La reconnaissance d’un mariage homosexuel étranger au Royaume-Uni par Elodie Santiago

Avec l’accroissement des Etats reconnaissant le mariage homosexuel se pose la question de la validité de ce mariage dans les Etats qui ne le reconnaissent pas. Ces Etats doivent qualifier cette union : est-ce un mariage ? un partenariat enregistré ? Le juge anglais a pris position (Family Division, Wilkinson c. Kitzinger and another, 31 juillet 2006, cf annexe). Il rejette la qualification de mariage au profit de celle de partenariat enregistré. Aujourd’hui compatible avec la Convention européenne des droits de l’Homme, cette solution pourrait ne pas le rester longtemps.

Auparavant réprimées aussi bien socialement que pénalement, les relations homosexuelles sont désormais prises en compte dans la sphère sociale, politique mais aussi juridique puisque de nombreux Etats ont d’ores et déjà mis en place des statuts juridiques pour ces couples de même sexe..

Nombreux sont les Etats d’Europe qui ont mis en place un système de partenariat enregistré. Cette technique s’est traduite en France par l’instauration du Pacte civil de solidarité  (le PACS) de la loi du 15 novembre 1999 (loi n° 99-944 du 15 novembre 1999 relative au pacte civil de solidarité) ouvert aussi bien aux couples homosexuels que hétérosexuels. Le Royaume-Uni a également accordé des effets aux unions homosexuelles avec le Civil Partnership Act de 2004, loi uniquement réservée aux couples homosexuels à l’exclusion des couples de sexes opposés.

Certains pays, en revanche, ne se sont pas limités à la simple mise en place de partenariats enregistrés pour donner effet aux relations homosexuelles, tel est le cas des Pays-bas (lois du 21 décembre 2000) suivis par la Belgique et l’Espagne. Ces pays ont récemment admis la possibilité pour les couples homosexuels de se marier. Ces lois sont d’ailleurs, pour certaines, facilement accessible à des ressortissants de pays ne reconnaissant pas le mariage homosexuel stricto sensu. Ainsi conformément à la loi nationale des Pays-Bas, il est possible pour un résident du pays, quand bien même il ne serait pas un national de ce pays, par exemple un français ou un anglais, de se marier avec son partenaire du même sexe.

Qu’en est-il de la validité de ce mariage, valide selon les lois du lieu de célébration, dans les pays qui n’offrent pas la possibilité pour les couples homosexuels de se marier ? De la réponse à cette question dépend les effets à donner à la relation homosexuelle. Il est possible pour le pays où le couple qui cherche à obtenir la reconnaissance d’une union célébrée à l’étranger de requalifier cette union. Ainsi, pour un mariage entre homosexuels célébré aux Pays-Bas, deux qualifications peuvent être retenue en France, par exemple : le partenariat enregistré ou le mariage. Selon la qualification choisie, naîtront des effets, patrimoniaux et extrapatrimoniaux, différents, les effets issus du mariage étant plus avantageux que ceux issus du partenariat, d’où l’intérêt à la reconnaissance du mariage homosexuel.

L’absence de reconnaissance de mariage homosexuel constitue-t-elle une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle des personnes et ainsi donc une violation des droits et libertés fondamentales protégés par le droit européen ?

Les juridictions françaises n’ont pas encore eu l’occasion de se prononcer sur ces questions mais la doctrine va bon train à ce sujet puisqu’il semble évident que cette situation se présentera un jour en France où le mariage reste strictement réservé aux couples de sexes différents (F. Brulé-Gaddioux, Le mariage homosexuel en Europe, Defrénois, n° 08/05 art 38145, p. 651 ; H. Fulchiron, Le mariage homosexuel et le droit français (à propos des lois hollandaises du 21 décembre 2000), D. 2001, p.1629 ; H. Fulchiron, Le droit français et les mariages homosexuels, D. 2006, p.1253 ; M. Revillard, Le PACS, les partenaires enregistrés et les mariages homosexuels dans la pratique du droit international privé, Defrénois, juin 2005, p. 461 ; M. Schmitt, L’incidence en France des lois Belges et Néerlandaises introduisant le mariage homosexuel, JCP n°1, janvier 2004, 1006). En revanche les juridictions anglaises ont eu, quant à elles, la possibilité de répondre à ces questions dans l’arrêt Wilkinson c. Kitzinger et autres du 31 juillet 2006 rendu par la Chambre des affaires familiales de la Haute Court de Justice (équivalent du Tribunal de Grande Instance) (2006 EWHC 2022 (Fam), 2006 All ER (D) 479 (Jul)). La requérante cherchait à faire reconnaître son mariage avec sa compagne, légalement formé conformément aux lois de la Colombie britannique, au Canada, pays reconnaissant le mariage homosexuel, comme tel par les lois britanniques. La juridiction britannique rejette la demande de la requérante et qualifie le mariage, valide en tant que tel au Canada, en partenariat enregistré soumis au Civil Partnership Act de 2004.

La qualification de l’union homosexuelle constitue la première règle de droit international privé permettant de déterminer si cette union est valable ou non (H. FULCHIRON, Le droit français et les mariages homosexuels, D. 2006, p.1253). Deux qualifications en matière d’union homosexuelles sont, on l’a vu, possibles : la qualification de partenariat enregistré ou celle de mariage. Les juridictions britanniques ont opté pour la qualification de partenariat enregistré. Cette solution s’explique par le fait que, récemment, avec le Civil Partnership Act, le Royaume-Uni s’est penché sur la question du statut des couples homosexuels et a choisi de créer une institution parallèle à celle du mariage exclusivement réservée aux couples homosexuels. Partenaires et époux bénéficient dorénavant d’un régime quasiment identique. La requalification en droit anglais de l’union en partenariat n’a que peu d’impact sur les effets de l’union. La requérante conteste tout de même cette solution en rappelant la valeur symbolique du mariage que n’a pas le partenariat enregistré, et notamment l’absence d’obligation de fidélité entre les partenaires. En France, depuis la création du PACS, la requalification du mariage en partenariat enregistré ou même en PACS semble possible. Cette requalification présenterait d’ailleurs des avantages. En effet, selon une doctrine majoritaire, une union célébrée à l’étranger qui serait requalifiée en partenariat enregistré se verrait appliquée la loi du lieu où l’union a trouvé sa source (A. Devers, Les concubinages en droit international privé, LGDJ 2004, G. Kessler, Les partenariats en droit international privé, LGDJ 2005). Ainsi donc, on respecterait la volonté des parties qui ont consenties à leur union conformément à la loi du pays de célébration. Mais cette qualification n’est cependant pas dépourvue d’ambiguïté : on appliquerait des règles étrangères de validité d’un mariage à une union que la juridiction française ne qualifiera pas de mariage mais de partenariat (H.FULCHIRON, préc., p. 1255). H. Fulchiron, à propos des effets des lois néerlandaises de 2000, ajoute que la requalification en PACS du mariage néerlandais serait une solution absurde car l’institution qui correspondrait, en droit néerlandais, au PACS serait le partenariat enregistré et non le mariage. Ainsi donc il en conclut qu’il y aurait dénaturation du mariage hollandais et du PACS français. De même les attentes des époux seraient trompées car leur union, qu’ils qualifient de mariage, sera requalifiée de partenariat. En France, il semble que le choix de cette qualification soit peu probable puisque dans une réponse ministérielle à une question relative aux effets en France d’un mariage homosexuel célébré à l’étranger (Rép. Min n°41533, Min Justice, JOAN Q, 26 juillet 2005), le Ministre de la Justice, tout comme nombreux auteurs, ne se préoccupe pas du problème de qualification de l’union homosexuelle célébrée à l’étranger et considère d’emblée qu’il s’agit d’un mariage.

Les juridictions britanniques rejettent la qualification de mariage. Cette solution tient à la définition anglaise du mariage. Le mariage n’étant pas une institution définie par le droit communautaire ou par le droit européen, il revient à chaque Etat de définir cette institution dans sa propre loi nationale. C’est d’ailleurs pourquoi certains Etats admettent le mariage conclu entre personnes de mêmes sexes et d’autres non. Au Royaume-Uni c’est l’arrêt Hyde v. Hyde and Woodhouse ((1866) LR 1 PD 130 at p.133) qui définit le mariage comme étant une union à vie consentie par un homme et une femme à l’exclusion des autres. Le système juridique anglais souligne donc la condition de différence de sexe entre les époux. Cette condition est justifiée selon le Président de la juridiction par le fait que le mariage est l’institution qui donne valeur juridique à un couple qui s’unit et qui cherche à procréer. Cette exigence de différence de sexes entre les époux se retrouve dans la définition du mariage en France. Cette définition fait défaut dans les textes mais cette lacune est comblée par la doctrine, notamment Portalis qui définit le mariage comme étant un « acte juridique solennel par lequel un homme et une femme, d’un commun accord, décident de s’unir et d’adhérer à un statut légal préétabli, celui des gens mariés » (Portalis, Travaux préparatoires à l’adoption du Code civil) ; doctrine reprise par la jurisprudence (récemment, Cass. 1re civ., 13 mars 2007, n° 05-16.627, FP-P+B+R+I, Stéphane C. et a. c/ Proc. gén. près CA Bordeaux : Juris-Data n° 2007-03790)1. Dès lors, et le législateur français ayant mis en place le PACS qui trouve à s’appliquer aux couples homosexuels, on pourrait penser que la solution du droit anglais pourrait être la même en droit français. Mais la différence avec le droit anglais tient peut-être au fait que le partenariat enregistré français n’est pas ouvert exclusivement aux couples homosexuels mais également aux couples hétérosexuels. Le PACS n’est donc pas exactement l’institution ouverte exclusivement aux homosexuels parallèle au mariage exclusivement ouvert aux couples hétérosexuels, comme l’est le Civil partnership anglais. Dès lors le juge peut faire application de la technique de droit international privé qui consiste à étendre une catégorie de rattachement française pour faire entrer des institutions de droit étranger qui n’existe pas dans le système juridique français, comme le mariage homosexuel. Tel a été le cas pour le contentieux des mariages polygamiques. Dès lors, si cette solution était appliquée, il faudrait distinguer deux hypothèses : la première, le couple se compose de deux étrangers dont la loi nationale autorise le mariage homosexuel, et la seconde, le couple comprend au moins une personne dont la loi nationale n’autorise pas le mariage homosexuel, comme un français. Par application des règles de droit international privé en matière de mariage, la loi applicable pour les conditions de fonds de validité du mariage est la loi nationale de chacun des deux époux, le juge faisant une application cumulative de ces lois. Dès lors, dans la première hypothèse, le mariage sera considéré valide car conforme aux lois nationales de chacun des époux alors que dans la seconde, le mariage sera considéré non valide car la loi nationale d’un des époux qui lui sera appliquée ne reconnaît pas le mariage homosexuel. Cette solution présente un avantage certain : éviter la fuite des nationaux vers les pays autorisant le mariage homosexuel et ainsi contrer tout contournement des règles nationales. Seuls resteront valable les mariages homosexuels célébrés entre deux ressortissants de pays admettant le mariage homosexuels. Le juge français dispose encore de la possibilité d’invoquer l’exception d’ordre public. Cette exception permet d’écarter la loi étrangère normalement applicable comportant des dispositions manifestement trop éloignées des conceptions françaises. Le juge français pourrait donc ne pas valider un mariage célébré à l’étranger entre deux ressortissants de pays reconnaissant le mariage homosexuel. Cette solution semble toutefois peu probable compte tenu de l’application en droit français de l’ordre public atténué, principe selon lequel une situation valablement créée à l’étranger, en conformité avec les lois compétentes et sans intention de fraude, est valable en France ; seuls les effets de cette situation qui heurteraient par trop les principes fondamentaux français seront rejetés (arrêt Rivière, Cass. civ. 17 avril 1953).

Les juges anglais requalifieront donc systématiquement le mariage homosexuel célébré à l’étranger en partenariat enregistré, conformément à l’arrêt Wilkinson, et les juges français, selon la doctrine actuelle, sembleraient ne pas reconnaître la validité d’une telle union lorsque l’un des époux est ressortissant d’un Etat ne reconnaissant pas le mariage homosexuel. Se pose alors la question d’une possible discrimination en raison de l’orientation sexuelle.

La question de la discrimination en raison de l’orientation sexuelle s’est également posée en droit anglais, en dépit d’une quasi-identité des effets du mariage et du partenariat enregistré pour plusieurs raisons. Tout d’abord, si les effets des différentes institutions sont quasiment identiques, ils ne le sont pas totalement : le partenariat enregistré ne reconnaît pas l’importance d’une relation sexuelle exclusive. De plus le partenariat enregistré ne peut pas être célébré dans un lieu religieux. Le partenariat enregistré ne bénéficie pas de la même symbolique que le mariage.

          La requérante, dans l’affaire Wilkinson, invoquait une violation des articles 8 (relatif au respect de la vie privée), 12 (relatif au droit de se marier) et 14 (qui prohibe la discrimination) de la Convention européenne des droits de l’Homme. Le juge anglais rejette l’argumentation. Il admet qu’il existe bien une différence de traitement entre les couples homosexuels qui ne peuvent recourir qu’au partenariat enregistré et les couples hétérosexuels qui bénéficient exclusivement du mariage. Mais il considère, compte tenu de la grande marge d’appréciation détenue par les Etats parties à la Convention, que cette différence de traitement est justifiée, les homosexuels se trouvant dans une situation différente de celle des hétérosexuels. Il rappelle enfin que le mariage est une institution que la majorité des Etats définissent comme une relation formelle entre un homme et une femme, avec pour objectif principal la procréation et l’éducation d’enfants. Cet argument est très critiquable en tant que tel. En effet le juge ne tient pas compte de la réalité des choses puisqu’il n’est pas impossible pour les couples homosexuels d’avoir des enfants : nombreux sont les couples homosexuels qui s’accordent avec un autre couple homosexuel de sexe différent sur le prélèvement des gamètes sexuelles d’un partenaire de chacun des couples pour une insémination artificielle, par exemple. De même la Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH) a très récemment jugé qu’un homosexuel célibataire ne peut pas se voir refuser une demande d’agrément en vue d’adopter en raison de son homosexualité (CEDH, E.B. c/ France, 22 jan. 2008, Requête n° 43546/02). Dès lors la demande d’agrément ne peut pas être refusée au motif que l’enfant est susceptible de vivre avec un couple homosexuel. Rappelons également que la CEDH a dissocié le droit de se marier du droit de fonder une famille, considérant que l’incapacité pour un couple de concevoir ou d’élever un enfant ne saurait en soit passer pour le priver du droit de se marier (CEDH, 11 juillet 2002, Christine Goodwin c. Royaume-Uni, Requête no 28957/95).

Cette motivation du juge anglais semble critiquable et non justifiée. Mais, tant que la CEDH maintiendra la marge de manœuvre accordée aux Etats pour la définition du mariage, cette solution ne semble pas pouvoir être contestée. Cependant, cette conformité de la solution au droit européen ne paraît pas promise à un long avenir. En effet, la CEDH semble retirer doucement de la marge de manœuvre aux Etats, comme le montre l’arrêt Goodwin. De plus, le nombre d’Etats reconnaissant le mariage homosexuel étant en augmentation, la conception traditionnelle du mariage sur laquelle les Etats rejetant le mariage homosexuel s’appuient risque de ne plus être suffisante, notamment pour les Etats, comme la France, qui n’ont pas de définition légale du mariage alors même que leur système juridique repose sur le droit écrit. Enfin notons, l’évolution en droit communautaire avec l’art 9 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne qui semble admettre le mariage homosexuel en ne reprenant pas dans le droit au mariage la condition de différence de sexe.

Bibliographie

Manuel : Devers A., Les concubinages en droit international privé, LGDJ 2004, Herring J., Family Law, Harlow, 3ed, 2007 Kessler G., Les partenariats en droit international privé, LGDJ 2005

Articles : Brulé-Gaddioux F., « Le mariage homosexuel en Europe », Defrénois, n° 08/05 art 38145, p. 651 ; Fulchiron H., « Le droit français et les mariages homosexuels étrangers », D. 2006, n°19, p 1253. Fulchiron H., « Le mariage homosexuel et le droit français (à propos des lois hollandaises du 21 décembre 2000) », D.2001, p.1629 Revillard M., « Le PACS, les partenaires enregistrés et les mariages homosexuels dans la pratique du droit international privé », Defrénois, juin 2005, p. 461 ; Schmitt M., « L’incidence en France des lois Belges et Néerlandaises introduisant le mariage homosexuel », JCP n°1, janvier 2004, 1006

Textes législatifs : Loi n° 99-944 du 15 novembre 1999 relative au pacte civil de solidarité Civil Partnership Act 2004

Jurisprudence : CEDH, 11 juillet 2002, Christine Goodwin c. Royaume-Uni, Requête no 28957/95 Family Division, Wilkinson c. Kitzinger and another, 31 juillet 2006, 2006 EWHC 2022 (Fam), 2006 All ER (D) 479 (Jul) CEDH, E.B. c/ France, 22 jan. 2008, Requête n° 43546/02 Cass. 1re civ., 13 mars 2007, n° 05-16.627, FP-P+B+R+I, Stéphane C. et a. c/ Proc. gén. près CA Bordeaux : Juris-Data n° 2007-03790