La question des formalités préalables de protection au regard de la Convention de Berne et de la législation américaine et française par Isabelle WHITTAKER

La Convention de Berne dispose que la protection des droits d’auteurs n’est subordonnée à aucune formalité. Aux Etats-Unis la solution est différente. Dans l’arrêt Do Denim v. Fried Denim, par exemple, une juridiction américaine a réaffirmé que l’enregistrement du copyright est une condition de recevabilité indispensable pour les actions en justice en violation de ces droits. À l’opposé de ce système se trouve la France, l’un des pays les plus protecteurs en ce qui concerne le droit d’auteur. La question se pose de la compatibilté de la loi américaine avec le système de la Convention de Berne, spécialement quand la protection est demandée aux Etat-Unis par des auteurs étrangers. Un cas illustre la difficulté : Elsevier B.V. v. UnitedHealth Group, Inc., 09 Civ. 2124 (WHP), US Distr. SDNY, 2010

La notion anglo-saxonne de copyright est fondamentalement différente de la notion civiliste de droit d’auteurs. La convention de Berne a permis une certaine harmonisation, mais les différences persistent à travers l’interprétation qu’en font les différents états. C’est notamment le cas pour l’article 5 qui dispose que la protection des droits de propriété intellectuelle n’est soumise à aucune formalité. Alors que les pays qui suivent la tradition des droits d’auteurs, tels que la France, ont des législations nationales très proches de la lettre de la convention, les pays qui suivent la tradition du copyright, tels que les Etats-Unis, ont mis en place un autre système. Bien que les droits attachés au copyright existent dès la création de l’œuvre, ils ne pourront être défendus en justice qu’après l’accomplissement de certaines formalités. Cette position a été réaffirmée récemment par un arrêt du 2ème district, et est le résultat d’une jurisprudence constante. Peut-on alors dire que la Convention de Berne est réellement respectée ?

La position au niveau international

L’article 5 (2) de la Convention de Berne dispose que : « La jouissance et l’exercice de ces droits ne sont subordonnés à aucune formalité; cette jouissance et cet exercice sont indépendants de l’existence de la protection dans le pays d’origine de l’œuvre. Par suite, en dehors des stipulations de la présente Convention, l’étendue de la protection ainsi que les moyens de recours garantis à l’auteur pour sauvegarder ses droits se règlent exclusivement d’après la législation du pays où la protection est réclamée. » Le premier alinéa est clair : la protection des droits d’auteurs et leur équivalent étranger existent dès la création de l’œuvre, sans qu’aucune formalité n’ait été accomplie. Le second alinéa et l’interprétation qui en a été faite – notamment aux Etats-Unis – affaiblissent considérablement la force du premier.

La Convention de Berne est reconnue comme un véritable pilier du droit international en matière de propriété intellectuelle. Elle regroupe aujourd’hui 164 pays signataires. Elle ne faisait cependant pas l’unanimité à ses débuts, ce qui a conduit à une longue période de discussions avant que certains pays n’y fassent leur entrée. L’opposition était particulièrement flagrante en ce qui concerne les pays anglo-saxons et leur notion de copyright, qui diffère grandement de la notion civiliste de droit d’auteur. Entre autres points de discordances, notamment au sujet des droits moraux, c’est l’idée de supprimer les formalités nécessaires l’obtention des droits de copyright qui chagrinait les Etats Unis.

Les Etats-Unis : un pays qui impose traditionnellement des formalités

En effet, pour bénéficier de la protection du copyright aux Etats-Unis, il fallait accomplir les formalités d’enregistrement et obtenir l’accord du Copyright Office, enregistrement qui devait être renouvelé tous les 28 ans. Il fallait en plus apposer le fameux © sur tout œuvre ou reproduction de celle-ci. La procédure d’enregistrement est simple. Il faut adresser au Copyright Office une enveloppe ou un paquet contenant trois choses : tout d’abord, un formulaire d’application adapté au type d’œuvre dûment complété. Ensuite, le montant des frais d’enregistrement, qui sont de $35 si les formulaires sont remplis en ligne, et qui sont non remboursables. Enfin, une copie de l’œuvre à enregistrer. Si l’œuvre a été publiée, il faut en général joindre deux copies. Le Copyright office prévoit une réponse dans les 9 mois si l’enregistrement a été fait en ligne, ou jusqu’à 22 mois pour les enregistrements papier.

La signature de l’acte a entraîné la disparition du caractère obligatoire de ces formalités. Cependant, le © est toujours utile et peut servir à titre informatif ou même d’avertissement, est également la conséquence de l’application de la convention universelle de Genève. De même, l’enregistrement demeure une formalité nécessaire pour la poursuite d’une éventuelle violation des droits de copyright.

Les modifications apportées par le Berne Convention Implementation act de 1998 restent en effet mitigées pour ce qui est des formalités. Le titre de l’article 411 a été modifié de « L’enregistrement comme pré requis » à « Enregistrement et actions en violation ».

Cet article §411 pose toujours « qu’aucune poursuite judiciaire pour violation de copyright dans l’un des états ne pourra être ouverte avant pré-enregistrement ou enregistrement de la demande de copyright (…) ». Cependant, a été rajouté « sauf pour les actions en violation de copyright pour les œuvres de la Convention de Berne dont le pays d’origine n’est pas les Etats-Unis ».

Cette position est différente de celle de la France, dont l’article L111-1 du Code de la Propriété intellectuelle est quasiment identique à l’article 5 de la Convention de Berne. Il dispose en effet que « l'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous ». Ce principe a été affirmé dès 1969 par la Cour de Cassation qui a déclaré que « la protection du droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous est assurée indépendamment de toutes formalités, dépôt, mention ou inscription » (Civ. 1ère, 20 janvier 1969, Bull. civ I, n°61). Il n’existe donc pas d’équivalent français au Copyright Office américain. Il y est cependant possible de déposer ou d’enregistrer une œuvre de plusieurs façons. L’auteur peut, par exemple, déposer son œuvre chez un huissier ou notaire, l’adresser sous enveloppe prévue à cet effet à l’INPI, la déposer auprès d’une société de perception et de répartition des droits (telle que la SACEM). L’auteur peut également tout simplement s’envoyer à lui-même ou à un tiers l’œuvre sous pli fermé avec accusé de réception et ne pas ouvrir l’enveloppe, le cachet de la poste faisant foi. Ces précautions permettent de faciliter le droit de la preuve, pour le droit de paternité comme pour la date de création de l’œuvre

L’application de l’article §411 du Copyright Act par les juridictions américaines

Les juridictions appliquent strictement cet article. En effet, dans l’affaire Do Denim v. Fried Denim (No. 08Civ.10947, 2009 U.S. Dist. (S.D.N.Y. June 17, 2009)), le demandeur avait accompli les formalités (dépôt de la demande d’enregistrement, paiement des frais) mais le Copyright office n’avait pas encore donné de réponse. Le défendeur a avancé l’argument que l’enregistrement n’était pas finalisé et que la Cour n’était pas donc compétente. La Cour a retenu cet argument et a débouté le demandeur. Il est intéressant de noter que sur le site du Copyright office, il est précisé que quelle que soit la date de réception du certificat, la date effective d’enregistrement est celle à laquelle a été reçue l’enveloppe contenant les documents nécessaires. Les juridictions considèrent donc que cette date ne devient justement effective qu’après la réception de la réponse du Copyright Office, que celle-ci soit positive ou négative.

Ce n’est pas la première fois que les juridictions américaines abordent la question. Une juridiction du 10ème circuit (qui regroupe le Colorado, le Kansas, l’Oklahoma, le Nouveau Mexique, l’Utah et le Wyoming) avait opté pour la même solution que dans l’arrêt Do Denim (La Resolana Architects, PA v. Clay Realtors Angel Fire, 416 F.3d 1195 (10th Cir. 2005)). Une cour du 8eme circuit (qui regroupe le Nevada, le Dakota du Sud, le Dakota du Nord, le Minnesota, l’Iowa et l’Arkansas) avait jugé que l’accomplissement des formalités, sans attendre la réponse du Copyright office, était suffisant (Action Tapes, Inc. v. Mattson, 462 F.3d 1010,1013 (8th Cir. 2006)). L’arrêt Do Denim est la première occasion pour une juridiction du 2ème circuit (le Connecticut, l’état de New York et le Vermont) de se prononcer à ce sujet, mais la question avait cependant déjà été abordée par une juridiction inférieure. La Cour du district sud de New York avait décidé qu’une juridiction n’avait compétence en matière de copyright que si le demandeur avait eu une réponse du Copyright office, que celle-ci soit positive ou négative (City Merchandise v. Kings Overseas, No. 99 CV 10456, 2001 U.S.Dist. S.D.N.Y. March 22, 2001).

Bien que la question n’ait pas encore été résolue par la juridiction suprême, une chose est claire : si aucune formalité n’a été accomplie, il n’est pas possible d’intenter une action afin de faire respecter son droit de copyright.

Un arrêt de la juridiction du district sud de New York (Elsevier B.V. v. UnitedHealth Group, Inc., 09 Civ. 2124 (WHP), US Distr. SDNY, 2010) explique la position des Etats-Unis vis-à-vis la Convention de Berne : le défendeur, auteur d’une œuvre non enregistrée au Copyright Office, a argué que cette obligation était contraire à la Convention de Berne. Cette dernière est reconnue par la Constitution qui prévaut sur le Copyright Act, qui n’est donc pas applicable. La Cour a répondu que la Convention n’étant pas d’effet direct, une loi de transposition est nécessaire. Le Congrès n’ayant pas modifié cet article alors que d’autres modifications ont été faites dans un but de transposition, il est donc conforme à la Constitution.

Cet arrêt pose, entre autres, la question intéressante du sort d’un auteur étranger qui se trouverait impliqué dans un litige aux Etats-Unis. En effet, dans l’affaire Elsevier, le défendeur est une société qui publie en ligne de nombreux textes étrangers, protégés dans leur pays d’origine. Les obligations ne sont pas identiques à celles imposées aux auteurs nationaux. En effet, contrairement à ces derniers, depuis la ratification de la Convention de Berne les auteurs étrangers n’ont pas besoin d’ enregistrer leur copyright au Copyright Office pour que les juridictions soient compétentes en cas de violation. Cependant, tout comme pour les auteurs nationaux, si l’œuvre n’a pas été enregistrée, certaines indemnités ne pourront être accordées.

Les conséquences d’une telle obligation sur la protection des droits d’auteurs nationaux et étrangers

En ce qui concerne les auteurs nationaux, cette obligation ne s’applique pas aux actions concernant les droits de paternité et d’intégrité tels que définis par la section §106A(a) du Copyright Act (traditionnellement qualifiés de branches du droit moral). Pour les autres, si les formalités ont été accomplies, la juridiction sera compétente. L’enregistrement n’a uniquement pour effet de rendre compétente la juridiction. En effet, l’article §412 du Copyright act pose que l’enregistrement demeure un pré requis pour l’obtention de certaines indemnités. En effet, si des indemnités statutaires sont accordées, elles ne seront accordées que pour la période d’infraction post-enregistrement. Si l’infraction est instantanée et qu’elle a eu lieu avant l’enregistrement, elle ne sera pas passible de poursuites. Si l’infraction est continue et qu’elle a débuté avant l’enregistrement, seule la période post-enregistrement sera prise en compte dans le calcul des indemnités statutaires. De plus, aucun frais de justice ne pourra être accordé. La date d’enregistrement remplace à ce sens la date de création de l’œuvre. L’auteur dispose d’une période de trois mois après la création de l’œuvre pour l’enregistrer et ainsi éviter ces inconvénients. L’enregistrement n’a de plus aucun effet sur les indemnités correspondant au dommage réel.

Les auteurs étrangers peuvent entamer une poursuite en cas de violation de leur copyright sans que leur œuvre ne soit enregistrée aux Etats-Unis. L’absence d’enregistrement ne posera pas de problème au niveau de la compétence juridictionnelle, car la ratification de la convention de Berne a poussé le Congrès à exclure les auteurs étrangers de l’article §411 du Copyright Act. Cependant, aucune modification n’a été apportée à l’article §412. Ainsi, comme pour les auteurs nationaux, l’enregistrement ou absence de celui-ci aura une incidence sur les indemnités qui pourront être accordées. Si l’œuvre n’est pas enregistrée, comme c’est souvent le cas pour les œuvres étrangères, ni indemnités statutaires ni frais de justices ne pourront être accordés.

Ce type de système présente un intérêt dans le cadre de la notion de copyright. C’est en effet une notion économique, contrairement au droit d’auteur. Plus que de récompenser le travail créatif d’un individu, le copyright a pour but de faciliter la cession de ces droits pour encourager la dissémination de l’information. Le fait que les actions concernant le droit moral, droit d’attribution et de paternité, ne soient pas soumises à cette condition, montre bien que la distinction est ici faite entre les éléments traditionnels de la notion de copyright, qui sont économiques, et les droits moraux qui ont été ajoutés par la Convention de Berne. Les formalités n’ont de conséquence que sur les actions en justice qui concerne la violation des droits patrimoniaux. De plus, encourager ainsi l’enregistrement permet de garder un répertoire à jour de toutes les œuvres, ce qui permet de garder le public à jour sur ce qui est protégé. Ce registre se trouve à la Bibliothèque du Congrès, et constitue une archive publique, libre d’accès. Les informations s’y trouvant sont également disponibles sur internet. Le droit de la preuve est grandement facilité par l’enregistrement. En effet, celui-ci constitue une preuve prima facie de la validité du copyright et de tous les éléments cités dans le certificat d’enregistrement (date de création, etc.). De plus, l’auteur qui a enregistré son copyright pourra communiquer cet enregistrement au Service des Douanes ce qui servira de protection contre l’importation d’imitations.

Encourager l’enregistrement en en faisant une condition prérequise pour toute action en justice en matière des branches patrimoniales du droit d’auteur présente donc certains avantages. Cependant, on peut y voir un affaiblissement des droits d’auteurs, en ce qu’ils perdent leur caractère naturel. Dans un système tel que le système français, leur caractère fort est préservé, ce qui encourage la création. Il s’agit comme toujours de trouver un équilibre entre les droits de l’auteur et ceux du public.

Bibliographie

Propriété littéraire et artistique, Pierre-Yves Gautier, Collection Droit Fondamental, édition Puf, 2007

International Intellectual Property in an Intergrated World Economy, Abbot, Cottier, Gurry, Aspen Publishers, 2007

Code de la Propriété Intellectuelle commenté, édition Dalloz, 9ème édition (2009)

http://www.intellectualpropertylawblog.com/archives/copyrights-what-is-t... : blog sur l’actualité en matière de Propriété Intellectuelle aux Etats unis, contenant un article sur l’affaire Do Denim

http://copyrightlitigation.blogspot.com/2010/01/unregistered-foreign-cop... : blog sur le copyright, contenant un article sur l’affaire

http://www.copyright.gov/title17/ : le texte complet du Copyright Act

http://inventors.about.com/od/copyrights/a/copyright.htm: la procédure d’enregistrement du copyright

Jurisprudence :

Civ. 1ère, 20 janvier 1969, Bull. civ I, n°61, La Cour de Cassation rappelle que la protection des droits incorporels existe sans l’accomplissement de formalités http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&i...

Do Denim v. Fried Denim (No. 08Civ.10947, 2009 U.S. Dist. (S.D.N.Y. June 17, 2009), la Cour du District Sud de New York réaffirme que l’enregistrement complété est un pré-requis pour toute action en violation de copyright d’une œuvre d’origine américaine

La Resolana Architects, PA v. Clay Realtors Angel Fire, 416 F.3d 1195 (10th Cir. 2005) la même solution a été suivie par cette cour du 10ème Circuit

Action Tapes, Inc. v. Mattson, 462 F.3d 1010,1013 (8th Cir. 2006) Une cour du 8ème Circuit a tranche que le pré-enregistrement était suffisant pour satisfaire le pré-requis.

City Merchandise v. Kings Overseas, No. 99 CV 10456, 2001 U.S.Dist. S.D.N.Y. March 22, 2001 Une cour du district sud de New York dont la solution était identique à celle de l’arrêt Do Denim

Elsevier B.V. v. UnitedHealth Group, Inc., 09 Civ. 2124 (WHP), US Distr. SDNY, 2010, une cour du district Sud de New York rappelle que, bien que les formalités ne soient pas un pré-requis de l'action en justice pour les oeuvres d’origine étrangère aux Etats Unis, l’absence de leur accomplissement aura des conséquences sur les indemnités accordées