La transposition des directives fixant la durée de protection du droit d’auteur : étude comparée des systèmes français, espagnols et allemands par Constance LINEL

La transposition des directives 93/98/CE et 2006/116/CE harmonisant la durée de protection des droits d’auteur traduit la difficile conciliation entre le respect des droits acquis et le rapprochement des législations nationales de l’Europe communautaire.

En 2006, une question a été largement débattue en Amérique Latine : l’auteur Carlos Gardel est-il français comme le prétend l’auteur lui-même dans son testament, ou uruguayen ou argentin conformément à ce qu’affirment les instances locales où l’auteur jouit d’une grande renommée ? Bien que l’auteur soit méconnu chez nous, la réponse à cette interrogation est intéressante car elle aura des répercussions sur la durée de protection des droits d’auteur dont pourra bénéficier l’intéressé. En effet, s’il est reconnu comme étant français, son œuvre bénéficiera d’une durée de protection supérieure. Aussi le régime juridique auquel est soumis l’auteur fait l’objet d’un véritable problème de droit international du fait de la coexistence de règles différentes entre les différents Etats du monde. En effet, le droit patrimonial de la propriété intellectuelle se distingue de la propriété « classique » en ce qu’elle n’est pas perpétuelle, le bénéfice de l’exploitation appartiendra donc à l’auteur puis à ses héritiers avant de tomber dans le domaine public et de permettre l’enrichissement culturel de la société. Ce problème s’était également posé au sein de l’Europe communautaire avec l’affaire Patricia contre EMI du 24 janvier 1989, qui avait contraint les instances communautaires à coordonner les législations nationales en adoptant une directive 93/98/CEE du 29 octobre 1993, relative à l’harmonisation de la durée de protection du droit d’auteur et de certains droits voisins au sein de l’Union Européenne. La durée de protection des droits de propriété intellectuelle est désormais fixée à 70 ans après la mort de l’auteur. Dans l’affaire évoquée, se posait la question de savoir si un disque enregistré au Danemark où l’œuvre était tombée dans le domaine public pouvait être commercialisé en Allemagne où elle était encore protégée. Selon la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE), la réglementation allemande interdisant la commercialisation ne porte pas atteinte à la libre circulation des marchandises. Mais quelle que soit la réponse de la Cour, la solution s’opposait nécessairement à l’application d’un des droits nationaux en cause : elle viole le droit allemand si elle est rendue en fonction du droit danois, et viole le droit danois si elle s’appuie sur le droit allemand. La directive de 1993 a été modifiée par une directive 2001/29/CE puis abrogée et remplacée par une directive 2006/116/CE, codifiant les directives antérieures dans un souci de clarification. Cependant les changements apportés par ces directives ne modifiant pas les articles de la directive de 1993, dans le cadre de l’étude de la mise en place d’une durée harmonisée des droits d’auteur, cet exposé sera principalement fondé sur la première directive. Alors que les Etats membres ont plus ou moins transposé la directive dans les délais fixés, il est possible de se demander comment concilier le respect des droits acquis avec une harmonisation effective ? En effet, certains Etats, notamment la France, ont dans leur droit de la propriété intellectuelle de très nombreuses spécificités difficiles à éliminer au nom du « respect des droits acquis », d’où l’existence de disparités qui entravent l’application à court terme de la directive. La directive clarifie la notion de « respect des droits acquis » dans son considérant 9 en détaillant ses effets : « une harmonisation des durées de protection du droit d'auteur et des droits voisins ne peut avoir pour effet de diminuer la protection dont jouissent actuellement les ayants droit dans la Communauté; pour limiter à un minimum les effets des mesures transitoires et permettre au marché intérieur de fonctionner en pratique, il y a lieu de faire porter l'harmonisation des durées de protection sur des périodes longues » Une étude comparée des systèmes juridiques de plusieurs Etats membres permettra de mettre en lumière les éventuelles divergences que les tentatives d’harmonisation ne sont pas encore parvenues à éliminer une quinzaine d’années après l’adoption de la directive. Nous analyserons donc les droits français et espagnol, ainsi que certains aspects du droit allemand, le droit communautaire s’étant appuyé sur sa durée de protection pour harmoniser l’ensemble de l’UE afin de constater dans un premier temps l’absence de coordination sur la durée de protection du droit moral (1) ; avant d’étudier les effets de l’allongement de la durée de protection en s’alignant sur le droit allemand (2) et les difficultés rencontrées pour éliminer les prorogations de guerre (3).

1. L’absence de coordination sur la durée de protection du droit moral

De nombreux textes relatifs à la propriété intellectuelle mentionnent la distinction entre les droits patrimoniaux et les droits moraux de l’auteur, notamment l’article 6bis de la Convention de Berne qui dispose : « Indépendamment des droits patrimoniaux d’auteur, et même après la cession desdits droits, l’auteur conserve le droit de revendiquer la paternité de l’œuvre et de s’opposer à toute déformation, mutilation ou autre modification de cette œuvre ou à toute autre atteinte à la même œuvre, préjudiciables à son honneur ou à sa réputation. » Aujourd’hui, le droit moral est défini par les articles 14 et suivants de la Ley de propiedad intelectual (LPI) espagnole, et par les articles L121-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle (CPI) français. Sa protection donne à l’auteur quatre droits fondamentaux sur son œuvre : un droit de paternité, d’intégrité, de divulgation, et de repentir ou de retrait. De son côté le droit patrimonial (articles 17 et suivants LPI et articles L122-1 et suivants CPI) donne à celui qui le détient un droit d’exploitation et de reproduction de l’œuvre. La direction 93/98/CEE en matière de durée de protection des droits d’auteur mentionne également l’existence de ces deux types de droit, précisant qu’en matière de droit moral, les législations des Etats Membres ne sont pas affectées par les dispositions de la directive (article 9), De plus, la directive dispose dans son article 1e : « Les droits de l’auteur d’une œuvre littéraire ou artistique au sens de l’article 2 de la Convention de Berne durent toute la vie de l’auteur et pendant soixante-dix ans après sa mort, quelle que soit la date à laquelle l’œuvre a été licitement rendue accessible au public ». La directive ne s’applique donc pas aux droits moraux, les Etats membres sont donc libres de décider quelle sera la durée de protection des droits moraux. Aussi cette carence a pour conséquence la présence de régimes différents au sein de l’UE. En effet certains pays comme la France ou l’Espagne prévoient des droits moraux perpétuels, alors que dans d’autres Etats comme en Allemagne ou en Suède, le droit moral s’éteint avec le droit patrimonial. Aussi en France les descendants de Victor Hugo sont toujours habilités pour agir et défendre l’intérêt de l’œuvre de l’auteur, alors que les héritiers d’un auteur allemand décédé à la même période ne le pourraient pas par application de la loi allemande.

2. L’allongement de la durée de protection des droits d’auteur : l’alignement sur les dispositions allemandes et espagnoles

L’article 7 de la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques de 1886 dispose : « La durée de protection accordée par la présente Convention comprend la vie de l’auteur et cinquante ans après sa mort ». Il convient cependant de préciser que les dispositions de la convention sont des minimums indispensables que les Etats parties ont la liberté de renforcer. À la veille de l’adoption de la directive, l’Espagne et l’Allemagne avaient alors respectivement prévu une durée de 60 et 70 ans post mortem auctoris, mais cette durée supérieure aux législations des autres Etats a posé quelques difficultés, notamment dans l’affaire Patricia mentionnée ci-dessus. Il était donc nécessaire d’uniformiser la durée de protection dans les Etats membres. Les instances de l’Union Européenne pouvaient alors choisir d’harmoniser conformément à la durée maximale existant dans l’UE, en l’occurrence 70 ans en Allemagne, ou en suivant les instructions de la Convention de Berne. La durée prévue en 1886 permettait de garantir l’exploitation de l’œuvre par l’auteur lui-même, puis par les deux générations suivantes. Compte tenu de l’allongement de l’espérance de vie, afin de permettre l’exercice des droits par les enfants et petits-enfants de l’auteur, dans sa proposition de directive, la Commission a opté pour la première solution (Considérant 5). De plus cette solution semble éliminer un certain nombre de problèmes quant à l’effectivité de l’harmonisation. En effet conformément au principe du respect des droits acquis en vertu duquel, il n’est pas autorisé d’ôter aux auteurs des droits dont ils disposaient. Aussi, il n’aurait pas été possible de réduire la durée de protection dont disposaient les auteurs allemands décédés avant l’adoption de la directive, ainsi les disparités n’auraient pas pu être éliminées à court terme, laissant des situations différentes selon la nationalité et l’année de la mort de l’auteur. À cet effet, le cas de l’Espagne est intéressant et mérite que l’on s’y attarde. En effet une loi sur la propriété intellectuelle du 10 janvier 1879 (soit avant la Convention de Berne) avait porté la durée de protection à 80 ans post mortem auctoris. Dans la Ley de propiedad intelectual de 1987, la durée a été réduite à 60 ans, mais la loi ne réduit pas pour autant la durée de protection de 80 ans applicable pour les auteurs morts avant le 7 décembre 1987. La directive de 1993 au nom du principe du respect des droits acquis impose de maintenir toute durée plus longue attribuée et non encore épuisée à la date d’entrée en vigueur de la directive, aussi dans le Texto Refundido de la Ley de Propiedad Intelectual de 1996, le législateur espagnol a été tenu de conserver la durée de 80 ans post mortem auctoris octroyée pour les œuvres dont les auteurs sont décédés avant le 7 décembre 1987. Il y a donc en Espagne des protections à deux vitesses qui ne pourront être éliminées qu’en 2068 (le délai de protection commençant le 1e janvier de l’année suivant le décès de l’auteur) lorsque les œuvres de tous les auteurs décédés avant cette date tomberont dans le domaine public.

3. Les interrogations sur le cumul des prorogations de guerre en droit français avec la durée portée à 70 ans par la directive 93/98/CEE

a. Une apparente harmonisation avec les arrêts Civ.1e, 27 février 2007

Dans le considérant 6 de la directive 93/98/CEE (repris par le considérant 7 de la directive 2006/116/CEE), il est fait mention de l’existence d’éventuelles prorogations de guerre. En effet certains Etats concernés par les deux grandes guerres mondiales ont voulu compenser l’absence d’exploitation de l’œuvre pendant ces périodes et ont ainsi rallongé la durée de protection des droits d’auteur. Tel est le cas de la France qui dans les articles L123-8 et L123-9 CPI prévoit une prorogation égale à la durée des guerres, soit 14 ans et 272 jours si l’auteur est décédé avant la Première Guerre Mondiale et que l’œuvre n’était pas encore tombée dans le domaine public. La directive européenne ne précise pas le sort que les Etats membres doivent réserver à ces dispositions sur la prorogation de guerre. Aussi par exemple la Belgique ou l’Italie ont retiré de leur législation nationale ces dispositions en transposant la directive. Toutefois la France n’a pas abrogé les deux articles les prévoyant. La question du cumul de la prorogation avec la durée de protection allongée par le droit communautaire a alors fait l’objet de vifs débats auxquels deux récents arrêts Civ. 1e, 27 février 2007 semblent avoir mis fin. En effet dans les affaires relatives aux peintres Monet et Boldini, la Cour de Cassation a jugé que la durée de protection établie par la directive était supérieure à celle dont bénéficiaient les héritiers des artistes avant l’adoption de la loi de 1997 intégrant dans l’ordre juridique français la directive 93/98/CEE, la prorogation était alors comprise dans le nouveau délai de protection, il n’y a donc pas de cumul possible. La Cour de cassation, confirmant la Cour d’appel de Paris dans « l’affaire Monet », mais cassant la décision de la même cour dans « l’affaire Boldini », a donc décidé « que la période de 70 ans retenue pour l’harmonisation de la durée de protection des droits d’auteur au sein de la communauté européenne couvre les prorogations pour faits de guerre ». Un éditeur publia dans ses ouvrages des reproductions de certaines œuvres de Monet tombées dans le domaine public avant le 1er juillet 1995. Constatant que ces œuvres étaient encore protégées en Allemagne à cette date, la société Auteurs Dans les Arts Graphiques et Plastiques (ADAGP) invoqua la résurrection du monopole pour s'opposer à l'exploitation sans bourse délier des œuvres du peintre. L'éditeur estima donc que, Claude Monet étant décédé le 5 décembre 1926, ses œuvres étaient tombées dans le domaine public le 1er janvier 1997 en application de la loi nouvelle. Or, les reproductions litigieuses étant postérieures, aucune contrefaçon ne pouvait lui être reprochée. À l'occasion du centenaire de la mort de Verdi, le portrait d’une affiche présentait certaines ressemblances avec une œuvre similaire, peinte par Giovanni Boldini, décédé le 11 janvier 1931, entrée dans le domaine public au 30 septembre 1996. L'ADAGP soutint que l'œuvre était donc encore protégée en France au 1er janvier 1995, ce qui lui valait de bénéficier de l'extension de protection prévue par la directive, comme n'importe quelle œuvre Il est intéressant de noter que la Cour ne justifie pas sa décision en se référant à des dispositions nationales, mais fait une interprétation téléologique de la directive 93/98/CEE : la directive vise à harmoniser la durée de protection au sein de l’Union Européenne, donc afin de faciliter cette uniformisation et de permettre à la directive d’être applicable dans les plus brefs délais, il est nécessaire de ne pas maintenir des droits, et donc de ne pas cumuler les 70 ans prévus par la norme communautaire avec la prorogation « sauf dans les cas où au 1e juillet 1995, date d’entrée en vigueur de la directive une période de protection plus longue avait commencé à courir, laquelle est alors seule applicable ». En effet, dans la mesure où l’œuvre de l’auteur jouit d’une durée supérieure à celle dont elle bénéficiait à la mort de ce dernier, il n’y a pas de violation du principe de respect des droits acquis. Le juge français dans ces décisions abroge donc implicitement les articles L123-9 et L123-9 du CPI, et semble pallier une carence du législateur. Cependant comme le signale l’existence de l’exception, malgré sa bonne volonté dans le processus d’harmonisation, le juge français est soumis au principe du respect des droits acquis, et n’apporte pas de réponse à toutes les situations.

b. L’impossibilité d’effacer les spécificités françaises au titre du respect des droits acquis

i. Le cumul entre la notion de « Mort pour la France » et le nouveau délai

L’article L123-10 du CPI dispose « les droits mentionnés à l’article précédent sont prorogés en outre, d’une durée de trente ans lorsque l’auteur, le compositeur ou l’artiste est mort pour la France, ainsi qu’il résulte de l’acte de décès ». Aussi avant l’allongement de la durée de protection par la directive de 1993, les héritiers d’un auteur mort pendant la guerre pour la France, tel Guillaume Apollinaire, bénéficiaient de la durée légale de 50 ans, des prorogations de guerre de 14 ans, et de la prorogation « mort pour la France » de 30 ans, soit un total de 94 ans. Cette durée de protection est donc bien supérieure à la nouvelle disposition imposée par le droit communautaire. Or en vertu du principe du respect des droits acquis, il n’est pas possible de réduire les droits attribués aux descendants de l’auteur. Ainsi le principe de non-cumul dégagé par les arrêts de février 2007 par la Cour de cassation et l’abrogation implicite des articles L123-8 et L123-9 CPI sont à nuancer. On entend par non-cumul le fait de ne pas ajouter la durée de prorogation de guerre à la nouvelle durée de protection des droits d’auteur telle qu’elle est définie par la directive 93/98/CE. La doctrine dégage alors deux situations distinctes : lorsque la prorogation est inférieure à 20 ans, le principe de non-cumul s’applique et l’harmonisation avec les autres Etats membres tels que l’Espagne a effectivement lieu. En revanche dans l’hypothèse où la prorogation est supérieure à 20 ans, ce qui est le cas des auteurs morts pour la France, le principe du respect des droits acquis prime, et les héritiers de l’auteur bénéficient d’une protection de 94 ans depuis le décès de l’écrivain. Aussi un auteur comme Apollinaire décédé en 1918 devrait être protégé jusqu’en 2012 (un arrêt TI Nanterre, 23 janvier 2002 a placé l’œuvre de Guillaume Apollinaire dans le domaine public, mais le poète ayant été déclaré officiellement « mort pour la France », la solution de cette juridiction semble étonnante), d’où l’existence de disparités entre notamment la France et l’Espagne où l’œuvre d’un auteur décédé en 1918 ne bénéficiait d’une protection que jusqu’en 1998 (faisant à l’époque l’objet d’une protection de 80 ans). Il y a donc au sein de l’Union Européenne des différences de traitement qui ne sont pas conformes aux principes d’égalité entre les ressortissants communautaires.

ii. Le cumul de la durée de protection et des prorogations de guerre pour les compositeurs de musique

En matière de droit d’auteur sur la musique, le droit français apporte également ses spécificités que l’on ne retrouve pas dans le droit espagnol. En effet l’article 9 de la loi du 3 juillet 1985 relative aux droits d’auteur et aux droits des artistes interprètes, des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes et des entreprises de communication audiovisuelle modifie l’article relatif à la durée de protection alors en vigueur dans l’ancien CPI (article 21), et dispose « Toutefois, pour les compositions musicales avec ou sans paroles, cette durée est de soixante-dix ans ». Cette différence de traitement selon l’œuvre créée se présente comme un obstacle à l’effectivité à court terme des dispositions relatives à la durée de protection des droits d’auteur au sein de l’Europe communautaire. En effet, dans les arrêts rendus le 27 février 2007, la Cour de cassation rejette le cumul des prorogations de guerre avec la durée de protection maintenant portée à 70 ans, sauf dans « les cas où au 1e juillet 1995, date d’entrée en vigueur de la directive, une période de protection plus longue avait commencé à courir, laquelle est alors seule applicable ». Or en matière de droit des compositeurs, la durée de protection post mortem auctoris a été portée à 70 ans en 1985, sans faire référence aux prorogations de guerre. Il n’y aurait donc pas lieu de les écarter, et le cumul serait possible. L’exemple cité et débattu par la doctrine est celui de Maurice Ravel mort en 1937, le problème étant de savoir si l’œuvre disposait d’une protection de 70 ans à partir du 1e janvier suivant la date du décès du compositeur, auquel cas le Boléro est de libre accès depuis quelques jours (1e janvier 2008) ou si son exploitation est toujours exclusivement réservée à ses ayants droit. D’un point de vue plus juridique, la question est de savoir s’il faut considérer la prorogation dès 1951 lorsque le législateur français a introduit la compensation en faveur des auteurs, ou à l’expiration de la durée « de base », c'est-à-dire 70 ans après la mort de l’auteur, le 1e janvier 2008 en ce qui concerne Ravel, auquel cas la prorogation n’a pas commencé à courir lorsque la durée de protection est portée à 70 ans, et le non-cumul ne serait pas le retrait d’un droit acquis. Bien que la question n’ait pas été tranchée par la jurisprudence, il semblerait que la doctrine penche majoritairement en faveur de l’application de la prorogation de la seconde guerre mondiale, soit une durée totale de protection de 78 ans et 172 jours post mortem auctoris. Aussi l’œuvre du compositeur serait protégée jusqu’au 1e mai 2016, alors que les descendants d’un compositeur espagnol décédé la même année verraient l’œuvre aujourd’hui tombée dans le domaine public. Il existe donc une véritable différence de traitement entre les auteurs français et espagnols, et comme l’affirme la directive elle-même dans son considérant 9, l’uniformisation réelle ne pourra se faire qu’après un long laps de temps. Il convient donc de dénoncer les grandes inégalités entre la France et l’Espagne, issues de l’obligation de respecter les droits acquis. Or la France a octroyé des droits à ses ressortissants dont les auteurs espagnols ne bénéficient pas. Afin d’illustrer ces différences, il est intéressant de constater qu’un compositeur espagnol mort en 1918 n’était protégé que jusqu’en 1998 (bénéficiant d’une protection de 80 ans, comme le disposait la loi de 1879), alors que l’œuvre d’un compositeur français mort pour la France durant la Première guerre mondiale bénéficie des 70 ans de protection « de base », des 30 ans de « mort pour la France » et de 14 ans et 272 jours de prorogation de guerre, soit un total de 114 ans et 272 jours. Aussi les partitions d’un compositeur tel que René Vierne mort pour la France en 1918 sont protégées jusqu’en octobre 2032 ! Il existe donc une différence notable qui porte préjudice à l’uniformisation de la durée de protection des droits d’auteur à court terme.

Pour conclure, il est intéressant de préciser que l’article 10.2 de la directive 93/98/CEE dispose : « les durées de protection prévues à la présente directive s’appliquent à toutes les œuvres et à tous les objets qui, à la date visée à l’article 13 paragraphe 1 1e juillet 1995, sont protégés dans au moins un Etat membre dans le cadre de l’application des dispositions nationales relatives au droit d’auteur ». Le texte de la directive propose donc bien de faire renaître des droits d’une œuvre tombée dans le domaine public dans un Etat membre. La directive, soucieuse de la bonne application du principe du respect des droits acquis (considérant 9) apporte la réponse à l’article 10.3 « La présente directive s’entend sans préjudice des actes d’exploitation accomplis avant la date visée à l’article 13 paragraphe 1. Les Etats membres prennent les dispositions nécessaires pour protéger notamment les droits acquis des tiers ». La jurisprudence a eu l’occasion d’affirmer la résurrection des droits notamment sur les œuvres de Claude Monet (décédé en 1926) et celles d’Albert Londres (morts en 1932), qui, en 1995 étaient certes tombées dans le domaine public en France, mais restaient alors protégées en Allemagne. Cependant la résurrection n’a pas eu lieu en Espagne. En effet, jusqu’en 1987 la durée de protection était de 80 ans, donc tous les auteurs dont l’œuvre est tombée dans le domaine public avant l’allongement ont eu une durée de protection supérieure à ce qui est désormais établi en Europe, il n’était donc pas requis de faire renaître la protection. Aussi à l’issue de cette étude comparée sur la durée de protection des droits d’auteur en Europe, il est possible de constater que l’harmonisation est difficile à mettre en place, les Etats membres n’ayant pas la liberté de réduire des droits acquis. Aussi l’uniformisation ne sera possible que lorsque tous les régimes spécifiques des Etats membres seront caducs. Il semblerait donc qu’avant 2068 lorsque les œuvres des auteurs espagnols bénéficiant de la durée de 80 ans tomberont dans le domaine public. Et dans de telles circonstances ne risque-t-on pas d’avoir à nouveau à résoudre des cas d’espèce similaires à l’affaire Patricia ? Et au niveau communautaire, une œuvre bénéficie-t-elle de la même protection dans tous les Etats, les prorogations sont-elles reconnues dans les autres Etats membres, au risque de créer des inégalités entre les œuvres selon le pays de provenance ? Pour reprendre l’exemple de Ravel, son œuvre est-elle dans le domaine public depuis quelques jours ?

Sources :

- Manual de Propiedad Intelectual, Rodrigo Bercovitz Rodríguez-Cano, Ed. Tirant Lo Blanch année 2006 - La duración de la propriedad intelectual y las obras en dominio público, Carlos Rogel-Vide, Colección de Propiedad Intelectual 2005 - Propriété Littéraire et Artistique, Pierre-Yves Gautier, Ed. Puf 2007 - RD 1/1996 por el que se aprueba el Texto refundido de la ley de propiedad intelectual - Code de la Propriété intellectuelle, Ed. Dalloz 2007 - Civ. 1e, 27 février 2007, affaire Monet et Boldini N° de pourvoi : 04-12.138 et 05.21.962 - Convention de Berne - CJCE 24 janv. 1989, Patricia, 341/87 - Directive 93/98/CE relative à la durée de protection du droit d'auteur et de certains droits voisins - Directive 2001/29/CE sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information - Directive 2006/116/CE relative à la durée de protection du droit d'auteur et de certains droits voisins

Sites internet :

- http://www.p-s.fr/index.php?tag/duree - http://www.p-s.fr/index.php?2007/03/14/69-un-peu-de-gym-grace-au-bolero-... - http://blogbbf.enssib.fr/?2007/03/23/151-duree-des-droits-dauteur-et-mus...