Le motif économique de licenciement: étude comparative en droit français et en droit anglais

Ariane Frachon

 

 

Le motif économique de licenciement: étude comparative en droit français et en droit anglais

 

 

Selon l’article L1233-3 du Code du Travail, un licenciement pour motif économique est un « licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques ».

Sujet brulant depuis le début de la crise économique, le licenciement pour motif économique soulève les passions. D’autant plus que le recours à ce type de licenciement est aujourd’hui en très nette augmentation. Afin d’octroyer aux entreprises en difficultés une plus grande flexibilité, le législateur européen s’efforce donc d’harmoniser au mieux les droits nationaux dans ce domaine. Or, il est intéressant d’observer que les Etats européens cultivent, pour la plupart, leur originalité et leurs différences légales avec les autres Etats-membres. Les différences d’approches sont naturellement encore plus flagrantes entres les pays de droit civil et les pays de Common Law. Il est dès lors instructif de comparer ce que sous entend « le motif économique de licenciement » en droit du travail français et anglais, afin de tenter de répondre à cette interrogation : En quoi le motif économique de licenciement est il abordé sous des angles distincts en droit du travail anglais et français ?

Le sujet de cet article étant le « motif économique de licenciement » et non pas « le licenciement pour motif économique », l’accent sera mis sur la définition et la justification de ce motif. Nous ne rentrerons donc pas dans le détail d’une procédure déjà complexe et changeante, selon que le licenciement est collectif ou non. Nous nous focaliserons sur les différentes philosophies des législations nationales en la matière. En effet, il s’agit d’observer l’impact et l’efficacité de ces deux régimes, avec d’un coté un droit anglais à l’héritage libéral et de l’autre un droit français soucieux d’octroyer des garanties aux salariés.

Pour ce faire, nous analyserons tout d’abord l’appréciation de la notion de motif économique de licenciement par le droit français et anglais (I). Puis nous étudierons ces deux régimes de licenciement pour motif économique dans ce qu’ils apportent comme limites au pouvoir de l’employeur et comme garanties aux salariés (II).

 

I.               L’appréciation légale et prétorienne du motif économique de licenciement en droit français et anglais

 

Afin de comprendre au mieux les différences d’approches entre le droit français et le droit anglais, il est important d’entreprendre une analyse de la définition même du motif pour licenciement économique dans ces deux droits nationaux. A première vue, les deux définitions française et anglaise semble plutôt similaire en ce qu’elle font toutes deux référence à « un motif non inhérent à la personne du salarié » (A) et à une cause économique du licenciement (B). 

 

A.    Un motif pour licenciement non inhérent à la personne du salarié : une exigence européenne

 

Dans un domaine aussi sensible que le licenciement pour motif économique les institutions européennes ont estimées qu’il était impératif de tenter d’harmoniser les différents droits nationaux par le biais de directives. Il s’agissait pour le législateur européen d’octroyer plus de flexibilité aux entreprises tout en maintenant l’application de standards minimums de protection pour les salariés licenciés. La première directive en la matière fut celle du 17 février 1975 sur le rapprochement des législations des Etats-membres sur les licenciements collectifs. Celle ci a été abrogée et est aujourd’hui remplacée par la directive du 20 juillet 1998. Un des apports essentiels de cette directive est la définition qu’elle donne du motif économique de licenciement. Selon le législateur européen, ce type de licenciement doit être « non inhérent à la personne du salarié ». Cette nouvelle définition à l’importance capitale, n’a pourtant pas été transposée de la même manière dans tous les Etats-membres. La différence est notamment flagrante entre le droit français et le droit anglais. Le droit français a intégré cette définition européenne dans son article L1233-3 du Code du Travail. Cette notion de « motif non inhérent à la personne du salarié » qui distingue définitivement le licenciement pour motif économique du licenciement pour motif personnel, a donc été transposé dans sa totalité par le législateur français, au sein d’un article du Code du Travail dont la définition s’applique à tout type de licenciement pour motif économique. Cette disposition qui précise le cadre dans lequel les employés licenciés pourront bénéficier d’une indemnisation du fait du motif économique de leur licenciement, interdit donc à l’employeur de licencier pour inaptitude physique ou refus d’adopter de nouvelles méthodes de travail, entre autres.  Au Royaume-Uni, le législateur a pendant longtemps refusé de transposer cette directive, surement jugée trop stricte pour l’employeur. Effectivement la transposition de cette directive n’a eu lieu qu’après la condamnation du Royaume-Uni par la Cour de Justice de l’Union Européenne en 1995. Le législateur anglais fut donc dans l’obligation d’intégrer cette définition dans le Trade Union and Labour Relations Act de 1992. A travers cette transposition plus que tardive de la directive, le droit anglais fait encore une fois preuve d’un grand libéralisme en appliquant les standards européens minimums. Poursuivant cette volonté de ne pas se soumettre aux exigences européennes le législateur a aussi souhaité que cette définition de « motif non inhérent à la personne du salarié » ne soit applicable qu’aux procédures collectives de licenciement pour motif économique et non aux procédures individuelles. Effectivement, cette définition européenne n’a pas été intégrée dans la définition générale du licenciement pour motif économique que l’on retrouve dans le Redundancy Payments Act de 1965. Le droit britannique est donc désormais en conformité avec les directives européennes, mais sa législation manque de simplicité puisqu’il existe deux définitions applicables aux licenciements pour motif économique selon qu’ils soient collectifs ou non.

 

B.    La cause économique du licenciement : une nécessité ?

 

En France, la nécessité d’une cause économique au licenciement pour motif économique se retrouve dans la définition donnée dans l’article L1233-3 du Code du Travail. Cette même notion de cause économique du licenciement se retrouve en droit anglais dans la section 139 de l’Employment Rights Act de 1996. Alors que la loi française fait référence à un licenciement consécutif « notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques », le droit anglais évoque la cessation d’activité, la délocalisation et la diminution ou la disparition du besoin qu’à l’entreprise du travail exécuté par le salarié. Dans les deux cas la liste des causes économiques recevables n’est évidemment pas exhaustive, ce que sous entend clairement l’adverbe « notamment » en droit français. Alors même que ces définitions semblent plutôt semblables à première vue, le juge anglais et français l’interprètent de manières complètement différentes. En France, le juge interprète de manière stricte et avec beaucoup de zèle la réalité des difficultés économiques de l’entreprise. En effet, il est régulièrement rappelé par la cour que les difficultés économiques de l’entreprise doivent être réelles et sérieuses afin de fonder un licenciement pour motif économique (Cass. soc, 12 juin 2001, no 99-41.571). Mais de plus en plus le régime s’assouplit, notamment quand aux modalités de preuve, puis qu’il est désormais admis que l’employeur anticipe simplement une baisse de la compétitivité (C.cass., Ch.Soc., 11 Janvier 2006, Pages Jaunes C/ M. X 05-40977). Mais cela n’est envisageable que lorsque des difficultés futures peuvent par leurs nature mettre en danger l’emploi des salariés. Au Royaume-Uni, même si quelques causes économiques de licenciement sont énoncées par la loi, la section 98 de l’Employment Rights Act estime que d’ « autres raisons substantielles » peuvent constituer des cause économiques de licenciement. Ainsi, dans un arrêt Kingwell and others v Elizabeth Bradley Designs EAT/0661/02, il a été estimé que le licenciement pour motif économique ou « redundancy », était envisageable lors d’une réorganisation de l’entreprise, alors même que l’employeur se trouvait dans une situation financière tout à fait convenable. De plus, le juge anglais démontre dans l’arrêt Chapman & Other vs. Goovean & Rostowrack China Clay Company Limited de 1973, que les conditions énumérées par la section 139 de l’Employment Rights Act doivent quand à elles être interprétées strictement. Ainsi, il semble que la définition du motif économique de licenciement soit, en quelque sorte, adaptée par le juge en fonction des besoins de l’employeur. De plus, cette définition n’apparaît pas comme ayant été rédigée au service des salariés, puisque son interprétation prétorienne n’en fait en aucun cas un outil convenable de protection, les aidants à obtenir l’indemnisation qui leur est due.

 

La définition du motif économique de licenciement voit déjà l’émergence de différences considérables entre le droit français et anglais. Ces divergences peu visibles dans la lettre de la loi, naissent à travers l’interprétation du juge. Nous avons d’un coté le juge anglais qui applique de manière extrêmement libérale une législation en faveur de l’employeur et de l’autre, le droit français, qui tente de trouver un équilibre entre flexibilité et sécurité. Ces différences de législations nationales sont encore plus visibles lorsque l’ont détaille la mise en œuvre de ce régime du licenciement pour motif économique.

 

II.             Les divergences de régimes du licenciement pour motif économique en droit français et anglais 

 

Dans le cadre du régime, parfois brutal, du licenciement pour motif économique, les législateurs anglais et français s’efforcent de limiter le pouvoir de l’employeur (A) tout en octroyant des garanties au salarié licencié (B). Alors que ces idéaux semblent communs, leur mise en œuvre diverge totalement pour donner naissance à deux régimes aux buts distincts.

 

A.    Les limites au pouvoir de l’employeur : de l’illusion anglaise au stricte contrôle français

 

Dans le cadre du licenciement pour motif économique il existe des freins au pouvoir de l’employeur afin d’éviter toute forme d’abus qui puissent être nuisible aux salariés licenciés. L’employeur français lors d’un licenciement de ce type, doit respecter une notion essentielle : le licenciement pour motif économique doit avoir une cause réelle et sérieuse. Le respect de ce concept est mentionné à l’article L1233-3 du Code du Travail. Le juge française se réserve donc le droit d’apprécier la réalité de la cause économique, c’est à dire la réalité des difficultés économiques que traverse l’entreprise. Il s’agit aussi pour le juge d’analyser si la justification du licenciement repose sur une cause sérieuse. La cour doit vérifier que le licenciement pour motif économique est motivé par une volonté de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise. L’employeur doit donc prouver qu’il n’a pas d’autre choix que de licencier son personnel. Ceci est interprété de manière extrêmement stricte par la cour et apparaît donc comme une entrave réelle aux pouvoirs de l’employeur. Il n’existe pas véritablement de procédure similaire au Royaume-Uni, même si l’employeur anglais doit respecter une procédure particulière qui est celle du fair dismissal. Selon cette notion de droit anglais, l’employeur doit se comporter de manière « raisonnable » tout au long de la procédure de licenciement pour motif économique. Pour ce faire il doit remplir certaines conditions énoncées dans la section 98 de l’Employment Rights Act. Le juge a précisé ces conditions notamment dans l’arrêt Chapman & Other vs. Goovean & Rostowrack China Clay Company Limited de 1973. Il est en effet ajouté que l’employeur se doit : d’utiliser un critère de sélection juste dans le choix des salariés à licencier, de notifier les salariés, de consulter les représentants du personnel et de tenter de reclasser ses salariés. Or, par la suite, la jurisprudence s’est montrée de plus en plus flexible envers l’employeur, nous confortant dans l’idée que cette obligation de se comporter de manière raisonnable est illusoire. En effet, en ce qui concerne la sélection des salariés à licencier et l’utilisation d’un critère juste, il est estimé dans l’arrêt Thomas and Betts Manufacturing Ltd v Harding (1980, IRLR 255, CA) que les employeurs ont simplement besoin de démontrer qu’ils ont agi selon des « motifs sincères ». Le juge anglais ajoute dans un arrêt British Aerospace plc v Green and ors (1995 ICR 1006, CA) que les employeurs jouissent d’un large pouvoir d’appréciation dans le choix de leur méthode de sélection des employés à licencier et que le tribunal n’est habilité à intervenir que lorsque ceux-ci ont clairement agi de manière irraisonnable. Cette obligation de l’employeur d’agir de manière raisonnable tout au long de la procédure de licenciement est donc contrôlée par la cour de manière assez laxiste. 

 

B.    Les garanties du salarié licencié : un contraste saisissant entre la conception française et le régime anglais

 

En droit français, le législateur et le juge ont toujours mis un point d’honneur à octroyer des garanties, qu’ils estiment essentielles, au salarié licencié pour motif économique. Tout d’abord, tout salarié doit être convoqué par son employeur à un entretien préalable. On retrouve cette obligation dans l’article L 1232-2 du Code du Travail. De plus, tout salarié licencié dispose d’un droit à être notifié de ce même licenciement par le biais d’une lettre recommandée énumérant les motifs économiques du licenciement. Le législateur entérine ce droit dans l’article L 1233-16 du Code du Travail. Ces garanties octroyées à l’employé licencié sont particulièrement chères au juge français qui interprète ces droits de manière extrêmement stricte dans de nombreux arrêts (Soc. 20 janv. 1993, no 91-41.931 Bull. civ. V, no 17, Soc. 19 févr. 2002, no 00-40.576). En ce qui concerne le droit anglais, les choses sont tout autres. Dans un arrêt Polkey v AE Dayton Services Ltd (1998 ICR 142, HL) Lord Bridge estime qu’un licenciement et donc un licenciement pour motif économique raisonnable, intègre une convocation à un entretien préalable. Mais il est par la suite expliqué dans cette même décision, que si l’employeur décide de manière raisonnable, au vue des circonstances, que cet entretien préalable est inutile, celui ci agirait alors de manière tout à fait raisonnable en ne convoquant pas le salarié. Cette décision qui, en droit français serait probablement qualifiée d’aberrante, est justifiée en droit anglais par la flexibilité et la simplicité nécessaire à l’employeur afin de maintenir l’activité de son entreprise. La consultation des représentants du personnel est un droit, lui aussi considéré comme essentiel par le droit français. Cette obligation de consultation s’applique en droit français en cas de licenciement individuel, lorsqu’un accord de branche le prévoit et dans tous les cas de figure lorsque le licenciement pour motif économique est collectif. En droit anglais la section 188 du Trade Union and Labour Relations Act de 1992 expose l’obligation de l’employeur de consulter les représentants du personnel en cas de licenciement collectif. En effet, cette obligation n’existe pas en cas de licenciement pour motif économique individuel. Bien que la loi anglaise consacre la consultation des représentants du personnel comme une obligation à la charge de l’employeur ainsi qu’une garantie du salarié, une décision de la Cour d’Appel vient contredire cela. En effet, selon l’arrêt Williams and ors v Compair Maxam Ltd (1982 ICR 156 EAT) la non consultation des représentants en cas de licenciement collectif ne permet en aucun cas de qualifier le licenciement en lui même d’ « unfair ».

En matière de licenciement pour motif économique, nous faisons donc face à un droit anglais mettant l’accent sur la flexibilité des entreprises et ce, au détriment de la sécurité des employés. Le droit français, quant à lui, quitte progressivement l’héritage selon lequel le licenciement pour motif économique doit être évité à tout prix, pour se rapprocher d’un modèle plus anglo-saxon. Malgré tout, le juge comme le législateur français mettent toujours un point d’honneur à maintenir certaines garanties au bénéfice du salarié licencié ;  des garanties considérées comme essentielles. Alors que la crise économique est aujourd’hui mondiale, il est malheureusement évident que chaque Etat applique un droit et un régime de licenciement pour motif économique qui lui est propre.

 

Bibliographie

 

Droit français

 

·      J. Audinet, « Le licenciement du salarié en droit comparé », Revue internationale de droit comparé, volume 18, n°2, pp 365-391

·      A. Fiorentino, « Le motif économique de licenciement », Revue de droit du travail, 2010, p 736

·      T. Brill-Venkatasawmy, « La procédure de licenciement en droit anglais », Revue de droit du travail, 2010, p 535

·      A. Poirier, « Commentaire d’arrêt : Chapman v Goonvean 1973 », 2013, Blog de droit du travail M2BDE

·      A-C. Monkam, G Saincaize, « Les licenciements économique en Angleterre et en France », Semaine Sociale Lamy,  6 mai 2013, n°1583

 

·      E. Detrez, La protection du salarié face au licenciement, étude comparé des droits du travail français, allemand et britannique : des garanties identiques ?, Mémoire de fin d’études, 2005

·      S. Frossard, « Licenciement pour motif économique », Répertoire de droit du travail, Dalloz, janvier 2008

·      Licenciements collectifs pour motif économique, DARES, aout 2002, n°35.3

 

·      http://travail-emploi.gouv.fr/

 

·      Code du Travail, version consolidée au 14 octobre 2013

 

·      Cass. soc, 12 juin 2001, no 99-41.571

·      C.cass., Ch.Soc., 11 Janvier 2006, Pages Jaunes C/ M. X 05-40977

·      Soc. 20 janv. 1993, no 91-41.931 Bull. civ. V, no 17

·      Soc. 19 févr. 2002, no 00-40.576

 

Droit anglais

 

·      H. Derbyshire, S. Stein, « Collective dismissals in Europe : Changes in France and the United Kingdom », June 2013

·      D. Storrie, Collective dismissals in Belgium, France, Germany, Sweden and the UK : some legal, institutional and Policy perspectives, 2007, Monitoring Innovative Restructuring in Europe

 

·      S. Brittenden, Redundancy, Insights, Westlaw UK, 2013

·      J. Eady, Employment Law, Insights, Westlaw UK, 2013

 

·      http://www.acas.org.uk/

 

·      Trade Union and Labour Relations Act de 1992

·      Redundancy Payments Act de 1965

·      Employment Rights Act de 1996

 

·      Kingwell and others v Elizabeth Bradley Designs EAT/0661/02

·      Chapman & Other vs. Goovean & Rostowrack China Clay Company Limited de 1973

·      Thomas and Betts Manufacturing Ltd v Harding (1980, IRLR 255, CA)

·      British Aerospace plc v Green and ors (1995 ICR 1006, CA)

·      Polkey v AE Dayton Services Ltd (1998 ICR 142, HL)

 

Droit européen

 

·      Directive 75/129/CEE du Conseil, du 17 février 1975, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs, JO L 48 du 22.2.1975, p. 29–30

·      Directive 98/59/CE du Conseil du 20 juillet 1998 concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs, JO L 225 du 12.8.1998, p. 16–21