La sanction de l’inexécution des contrats entre Common Law et Civil Law, et les principes Unidroit et ceux de droit européen des contrats, par Yoan SUELVES

L’inexécution contractuelle est sanctionnée de manière à première vue opposée par les deux grands systèmes de droit que sont la Civil Law et la Common Law, le premier utilisant surtout le mécanisme d’exécution forcée, tandis que le second préfère les « actions for damages », octroi de dommages-intérêts. Cependant cette opposition tend à s’estomper et n’est pas aussi vive qu’elle n’y paraît. Quant aux principes Unidroit et ceux de droit européen des contrats, ils optent pour un compromis intéressant à l’heure où le droit des affaires est de plus en plus emprunt de Common Law, considérée comme plus souple et laissant plus de libertés aux acteurs économiques.

Comme l’énonce M. Zimmermann dans « The Law of Obligations » (1996) « Le domaine de l’exécution forcée en nature et celui de l’exécution par équivalent est certainement l’une des différences fondamentales entre les systèmes juridiques continentaux et de Common Law ».
Lorsqu’un contrat est valablement formé, les cocontractants doivent respecter les engagements qu’ils ont pris, sinon ils s’exposent à des sanctions. L’étude de ces sanctions est un sujet de droit comparé extrêmement porteur dans la mesure où il met en exergue l’une des oppositions les plus tranchées, à première vue, des deux grandes familles juridiques que sont la Civil Law et la Common Law. En effet, les pays de Civil Law préfèrent l’exécution en nature tandis que le droit anglo-américain est plus partisan de l’exécution par équivalent, c’est-à-dire le paiement de dommages-intérêts, dite « action for damages » tandis que l’exécution en nature, dite « specific performance » ou bien « injunction », intervient au rang d’exception.
L’intérêt du sujet est triple : tout d’abord, il réside dans une question sous-jacente qui est celle, idéologique et juridique, de la conception même du contrat et de la prise en compte de l’efficacité juridique dans la sanction de l’inexécution d’une obligation contractuelle. De plus, il est nécessaire de s’interroger sur une possible unification européenne de ces sanctions, peut-être à travers les principes de droit européen des contrats et Unidroit. Enfin, la comparaison se révèle d’actualité depuis que la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome 1, COM 2005. Rev. Crit. DIP 2006), présentée le 15 décembre 2005, introduit la possibilité que des « principes et règles de droit matériel des contrats, reconnus au niveau international ou communautaire » soient choisies par les parties pour régir leur contrat, dans son article 3 paragraphe 2.
L’opposition entre les pays de Civil Law et ceux de Common Law est-elle si tranchée ? Observe-t-on une introduction progressive de la prise en compte de l’efficacité économique de la sanction suite à l’inexécution d’un contrat en droit européen et dans les principes Unidroit ou réunissent-ils les deux traditions juridiques sur ce point ?

La perception du contrat en France et en Espagne incite à préférer l’exécution forcée comme sanction de l’inexécution contractuelle.

Dans les pays de tradition civiliste tels que la France ou l’Espagne, le contrat est une promesse, un accord de volonté entre deux parties, duquel il ressort un engagement de donner, faire ou ne pas faire entre les parties contractantes, qui doit être exécuté de bonne foi, tel que le stipule l’article 1134 du code civil français, par exemple : « Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi. » Les notions de bonne foi et de force obligatoire, si intimement liés à la réalité contractuelle dans ces pays, permettent à l’exécution forcée du contrat de s’imposer comme solution majoritaire lors d’une inexécution. Il ressort que le domaine privilégié de l’exécution forcée en nature est celui des obligations de donner. La mise en œuvre de l’exécution en nature semble plus problématique à propos d’autres obligations, elle apparaît ainsi totalement exclue à l’égard des obligations de ne pas faire, dont l’inexécution est par hypothèse définitive.
Mais les obligations de faire posent également quelques difficultés, et ce notamment dû à l’influence de l’article 1142 du Code civil qui dispose que : « toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts, en cas d’inexécution de la part du débiteur ». A la lecture de cet article, il semblerait donc que l’exécution forcée en nature est exclue en cas d’inexécution d’une obligation de faire. Néanmoins, la jurisprudence va apporter un éclairage très important par la suite, puisqu’elle ne conférera à cet article qu’une portée minimale et consacrera l’exécution forcée en nature en tant que sanction privilégiée, allant même jusqu’à être considérée comme la sanction « idéale » (J.CARBONNIER, Les obligations, PUF, p.653). Cette primauté se fonde notamment sur la conception française du contrat et de l’obligation contractuelle, qui comme nous l’avons vu précédemment est comprise comme une promesse (« le volontarisme contractuel »). Cette sanction est ardemment défendue parce qu’elle incarne le mieux la volonté des parties et, en somme, l’exécution forcée en nature est la manifestation contentieuse du respect de la parole donnée. Ainsi, par exemple, la 3ème chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt en date du 11 mai 2005 a affirmé que « la partie envers laquelle l’engagement n’a point été exécuté peut forcer l’autre à l’exécution de la convention lorsqu’elle est possible » (Cass. Civ. 3ème, 11 mai 2005, pourvoi n° 03-21.136, Contrats, conc consom. 2005, comm. N°187, obs. L.Leveneur ; Revue des contrats 2006, p.323, obs. D.Mazeaud ; RTD Civ. 2005, 596, obs. J.Mestre et B.Fages). En l’espèce pour 33 centimètres manquants, un constructeur français a été condamné à démolir et reconstruire une maison tout juste achevée.
En Espagne, la « acción de cumplimiento » est un système similaire. Elle se fonde sur l’article 1182 du Código Civil et la doctrine affirme aussi qu’elle découle de la notion même de contrat et de sa force obligatoire. L’exécution par octroi de dommages-intérêts sera rarement accordée par le juge (uniquement lorsque la prestation est devenue impossible).

La prise en compte de l’efficacité économique de la sanction dans les pays de Common Law : le principe des « damages »

Dans les pays de Common Law, à l’heure de sanctionner l’inexécution d’une obligation contractuelle, les juges effectuent ce que l’on appelle un « adequacy test », c’est-à-dire une évaluation du caractère adéquat de la sanction. Le principe est le système des « damages », des dommages-intérêts, et l’exception celui de la « specific performance », exécution forcée, ou « injunction », injonction de s’abstenir. L’exécution de l’obligation en nature est donc accordée lorsque l’octroi de dommages-intérêts risquerait de léser le créancier de l’obligation, cependant lorsque l’exécution par équivalent est considérée comme une sanction adéquate car efficace en termes économiques, le créancier de l’obligation devra se contenter de dommages-intérêts.
Les sanctions dans la Common Law sont guidées par l’efficacité économique du contrat, c’est à dire qu’il est admis qu’une compensation économique peut suffire à dédommager la partie qui est créditeur de l’obligation. Cette logique s’inscrit dans la vision plus libérale du droit anglais, qui laisse les parties s’arranger entre elles, prenant seulement les précautions nécessaires à la sauvegarde de l’intérêt général et non l’ordre social comme peuvent le faire le droit français ou espagnol.
Par ailleurs, la conception du droit dans la Common Law est certainement aussi plus pragmatique et pratique : un système de dédommagement plutôt qu’une exécution forcée est plus facile à mettre en œuvre, et permet de prendre en compte l’impossibilité d’exécution.
Cette vision est expliquée par Oliver Wendell Holmes qui écrit en 1881, à propos de la Common Law : « La seule conséquence universelle d’un contrat légalement formé est que le droit impose au promettent de payer des dommages et intérêts si l’événement (promis) ne se réalise pas. Dans toutes les hypothèses, il reste à l’abri de toute forme d’ingérences jusqu’à ce que soit passée la date d’exécution; il reste par conséquent libre de rompre le contrat… Dans la mesure ou la relation entre les parties se créée par leurs volontés, les conséquences de cette relation doivent elles aussi rester dépendante de ces volontés. » (WENDELL HOLMES Oliver, The Common Law, 1881). Holmes se base donc sur l’accord des volontés pour justifier la possibilité pour les parties de ne pas respecter leur engagement, moyennant des dommages et intérêts, alors que justement en droit français, la force obligatoire du contrat est considérée par la doctrine comme une conséquence de l’accord des volontés.

Malgré tout, une prééminence du principe des « damages » moins marquée que par le passé

La Common Law n’affiche plus la même hostilité de principe à la specific performance. On assiste, en effet, à une évolution aussi bien au sein du droit anglais que du droit américain de plus en plus enclins à accorder la specific performance, soit spontanément, soit suite à la transposition de directives européennes telles que celle du Parlement européen et du Conseil du 25 mai 1999 sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation (Directive 1999/44/CE, Journal officiel n° L 171 du 07/07/1999 p. 0012 – 0016), qui permet dans son article 3, relatif aux droits du consommateur, au créancier de l’obligation d’obtenir son exécution et vice versa au débiteur « d’exécuter ses propres prestations ».
De manière générale, les cas où les « damages » sont considérés comme inadaptés tend à s’allonger, système d’autant plus pérennisé et renforcé par la règle du précédent. Traditionnellement, la « specific performance » n’était accordé que lorsque les dommages-intérêts étaient des damages considérés comme inadaptés, une sanction inadéquate à la vue des faits de l’espèce, comme par exemple lorsque leur évaluation est difficile. On assiste récemment à un essor de la « specific performance » dont le point de départ est l’arrêt de la Chambre des Lords Beswick vs Beswick, rendu en 1968, qui accordait ce remède au motif qu’il permettait d’obtenir un résultat plus juste ou qui représentait simplement « the more appropriate remedy » (FAUVARQUE-COSSON Bénédicte, « Regards comparatistes sur l’exécution forcée en nature », Revue des contrats, Avril 2006, p.529). Dans cette affaire, un commerce de charbon était cédé post mortem par un homme à son neveu à la condition que celui-ci verse à sa femme 5 £ jusqu’à la mort de celle-ci. Le neveu ne s’exécutant pas, celle-ci intenta une action afin d’obtenir l’exécution forcée de l’obligation contractuelle. La Chambre des Lords considérant que l’allocation de dommages-intérêts symboliques serait insuffisante et injuste, la date de sa mort et donc la somme que lui rapporterait le contrat restant des données incertaines, condamna le neveu à la « specific performance ». En droit américain, la même évolution est notable, ainsi même en matière de vente de marchandises, domaine dans lequel les damages représentent la règle et la « specific performance » l’exception utilisée qu’à titre exceptionnel, « la tendance actuelle est d’admettre plus largement la specific performance » (A. FARNSWORTH, « Specific relief in American law », in Mélanges J.Ghestin).
Cette évolution, même si elle est notable, reste cependant à pondérer pour plusieurs raisons, en effet :

  • La « specific performance » et « l’injunction » restent complètement discrétionnaires du pouvoir du juge, et restent prononcés avec une certaine parcimonie malgré tout.
  • La « specific performance » n’est que secondaire et accessoire
  • « Du fait de son aspect fort intimidant et de la lourdeur des mécanismes d’exécution, les juges anglais, par la suite tenus de contrôler la bonne exécution de la sanction, ne la prononcent qu’avec réticence » (FAUVARQUE-COSSON Bénédicte, « Regards comparatistes sur l’exécution forcée en nature », Revue des contrats, Avril 2006, p.529)

Vu la différence qui semble opposer si fortement les systèmes juridiques français et espagnol, d’une part, et ceux de Common Law, d’autre part, même si nous avons vu que cette opposition n’est pas aussi tranchée qu’elle n’y paraît, à l’heure de l’expansion d’un droit autonome des contrats internationaux et européens, et à l’heure où un pan de la doctrine française revendique une introduction de la prise en compte de l’efficacité économique des sanctions de l’inexécution du contrat, il est utile de s’interroger sur une possible unification internationale et européenne de ces sanctions.

Le système mis en place par les principes européen et Unidroit : un compromis entre les deux modes de sanction

Les principes Unidroit et les principes du droit européen des contrats n’ont vocation à s’appliquer que lorsque les parties en ont convenu ainsi. Il résulte de la pratique et notamment en matière d’arbitrage que ces principes ont fait l’objet d’application ou tout du moins on servit d’inspiration alors même qu’ils n’avaient pas vocation à s’appliquer aux cas de l’espèce, compte tenu de l’absence de déclaration d’applicabilité des principes par les parties elles-mêmes. En effet il ressort d’études doctrinales que « si la désignation des principes Unidroit par les parties peut se revendiquer du principe largement admis de l’autonomie de la volonté, leur application quand sont choisis les « « Principes généraux du droit », la « lex mercatoria » ou autre formule similaire » les associe ipso facto à ces sources de droit ; un glissement de même nature se trouve derrière leur présentation comme pourvoyeurs de solution « lorsqu’il est impossible d’établir la règle pertinente de la loi applicable », et leur application pour compléter (et non plus interpréter) d’autres instruments de droit matériel uniforme » (DEUMIER Pascale, « Les Principes Unidroit ont 10 ans : bilan en demie teinte », Revue des contrats, 1er juillet 2004, n°3, p.774). Ces principes, dépourvus de force obligatoire, concernent les contrats « avec toutefois un champ d’application légèrement différent puisque les premiers visent tous les contrats et les seconds se limitent aux contrats du commerce international » et constituent « des sortes de lois-modèles, fort utiles aux législateurs qui envisagent de codifier ou de recodifier leur droit des contrats » (B. FAUVARQUE-COSSON « Faut-il un Code civil européen ? », RTD civ. 2002, p.476).
On peut dire des principes Unidroit qu’ils forment une sorte de code des obligations ayant vocation à s’appliquer dans le commerce international.
Les principes de la Common Law étant assez largement plébiscités dans le monde des affaires, compte tenu de leur souplesse et de leur flexibilité, on pourrait penser que les principes Unidroit et les principes du droit européen des contrats se soient assez largement inspirés de la Common Law. D’ailleurs l’utilisation de termes tels que « remèdes » semble confirmer cette théorie. Pourtant c’est le jeu du principe et des exceptions qui va être utilisé dans les principes Unidroit et les principes du droit européen des contrats, et va permettre d’unifier les sanctions et de concilier les deux traditions juridiques.
L’article 9 :101 des principes du droit européen des contrats et l’article 7.2.2 des principes Unidroit montrent que le principe de l’exécution de l’obligation est admis par les deux traditions juridiques lorsqu’il s’agit de somme d’argent. Mais les difficultés renaissent de leurs cendres à propos des obligations autres que de somme d’argent, en effet l’article 9 :102 des principes du droit européen des contrats pose le principe de l’exécution en nature : ''« Le créancier d’une obligation autre que de somme d’argent a le droit d’exiger l’exécution en nature, y compris la correction d’une exécution défectueuse », puis apparaît la fameuse liste d’exceptions : « Toutefois, l’exécution en nature ne peut être obtenue lorsque : a) l’exécution serait impossible ou illicite ; b) elle comporterait pour le débiteur des efforts ou dépenses déraisonnables ; c) elle consiste à fournir des services ou réaliser un ouvrage présentant un caractère personnel ou dépend de relations personnelles ; d) ou le créancier peut raisonnablement obtenir l’exécution par un autre moyen »''.
Le paragraphe 3 de ce même article introduit quant à lui une déchéance : « Le créancier est déchu du droit à l’exécution en nature s’il manque à demander dans un délai raisonnable à partir du moment où il a eu, ou aurait dû avoir, connaissance de l’inexécution. » On retrouve la même méthode et les mêmes exceptions, même si les formules ne sont pas identiques en tout point à l’article 7.2.2 des principes Unidroit.

Un compromis efficace ?

Se pose alors la question de savoir quelle application sera faite de ces principes, et surtout quelle en sera l’interprétation, néanmoins le nombre d’exceptions et la formulation assez souple laisse penser que les juges de tradition romano germanique interpréteront ces principes en tant qu’ils proclament le principe de l’exécution forcée comme sanction de l’inexécution des obligations, alors que de leur côté les juges appartenant à un pays de Common Law interpréteront les exceptions largement et pourront faire obstacle en toute quiétude à l’application du principe de l’exécution forcée en nature.
Certes, il y a eu un compromis, néanmoins on peut craindre que dans la pratique ces principes ne permettent d’unifier le régime des sanctions, puisqu’ils permettent à chacune des parties de camper sur ses positions. Une fois de plus l’objectif d’unification sera déjoué, et se pose alors la question de savoir comment unifier ces systèmes en l’absence de juridiction internationale compétente.

BIBLIOGRAPHIE

Ouvrages :

  • J. CARBONNIER, Les obligations, PUF, 2000.
  • WENDELL HOLMES Oliver, The Common Law, 1881.
  • SANCHEZ CALERO F.J, Curso de Derecho Civil II, Tirant Lo Blanch, Valencia

Articles:

  • FARNSWORTH Allan, « Specific relief in American law », in Mélanges J.Ghestin
  • DEUMIER Pascale, « Les Principes Unidroit ont 10 ans : bilan en demie teinte », Revue des contrats, 1er juillet 2004, n°3, p.774
  • FAUVARQUE-COSSON Bénédicte, « Regards comparatistes sur l’exécution forcée en nature », Revue des contrats, Avril 2006
  • FAUVARQUE-COSSON Bénédicte « Faut-il un Code civil européen ? », RTD civ. 2002
  • MESTRE Jacques, « Observations sur l’attitude du juge face aux difficultés d’exécution du contrat », in Le juge et l’exécution du contrat, PUAM, 1993