La Protection des Brevets aux Etats-Unis. La Preuve de la Violation – Une Comparaison avec le Mécanisme français de Saisie-Contrefaçon, par Marie Quinio.

A comparison between the French system of evidence and the mechanism of Discovery in the United States, the economic attractiveness of the French law seems obvious when it comes to patent infringement litigation procedures. 

            As a matter of fact, the French system offers the interesting possibility of a seizure to acquire proof of infringement. This mechanism, called “Saisie Contrefaçon de Brevet”

(“Patent Infringement Seizure”) is a substitute to the American system of Discovery. Be that as it may, both systems seek a similar protection of invention and to give an incentive to innovation.

 

Introduction.

            Bien des mécanismes de droit français sont similaires aux mécanismes américains. Arrêtons-nous un instant sur la protection conférée aux invention par les brevets. Dans les deux systèmes de droit, les brevets ont une place importante : la protection qu’ils offrent à leur titulaire perpétue l’attractivité de l’innovation.

            S’il est vrai que ces deux systèmes de brevet se font échos à bien des égards (empêcher la violation des brevets, leur contrefaçon ou autre utilisation illégale), une différence substantielle les partage sur le plan procédural.

            Le système américain de Discovery, absent en France, permet aux partie de réunir tous les documents dont elles pourraient avoir besoin chez la partie adverse pour apporter la preuve de leurs allégations devant le juge. Ce mécanisme est déclenché pendant la phase préliminaire au procès.

            En France, l’échange de documents entre les parties ne se fait qu’une fois les preuves réunies par chacun. Cependant, un mécanisme spécifique a été crée : la saisie contrefaçon de brevet. Cette saisie permet à l’une des parties d’aller chercher les preuves dont elle a besoin directement dans les locaux de l’autre partie avant même le début de l’action en justice.

 

Une analyse des deux systèmes de preuve, en France et aux Etats-Unis, permet une comparaison de leurs points communs et différences. D’autant plus que les deux pays ont politique commune de protection des inventions et de l’innovation en générale, à travers leur système de brevet. Enfin, l’étude de cet outil français qu’est la saisie contrefaçon demande une analyse plus profonde tant il est envié des autres systèmes juridiques qui ne s’en sont pas encore dotés.

 

Le Principe de protection des Brevets érigé par le Droit constitutionnel américain.

L’Article I, Section 8 de la Constitution américaine souligne l’importance d’octroyer un monopole aux créateurs de nouvelles inventions à travers les brevets. Il donne au Congrès « le pouvoir de favoriser le progrès de la science et des arts utiles, en assurant, pour un temps limité, aux acteurs et inventeurs, le droit exclusif à leurs écrits et découvertes respectifs ».

Aux Etats-Unis, les brevets sont gouvernés par le Patent Act (Titre 35 du code américain). Les brevets d’inventions durent 20 ans depuis la date de dépôt de demande d’enregistrement. Pour obtenir une telle protection, l’inventeur doit soumettre une demande d’enregistrement a l’USPTO (United States Patent and Trademark Office est l’équivalent américain de l’Institut National de la Propriété Industrielle en France).

Cette demande sera examinée et, si l’invention est brevetable, son inventeur se vera octroyé le droit d’exclure quiconque de fabriquer, utiliser ou vendre son invention pendant les 20 années de protection conférées par son brevet.

 

Abraham Lincoln, dans Second Lecture on Discoveries and Inventions, décrit les six grands pas de l’Histoire de la Liberté. La dernière de ces grandes étapes, selon lui, est le droit d’auteur et les brevets : « Les brevets sont apparus en Angleterre en 1624 et, dans ce pays, avec l’adoption de notre constitution. Avant cela, n’importe quel homme pouvait utiliser l’invention d’un autre instantanément et l’inventeur n’avait aucun avantage spécial sur sa propre invention. Le système de brevets a transformé ceci en octroyant à l’inventeur pour une durée limitée, le droit exclusif d’utiliser son invention. Ainsi, ce système a permis d’apporter un intérêt supplémentaire à la flamme du géni (« Fuel of interest to the fire of Genius ») dans la découverte et la fabrication des choses nouvelles et utiles.

Michal Novak, auteur du livre « The Fire of Invention, the Fuel of Interest », considère la vision de Lincoln comme étant particulièrement éclairante sur l’importance majeur des brevets aux Etats-Unis pour protéger les inventions. Aussi, il analyse les avantages de ce régime de brevets qui protège les inventions en passant, paradoxalement, par leur publication. « Un brevet est rendu entièrement public, y compris les moindres détails, et seul ce qui est publié est protégé. Ironiquement, par conséquent, un régime de brevet rend public toutes les connaissances pratiques qu’un régime sans brevet laisserait secret ou inaccessible ».

Cela paraît paradoxal en effet, mais ce que Novak souligne plus particulièrement, est le fait que, sans système de brevet, un inventeur se garderait bien de publier les détails de son invention, par peur d’en perdre tous les droits. La protection des brevets permet donc réellement une circulation du savoir, ce qui promeut sans égal le progrès des sciences et des choses utiles. Non seulement le savoir circule, mais également les inventeurs sont encouragés, par les avantages qui leur reviennent, à continuer d’inventer.

 

           Le Titre 35, Section 154 du Code des Etats-Unis (patent Act), affirmer que le titulaire d’un brevet a le droit « d’empêcher les autre de fabriquer, utiliser, offrir à la vente, ou vendre l’invention à travers les Etats-Unis ». De plus, la Section 271 sur la violation des brevets dispose que « quiconque, sans autorité, fabrique, utilise, offre à la vente ou vend une invention brevetée à travers les Etats-Unis (…) viole ce brevet ». La protection est très forte, cela  encourage l’innovation.

 

Dans une comparaison avec le système français, il est intéressant de garder à l’esprit les règles de preuve aux Etats-Unis. En effet, si le principe même de protection des inventions par les brevets est très fort aux Etats-Unis, la France ne se démarque pas sur ce point. En revanche, dans la procédure à suivre en cas de violation d’un brevet, les deux pays voient leur système se distinguer nettement l’un de l’autre.

 

La Violation d’un Brevet aux Etats-Unis : Procédure ex parte d’obtention de preuve de cette violation : La Discovery.

La publication des brevets au registre officiel de l’USPTO laisse une petite fenêtre ouverte à la violation des droits des inventeurs puisque leurs inventions y sont expliquées en détails. C’est un moindre mal comparé à une situation dans laquelle les inventions ne seraient pas protégées du tout, mais il est intéressant de se pencher sur la méthode à suivre pour remédier à ce risque résiduel aux Etats-Unis.

Il n’existe pas de procédure spéciale pour apporter la preuve d’une violation de brevet : la procédure est la méthode habituelle en procédure civile : la Discovery. (Federal Rule 26).

La Discovery est la phase précédant un procès, pendant laquelle chaque partie cherche à obtenir des preuves de ses allégations chez la partie adverse. C’est une réelle enquête qui oblige chacune des parties de donner à l’autre, sur sa demande, tous les éléments et documents en relation avec l’affaire, que ces documents lui soient favorables ou non.

Il y a différentes façons de procéder à la Discovery pour obtenir des preuves de la violation d’un brevet, comme les interrogatoire, l’obtention de dépositions ou encore des demandes de production de certains documents.

Cette procédure d’enquête précédant le procès (« pre-trial discovery ») permet aux parties de connaître leurs forces et faiblesses respectives, aussi, cette méthode intervient comme un filtre pour que seuls les points d’ombre soient étudiés devant le juge. Le plus souvent cependant, chaque partie essaye de noyer l’autre dans des caisses de documents no triés pour rendre plus difficile le traitement des documents. Cela prend du temps et représente beaucoup d’argent.

 

Si les règles de preuve peuvent varier d’un Etat à l’autre aux Etats-Unis, les grands principes généraux de la Discovery demeurent les mêmes : le but est de définir les limites exactes de la problématique en apportant tous les éléments de preuve au préalable. D’ailleurs souvent, après la Discovery, les parties finissent par trouver un arrangement et éviter un procès long et couteux.

 

Les dangers de la Discovery : Une Justice pour les Riches.

Le système de Discovery est sujet à controverses et a souvent été critique et accusé de favoriser les parties riches. En effet, puisqu’il revient aux avocats de mener la recherche des preuves, la partie qui aura le plus de moyens financiers aura plus de chance d’acquérir la preuve de les allégations.

Walter K. Olson considère que tous les débordements financiers du système judiciaire américain sont dû à ce mécanisme de Discovery. Dans son luvre « The Litigation Explosion » (L’explosion du Contentieux), 1996, Olson critique cette « industrie du procès ». Pour lui, la Discovery est une procédure longue et onéreuse mais surtout elle permet aux avocats, qui sont complètement en charge dans cette procédure, de mener l’enquête comme ils l’entendent, n’hésitant pas à payer des experts peu scrupuleux pour obtenir des éléments qui soient favorables à leur client. Ce phénomène a un nom aux Etats-Unis : « the Battle of experts » (la bataille des experts) et représente une faille importante de la Discovery : la procédure ex parte d’obtention des preuves de la violation d’un brevet devient une bataille sans merci pour obtenir des éléments coute que coute, même s’il faut les payer cher. A certain là, la partie la plus riche gagne bien souvent.

 

La France a un mécanisme ex parte pour rechercher les preuves de la violation d’un brevet elle aussi, la saisie contrefaçon de brevet. Il ne s’agit pas d’une procédure habituelle mais bien d’un mécanisme spécial actionnable seulement pour la violation de propriétés intellectuelles et industrielles. Si ce mécanisme a des points communs avec la Discovery américaine, il s’en distingue notamment par son encadrement très stricte par les juges.

 

Le principe de Protection des Brevets en Droit français.

En France, la protection des nouvelles inventions découle de la même volonté qu’aux Etats-Unis, celle d’encourager la production de ces nouvelles inventions par l’octroi d’un droit exclusif à leur auteur pour une période limitée.

L’article L611-1 du Code de la Propriété Intellectuelle dispose que « toute invention peut faire l’objet d’un titre de propriété industrielle (…) qui confère à son titulaire ou à ses ayants cause un droit exclusif d’exploitation ».

La durée de protection d’un brevet d’invention est de vingt ans en France, comme aux Etats-Unis. Une application doit être déposée à l’Office français des brevets (l’INPI). Cette demande de revêt doit contenir une description de l’invention et délimiter la protection demandée, tout comme aux Etats-Unis encore une fois.

Après l’examen de cette demande et paiement des frais, le brevet sera finalement délivré. En France, ce brevet protège les droit de l’inventeur et non de la première personne qui en fait la demande. C’est l’inventeur et lui seul sui, une fois titulaire d’un brevet, pourra obtenir le droit d’effectuer une saisie contrefaçon pour apporter la preuve de la violation et ainsi protéger son invention.

 

Violation d’un Brevet en France: La Procédure ex parte d’Obtention de preuve par la Saisie Contrefaçon.

Les actions en justice contre la violation d’un brevet représente la majeures parties des procès concernant les brevets en France (environ 80%) (Voir Véron & Associés, Statistiques pour 2000-2010). La majorité de ces cas de violation de brevet suivent le même schéma : le procès n’intervient qu’à la suite d’une saisie contrefaçon.

 

L’article L615-5 du Code de la Propriété Intellectuelle dispose que la preuve de la contrefaçon d’un brevet peut être apportée par tous moyens, notamment par le biais d’une saisie contrefaçon demandée par le titulaire du brevet.

La saisie contrefaçon est un droit et le titulaire du brevet peut en demander l’exécution au Président du tribunal de Grande Instance dès qu’il a un doute sur une possible contrefaçon de son brevet. Cette saisie ne peut lui être refusée et le seul droit du juge dans cette situation est de moduler les limites de cette saisie.

Cette procédure se fait de manière ex parte, avant que toute procédure ne soit entamée devant le juge. Par conséquent, le saisie ne bénéficie d’aucune information sur la saisie avant que celle-ci n’ait lieu : la saisie contrefaçon agit donc par surprise totale. Il n’est pas question ici, comme aux Etats-Unis de faire la demande de documents au contrefacteur présumé et de se laisser noyer par des milliers de papiers à trier.

La saisie sera effectuée par un huissier de justice choisi par le titulaire du brevet. Cet huissier a pour mission d’établir un rapport précis et détaillé de la saisie et pourra être accompagné d’un spécialiste choisi par le titulaire du brevet également : soit un expert, soit un agent en brevet.

L’huissier pourra entrer dans les locaux du présumé contrefacteur pour obtenir des preuves de la violation du brevet et ainsi confirmer les doutes du titulaire du brevet qui pourra alors démarrer une action en justice. L’huissier pourra examiner les produits ou les procédés utiliser ou encore faire des copies de certains documents confidentiels, tant que le Tribunal de Grande Instance l’a permis.

A la suite de cette saisie, si ses doutes sont confirmés, le saisissant a deux semaines pour démarrer son action pour contrefaçon de brevet. Passé ce délai, les preuves apportées par la saisie contrefaçon ne pourront plus être utilisées pendant le procès.

 

Afin que cette procédure très intrusive demeure en accord avec le principe du droit au procès équitable énoncé à l’article 6§1 de la CEDH, la saisie contrefaçon doit respecter des règles strictes pour être valide et ne pas tomber dans l’écueil de la saisie contrefaçon de brevet abusive.

 

Les Dangers de la Saisie Contrefaçon de Brevet abusive : le non Respect du droit au Procès équitable.

Deux grandes conditions de validité sont à respecter pour que la saisie contrefaçon ne soit pas abusive.

 

La première concerne l’expert qui accompagnera l’huissier lors de la saisie. Dans son arrêt Biomérieux c/ ORPL (2004), la Cour de cassation a considéré qu’un employé du saisissant ne pourrait en aucun cas accompagner l’huissier lors de la saisie, sous peine de violer l’article 6§1 de la CEDH. En effet, la présence d’une personne trop dépendante du saisissant pourrait orienter le jugement de l’huissier et rendre abusive une procédure déjà intrinsèquement intrusive.

En revanche, l’agent en brevet du saisissant, lui, est considéré comme indépendant de son client et est autorisé à accompagner l’huissier de justice en tant qu’expert (arrpet Miniplus c/ SCC).

Il est donc majeur que les personnes qui procèdent à cette saisie contrefaçon soient indépendantes.

 

La deuxième condition de validité d’une saisie contrefaçon est e respect absolu de la limite fixée par le tribunal.

Si le tribunal ne peut pas refuser le principe d’une saisie contrefaçon, il peut tout de même en limiter fortement l’envergure. En effet, le titulaire du brevet, lorsqu’il fait sa demande, doit présenter une liste exacte des documents qu’il veut pouvoir saisir. Il ne s’agit pas d’une autorisation à aller fouiller de fond en comble les locaux du présumé contrefacteur jusqu’à trouver la preuve quelle qu’elle soit de la contrefaçon. L’ampleur de la saisie effectuée sera évaluée  par l’établissement d’un rapport détaillé par l’huissier de justice qui sera responsable personnellement de tout excès de sa part ou de celle de l’expert lors de la saisie. Cette responsabilité personnelle de l’huissier en charge participe à garantir que la saisie ne sera pas abusive car l’huissier n’a aucun avantage à trouver des preuves au prix de sa position. Il veillera d’autant plus, par conséquent, à ce que les limites de la saisie soient respectées.

 

La validité de la saisie contrefaçon peut être remise en question par le saisi après coup. Si la cour détermine en effet que l’une des conditions de validité n’était pas remplie, aucune élément de preuve de contrefaçon apportée par la saisie de pourra être utilisé par le saisissant non plus lors d’un procès. Cette règle veille à préserver l’équité du procès.

 

Si les juges français sont très stricts à propose de la validité de ce mécanisme de saisie, il n’en reste pas moins qu’il est utilisé de manière quotidienne devant les tribunaux français et demeure une procédure spéciales enviée à la France par beaucoup de systèmes judiciaires.

 

Une Comparaison du Système américain et du Système français de Preuve de la Violation d’un Brevet.

Les différences culturelles entre les systèmes romano germaniques et ceux de Common Law sont considérables au sujet des règles qui encadrent la preuve.

En droit français, le juge rétablit la vérité par ses décisions, tandis que le juge américain pèse les versions de chaque partie et les preuves qu’elles apportent, pour déterminer laquelle est finalement plus crédible. Le rôle du juge est donc plus neutre et passif.

Au regard des mécanismes de preuve de la contrefaçon d’un brevet, la France et sa saisie contrefaçon représente une particularité tout à fait attirante pour le système américain en ce que la saisie contrefaçon de brevet est une sorte de Discovery mais bien plus encadrée par le juge et, surtout, dotée d’un effet de surprise imparable. La France n’est d’ailleurs pas la seule à s’être dotée d’un telle mécanisme. L’Angleterre, elle, utilise ce qu’elle appelle les « Anton Piller Orders » qui permettent une saisie à condition que trois exigences soient remplies :

  • Une présomption forte de violation d’un brevet.
  • Des dommages, même potentiels.
  • Que le saisie ait des documents qu’il serait susceptible de détruire avant une action inter partes.

 

Le but ultime de ces différents mécanismes en revient toujours à la protection des inventions et autres innovations et de promouvoir le progrès. C’est l’objet même du droit de la propriété intellectuelle de pouvoir defender cela, depuis son origine.

 

Bibliographies:

  • Constitution des États-Unis, 1787.

 

  • Abraham Lincoln, « Second Lecture on Discoveries and Inventions »,

The Collected Works of Abraham Lincoln, vol. III.

 

  • M. Novak, The Fire of Invention, The Fuel of Interest, 1996.

 

  • Le Code des Etats-Unis annoté (Title 35 of the United States Annotated Code).

 

  • W. Olson, The Litigation Explosion : What Happened when America Unleashed the Lawsuit, 1991.

 

  • Le Code français de la Propriété Intellectuelle.

 

  • LexisNexis