L'admissibilité du SMS comme élément de preuve dans le procès civil – par Henri Weil

Malgré une place prépondérante dans le monde de communications électroniques, le SMS ne semble pas avoir encore fait l’objet d’un contentieux détaillé concernant son admissibilité comme moyen de preuve. On peut dès lors s’interroger sur les spécificités techniques du SMS et leur impact sur son admissibilité a des fins probatoires dans le procès civil.

Le SMS joue désormais un rôle majeur dans les télécommunications, concurrençant la conversation téléphonique comme mode d'utilisation privilégié du téléphone portable. Ainsi, rien qu'au premier trimestre 2008, 6,7 milliards de SMS avaient déjà était émis sur le seul territoire français (Source: « le marché des services de télécommunication en France au premier trimestre 2008 » rapport publié par l'Autorité de Régulation des Communications Electroniques et des Postes). Néanmoins cette nouvelle pratique apporte son lot de nouveaux problèmes aux utilisateurs qui s'exposent plus qu'ils ne s'en doutent. Avec le SMS « l'écrit n'est plus protecteur; il est aussi impulsif que l'oral tout en ayant l'inconvénient de laisser des traces » (S. Amrani-Mekki, « La preuve par SMS », La Semaine Juridique – Edition générale, 24 Octobre 2007). En effet, le SMS est bref et a vocation a être communiqué de façon quasi instantanée. Ainsi l’auteur ne prendra pas toujours garde au contenu des messages qu’il envoie sans se rendre compte qu’il laisse une trace quasi indélébile. En effet, si l'écrit « classique » sur support papier peut être facilement détruit, le SMS quant à lui est enregistré dans le téléphone de l'expéditeur et du destinataire et peut même être récupéré après avoir été effacé par un technicien compétent travaillant sur la carte mémoire ou la mémoire interne du téléphone. De plus, la destruction de l’appareil téléphonique n’entraine pas nécessairement la disparition des messages qui y sont contenus, l’opérateur téléphonique étant en mesure d’établir un historique des messages transmis grâce au contenu des serveurs par lesquels ils transitent. Par conséquent, les parties au procès bénéficient d’un élément de preuve quasi indestructible. Néanmoins, il est nécessaire d’établir les conditions devant être remplies afin que le SMS puisse être produit devant la justice, en France mais aussi aux Etats-Unis. L’objectif de ce billet est d’étudier et comparer les conditions de l'admissibilité du SMS comme élément de preuve. Il s’agira d’illustrer les caractéristiques particulières concernant son obtention mais aussi l’admissibilité de sa force afin de tenter de déterminer la place qui est sienne au sein de l’éventail des preuves admissibles dans le procès civil.

Dans son arrêt du 15 mai 2007, la Chambre sociale de la Cour de cassation a explicitement admis l’utilisation par son destinataire d’un SMS comme élément de preuve à l’encontre de son auteur (Cass. Soc, 23 mai 2007, n. 06-43.209). En l’espèce, l’employée d’une étude notariale s’était servie des SMS qu’elle avait reçus de la part de son employeur afin de prouver à son encontre le harcèlement sexuel dont elle s'estimait victime. L’employeur avait soulevé lors de son pourvoi en Cassation l’impossibilité d’admettre les SMS envoyés à sa salariée comme moyen de preuve du fait de la déloyauté de son obtention. En effet, il est établi par la jurisprudence que « l'enregistrement d'une conversation téléphonique privée, effectué à l'insu de l'auteur des propos invoqués, est un procédé déloyal, rendant irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue » (Cass. 2e civ. 7 Octobre 2004, n. 03-12.653). Est condamné l’enregistrement clandestin d’une conversation téléphonique à l’insu de l’auteur des propos invoqués. Néanmoins, la cour de Cassation ne manque pas de relever en rappelant l’attendu de la Chambre civile qu’ « il n’en est pas de même de l’utilisation par le destinataire des messages écrits téléphoniquement adressés, dits SMS » qui constituent un élément de preuve obtenu de façon loyale dans la mesure où l’auteur « ne peut ignorer qu’ils sont enregistrés par l’appareil récepteur » (Cass. Soc, 23 mai 2007, n. 06-43.209). En effet, le SMS est soumis à un double enregistrement, sur le téléphone de la personne émettant le SMS mais aussi sur le téléphone de la personne le recevant. Ainsi pour la doctrine, la jurisprudence a créé un principe de « loyauté intrinsèque » du SMS en tant qu’élément probatoire en raison de ses spécificités techniques qui le rendent de fait « insusceptible d’avoir été utilisé à l’insu de celui auquel il est opposé » (L. Weiller « Les SMS adressés à une salariée sont recevables comme moyens de preuve d’un harcèlement », La Semaine Juridique, Edition Générale, 25 Juillet 2007). Cette solution ouvre la porte à une utilisation répandue du SMS comme mode de preuve en empêchant de fait la partie à l’encontre de laquelle le SMS est produit de se fonder sur la déloyauté de son obtention afin de s’opposer a la production du SMS comme preuve devant le juge. Ainsi, « si les SMS restent peu onéreux, ils peuvent quand même coûter cher » (M. Mairesse, Relisez bien vos SMS avant envoi ! Gazette du Palais, 7 juillet 2007 n. 188 p.11).

Toutefois, il convient de ne pas tirer de conclusions hâtives quant à l’admissibilité du SMS en tant que preuve. En effet, si la loyauté de l’obtention du SMS semble acquise ce dernier ne sera pas nécessairement licite, le droit au respect de la vie privée énoncé à l’article 9 du code civil trouvant à s’appliquer (J-M Dorlet, La trahison du SMS, nouveau mode de preuve licite, http://wilson.blog.lemonde.fr). Cette solution fait jurisprudence en ce qui concerne l’e-mail, un employeur ne pouvant prendre connaissance des emails personnels du salarié quand bien même envoyés à partir de l’ordinateur utilisé sur le lieu de travail (Chambre sociale 2 octobre 2001, Société Nikon France c. M. X n.99 -42942). Si la question du caractère privé des SMS émis à partir d’un téléphone personnel apparaît indiscutable qu’en est-il de ceux émis à partir d’un téléphone fourni par l’employeur à fin d’une utilisation professionnelle ? La transposition littérale de la solution de l’arrêt Nikon au SMS pourrait s’avérer complexe dans la mesure où contrairement à l’email le SMS ne porte ni titre ni objet de telle manière que la détermination du caractère privé ou professionnel de son contenu ne pourra s’opérer qu’en ouvrant les SMS en question, violant ainsi le principe de respect de la vie privée (B. Jacob, J. Jacob Les SMS : les nouvelles formes de preuve, www.legipme.com/actualite/droit-ntic/sms-nouvelles-formes-preuve.html) . Si les juges du fond venaient à suivre une telle approche, il semblerait difficile de produire un SMS illicite obtenu en violation du principe de respect de la vie privée, à moins bien sur de justifier de la protection d’autres intérêts justifiant atteinte proportionnée aux intérêts en jeu (Cass. Com., 15 mai 2007, n. 06-10.106). Quant au droit américain, s’il ne connaît pas de principe de loyauté de la preuve il n’en fait pas moins écho au droit français concernant la licéité de l’obtention de la preuve. En effet, il est admis que  les principes de base applicables à la discovery des preuves dites « papier » s’appliquent aussi à la discovery de preuves électroniques (P. Rice, Electronic Evidence Law and Practice, 2nd Edition, ABA). Or la discovery de preuves dites privilégiées est proscrite (Rule 26 (b) Federal Rules of Civil Procedure). Ainsi le respect de la vie privée est admis comme limite à l’obtention de preuves. Tout comme la jurisprudence française (voir arrêt Nikon) la jurisprudence américaine reconnaît une violation du droit au respect des communications privées lorsque les e-mails personnels émis à partir de l’ordinateur sur le lieu de travail était utilises par l’employeur à des fins probatoire à l’encontre du salarié. Toutefois cette solution est limitée aux situations de Reasonable expectation of privacy  où l’employé pouvait raisonnablement s’attendre au respect de ses communications privées émises à partir dudit ordinateur. Tel est le cas lorsque l’accès de l’ordinateur est protégé par mot de passe et que l’employeur exige des employés qu’ils maintiennent des fichiers e-mails distinguant e-mails à caractère professionnel et e-mails à caractère privé (Haynes v. Kline (Kan.D.C.12/23/03 Case No. 03-4209-RDR). Si cette solution peut être étendue au SMS le droit américain se distinguera du droit francais lorsque le SMS est émis à partir d’un téléphone de fonction dans la mesure où il semble difficile de justifier d’une attente au respect des communications privées sur un téléphone fourni pour une utilisation professionnelle. Le SMS reste donc, comme tout mode de preuve, soumis à la condition de licéité de son obtention afin de pouvoir être produit devant les juridictions civiles. De plus, si ses spécificités techniques favorisent l’admission de la loyauté de son obtention, elles ne l’handicapent pas moins au regard de l’appréciation de sa force probante.

De potentielles difficultés d’identification de l’auteur du SMS ainsi que le problème de l'intégrité de son contenu peuvent remettre en cause sa force probante. Si la question de l’identification de l'auteur du SMS et celle de la garantie de son contenu n’ont pu être traitées par la Chambre sociale en raison du fait qu’elle n’avait pas était saisie de la question par le demandeur, la doctrine a néanmoins souligné le manque de fiabilité du SMS dans ce domaine (C. Castets-Renard, Gare au SMS ! Recueil Dalloz 2007 p. 2284). Il est vrai que le SMS présente deux difficultés majeures pouvant remettre en cause sa valeur probante. D’une part l’intégrité de son contenu. Tout comme l’écrit sur support physique, l’écrit électronique contenu dans le SMS peut être altéré, volontairement ou non. Néanmoins la détection de l’altération pourra être complexe étant donné que la trace d’une altération sur un support électronique immatériel ne laisse pas de trace pouvant être évidente à l’œil (d’un expert si besoin) comme peut l’être celle d’un écrit sur support papier. A ce titre le juge français pourrait tout à fait s’inspirer des solutions du droit américain qui soumet l’admission des preuves à l’authentification des preuves par la partie entendant s’en prévaloir (Rule 901 Federal Rules of Evidence). Les Rules of Evidence s’appliquent indifféremment à la preuve écrite et électronique dans le procès civil et pénal. Ainsi, elle permettent la confirmation de l’intégrité de la preuve par le témoignage d’un witness with knowledge (Rule 901 (b) (1) Federal Rules of Evidence). Par conséquent, l’employé d'une compagnie de télécoms archivant les SMS envoyés et reçus par ses clients est en mesure de certifier l’intégrité du contenu des copies de SMS produites par la partie dans la mesure où il connaît le processus de traitement des SMS garantissant l’intégrité des SMS recouvrés à partir de ses bases de données (State v. Taylor, 632 S.E.2d 218 (2006)). Une telle solution serait tout à fait transposable dans le procès civil français. En effet, le juge souhaitant s’assurer de l’authenticité et de l’intégrité du contenu d'un SMS soumis par une partie serait à même d’exiger de l’opérateur, par le biais des mesures d’instruction (article 11 du code de procédure civile), que soit produite la copie certifiée conforme à un original approuvé par ce dernier. Si le problème de l’intégrité du SMS peut donc être résolu relativement facilement, il reste que la partie devra d’autre part prouver l’identité de son auteur présumé, c ‘est a dire prouver que l’auteur du SMS est bien la personne abonnée au numéro à partir duquel le SMS a été envoyé. En effet, le risque d’usurpation d’identité est réel et le propriétaire du téléphone à partir duquel le SMS a été envoyé n’en sera pas forcement l’auteur. Il est vrai que bien que l’accès aux téléphones portables soit protégé par un code secret, chacun sait qu’en pratique il n’est pas difficile d’accéder au téléphone d’un tiers notamment lorsque ce dernier a été égaré. De même un parent, un ami ou encore une simple connaissance de ce même tiers peut tout a fait accéder à son téléphone à partir duquel il pourra envoyer un SMS. Une prise de contrôle indirecte est également envisageable en ce qui concerne les téléphones nouvelle génération équipés du Bluetooth, une technologie utilisant des ondes radio de courte distance pour permettre la transmission de fichiers entre téléphones (L. Weiller, Les SMS adressés à une salariée sont recevable comme moyen de preuve d’un harcèlement La Semaine Juridique Edition Générale 25 juillet 2007). En effet, un tiers malintentionné possédant les connaissances techniques nécessaires pourra opérer une prise de contrôle à distance du téléphone d’un tiers. Il serait alors contestable d’accepter comme preuve à l’encontre d’une partie un SMS dont elle n’est pourtant pas l’auteur. Le droit américain prévoit l’identification de l'auteur d’un e-mail par le biais d’Extrinsic Circumstances c’est a dire d’éléments de fait externes venant corroborer les informations contenues dans le mail, c’est a dire la preuve (P. Rice, Electronic Evidence Law and Practice, ABA 2nd Edition). Cette solution pourrait être étendue au SMS en raison des similitudes existant entre e-mail et SMS. En effet, tout comme le SMS, l’email peut être envoyé par une personne autre que le propriétaire du compte e-mail a partir duquel il a été envoyé. On peut imaginer le cas de l’ordinateur familial mais aussi une prise d’accès à distance par un hacker via le WIFI (Bluetooth en ce qui concerne les téléphones portables) ou tout simplement par le biais d’un virus type "cheval de Troie". En revanche cette solution présente des limites évidentes dans la mesure où de telles preuves ne seront pas toujours disponibles rendant impossible l’identification de l’auteur du SMS. Il appartiendra alors au juge de se montrer prudent dans l’admission du SMS comme élément de preuve.

Conclusion Malgré l'avantage d’une production simplifiée en droit français du fait de son intrinsèque loyauté, le SMS ne sera pas pour autant automatiquement admis par les juges civils français et américains, car soumis comme toute preuve à un impératif de licéité. De plus si l’incertitude concernant l’identification l’intégrité de son contenu peut être surmontée, la difficulté d’identifier avec certitude l’auteur du SMS remet en cause sa force probatoire et donc sa valeur en tant qu’élément de preuve. Peut être serait-il nécessaire d'attendre les prochaines avancées technologiques dans le domaine des télécommunications avant de pouvoir se prononcer plus avant.

Bibliographie

Droit français

F-J Pansier,  Preuve par SMS , Cahiers Sociaux du Barreau de Paris, 1er septembre 2007. C Castets-Renard, Gare au SMS !, Recueil Dalloz 2007, 20 septembre 2007. L Weiller,  Les SMS adressés à une salariée sont recevables comme moyen de preuve d'un harcèlement sexuel , La Semaine Juridique Edition Generale, 25 juillet 2007. L Amrani-Mekki,  La preuve par SMS  in  Droit Judiciaire Privé , La Semaine Juridique Edition Generale, 24 octobre 2007. M. Mairesse, Relisez bien vos SMS avant envoi!, Gazette du Palais, 07 juillet 2007, n. 188, p.11

Droit américain

Federal Rules of Evidence, Federal Rules of Civil Procedure P. Rice Electronic Evidence Law and Practice, 2nd Edition ABA. E. S. Eissenstat, Making Sure You Can Use the ESI You Get: Pretrial Considerations Regarding Authenticity and Foundation , Oklahoma Bar Journal, March 8 2008 J Zitter, « Authentification of Electronically Stored Evidence, Including Text Messages and E-mail », American Law Reports, 34 A.L.R.6th253 (Originally Published in 2008) S. Finkelstein, R. Storch, Admissibility of Elctronically Stored Evidence: It’s Still the Same Old Story, Litigation Spring 2008, Volume 34 Number 3.