Le concept de bonne gouvernance dans les politiques de développement des institutions de Bretten Woods et de l'Union Européenne

La bonne gouvernance dans les politiques de développement des organisations internationales peut trouver une définition commune dans celle du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) qui conçoit la bonne gouvernance «comme le remodelage des politiques de gestions publiques en vue de faire face au défi de développement»[1]. Mais dans les politiques de développement des organisations internationales, la « bonne gouvernance » a des contenus bien différents selon les acteurs en présence. L'origine et l'évolution historique du concept de bonne gouvernance permet de comprendre les objectifs de ce concept qui s'inscrit dans des politiques néolibérales.

La bonne gouvernance se fondant sur les principes démocratiques et sur le respect des droits de l'homme n'est elle pas incompatible avec l'objectif de l'ouverture des marchés dans les politiques de développement des organisations internationales?

Le concept de bonne gouvernance tire son origine des institutions financières. Dans le contexte d’une économie internationale d’endettement dans les années 70, le FMI et la Banque Mondiale sont intervenus dans la détermination des politiques des pays endettés, notamment au travers des programmes d’ajustement structurel (programmes de réformes économiques). La Banque Mondiale prônait l'État minimum. Mais au vu des nombreuses critiques et de l’inefficacité de ces programmes, la Banque Mondiale change de discours et prône alors l'État au service du marché. La notion de bonne gouvernance fait alors son apparition dans la publication par la Banque Mondiale du rapport sur l’Afrique Sub-saharienne[2] en 1989. Dans ce bilan, la Banque Mondiale justifie l’impossibilité d’application de son programme d’ajustement structurel, par le manque de bonne gouvernance des pays concernés. L’appareil étatique doit être d’avantage efficient, fort et autonome afin d’avoir les capacités de mettre en place les programmes de la Banque Mondiale et développer une économie stable et compétitive.[3] La banque mondiale propose alors des réformes institutionnelles pour les pays en voie de développement dans ses deux rapports « Governance and Development » en 1992 et « Governance. The World Bank’s perspective » en 1994.

Selon la vision du FMI, les institutions publiques doivent être contrôlées et responsable de leur actions. L'État doit pouvoir assurer la stabilité des marchés à travers une réelle politique monétaire et fiscale. Ainsi, l’objectif de développement est purement économique et ne prend pas en compte les facteurs sociaux et culturels. En effet, l’instauration d’institutions stables a pour objectif d’attirer les investissements du secteur privée.[4] Cette approche purement économique et cette omission de la dimension de la démocratie et des droits de l’Homme s’expliquent notamment par le statut de la Banque Mondiale. En effet, pour accorder un prêt, la Banque mondiale doit se fonder exclusivement sur des considérations économiques, tandis que les considérations d’ordre politique sont expressément exclues.[5]

Quelques années plus tard, le concept fut repris par de nombreuses organisations, tel que le FMI, l’OCDE, les gouvernements européens, le PNUD, l’Union Européenne.

Le FMI repris le concept de bonne gouvernance en septembre 1996 dans le « Partnership for sustainable Global growth ». Son approche de la bonne gouvernance est similaire à celle de la Banque Mondiale, en mettant l’accent sur le développement économique.

Dans les années 90, l’Union Européenne utilise à son tour le concept de bonne gouvernance, qui se trouve alors au cœur de ses politiques de développement. La résolution du Conseil européen de 1991 sur les droits de l’homme, la démocratie et le développement proposent des lignes directrices pour la coopération avec les pays en voie de développement. La résolution insiste sur l’importance des droits de l’homme et de la démocratie qui sont des conditions nécessaires pour un développement équilibré et durable. L’article 21 du Traité sur l’Union européenne marque ce lien étroit entre développement et droits de l’Homme et plusieurs accords de coopération[6], consacrent les droits de l’Homme comme l'objectif premier de la politique extérieure de l’Union européenne.

A partir des années 90, l’approche des institutions de « Bretton Woods » de la bonne gouvernance, omettant la démocratie et les droits de l’Homme, est largement critiquée. Le FMI et la Banque mondiale développe alors ensemble l’initiative des pays pauvres fortement endettés (PTT) en 1996, l'éradication de la pauvreté intègre maintenant les conditions de bonne gouvernance des institutions financières. Désormais, les principes afférant à la bonne gouvernance sont le management du secteur public, la responsabilité, l’implantation d’un cadre juridique, la transparence, l’information, la règle de droit et la lutte contre la corruption.

A partir de cette époque se développe une multitude de recommandations morales au nom de la bonne gouvernance au sein des organisations internationales.

L’Union Européenne a identifié la bonne gouvernance sous l’angle des droits de l’Homme et de la démocratie. Selon cette approche, les principes de la bonne gouvernance sont la séparation des pouvoirs, l’indépendance judiciaire, la liberté d’association, d’expression, des élections libres et un système politique multi partis. Cette vision considère le rôle de la société civile comme hautement importante.[7]

L’approche de la notion de bonne gouvernance des institutions de Bretton Woods paraît se rapprocher d'avantage de celle de l’UE. En effet, ces différentes organisations internationales imposent la conditionnalité du respect de la démocratie et des droits de l’homme dans l’aide au développement.

Le FMI et l’Union Européenne ont la même approche du contenu normatif de la bonne gouvernance. Les principes communs sont la démocratie au travers des élections et du pluralisme politique, l'État de droit au travers de la séparation des pouvoirs, du système judiciaire indépendant, du respect des droits de l’homme, la transparence au travers de la lutte contre la corruption et enfin la lutte contre la pauvreté.[8]

Mais ces principes, tel que le respect de la démocratie, apparaissent comme des masques portés par les organisations internationales qui tentent de légitimer l’implantation du néolibéralisme dans les pays les plus défavoriser. Le FMI, la banque mondiale et l’UE poursuivent en réalité le même objectif à travers la bonne gouvernance : l’ouverture des marchés dans les pays en voie de développement.

Dans les trois rapports de la Banque Mondiale de 1997, de 2000 et de 2002[9], la bonne gouvernance et la démocratie sont les pré-conditions à l’ouverture des marchés. Les principes démocratiques telles que la participation, un système judiciaire indépendant, la responsabilité des dirigeants sont conçus de manière purement économique et dans un objectif libéral, et ne sont pas reconnus comme des droits fondamentaux appartenant aux citoyens. L’objectif est alors l’implantation de « démocraties de marché ou des démocraties capitalistiques »[10].

La participation des citoyens est présentée comme une pré condition à la compétition nécessaire pour l’instauration d'un État plus fort et compétitif. La participation n’est pas définie comme un droit mais comme étant « l’articulation de préférences et de demandes », ce qui montre bien son caractère éminemment économique.

La réforme du système judiciaire est indispensable pour assurer un État de droit capable de garantir « une environnement stable et prévisible pour les transactions économiques et pour garantir la croissance et l’équité »[11]. La sécurité juridique est essentielle pour attirer les investisseurs. L’absence d’un système judiciaire adéquat constitue un obstacle au développement du pays. « Les investisseurs sérieux cherchent un système légal qui protège et respecte le droit de propriété et les contrats, qui échappe à l’action du gouvernement et aux pressions des groupes d’intérêts. ». La responsabilisation est une notion qui n’a pas été précisé par la banque mondiale, mais il s’agit avant tout de responsabilisation budgétaire et économique. La participation et la responsabilisation renvoie selon l’auteur à un concept de « managérialisme populiste »[12].

De même, l’UE ne cache pas ses intentions derrière le concept de bonne gouvernance, notamment lorsque  la Commission définie les principes de la politique commerciale de l’UE dans sa communication de « Europe : Competing in the World ». En effet, dans le cadre de sa politique de développement, celle-ci multiplie les accords de libre échange établissant un processus d’ouverture des marchés et de désarmement tarifaire principalement en Amérique latine et en Asie. Les processus de réformes juridiques et institutionnels, s’insérant dans les programmes de la bonne gouvernance, combinés avec les processus d’uniformisation régionale des règles en matière d’investissement et de concurrence poursuivent l’objectif de la pénétration des multinationales européennes dans les pays en voie de développement, ceux dont les marchés sont émergents.  Même si l’UE tente de se différencier des autres organisations internationales dans ces accords commerciaux, l’objectif poursuivit est le même, l’ouverture et l’accès à de nouveaux marchés.

La Banque mondiale, le FMI, ainsi que l’UE ont donc pour objectif commun l’économie de marché déréglementée et insérée dans la mondialisation, avec un État minimaliste mais normatif. La démocratie est aussi normative mais ne doit pas empiéter sur la liberté de marché. « La bonne gouvernance est la compétence du gouvernement et des institutions pour administrer le pouvoir et les ressources économiques et sociales »[13].

L’UE comme la Banque Mondiale et le FMI ne permettent pas l’implantation de la démocratie dans les pays partenaires, notamment en soutenant les acteurs privés et en délaissant les institutions. Cependant l’UE tente de se démarquer en imposant dans ces accords commerciaux une « clause démocratique » qui est en principe contraignante.

A la différence des autres organisations internationales, l'UE a la capacité de contraindre ses États membres et les pays tiers. Les politiques de développement de l’UE reposent en partie sur des instruments juridiques contraignants alors que les instruments de la Banque Mondiale et du FMI font parties de la « soft law », c’est-à-dire qu'ils sont non contraignants mais incitatifs.

La « clause démocratique » insérée dans les accords de partenariat de l'UE impose au respect des droits de l’homme en tant que condition préalable de l’aide publique au développement. La première clause démocratique est contenue dans l’article 5 de la Convention de Lomé IV. Alors que l’Union Européenne a recours à des instruments juridiques obligatoires pour imposer la démocratie en dehors de ses frontières, cette condition n’est pas toujours respectée. Cette clause constitue une disposition essentielle dans ces accords de partenariat et d’aide au développement. Son non respect devrait alors entrainer la suspension de l’accord, en théorie. Mais l’Union Européenne dans la pratique n’a quasiment jamais suspendu un accord pour non respect de la clause démocratique. Cette condition du respect de la démocratie est donc quasi inexistante.

La clause démocratique contenue dans les accords de partenariat entre l’Union Européenne et d’autres États n’a qu’un seul objectif, légitimer l’action de l’Union Européenne. Pour exemple, l’UE et la Colombie et le Pérou ont signés un accord de libre échange qui contient cette clause démocratique. Mais au vue de la situation des droits de l’homme dans ces pays, notamment la Colombie, il est certain que cette clause ne sera pas respectée, avant même que l’accord ait été ratifié. De plus, la Chine échappe constamment à cette clause démocratique dans les accords de partenariat avec l’UE. Cette clause ne constitue alors qu’une apparence donnée par l’UE.

D’autre part, la condition de respect de la démocratie et des droits de l’homme s’insère d'avantage aujourd'hui dans la logique de sanctions économiques, et non plus comme une condition préalable d'accès aux aides de développement. Par conséquent, le non respect de ces clauses entraine l’interruption des aides financières. Cette conditionnalité démocratique qui avait l’objectif d’être préventive se trouve finalement punitive. La Banque Mondiale et le FMI insère également cette clause démocratique en tant que sanction économique dans leurs instruments de « soft law » d’aide au développement, conférant ainsi une certaine force obligatoire aux instruments de ces organisations financières. La Banque Mondiale et le FMI tente ainsi d’influencer les pays au respect des droits de l’homme.

La condition démocratique en tant que sanction économique a eu des effets dévastateurs sur les économies des pays concernés, qui était devenus indépendants de l'aide accordée par ces politiques de développement. Les conditionnalités de bonne gouvernance apparaissent alors en contradiction avec les principes démocratiques.

La bonne gouvernance en tant que condition de financement des politiques de développement est caractérisée comme une influence informelle de l’extérieur, des institutions financières. Cette influence informelle « a empêché l’exercice d’une influence démocratique dans les relations intérieures. ». En effet la démocratie telle que perçue par ces organisations internationales favorise l’implantation des acteurs privés, fragilisant les institutions publiques.

De nombreux domaines de la réglementation de la sphère publique ont été transférés au secteur privé « placés dans une zone d’accord contractuel à caractère privé » alors que l’influence démocratique s’exerce avant tout sur la sphère publique[14]. De plus, la revalorisation des acteurs privés a limité l’implantation des principes démocratiques. Cette importance donnée aux acteurs privés par les institutions de Bretton Woods nous permettent de penser que leur conception de la démocratie se définit comme « un système dans lequel un petit groupe fait les règles, et une participation massive se limite au choix de dirigeants dans des élections soigneusement gérées par les élites concurrentes »[15]. Les droits humains, politiques et sociaux sont instrumentalisés et ne servent qu'à des objectifs économiques. La notion de démocratie dans les politiques de développement a été introduite pour que ces politiques extérieures acquièrent d’avantage de légitimité. L’implantation de la démocratie n’est pas un objectif des politiques de développement. En effet, on peut constater que dans le cas où les pays en développement ouvrent leurs marchés, alors l’UE, le FMI et la Banque Mondiale poursuivent leur coopération avec ces États, même si ceux-ci ne respectent pas la démocratie et les droits de l’homme, comme par exemple la Colombie et la Chine. Il existe des pays pourtant non démocratiques et qui connaissent un développement économique important.

Ainsi, démocratie et droits de l'homme, en tant que principes de bonne gouvernance, ne sont pas toujours compatibles avec l'insertion des pays en voie de développement dans l'économie mondiale. La corrélation démocratie et développement ne semble pas trouver de justification.

 

       PNUD, Bonne gouvernance et croissance économique, http://www.imf.org/external/country/civ/rr/2007/102207.pdf

            Banque Mondiale, L’Afrique sub-saharienne. De la crise à une croissance durable. Etude de prospective à long terme, Washington, 1989

       Jolle DEMERS, Alex E.FERNANDEZ, Jilberto and Barbara HOGENBOOM, Good Governance and democracy in a world of neoliberal regimes, P183

       Ibid P1, Jolle DEMERS, Alex E.FERNANDEZ, Jilberto and Barbara HOGENBOOM, P181-182

             Article IV, section 10, des Statuts de la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD)

            Déclaration de Bamako du 3 novembre 2000, l’Accord de Cotonou du 23 juin 2000,  Déclaration de la Commission européenne, 20 décembre 2005, Consensus européen pour le développement

       Ibid P2, Jolle DEMERS, Alex E.FERNANDEZ, Jilberto and Barbara HOGENBOOM, P182

       Haut Conseil de la coopération internationale, Les non-dits de la bonne gouvernance, pour un débat politiqe sur la pauvreté et la gouvernance, 2001, édition Karthala, Angel SALDOMANDO, « Quelques interrogations sur la gouvernance », P102

       Rapports de la Banque Mondiale, World Development Reports : The State in Changing World , 1997, Attacking poverty, 2000, Building Institutions for Markets, 2002

      Ibidem, Angel SALDOMANDO, p104

       Ibid P3, Angel SALDOMANDO, p104

       Ibidem, Angel SALDOMANDO, p104

       Ibidem, Angel SALDOMANDO, p104

           Ibid P1, Etude n°470/2008 de la Commission Européenne, Gret HALLER, annexe II La notion de bonne gouvernance

       Jolle DEMERS, Alex E.FERNANDEZ, Jilberto and Barbara HOGENBOOM, Good Governance and democracy in a world of neoliberal regimes, P185