La réforme américaine sur la recherche des preuves électroniques (e-discovery) - par Nora HAMMADOU

La recherche des preuves électroniques pose des difficultés particulières. Face à ce constat, le Congrès américain a entrepris une réforme visant à faciliter la e-discovery. Dorénavant, une partie n’est pas soumise à l’obligation de produire si elle prouve que les preuves ne sont pas raisonnablement accessibles. De même, elle peut échapper aux sanctions pour défaut de production si elle prouve qu’elle a déployé des efforts raisonnables pour conserver les preuves. De plus, elle peut demander à récupérer des informations confidentielles si elle les a communiquées par inadvertance.

De nos jours, les informations, dans la sphère privée et professionnelle, s’échangent de plus en plus sous la forme électronique. Cela signifie, qu’aujourd’hui, la recherche des preuves (discovery) a souvent pour objet une preuve électronique (e-discovery). Le vaste champ d’application de la discovery en droit américain pose des difficultés particulières en matière de preuves électroniques. Avant 2004, les règles sur la recherche des preuves s’appliquaient indistinctement à la preuve traditionnelle (notamment sur papier) et à la preuve électronique. En 2004, le code américain de la procédure civile a été modifié afin de prendre en compte les spécificités de la preuve électronique. Ainsi, un régime de la preuve électronique a été créé. Il a fallu attendre le premier décembre 2006 pour que la réforme entre en vigueur. Dans l’ensemble, ce nouveau corps de règles vise à faciliter la recherche de la preuve électronique en assouplissant les conditions dans lesquelles elle intervient. Il n’est pas surprenant que cette réforme soit intervenue aux Etats-Unis dans la mesure où les Etats-Unis sont des pionniers en matière de technologies de l’information. La recherche des preuves électroniques est une question cruciale puisque l’établissement d’une preuve permet de passer de l’existence d’un droit à sa reconnaissance par la justice lors d’un litige. Comment les Etats-Unis se sont-ils adaptés aux nouvelles technologies de l’information et de la communication et à leur impact sur l’administration de la preuve ? En droit français, les règles régissant l’administration de la preuve, en général, ne sont pas aussi complexes et développées qu’en droit américain. En droit américain, l’administration de la preuve fait l’objet d’études approfondies et est régie par un corps de règles multiples et sophistiquées. Il existe même un code américain de la preuve (Federal Rules of Evidence) qui regroupe une grande partie des règles relatives à la preuve. Le code américain de la procédure civile contient également un certain nombre de règles relatives à la recherche des preuves. En droit français, c’est le nouveau code de procédure civile qui regroupe l’ensemble des règles relatives à la preuve. Elles sont peu nombreuses. En droit français, les mêmes difficultés se posent dans la mesure où la tendance à l’échange d’informations sous la forme électronique n’est pas une spécificité américaine mais, au contraire, un phénomène qui touche l’ensemble des sociétés développées. Si la France ne s’est pas encore vraiment attaquée au problème, c’est sans doute parce que la branche du droit de la preuve en droit français est bien moins développée qu’en droit américain. Lorsque la France sera plus sensible aux difficultés que pose la recherche de la preuve électronique, elle pourra s’inspirer de la réforme américaine tout en gardant à l’esprit qu’il est dangereux de ne transposer qu’une seule pièce du droit américain (à savoir les règles relatives à la e-discovery) et négliger le reste des règles américaines sur l’administration de la preuve. Cette étude vise à mettre en lumière les difficultés cernées par le droit américain en matière de preuve électronique et la façon dont il essaie de les traiter. Cette étude a donc une visée prospective dans la mesure où, en temps voulu, le droit français pourra s’inspirer de la façon dont le droit américain a traité les difficultés liées à la recherche des preuves électroniques.

Les spécificités et difficultés de la recherche de la preuve électronique

La recherche de la preuve électronique revêt plusieurs caractéristiques spécifiques et pose plusieurs difficultés. La preuve électronique est virtuelle (elle n’est pas sous une forme tangible), volatile, omniprésente prolifique (elle se trouve à plusieurs endroits en même temps) et persistante (même lorsqu’elle est effacée, elle demeure).

Recherche longue et coûteuse. La recherche des preuves électroniques est longue et coûteuse car la preuve électronique est souvent conservée en grandes quantités et de façon désorganisée. La recherche se déroule en quatre étapes : l’identification, la préservation, l’analyse et la production. Il faut d’abord repérer les documents qui peuvent se trouver à plusieurs endroits, préserver leur authenticité (le travail sur un document peut l’altérer donc il est préférable de travailler sur une copie plutôt que sur l’original), les analyser afin d’isoler à la fois les éléments pertinents et les éléments confidentiels. Cette dernière étape est heureusement allégée grâce à des logiciels de recherche qui permettent de trouver rapidement les éléments pertinents à l’aide de mots clés. Enfin, les éléments pertinents doivent être présentés aux tribunaux. Plus les informations conservées sont nombreuses, plus ce processus de filtrage sera long. Par ailleurs, la recherche de la preuve électronique exige souvent qu’une partie recoure à un expert ou consultant extérieur afin de rechercher, d’extraire et de produire la preuve, ce qui s’avère onéreux. Bien que la règle veuille que chaque partie assume ses propres coûts lors de la recherche des preuves, il ressort de la jurisprudence que le juge a le pouvoir de déplacer les coûts de la e-discovery à la partie qui requiert la production de la preuve électronique lorsque celle-ci impose des coûts et des difficultés exceptionnels (cf. Rowe Entertainment, Inc. v. William Morris Agency, Inc., 205 F.R.D. 421 (SDNY 2002). et cf Zubulake v. UBS Warburg LLC, 217 F.R.D. 309 (S.D.N.Y. 2003).)

Risque d’atteinte à la confidentialité des informations. Lorsque la partie isole les éléments pertinents, elle doit également s’assurer qu’elle ne communique pas des informations confidentielles à la partie adverse. La recherche de la preuve électronique requiert parfois que la partie qui demande la communication des preuves se rende sur les lieux et procède à une inspection du système informatique de l’autre partie, système qui peut abriter des informations confidentielles qui ne peuvent pas être isolées du reste des autres informations. Dans de nombreuses juridictions américaines, la production de preuves confidentielles par inadvertance est réputée valoir renoncement implicite au caractère confidentiel des preuves produites.

Des politiques de rétention souvent imparfaites et une obligation de conservation des preuves pas toujours respectée. Certaines entreprises disposent de politiques de rétention inadéquates, tandis que d’autres n’en disposent même pas. Les politiques de rétention sont des politiques relatives à la conservation des documents et notamment à la durée, forme de la conservation des documents et à leur quantité et qualité. Certaines entreprises conservent leurs documents trop longtemps ce qui rend la recherche des preuves longue et coûteuse, tandis que d’autres ne les conservent pas assez longtemps, ce qui rend la production des preuves impossible. Il ressort de la jurisprudence qu’une partie a l’obligation de préserver les preuves potentielles quand elle a connaissance qu’un procès lui est intenté ou lorsqu’il est raisonnablement prévisible qu’un procès va lui être intenté (West v. Goodyear Tire and Rubber Co., 167 F.3rd 776 (2d Cir. 1999)). Cette obligation pèse sur la partie indépendamment de toute requête de la partie adversaire ou du juge. La « spoliation » est définie dans l’arrêt West comme toute modification importante, destruction des preuves ou tout manquement à l’obligation de conservation des preuves. De plus, dans l’arrêt Zubulake, la cour réitère l’obligation selon laquelle lorsqu’une partie anticipe raisonnablement (« reasonably anticipates ») un litige, elle doit suspendre sa politique de rétention habituelle et mettre en place une procédure de conservation de tous les documents relatifs au litige (« litigation hold »). Voilà les difficultés qui ont appelées la réforme de la e-dicovery intervenue aux Etats-Unis en 2004.

Solutions apportées par la réforme

Evolution du champ d’application de la pre-trial discovery. En droit américain, lors de la pre-trial discovery, les parties doivent communiquer à leur adversaire toutes les pièces qui sont utiles au soutien de leur demande (Rule 26 (a) (1) (B)). De plus, une partie peut demander à son adversaire la production de toute preuve pertinente non confidentielle (« relevant and not privileged ») (Rule 26 (b) (1)). Lors de l’adoption des FRCP, la règle 34 n’envisageait que les « documents et choses ». Puis en 1970, le terme compilation de données a été ajouté, ce qui a permis de faire entrer certaines preuves électroniques dans le champ d’application de l’article 34. Cependant, certaines preuves électroniques ne relevaient toujours pas de cet article. Depuis 2004, les termes « informations stockées électroniquement » (« electronically stored information ») figurent en toutes lettres à l’article 34, remplaçant l’expression « compilations de données » jugée trop restrictive. La réforme entrée en vigueur en 2006 vise à alléger la production des preuves électroniques. Cette réforme comprend quatre éléments principaux.

Rencontre et concertation des parties. Les parties doivent se rencontrer le plus tôt possible afin de discuter des problèmes relatifs à la e-discovery, notamment la préservation des informations électroniques, les problèmes liés à leur analyse, la forme sous laquelle elles doivent être produites et le caractère confidentiel de l’information comme moyen de défense (règles 16 (b) & 26 (f)). La règle 26(f) favorise le dialogue et la coopération entre les avocats des parties adverses concernant l’e-discovery et leur permet de contrôler le coût et la durée de la e-discovery.

Accessibilité des preuves électroniques. Les preuves électroniques auxquelles il n’est pas possible d’accéder raisonnablement (« reasonably accessible ») n’ont pas à être produites à moins que la partie qui est à l’origine de la requête prouve qu’elle est fondée (« show good cause ») (règle 26 (b) & (f)). Ainsi cet amendement limite l’obligation de produire d’une partie. Le code opère une distinction entre les sources accessibles et les sources non raisonnablement accessibles. Celle-ci est cruciale dans la détermination du champ d’application de la e-discovery et dans l’identification de la partie sur laquelle pèse les coûts. Cette distinction est apparue pour la première fois dans l’arrêt Zubulake (Zubulake v. UBS Warburg LLC, 217 F.R.D. 309 (S.D.N.Y. 2003)) afin de déterminer la partie à laquelle il revient de supporter les coûts. L’article 26 (b) (2) des FRCP s’intéresse à cette distinction afin de déterminer l’ampleur de la discovery. Conformément à la règle 26(b)(2)(B), une preuve électronique accessible signifie une preuve qui peut être obtenue et analysée afin de déterminer son caractère pertinent sans coût ou difficulté extraordinaire. Ainsi, si la preuve électronique n’est pas raisonnablement accessible c’est-à-dire si le caractère pertinent de l’information ne peut pas être déterminé sans encourir des coûts indus, alors l’information stockée électroniquement est réputée ne pas entrer dans le champ d’application de la e-discovery.

Informations confidentielles. Dans certains cas, une partie peut invoquer le secret commercial ou le caractère confidentiel de l’information si elle a, par inadvertance, communiqué des preuves électroniques qui sont potentiellement protégées par le secret professionnel ou qui sont confidentielles. La partie qui a communiqué la pièce peut demander la remise, le séquestre ou la destruction de l’information en attendant que la cour statue sur la demande de reconnaissance du caractère confidentiel de l’information. La règle 26(b)(5)(B) vise à protéger la partie qui, par inadvertance, a communiqué des pièces confidentielles, ce qui arrive relativement fréquemment en raison de la grande quantité d’informations électroniques à trier avant de les communiquer à la partie adverse. Cette règle protège contre le renoncement implicite au caractère confidentiel des informations.

Forme de la production et l’importance des metadata. Les parties doivent convenir de la forme sous laquelle la preuve doit être produite c’est-à-dire sous la forme tangible ou électronique. A défaut d’accord, elles doivent soumettre rapidement la question au juge pour qu’il statue dessus. La règle 34 (b) prévoit que la partie qui demande la production d’une preuve électronique peut préciser la forme sous laquelle elle doit intervenir. Si la partie qui doit communiquer la preuve électronique s’y oppose ou si aucune forme n’a été précisée, cette partie doit indiquer la forme sous laquelle elle a l’intention de présenter la preuve. La forme peut être celle sous laquelle la preuve est d’ordinaire conservée ou bien celle qui est raisonnablement utilisable. De plus, la règle 34 prévoit qu’une partie ne peut être contrainte à la production d’une preuve électronique que sous une seule forme. Cette nouvelle règle permet de lutter contre les requêtes multiples de production visant à rendre la e-discovery plus difficile pour la partie adverse. La production sous la forme électronique, contrairement à la production sur format papier permet d’utiliser des logiciels de recherche et fait apparaître les metadata. Les metadata sont une description du contenu du document. Par exemple, le nom de l’auteur, la date de création et de révision du document, le nom des personnes qui l’ont créé ou modifié …Les metadata jouent souvent un rôle crucial dans un litige en raison des informations clés qu’elles représentent.

Des sanctions limitées en cas de disparition non fautive des preuves électroniques Une partie peut échapper aux sanctions si, en dépit d’efforts raisonnables afin de conserver les informations pouvant faire l’objet d’une demande de production , les informations électroniques sont perdues en raison d’opérations informatiques de routine (règle 37 (b)). Cette règle, connue sous le nom de « safe harbour », protège une partie contre les sanctions pour défaut de production lorsque elle n’est pas fautive.

BIBLIOGRAPHIE

  • Federal Rules of Civil Procedure
  • Federal Rules of Evidence
  • Federal Rules of Evidence Manual , 6th edition, by Stephen A. Saltzburg, Michael M. Martin, and Daniel J. Capra
  • Article : Is e-dicovery so different that it requires new discovery rules ? An analysis of proposed amendments to the Federal Rules of Civil Procedure by Henry S. Noyes, 71 Tenn. L. Rev. 585 (La recherche des preuves électroniques est-elle si différente qu’elle requiert l’élaboration de nouvelles règles sur la recherche des preuves ?Une analyse des amendements proposés au code américain de la procédure civile. Article écrit par Henry S. Noyes, publié dans la Tennessee Law Review en 2004)
  • Article : Electronically Stored Information: The December 2006 Amendments to the Federal Rules of Civil Procedure by Kenneth J. Withers, 4 Nw. J. Tech. & Intell. Prop. 171
  • 24-3 ABIJ 34, April 2005Column, Beyond the Quill, Electronic Discovery, Contributing Editor: Laura DiBiase
  • Zubulake v. UBS Warburg LLC, 217 F.R.D. 309 (S.D.N.Y. 2003)
  • West v. Goodyear Tire and Rubber Co., 167 F.3rd 776 (2d Cir. 1999)