La surveillance par écoute des conversations au domicile privé - par Audrey Goudon de Lalande

Réflexions à partir de l'article de Friederike Rauschenberg, "Heimliches Abhören und Aufzeichnen des nichtöffentlich gesprochenen Wortes innerhalb von Wohnungen", Kriminalistik 11/2005, p. 54.

Le 1 juillet 2005, le §100c StPO concernant les sonorisations en matière de criminalité organisée est entré en vigueur en droit allemand. Cette loi se conforme aux exigences constitutionnelles posées par la Cour constitutionnelle allemande dans sa décision du 3 mars 2004 qui dénonce fermement la non conformité à la Constitution de la norme précédente. En France, le droit applicable aux sonorisations en matière de criminalité organisée a été fixé par la loi Perben II du 9 mars 2004. L’intérêt de la comparaison des deux systèmes juridiques réside dans la place différente accordée aux principes fondamentaux et aux droits de l’Homme lorsqu’ils sont confrontés à la recherche de preuves en droit de la procédure pénale.

La surveillance acoustique ou « sonorisation » consiste à poser des micros clandestinement dans un lieu privé pour y capter des paroles susceptibles de constituer des indices utiles à la manifestation de la vérité. Parce qu’elle n’était pas prévue par la loi, une telle pratique ne pouvait être entreprise par le juge d’instruction qui ne peut exécuter tout acte utile à la manifestation de la vérité que « conformément à la loi » selon l’article 81 du code de procédure pénale.

Dans l’arrêt Vetter contre France du 31 mai 2005 (Requête n° 59842/00), la Cour européenne des droits de l’homme, qui statuait alors sur une sonorisation opérée avant l’entrée en vigueur de la loi Perben II, a mis sérieusement en doute l’existence d'une base légale pour la sonorisation. La Cour européenne a également estimé que le droit français, s’agissant de la pose de micros, n’indiquait pas avec assez de clarté l’étendue et les modalités d’exercice de la mesure et qu’il n’offrait pas au particulier de sauvegardes adéquates contre les abus. En droit français, c’est la loi dite Perben II, en vigueur depuis le 10 mars 2004 (Loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité), qui a donné un cadre légal à la surveillance acoustique. La loi Perben II a augmenté le répertoire ordinaire des actes d’administration de la preuve. Cette loi se place dans la droite ligne des lois sécuritaires votées depuis les attentats de 2001, mais va cependant beaucoup plus loin. Elle modifie en effet l’esprit même de la procédure pénale, inversant le processus né lors de la Révolution française qui tendait à renforcer les droits de la défense. Décriée comme liberticide, ayant entraîné les avocats à manifester et même à faire grève, le Conseil constitutionnel l’a pourtant jugée conforme à la Constitution.

En Allemagne, la Cour constitutionnelle qui s’est prononcée sur la constitutionnalité de la législation allemande dans un arrêt du 3 mars 2004, dénonçant le non-respect de principes fondamentaux de la Constitution et ordonnant au législateur d’élaborer une nouvelle loi. Les exigences posées par la cour constitutionnelle allemande ont été suivies dans l’année suivante, et le paragraphe §100c StPO (code de procédure pénale allemand) a été validé et estimé conforme à la Constitution.

On s’aperçoit qu’en matière de sonorisation, la Cour européenne des droits de l’homme laisse aux Etats le pouvoir de légiférer. La seule condition posée étant le respect obligatoire de l’article 8 CESDH. La Cour européenne n’intervient qu’a posteriori pour constater qu’un Etat membre n’a pas respecté l’art 8 de la CESDH dans une décision de justice ou pour l'élaboration d'une loi. Il est alors intéressant d’analyser comment la France et l’Allemagne traitent la sonorisation et de s’interroger sur les différences entre la législation allemande et la législation française. Comment expliquer la différence d’approche d’un pays à l’autre ? Dans un premier temps, nous étudierons les lois allemandes et françaises en matière de sonorisation, pour ensuite analyser les applications divergentes de ces lois.

I- Des cadres législatifs convergents

Etudions tout d’abord successivement la loi française et la loi allemande ainsi que leur domaine d’application, puis abordons les délits entrant dans le champs d’application de ces lois, en nous interrogeant sur une éventuelle extension de leur champs d’application.

A- les lois allemande et française et leur domaine d’application

a) Le § 100c StPO est entré en vigueur en Allemagne le 1er Juillet 2005. Selon le §100c StPO, les paroles non publiques prononcées dans des habitations peuvent y être enregistrées grâce à des moyens techniques dès lors que la personne mise sur écoute est suspectée d’avoir commis un des délits énoncés au §100 II StPO. Ce paragraphe appelé grosser Lauschangriff en allemand, terme qui traduit bien l’ingérence dans la vie privée, a été conçu comme moyen efficace pour élucider les délits commis dans le cadre de la criminalité organisée. Le législateur a donc octroyé à la norme une fonction essentiellement répressive. La durée maximale d’une mise sur écoute ne peut excéder 1 mois, avec la possibilité de la prolonger un second mois.

b) L’article 706-96 du code de procédure pénale a été introduit dans le code de procédure pénale français par la loi Perben II du 9 mars 2004. La loi Perben II vise à renforcer l’efficacité des règles de procédure pénales applicables à la délinquance et à la criminalité organisée. L’article 706-96 instaure un nouveau moyen d’investigation puisque désormais il est possible d’ordonner ab initio le placement sous surveillance acoustique dans le cadre de la criminalité organisée. Il s’agit d’une procédure dérogatoire au droit commun. En effet, si les nécessités de l’enquête préliminaire relative à l’une des infractions relevant de la criminalité organisée l’exigent, le juge des libertés et de la détention peut, lorsqu’il a été saisi par le procureur de la République, autoriser l’introduction d’un dispositif technique dans un lieu privé. En vue de mettre en place le dispositif technique nécessaire, le juge d’instruction peut autoriser l’introduction dans un lieu ou véhicule privé, y compris de nuit, à l’insu ou sans le consentement du propriétaire ou légitime occupant. S’il s’agit d’un lieu d’habitation, l’introduction de nuit doit être autorisée par le juge des libertés et de la détention, saisi par le juge d’instruction (art. 706-96).La décision est prise pour une durée de quatre mois maximum, renouvelable dans les mêmes conditions (art. 706-98).

B- Les délits entrant dans le champs d’application des normes française et allemande

a) délits concernés : Avant 2005, la loi allemande prévoyait que pouvaient être mises sur écoute toutes les personnes soupçonnées d’avoir commis un délit, sans que soit pris en compte la gravité du délit. Ainsi, des délits peu graves pouvaient donner lieu à une mise sur écoute. La nouvelle loi de 2005 prévoit un catalogue des délits pouvant donner lieu à une mise sur écoute. En effet, il ne peut s’agir que de délits d’une gravité particulière au sens de l’art 13 de la loi fondamentale allemande qui garantit l’inviolabilité du domicile. Cette liste figure au §100c II StPO. Il s’agit de délits importants pour lesquels une peine de prison de plus de 5 ans est prévue. Parmi ces délits, on compte notamment ceux contre la sûreté de l’Etat comme la haute trahison, la menace de l’Etat de droit démocratique, la menace de la sécurité extérieure, le blanchiment d’argent et falsification de papiers, les délits contre l’autodétermination sexuelle, l’acquisition, la possession et la divulgation d’images et écrits relevant de la pornographie infantile, le crime capital comme le meurtre ou l’homicide, les délits contre la liberté privée, le vol en bande ou encore la lourde corruption.

En droit français, le législateur a regroupé tous les délits concernés dans l’article 706- 73, auquel l’article 706-96 renvoi. Les infractions y sont définies assez précisément et présentent un caractère suffisamment grave et complexe pour justifier, dans leur principe, des procédures exceptionnelles dans le cadre de l'enquête. La loi prévoit une liste de quinze infractions commises en bande organisée : le crime de meurtre, le crime de tortures et d'actes de barbarie, les crimes et délits de trafic de stupéfiants, les crimes et délits d'enlèvement et de séquestration, les crimes et délits aggravés de traite des êtres humains, les crimes et délits aggravés de proxénétisme, le crime de vol commis en bande organisée, les crimes aggravés d'extorsion, le crime de destruction, dégradation et détérioration d'un bien, les crimes en matière de fausse, les crimes et délits constituant des actes de terrorisme, les délits en matière d'armes, les délits d'aide à l'entrée, à la circulation et au séjour irréguliers d'un étranger en France, les délits de blanchiment ou de recel, les délits d'association de malfaiteurs ayant pour objet la préparation d'une des infractions mentionnées ci-dessus. Sont exclus de la loi la criminalité financière et la corruption financière, le législateur ayant considéré que « par nature, la corruption est rarement le fait de bandes organisées » (déclaration du sénateur François Zocchetto, rapporteur du projet de loi).

b) Extension à d’autres délits ? L’article 706-73 du code de procédure pénale énonce que les dispositions spéciales pourront encore s’appliquer à d’autres infractions commises en bande organisée lorsque la loi le prévoit, rendant la liste des infractions soumises à un régime procédural exceptionnel non exhaustive. La loi allemande au contraire ne prévoit d’extension éventuelle à d’autres délits que ceux énoncés par la loi.

II- Des applications concrètes divergentes Nous avons pu constater que les dispositions légales françaises et allemandes se ressemblent beaucoup. Néanmoins, lorsqu’on analyse de manière plus précise l’application qui en est faite dans chacun des deux pays, il s’avère que des différences notables apparaissent, notamment en ce qui concerne la place accordée aux principes fondamentaux ainsi qu’aux droits de l’Homme.

A- Critères permettant de retenir la validité de la sonorisation

a) Exigences posées par la Cour constitutionnelle allemande (BverG): le principe du respect de la sphère privée a été mis au premier plan par la Cour allemande. Celle-ci s’est abstenue de donner une définition précise du respect de cette sphère privée et s’est contentée de la mettre en parallèle avec le principe du respect de la dignité de l’Homme (article 1 de la Loi fondamentale allemande) en partant du fait que ces deux principes ne peuvent être dissociés l’un de l’autre dans le cadre des sonorisations. - L’article 13 de la Loi fondamentale constitue le socle du système de sonorisation. Il garantit l’inviolabilité du domicile. La Cour constitutionnelle allemande avait prononcé dans une décision du 3 mars 2004 l’inconstitutionnalité du texte de loi proposé par le législateur faute de prise en compte des principes érigés dans cet article 13 de la Constitution allemande. Avec la loi adoptée le 1 juillet 2005, le §100c StPO garantit de manière absolue la protection du secret de la vie privée. La Cour constitutionnelle allemande prévoit en effet une interdiction de mise sous surveillance acoustique dès lors qu’on est en présence d’une éventuelle atteinte au secret de la vie privée. Une surveillance acoustique n’est admise que si on estime que parmi les propos enregistrée aucun ne relève du secret de la vie privée. Il faut également procéder à l’interruption de la pratique lorsque des indices font apparaître que des propos contiennent des éléments relevant du secret de la vie privée. - Exigences strictes posées par le §100cII StPO : des circonstances particulières doivent justifier la suspicion d’un crime lourd (§100c II Nr1StPO), cet acte suspecté doit être grave §100 c II Nr2 StPO), la surveillance de l’individu doit pouvoir permettre d’enregistrer des propos susceptibles d’aider à l’élucidation des faits matériels ou de découvrir le lieu où se trouve un complice (§100c II Nr3 StPO), et enfin, l’élucidation des faits matériels ou la découverte du lieu où se trouve un complice seraient rendus très compliqué ou impossible (clause de subsidiarité) sans la mise sur écoute.

La loi allemande prévoit ainsi un examen de la validité d’une sonorisation préalable à la mesure elle même. Cette façon de procéder permet de respecter efficacement les principes érigés par la Constitution. En effet, le juge allemand doit tout d’abord vérifier que le secret de la vie privée n’est pas atteint, avant de pouvoir vérifier si les exigences strictes posées par le §100c II StPO sont remplies.

b) Droit français : Le droit français se préoccupe très particulièrement du respect des principes touchant à la preuve pénale : le droit français veut en effet assurer l’authenticité des propos enregistrées. La loi française se soucie, comme le droit allemand, du respect de la vie privée, qui est une exigence constitutionnelle (n° 99-416 DC du 23 juillet 1999, cons. 45) et analyse la nécessité et proportionnalité (principes constitutionnels) de l’atteinte à la vie privée, alors qu’en droit allemand, la mesure de sonorisation est interdite dès lors qu’il est possible que la vie privée soit atteinte. L’article préliminaire, paragraphe III du code de procédure pénale énonce les principes constitutionnels de nécessité et de proportionnalité en rappelant dans une formule générale que les mesures de contraintes « doivent être strictement limitées aux nécessités de la procédure, proportionnées à la gravité de l’infraction reprochée et ne pas porter atteinte à la dignité humaine ». Ainsi, lorsqu’une sonorisation compromettant la vie privée est jugée nécessaire à la manifestation de la vérité, celle-ci est autorisée. Cela résulte de l’article 8 alinéa 2 de la Convention européenne des droits de l’homme qui prévoit la faculté pour un Etat membre d’aménager une « ingérence de l’autorité publique », sous réserve qu’elle soit nécessaire.

Sur ce point, une grande différence apparaît entre les deux systèmes juridiques. Le droit allemand traite la question de façon bien plus rigoureuse que le droit français. Quel avantage tirer de cette rigueur allemande? On note tout d’abord la place très importante réservée aux droits fondamentaux. Ceux-ci doivent en effet primer quelle que soit la situation. La riche doctrine allemande sur la place des droits fondamentaux dans la pratique de l’"espionnage domestique" comme certains l’appellent montre à quel point la question donne matière à réflexion. Soulignons également l’absence de la question du dédommagement d’un individu mis sur écoute alors que cette écoute n’est pas valide. Notons enfin le caractère exceptionnel de la mesure du à sa difficile mise en oeuvre.

B- Le système français de sonorisation mis en question par la CEDH

a) Condamnation de la France par la CEDH : Dans les arrêts Matheron c/ France 29 mars 2005 (Requête n° 57752/00) et Vetter c/ France du 31 mai 2005 (Requête no 59842/00), la CEDH a constaté la violation par la France de l’article 8 CESDH (droit au respect de la vie privée). En effet, dans l’arrêt Matheron, la France ne s’était pas interrogée sur l’ingérence faite dans la vie privée d’un tiers à l’enquête dont les propos avaient été enregistrés. Cet enregistrement avait été utilisé par la suite dans le cadre d’une enquête postérieure et qui le concernait. La France n’avait pas procédé à un réel contrôle concernant l’atteinte ou non à la vie privée comme l’aurait fait le droit allemand. L’arrêt Matheron illustre bien les limites du droit français. Condamnant la France pour violation de l’article 8 CEDH, la Cour européenne des droits de l’homme a imposé à la France de dédommager le tiers à l’enquête. D’autre part, dans ce type de cas, la Cour européenne donne la possibilité au tiers à l'enquête de contester la régularité de la mesure. En effet, l’article 13 CEDH permet un recours devant l’autorité nationale.

b) La condamnation de la France par la CEDH conduit à s’interroger sur le dispositif en vigueur. Que penser du mécanisme de contrôle de la régularité des écoutes téléphoniques ? Si l’on compare les systèmes français et allemand de mise sous surveillance acoustique et leurs garanties légales, il apparaît clairement que le droit allemand fait preuve d’une rigueur plus grande. La jurisprudence allemande ayant tranché en faveur d’une protection totale du secret de la vie privée, rares sont les situations où la mesure de surveillance est mise en doute. Cette différence entre les deux pays soulève également la question du respect effectif des droits de l’homme ainsi que des droits fondamentaux en France.

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