La pertinence du système d’échange de quotas d’émissions britannique à la lumière du système communautaire d’échange de quotas, par Vanessa Kurukgy

La plupart des scientifiques s’accordent à dire que l’ampleur du changement climatique actuel est dû aux émissions de gaz à effet de serre produits par l’activité humaine et qu’il n’est pas sans conséquences. Une réponse quasi-unanime est un instrument économique nécessitant la mise en place d’un cadre juridique spécifique : le système d’échange de quotas. Outil récent, il a été élaboré à l’échelle nationale et internationale. Le Royaume-Uni a créé son propre marché, remplacé par le Protocole de Kyoto et le système communautaire.

Le changement climatique observé ces dernières décennies est considéré comme l’un des défis les plus importants que l’Homme ait eu à relever. D’après le quatrième rapport du Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC), au rythme actuel, la température moyenne devrait augmenter de plus deux degrés dans les prochaines décennies ce qui aurait des conséquences dramatiques sur l’environnement et sur la biodiversité. Certains phénomènes liés au réchauffement sont déjà observés, tels que les migrations d’espèces animales vers le nord ou la montée du niveau de la mer dû à la fonte des glaces. A la suite d’études scientifiques dans les années 1980, certains gouvernements, dont celui de Margaret Thatcher, ont pris conscience des dangers et des concertations ont eu lieu pour proposer des mesures de mitigation du changement climatique. La solution la plus évidente est de réduire les émissions de gaz à effet de serre, dues notamment aux activités industrielles et de transport. En effet, une fois émis, ces gaz sont stockés dans l’atmosphère et forment une ‘bulle’ qui empêche la chaleur d’être évacuée dans l’espace, causant le réchauffement sur la Terre. Le problème est que la réduction ou le ralentissement des activités à l’origine du réchauffement sont perçus comme empêchant croissance économique et développement. La mise au point et la mise en place de nouvelles technologies sont souvent très chères et pas toujours techniquement faisables. Dans ce contexte, que faire pour remédier à ce problème ? Quel outil juridique utiliser pour obtenir plus d’efficacité ? Un outil a été quasiment universellement admis : le système d’échange de quotas d’émissions de gaz à effet de serre (SEQ), considéré comme ‘une arme efficace dans la lutte contre le changement climatique’ (Davros Dimas, Commissaire à l’environnement de la Communauté européenne). Les tenants de ce système soulignent la flexibilité donnée aux entreprises. Ils estiment également que ce système est moins contraignant et moins coûteux que les méthodes de régulation traditionnelles, telles que l’octroi d’une licence ou la taxe, parce qu’une fois mis en place, le marché opère de lui-même. Les autorités publiques n’auront plus qu’à ajuster les limites autorisées et garantir la fiabilité des systèmes de vérification. D’autres, tels que Robert Baldwin, défendent que ce système n’est qu’une ‘panacée politiquement pratique’ et réfutent toute efficacité ou légitimité de ce système. Malgré les débats doctrinaux, le Protocole de Kyoto à la Convention-cadre des Nations Unies sur le changement climatique (1992) est signé en 1997, avec trois mécanismes de flexibilité, dont le SEQ. Parallèlement, et dès 1998, le Royaume-Uni est le premier pays au monde à mettre en place un tel système, le United Kingdom Emissions Trading Scheme (UK ETS), avant même l’entrée en vigueur du Protocole de Kyoto en 2005. Le UK ETS fut en vigueur de mars 2002 à décembre 2006 (avec les derniers ajustements effectués en avril 2007). En 2005, l’Union européenne (UE) inaugure son système communautaire d’échange de quotas d’émissions (SCEQE). Le but commun de ces deux systèmes est la réduction des émissions de gaz à effet de serre à travers des outils financiers. Mais si le but ultime de ces systèmes est le même, certains objectifs sous-jacents diffèrent. Le UK ETS a été créé pour anticiper la mise en place des marchés internationaux pour le carbone et pour permettre aux entreprises et aux régulateurs britanniques d’avoir une expérience pratique du SEQ avant sa mise en place obligatoire. Le SCEQE a été créé pour répondre de façon unie aux objectifs imposés par le Protocole de Kyoto. Nous considèrerons ici que le SCEQE est un marché international au sens propre du terme, dans la mesure où ce n’est pas un marché interne mais un marché qui comprend vingt-sept Etats différents.

Le UK ETS : anticipation et influence du SCEQE

Pour éviter toute confusion, il s’agit de différencier le SEQ britannique et les Actes de transposition de 2003 de la Directive européenne portant création du SCEQE. Le SEQ britannique a évolué en parallèle mais séparément du marché européen.

Dans le cadre du Protocole de Kyoto, la Communauté européenne s’est engagée à une réduction des émissions de gaz à effet de serre de huit pour cent d’ici 2012 par rapport aux niveaux de 1990. Cet objectif a ensuite été réparti entre les quinze Etats-membres de l’époque en fonction de critères historiques, des prévisions de croissance économique et de la structure industrielle des différents Etats-membres. Aujourd’hui, dix des nouveaux Etats-membres ont des objectifs individuels dans le cadre du Protocole et deux (Chypre et Malte) n’en ont aucun puisqu’ils ne sont pas sur la liste des pays développés de l’Annexe I du Protocole. Dans le cadre du Protocole, l’objectif du Royaume-Uni tel que modulé par l’Union européenne est de réduire ses émissions de 12,5 pour cent par rapport à 1990, alors que dans le cadre de sa législation nationale, le Royaume-Uni s’est fixé pour objectif de réduire ses émissions de vingt pour cent d’ici 2020 et de 80 pour cent d’ici 2050. Depuis les premiers signes du réchauffement climatique, le gouvernement britannique s’est montré très favorable à la mise en place de mesures de mitigation et d’adaptation. En 1998, anticipant la mise en place d’un marché international de carbone, Gordon Brown, Ministre de l’Economie, demande au Lord Marshall de faire un rapport sur des instruments économiques qui permettraient d’inciter à une utilisation plus efficace des ressources énergétiques. Deux conclusions du rapport sont pertinentes en l’espèce. Lord Marshall indique que tous les secteurs de l’économie doivent contribuer à la réduction imposée par le Protocole de Kyoto et il estime que le SEQ doit jouer un rôle primordial pour atteindre cet objectif. Mais il recommande qu’un projet de SEQ soit mis en place, avec une participation sur la base du volontariat, avant d’en imposer un aussi ambitieux que celui préconisé. En 2002, le UK ETS est introduit par une série de textes élaborés par le Secrétaire d’Etat pour l’Environnement, la Nourriture et les Affaires Rurales. Le UK ETS a donc été mis en place dans un but très particulier : celui de faire bénéficier les entreprises britanniques d’un avantage compétitif en développant le savoir-faire et une expérience pratique de l’utilisation du SEQ, anticipant la mise en place du SCEQE et cédant à la tentation d’influencer le droit communautaire. Cet argument a été de poids. En effet, la mise en place d’un tel marché nécessite des adaptations aussi bien techniques qu’administratives de la part des entreprises si ces dernières veulent rester compétitives et dans la légalité. L’idée était de développer un système à l’échelle nationale, pour commencer à manier la vente et l’achat des allocations et pour évaluer les adaptations qui seraient nécessaires. Cela permettrait une transition plus facile aux systèmes du Protocole de Kyoto et de l’Union européenne. L’approche est très pragmatique : ‘practice makes perfect’ (la pratique rend parfait). Le National Audit Office (NAO), une entité indépendante chargée d’examiner et de faire des rapports sur les dépenses publiques, a fait un bilan global très positif, louant l’esprit d’initiative du gouvernement britannique qui permettrait aux entreprises nationales d’obtenir des acquis significatifs pour le futur. Ces acquis incluent l’expérience de la négociation lors de la répartition des allocations, le choix de la date de comparaison ou encore la procédure de vente aux enchères. Ce système a également permis la création d’entreprises spécialisées dans les services nécessaires à l’application des dispositions légales, telles que des entreprises de vérification des émissions. Le UK ETS avait aussi pour but de faire de la place boursière de Londres une plaque tournante de ce marché naissant et d’influencer le processus de création du SCEQE. Pour permettre une certaine cohésion entre les différents niveaux de législation et pour éviter que les entreprises ayant participé aux schémas nationaux d’échanges d’émissions ne soient pénalisées, la Directive 2003/87/CE du 13 octobre 2003 portant création du SCEQE a autorisé l’exclusion temporaire de certaines installations du système communautaire (Article 27) à condition que les mêmes limites soient imposées par la législation nationale quant à la quantité d’émissions autorisées, que les conditions de rapport, de vérification et d’évaluation soient comparables et que les mêmes pénalités s’appliquent en cas de non-respect des dispositions légales. Suite à la demande du gouvernement, en octobre 2004, soixante-quatre installations ont été exclues du SCEQE, pour n’être intégrées que lors que la dernière année de la première phase du SCEQE (2007). Si le système n’est plus en vigueur aujourd’hui, le Climate Change Act de novembre 2008 (loi sur le Changement Climatique) permet au Secrétaire d’Etat de mettre en place des SEQ indépendants pour les secteurs non couverts par le SCEQE, telles que les activités causant des émissions indirectes (listées au Paragraphe 45 de cette loi), complétant ainsi certaines lacunes du système communautaire.

Le SCEQE : une adaptation à des contraintes différentes

Si dans le cadre du Protocole de Kyoto l’UE s’est engagée à une réduction de huit pour cent d’ici 2012, dans le cadre de la législation communautaire, elle s’est engagée à une diminution de vingt pour cent d’ici 2020. Pour atteindre ses objectifs, l’UE ne fait pas exception à l’enthousiasme général suscité par le SEQ. En effet, la Directive 2003/87/CE crée le SEQ regroupant le plus d’Etats et le plus de secteurs au monde. Il est considéré comme ‘l’un des moyens principaux pour atteindre les objectifs de réduction sur le long terme’ (Sixième Programme d’Action pour l’Environnement de l’UE). L’un des buts avoués du SEQ britannique était de pouvoir influencer le développement du système communautaire. Les choix opérés par le Royaume-Uni ont-ils été suivis par les créateurs du SCEQE ? Si le mode d’opération général est le même, avec notamment la détermination d’une limite totale d’émissions autorisées et réparties entre les différentes industries, certaines différences méritent d’être soulignées. La première différence majeure est le système britannique opérait sur la base du volontariat, c’est-à-dire que les industries n’étaient pas obligées de participer au marché. Un Fond de 215 millions de livres sterling avait été mis en place pour les y inciter. Deux inconvénients ont néanmoins pu être constatés. D’une part, d’après ENDS, ‘les systèmes sur la base du volontariat ne garantissent pas la réduction des émissions’. D’autre part, ce mode de fonctionnement était très attractif pour les entreprises pouvant réduire leurs émissions à moindre coût, car les sommes obtenues du Fond étaient supérieures aux coûts de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Par ailleurs, malgré un bilan général positif, le NAO a souligné que les entreprises n’étaient pas incitées à aller au-delà des objectifs fixés. Une nuance doit cependant être apportée : même si la participation était volontaire, les contrats avaient force obligatoire, c’est-à-dire que les pénalités encourues étaient appliquées en cas de non-respect des clauses du contrat. Au contraire, le SCEQE est obligatoire pour toutes les industries qui entrent dans son champ d’application, pour palier à la réticence des industries à s’adapter à des exigences communautaires parfois coûteuses et pour assurer une homogénéité des conditions de concurrence dans le marché intérieur. Une autre différence majeure est que le Royaume-Uni voulait que ce système soit aussi large que possible. En effet, le UK ETS couvrait le ‘bouquet’ des six gaz à effet de serre faisant partie de la liste de l’Annexe A du Protocole de Kyoto, alors que le SCEQE ne couvre que le CO2 jusqu’en 2013. Le UK ETS concernait quarante secteurs économiques, il était ouvert aux entreprises ainsi qu’aux individus, et il couvrait les émissions directes et indirectes de gaz à effet de serre (sauf exceptions). Trente et une entités ont participé à ce système, ce qui a permis une réduction de presque cinq tonnes de dioxyde de carbone (CO2) dès la première année. L’UE limite les participants à ce marché à une dizaine de secteurs prédéterminés, dont celui du papier et celui du ciment par exemple, excluant les individus, mais ayant récemment inclus l’aviation (Directive 2003/87/CE). Leur champ d’application diffère donc considérablement.

Enfin, alors que le Royaume-Uni a procédé à une vente aux enchères dès le départ, le SCEQE concède gratuitement leurs allocations aux entreprises. La mise aux enchères totale des allocations ne devra être effective qu’en 2027.

Ces différences s’expliquent par le fait que l’échelle à laquelle ces systèmes s’appliquent n’est pas la même. En effet, le système anglais pouvait se permettre d’être plus exhaustif dans la mesure où le nombre d’installations concernées étaient plus restreints, et que le nombre de participants au marché allait également être limité. Le système communautaire vise au contraire le territoire de vingt-sept Etats, dont les législations et les situations économiques divergent. En 2007, le SQECE couvrait quelque douze mille installations dans l’UE, et presque la moitié des émissions de CO2. L’envergure du projet n’est donc pas la même et explique l’exhaustivité de l’un par rapport à l’autre.

Le système d’échange de quotas d’émissions fédère quelques détracteurs. Greenpeace a qualifié l’allocation de quotas de ‘licence donnée aux entreprises pour imprimer de l’argent’. La chute du marché de la tonne de carbone en 2006 indique clairement que la limite des allocations avait été surévaluée. Malgré ses défauts, l’apparente simplicité de sa mise en place, la nouveauté du marché pour ce produit et les avantages financiers potentiels et considérables, surtout pour les industries les plus puissantes qui ont les moyens de faire du ‘lobbying’ font que ce système est applaudi par nombre d’industries et d’autorités publiques. Mais après les quelques phases d’essais et d’ajustement de ces dernières années, il s’agit aujourd’hui pour ce système de démontrer qu’il peut faire plus que simplement générer des flots d’argent et qu’il est en mesure d’atteindre l’objet premier de sa mise en place : la réduction des émissions de gaz à effet de serre pour limiter le changement climatique.

Bibliographie

- Climate Change Law – Emissions trading in the European Union and the United Kingdom, Robinson, Barton, Dodwell, Heydon and Milton, Cameron May, 2007 - Principles of International Environmental Law, Philippe Sands, Cambridge University Press 2nd edition, 2003 - http://www.defra.gov.uk/environment/climatechange/trading/uk/ - http://www.jbic.go.jp/ja/about/topics/2007/0710-01/02.pdf - http://ec.europa.eu/environment/climat/emission/index_en.htm - ‘Regulation lite : the Rise of Emissions Trading’, Robert Baldwin, Février 2008, LSE Legal Studies Working Paper No. 3/2008 - ‘Evaluating links between emissions trading schemes: an analytical framework’ Alexander Rossnagel, Carbon and Climate Law Review 2008, 2(4), 394-405