) l’influence de l’utilisation sur le marché potentiel de l’œuvre protégée ». Ce test n’est pas composé de règles strictes, mais de simples lignes directrices. Le juge conserve donc une marge de manœuvre importante, et, si la parodie n’est pas directement visée, le fair use est suffisamment souple pour inclure cette notion. Après de nombreuses hésitations et incohérences jurisprudentielles, la Cour suprême a admis qu’une parodie pouvait constituer un cas de fair use dans l’affaire Campbell v Acuff-Rose Music (510 U.S. 569, Supreme Court, 1994) En l’espèce, un groupe de rap avait parodié la chanson Oh, Pretty Woman (utilisation d’un sample des mesures principales de la chanson et modification des paroles). Enfin, il ne faut pas oublier le premier amendement de la Constitution des Etats-Unis, qui reconnaît aux Américains la liberté d’expression. Le principe, important en matière de parodie de marques, ne peut être invoqué à l’encontre d’une œuvre existante protégée par copyright. La décision de la Cour suprême dans Harper Row Publishers Inc v Nation Enterprises (471 U.S. 539, 556 (1985)) a indiqué que la liberté d’expression était convenablement protégée par le copyright et qu’une exception basée sur cette liberté d’expression était inutile et superflue de par la présence du fair use.

Au final, l’utilisation d’une œuvre à des fins parodiques est admise en copyright américain, même si elle est plus limitée qu’en droit d’auteur français notamment. Ces deux approches se démarquent du traitement restrictif de la parodie en Grande-Bretagne, ce qui peut surprendre compte tenu des traditions culturelles de ce pays.

II Des différences atténuées dans la recherche d’équilibre entre les intérêts en jeu

On l’a vu, les textes s’appliquant à la parodie sont d’inspiration différente et varient selon le mode de protection des auteurs (copyright ou droit d’auteur) voire selon le pays (les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, deux pays de copyright, traitent la parodie de façon très différente). Mais au final, les systèmes effectuent un travail similaire d’adaptation de l’exception de parodie aux besoins des parodistes, tout en analysant les atteintes à l’œuvre parodiée. On prendra comme point de départ les critères compris dans l’expression « lois du genre », mentionnée dans le CPI et interprétée par les tribunaux français. On examinera dans un premier temps l’exigence d’une intention de faire rire, mais sans dénigrer l’œuvre ou son auteur, puis l’on s’attardera sur la nécessité d’une absence de tout risque de confusion entre la parodie et l’œuvre parodiée, que cette confusion soit d’ordre artistique ou purement économique.

A) Intention de faire rire sans dénigrer et dans le respect

Le mot « parodie » sous-entend l’adaptation humoristique d’une œuvre qui ne l’est pas au départ. Et en effet, il existe une exigence d’intention et de résultat humoristique. En France, par exemple, la parodie, le pastiche et la caricature doivent en théorie provoquer le rire. Dans une décision rendue concernant des dessins représentant Snoopy dans des situations pour le moins inhabituelles et osées, la Cour s’exprima de la manière suivante : « Attendu qu’il n’est pas contestable que les dessins litigieux s’inscrivent dans la tradition parodique, tendant à susciter chez le lecteur la complicité et l’ironie » (TGI Paris, 19 janvier 1977, RIDA 1977, n°92, p.167). En droit anglais, la parodie s’oppose à la satire. La parodie est considérée comme une imitation caractérisée par une « inversion ironique », une « ironie critique » (Hutcheon, « A Theory of Parody: The Teachings of Twentieth-Century Art Forms», 1985). Elle ne doit pas ridiculiser l’œuvre, comme le public le croit à tort. L’aspect de « comique incongru » est cependant nécessaire (Margaret Rose, «Parody : Ancient, Modern and Post-Modern», Cambridge University Press, 1993, p280 à 283). En ce qui concerne le copyright, la décision Campbell v Acuff-Rose Music démontre que la volonté de faire rire est indispensable. En plus de la critique, il faut une dimension comique. Cependant, en droit français, cette exigence humoristique a été tempérée, notamment dans la célèbre affaire des « Feuilles Mortes ». Le caricaturiste Jacques Faizant avait pastiché le texte de cette chanson, dont Prévert était l’auteur, peu après le décès d’Yves Montand, afin de rendre hommage à ce dernier. La Cour d’appel de Paris admit cette parodie, alors même que son but n’était pas de provoquer le rire ou de tourner un sujet en dérision. Jacques Faizant avait complètement « retourné » le sens de la chanson « pour en faire de manière humoristique un hommage à la mémoire de son interprète » (CA Paris, 11 mai 1993, Société Sebdo et Jacques Faizant c/ Editions Enoch, RIDA 1993, n°157, p.340). Enfin, la jurisprudence a également admis en France l’exception de parodie lorsque le rire était utilisé afin de soutenir une cause sérieuse, comme la lutte anti-tabac. En l’espèce, une campagne publicitaire contre le tabac représentait un pastiche des publicités pour la marque Marlboro. Il a été jugé que ce pastiche était « parfaitement compatible avec une intention de fond étrangère à tout humour » (CA Versailles, 1ère Ch., 17 mars 1994, RIDA 2/1995, p.350).

La volonté de faire rire est donc un critère, mais elle connaît certaines limites. Cette intention ne doit pas avoir pour effet de dénigrer l’auteur, en représentant une atteinte à son œuvre (droit moral au respect) ou à sa personne. En ce qui concerne les atteintes possibles à l’œuvre, il faut au préalable mentionner que la parodie est, dans sa nature, une transformation, un travestissement, une déformation de l’œuvre originelle. Les droits moraux conférés à l’auteur de cette dernière sont donc diminués. Le respect dû à l’œuvre par le parodiste s’exprime de plusieurs façons. Tout d’abord, l’œuvre d’origine doit être identifiable. En France, il est indispensable que le public à qui l’on présente la parodie soit apte à détecter le lien avec l’œuvre première. La parodie doit être « le travestissement d’une œuvre immédiatement identifiée » (TGI Paris, 29 novembre 2000, Société BMG Music Pub c/ Lancelot Films, RIDA juillet 2001, n°189, p.377). Par conséquent, l’œuvre première doit faire l’objet d’une notoriété suffisante pour permettre « l’identification immédiate de l’œuvre parodiée » (Cass. 1ère Civ., 12 janvier 1988, Ed. Salabert c/ Le Luron, Mabille et autres, RTD com. Avril-juin 1988, p. 227). Le nom de l’auteur parodié et la source doivent être indiqués de façon non équivoque et claire pour le public. En droit anglais, l’article 30(1) du CDPA dispose qu’une utilisation, pour être loyale, doit être accompagnée du sufficient acknowledgment : les sources doivent être suffisamment indiquées. Récemment, dans la décision Pro Sieben Media A.G. v Carlton UK Television ((1999) F.S.R. 610), une Cour d’appel a estimé suffisante pour indiquer une source la présence d’un logo d’une chaîne TV. En plus d’identifier l’œuvre d’origine, la parodie doit également éviter de dénigrer cette dernière ainsi que son auteur. Si l’on peut se moquer ouvertement et sans complaisance d’une œuvre ou de celui qui l’a créée, des limites existent et doivent être respectées. En France, ces limites sont constituées par les « lois du genre ». Il s’agit donc d’éviter des dérives de la parodie à l’encontre de l’auteur originel, telles que la diffamation, l’insulte, la calomnie, ou encore l’atteinte aux droits de la personnalité, lorsque la parodie entache l’honneur ou la réputation dudit auteur. Dans une décision de 1988, Thierry Le Luron et Bernard Mabille, auteurs de la chanson « Douces Transes » (parodie de la chanson de Charles Trenet « Douce France » se moquant de ce dernier) se sont vus reprocher d’avoir porté atteinte aux droits de la personnalité de Trenet (ce dernier ayant, seul, qualité pour agir. Or, il n’était pas, en l’espèce, le plaignant) (Cass. 1ère Civ., 12 janvier 1988, précité). La parodie ne peut pas non plus dénigrer ou dégrader l’œuvre parodiée (tout particulièrement l’image et l’esprit des personnages fictifs qui la composent). Il ne doit pas y avoir de volonté de nuire. En droit anglais, l’auteur peut en théorie s’opposer, en vertu de l’article 80(1) de CDPA, au derogatory treatment de son œuvre, prérogative de droit moral accordée à l’auteur lui permettant d’objecter à toute déformation ou mutilation de l’œuvre, ou toute autre atteinte préjudiciable à son honneur ou à sa réputation et équivalent approximatif du droit à l’intégrité de l’œuvre français. Cependant, pour certains auteurs britanniques, la parodie est une « forme saine de critique sociale et artistique » (Professeur William R. Cornish, « Intellectual Property : Patents, Copyright, Trade Marks and Allied Rights », Sweet and Maxwell, 4ème éd. 1999, n°11-39, p.434) et ne constitue donc pas, a priori, un préjudice quelconque pour l’auteur premier.

B) Absence de confusion (artistique ou économique)

L’œuvre parodiée et la parodie doivent être indépendantes, et cette dernière ne doit pas d’approprier l’œuvre originelle. Aucune confusion ne doit exister dans l’esprit du public. Comme on l’a déjà évoqué, la parodie doit faire référence à l’œuvre d’origine. Mais ça n’est pas tout. D’un point de vue artistique, il est nécessaire pour une parodie d’effectuer, par rapport à l’œuvre parodiée, un apport original permettant au public de comprendre sans un effort intellectuel particulier qu’il est bien en présence d’une parodie. Toujours dans l’affaire des « Feuilles mortes », c’est cet apport emprunt d’originalité de la part du caricaturiste qui a été déterminant pour qualifier l’absence de confusion. L’identification immédiate de la source que fournissait la mention « d’après Prévert » ne permettait pas à elle seule d’éviter la confusion. Un problème s’est posé en France notamment concernant les parodies de parodies (TGI Paris, 9 janvier 1970, JCP 1971, II 16645). En Grande-Bretagne, c’est la fausse attribution de paternité évoquée à l’article 84(1) et la confusion qui en résulte qui sont sanctionnées par le CDPA. Une décision importante a été rendue en la matière en 1998 (Alan Clark v Associated Newspapers (1998) 1 All E.R. 959 (Ch D)), concernant le faux journal intime d’un homme politique anglais. Aux Etats-Unis, l’apport original est exprimé dans le premier facteur du test de fair use (but et caractère de l’utilisation). La parodie doit effectuer une modification, un ajout, une transformation par rapport à l’œuvre parodiée (Campbell v Acuff-Rose Music, 510 U.S. 569, Supreme Court, 1994, précité). La possibilité d’une confusion d’un point de vue artistique entre les deux œuvres peut également dépendre de l’importance de l’emprunt effectué par le parodiste sur l’œuvre première. En France, l’emprunt peut être conséquent mais doit rester partiel : le parodiste ne pourra pas reproduire l’œuvre parodiée dans sa totalité, ce qui reviendrait en somme à remplacer l’œuvre première, et à entraîner, par conséquent, une confusion. Cet aspect est différent dans les pays du copyright. En droit anglais, la quantité de la reproduction est décisive dans le fair dealing. Le « nombre et l’étendue des extraits » doivent être envisagés et ces derniers ne peuvent être « trop nombreux et trop longs pour être loyaux » (Lord Denning, in Hubbard v Vosper (1972) 2 Q.B. 84). Aux Etats-Unis, le troisième facteur du test de fair use concerne le volume et l’importance de l’emprunt. Cependant, dans Campbell v Acuff-Rose Music, les juges ont considéré que le premier facteur était le plus important. L’analyse de l’emprunt doit être à la fois quantitative (longueur de l’extrait) et qualitative (est-il au cœur de l’œuvre première ?).

Pour finir, on peut évoquer la nécessité d’une absence de confusion économique. Ce critère ne concerne pas directement les droits français et anglais (même s’il est pris en compte par la jurisprudence anglaise notamment (The Newspaper Licensing Agency Ltd v Marks & Spencer Plc (2001) R.P.C. 5 (C.A.)). En effet, c’est aux Etats-Unis (dont l’approche du copyright est basée sur le marché) que, via le quatrième facteur du test du fair use, ce respect de l’exploitation économique de l’œuvre d’origine est mentionné (et lié par ailleurs au test des trois étapes de la Convention de Berne). En somme, il s’agit de respecter le monopole économique de l’œuvre parodiée. Les œuvres sont différentes, n’attirent pas le même public et ne sont donc pas en concurrence. C’est la notion dite de Market failure (Michael Spence, « Intellectual Property and the problem of parody », L.Q.R. 1998, 114 (Oct.), p. 594-620).

BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE

Brad Spitz, Droit d’auteur, copyright et parodie, ou le mythe de l’usage loyal, RIDA 2/2005, p. 55-153.

Christian Rütz, Parody, a missed opportunity?, 3. IPQ 284, (2004).

Michael Spence, Intellectual Property and the problem of parody, L.Q.R. 1998, 114 (Oct.), p. 594-620. André et Henri-Jacques Lucas, Traité de la propriété littéraire et artistique, Litec, 3ème éd., 2006.

J.A.L. Sterling, World Copyright Law, Sweet and Maxwell, 2nd ed., Sept. 2005.