LE SALAIRE MINIMUM EN ESPAGNE - Par Florent Boussendorffer

 


Quelle que soit la dénomination empruntée par chaque pays, le salaire minimum est souvent révélateur de la situation économique d’un pays. Ce faisant, il peut nous indiquer beaucoup sur le pouvoir d’achat d’une population nationale.

Les espagnols le connaissent sous le nom de SMI ou salaire minimum interprofessionnel (salario mínimo interprofesional). A l'exception des anciens pays du bloc de l'Est, l'Espagne est un des pays qui a le salaire minimum le plus bas de l'Union européenne, avec le Portugal, la Grèce et Malte.


Tout comme en France ou il apparaît sous le nom de salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC), il est la rémunération légale minimum que doit percevoir un salarié, sans distinction de sexe ni d’âge (particularité espagnole concernant l’âge que développerons à postériori) sachant que ledit SMI est toujours relatif à une journée légale de travail.


Dans cette étude comparative une question apparait d’emblée : Même si cette définition du salaire minimum nous apporte une première similitude et qu’il s’agit d’une institution bien ancrée dans le système et les mœurs de chaque Pays, en est-il de même d’un point de vue rémunératoire, structurel et fonctionnel ? le SMI en France a t-il le même poids qu’un SMIC en Espagne ?


Dans un premier temps nous ferons un tour d’horizon des salaires minimums en Europe ce qui nous permettra de faire un point sur les différences entre le SMI ET LE SMIC (I).Ensuite nous aborderons les points essentiels de la conception du salaire minimum espagnol étudiant tour à tour son régime dans la loi,  les facteurs permettant son calculs, ainsi que sa réelle fonction sur les salariés espagnols (II)


 



  1. COMPARAISON DES MONTANTS : UN SALAIRE MINIMUM ESPAGNOL FAIBLE.

 


Introduisons tout d’abord le sujet en précisant que comme l’Espagne et la France font parti de la zone euro, cela nous facilitera la tâche dans cette optique de comparaison des deux législations à l’égard du salaire minimum. Il sera mis en exergue à la suite de cette étude un SMI particulièrement faible par rapport au SMIC français (A). Toutefois, 3 nouveaux éléments viendront s’ajouter et atténuer les données obtenues (B).


 



  1. UN ECART CONSEQUENT ENTRE LE SMIC ET LE SMI.

 


La Comparaison sur une base mensuelle, du niveau minimum brut de droit commun conduit à distinguer trois catégories de pays :


 



  • celle des nouveaux adhérents à l’exception de la Slovénie et de Malte ou les salaires minimums sont les plus bas en Europe.

 



  • Celle des pays intermédiaires, dont fait parti l’Espagne avec pour salaire mensuel minimum la somme de 633,30 euros correspondant à 21,11 euros journaliers.

 


 


Année    SMI / journée   SMI / mois


----   -------   --------


2002   14,74 €   442,20 €


2003   15,04 €   451,20 €


2004   15,35 €   460,50 €


2005   17,10 €   513,00 €


2006   18,03 €   540,90 €


2007   19,02 €   570,60 €


2008   20,00 €   600,00 €


2009   20,80 €   624,00 €


2010   21,11 €   633,30 €


 


Précisions:


- SMI 2010 pour les travailleurs a mi temps : les salariés travaillant à mi-temps ou les salariés occasionnels, dont les services pour une même entreprise n’excèdent pas 20 jours, seront rémunérés au moins 30 euros/jour.


-SMI 2010 pour les employés de maison : la somme minimale établie par la loi quant à leur rémunération est de cette catégorie de salarié est de 4,96/heure.


 



  • Celle des pays ou le seuil de 1000 euros par mois est dépassé. Tel est le cas pour la France dont la valeur du SMIC brut est portée depuis le 1er Janvier 2010 à 8.86 euros par heure soit pour un travail à temps plein de 151,67 heures. (semaine de 35 heures), 1343,77 € brut mensuel, ce qui correspond à 1055,42 € net.

Cependant, voyons dès à présent que cette étude comparative est à relativiser vu que   3 éléments conduisent à atténuer la portée de ces écarts.


 


            B. ATTENUATION DES ECARTS.


 


-Tout d’abord en tant que premier élément, on retrouve le Standart de Pouvoir d’Achat : en effet l’écart peut diminuer en fonction de la « parité de pouvoir d’achat ». Le « SPA » est une monnaie artificielle dont le but est de faire apparaître les écarts entre les niveaux de prix  nationaux laquelle ne reflètent pas les taux de change et nous permet de faire des comparaisons significatives d’indicateurs économiques en volume entre les pays.


 


 


 SMIC                                                                 ESPAGNE                                           FRANCE
















 


SMIC BRUT MENSUEL en 2010


                         


                              633


                  


                           1343,77 € *


 


SMIC BRUT MENSUEL en juillet 2006


                      


                             570,60 €


                            


                            1.254,58 *


 


Salaire mensuel minimum exprimé en SPA en juillet 2006


 


                             724 €


                          


                            1.150 €*


 


 


* (semaine de 35 heures)


 


Aux vues du tableau ci-dessus, on remarque que les écarts de niveau de salaires minimums mensuels sont sensiblement plus faibles en termes de salaires exprimés en SPA même si on constate que ledit écart reste conséquent entre le SMI (Espagne) et le SMIC (France).


 


-Ensuite, il faut se référer à la proportion des salariés travaillant à plein temps et gagnant le salaire minimum. Concernant la masse de salariés percevant le salaire minimum interprofessionnel, le pourcentage est peu élevé en Espagne : seulement 0,8% des salariés sont concernés. Comparativement, au 1er juillet2008, il y avait 3,37 millions de « smicards » en France, représentant 17% des salariés : La France compte à ce jour le plus fort pourcentage de « Smicards » en Europe.


 


- Enfin, le niveau du salaire minimum est d’autant moins éloigné de la moyenne des gains bruts mensuels dans l’industrie et les services, que son niveau est élevé. A titre d’exemple, il représente 37% en Espagne[PL1] .(données issue du -        Comuniqué de presse d’EUROSTAT du 18 février 2010) .


 


Après avoir fait un petit tour d’horizon des différences de montant entre les salaires minimums espagnols et français deux remarques nous viennent à l’esprit. Premièrement l’étude comparative révèle un écart élevé en terme de montant entre les deux salaires minimums et ce même atténué par les éléments vus auparavant. Cependant l’instituions en Espagne n’est pas aussi répendue qu’en France et n’a pas le même poids ce qui fait au final qu’elle ne touche pas le même nombre de personnes dans les deux Etats. Dans la deuxième partie de cet article, penchons nous maintenant un peu plus sur la conception du salaire minimum en Espagne.


 



  1. LA CONCEPTION DU SMI EN ESPAGNE : AVANT TOUT UN INDICATEUR ECONOMIQUE.

Du point de vue de l’élaboration normative, le SMI tout comme le SMIC, résultent tout deux de dispositions légales (A). Nous verrons à la suite de celui quelles sont fonctions particulières du salaire minimum espagnol qui révèlent qu’au delà de l’exigence d’un salaire-plancher, le SMI sert d’indicateur économique dans de nombreux calculs (B).


 



  1. RÉGIME DU SMI

 



  1. Constitution espagnole (article 35.1 et 131) et jurisprudence

 


Le droit pour tout citoyen espagnol à une rémunération décente et la faculté pour le gouvernement d’établir une planification économique à ce sujet est garanti par les articles 35.1 et 131 de la constitution espagnole.  L’Etat est donc habilité à fixer un paramètre légal concernant la détermination des salaires.


L’arrêt 31/2004 du Tribunal Constitutionnel qualifie le  SMI d’institution répondant aux valeurs supérieures de Justice et d’égalité défendues par un Etat Social Démocratique de droit.


L’arrêt 13-4-1989 du Tribunal Constitutionnel quant à lui, soutient que le SMI est un revenu minimum en tant que seuil irréductible, un taux légal uniforme consistant à rémunérer une prestation de service dans le milieu du travail. 


 



  1. Article 27 du statut des travailleurs et décret royal législatif 2128/2008 du 26 décembre

 


C’est l’article 28 LRL (loi des sociétés à responsabilité limitée)qui a fixé l’obligation de fixer annuellement un salaire minimum sur le territoire ibérique.


 


En Espagne, l’article 27 du statut des travailleurs dispose que le montant du SMI  est fixé chaque année par le Gouvernement à travers la publication d’un Décret royal législatif. Quant à la détermination de celui-ci, on tient en compte les critères suivants :



  • L'indice de prix à la consommation.

  • La productivité moyenne nationale

  • Le développement de la participation du travail dans le revenu national

  • La situation économique générale. 

 


En France, les facteurs sont sensiblement les mêmes. En effet, conformément aux principes fixés par le code du travail à article L. 3231-6 et suivants,l’évolution du minimum horaire brut repose sur un double mécanisme:



  • L’indexation en fonction de l’indice national des prix à la consommation (hors tabac) des ménages urbains dont le chef est ouvrier ou employé augmentée de la moitié de l’évolution du pouvoir d’achat du taux de salaire horaire de base ouvrier (SHBO) ( possibilité avec la possibilité pour les pouvoirs publics de décider d’une revalorisation supplémentaire appelée « coup de pouce ») : si l’indice connaît une hausse d’au moins 2%, le SMIC est alors relevé dans la même proportion à compter du premier jour du mois qui suit la publication de l’indice.

  • La prise en compte de la croissance : chaque année le gouvernement après consultation et avis motivé de la Commission nationale de la négociation collective, fixe par décret en Conseil des ministres le nouveau taux du SMIC au 1er janvier.

Au final, alors que l’article 27.1 du statut des travailleurs développe la structure du concept de SMI, la mise en place et l’articulation concrète de celui-ci sont explicitées par les Décrets dits « Décrets Royaux Législatifs ». Le dernier en date est le décret Royal législatif 2128/2008 du 26 décembre qui suit une longue série initiée par le décret du 17 janvier 1963.


 


Comme vu précédemment, même si à peine quelques centaines de milliers de travailleurs touchent le salaire Minimum interprofessionnel en Espagne, le SMI a cette particularité de servir de référence pour une multitude de calculs sous forme indirecte et c’est de là qu’il tire sa plus grande utilité dans la législation espagnole.


 



  1. MULTIFONCTIONNALITE DU SMI

 


            a- SMI en tant que rémunération


 


Le SMI joue deux rôles primordiales : il garantie une progression constante des salaires les plus bas et permet d’égaliser au minimum les rémunérations de tout secteur et toute catégorie professionnelle confondu.


A titre d’exemple, plutôt surprenant à bien des égards, les contrats de stage (d’apprentissage) ou de professionnalisation ne peuvent pas faire l’objet d’une rémunération en dessous du seuil du SMI. Aussi et vu que la loi ne fait pas de distinction d’âge, les mineurs sous contrat eux aussi ne peuvent faire l’objet d’une rémunération inférieure au SMI.


La situation sur ces deux points est quelque peu différente en France puisque le SMIC lie tous les travailleurs quelque soi le sexe sauf ceux liés par un contrat d’apprentissage ou par un contrat de professionnalisation âgés de moins de 18 ans qui subissent un abattement sur le SMIC.


 


Bien évidemment, la France évoluant dans la même logique, ni la convention collective, ni contrat individuel ne peuvent déroger au SMIC dans un sens défavorable au salarié.


 


            b- SMI en tant que référence pour différents calculs


 


Comme évoqué un peu plus haut, le droit espagnol attache une importance toute particulière au SMI en tant qu’indicateur économique bien plus qu’en tant que rémunération minimale.


À l’origine, le SMI accomplissait même des fonctions qui n’étaient pas strictement lié aux relations de Travail.


Ceci étant, l’apparition d’un indicateur économique appelé « indicateur Public des revenus a effets multiples » ou IPREM a changé la donne et a réduit considérablement le champ d’application du SMI. .


SMI  est lié entre autre et à titre d’exemple, dans le calcul des concepts suivants :



  • les garanties, privilèges et préférences de salaire

  • les bases minimums de cotisation

  • les conditions requises pour avoir droit aux pensions de retraite, aux allocations familiales.

  • Les conditions requises pour bénéficier ou continuer à bénéficier des allocations chômages.

  • La Somme maximale de l’acompte qu’est en droit de recevoir le salarié qui a obtenu en sa faveur un jugement (une décision de justice) condamnant le chef d’entreprise à rembourser une certaine somme et contre lequel un recours a été porté.

  • La rémunération des salariés déclarés atteint d’une d’incapacité partielle permanente et qui réincorporent l’entreprise.

 


CONCLUSION


 


Au final les deux institutions présentent des points communs au niveau de la structure puisque les deux sont régis par la loi. De plus tout deux se calculent à partir des mêmes facteurs économiques ;


Des variantes cependant découlent de la période de travail concernée par le salaire minimum : En Espagne, le salaire minimum est convenu sous la forme d'un taux mensuel. En revanche, en France le salaire minimum est fixé à un taux horaire ce dernier étant de 35 h/semaine (alors qu’en Espagne une semaine à temps pleins équivaut a 40H/semaine).


 


De même, le SMI présente de grosses divergences concernant sa fonctionnalité en plus de sa faible rémunération. En effet, tandis que la France possède un des plus grands systèmes de sécurité sociale avec le plus haut degré de protection des travailleurs grâce en partie à son SMIC actuel, le SMI se présente davantage comme un indicateur économique. Ceci a longuement porté préjudice aux salariés espagnols peu touchés par et peu rémunérés par celui-ci, vu que le SMI allait même jusqu’à servir de référence pour des calculs qui sortaient du champ du droit du travail. Point positif à noter cependant : Le SMI avait a subi une augmentation de 200 euros en l’espace de 3 ans entre 2004 ET 2007.


En conclusion, tant par le montant que par sa diffusion et fonctionnalité envers les salariés espagnols, le SMI n’a pas le même poids qu’un SMIC érigé en tant que protecteur ultime des salariés français.


 


Nous finirons cet article comparatif sur deux ouvertures :


 


- La première: e concerne l’avenir du SMI en Espagne. En effet, en octobre 2009, le chef du gouvernement espagnol M. Zapatero avait promis d’augmenter le salaire minimum à 800 euros par mois en cas de réélection. La promesse cependant ne fut pas tenu une fois réélu et ce en grande partie à cause de la grave crise économique que connait l’Espagne actuellement et qui freine considérablement son expansion jusqu’à là très régulière aux vues de son PIB


Fin 2010, le conseil des ministres en Espagne a approuvé une augmentation du salaire minimum interprofessionnel espagnol de 1,3% pour l’année 2011, ce qui entraîne donc une augmentation de 8,2 euros par mois portant le SMI au montant de 641.40 euros soit  21,38 euros par jour.


Selon le chef du gouvernement, José Luis Rodríguez Zapatero, il s’agit là d’un effort spécial et singulier du gouvernement traduisant une certaine sensibilité envers les revenus les plus faibles.


En France, le SMIC va passer à 9 euros l’heure et progresser donc d’1,6 % soit 1 365 euros bruts par mois.


Depuis le 1er janvier 2010, le salaire minimum s'élève à 8,86 euros de l'heure, soit 1 343,77 euros bruts mensuels (ou 1 056 euros net environ) pour 35 heures hebdomadaires. On voit que la progression en termes de pourcentage est légèrement supérieure en France, moins touchée à l’heure actuelle par la crise économique que l’Espagne pour qui cela marque un un coup d’arrêt dans l’évolution constante et grandissante de ce même pourcentage dans les années précendentes.


Au final  même si ce geste de solidarité de la part du gouvernement est encouragent pour la situation critique du système économique espagnol, il n’en reste pas moins décevant si on se réfère aux promesses de Zapatero au début de son mandat et même inquiétant puisque le pays affiche toujours le taux de chômage le plus élevé en Union européenne, soit quasiment 20%. De plus, si on compare le SMI espagnol avec le salaire minimum français, par rapport au revenu moyen par habitant, on peut constater que le salaire minimm espagnol brut devrait être quasiment le double de l’actuel.


Enfin, l’actuel salaire minimum espagnol est trop près du seuil de pauvreté.


 


- La seconde ouverture portera sur une réflexion à propos de la création hypothétique d’un SMIC unique européen. Est-ce un projet réalisable ? Même si nombreux sont ceux qui spéculent en ce moment à propos d’un SMIC unique européen, nous sommes encore très loin de là. En effet même si nous rêvons d’une Europe politiquement unie à tous les niveaux, il faudrait unifier les rémunérations,  le coût de la vie, le pouvoir d’achat ce qui parait presque utopique. L'écart entre les montants proposés par les différents salaires minimums est tellement important qu'il ne permettrait pas de fixer un montant unique pour le salaire minimum européen sans perturber gravement les économies d'un certain nombre d'Etats membres. Ainsi, le salaire minimum européen n’a d’avenir  que s'il prend en compte la situation économique de chaque pays de l’Union Européenne.


Néanmoins un porte d’entrée à une hypothétique création d’une telle invention européenne subsiste et pourrait surmonter les difficultés évoquées plus haut : il s’agirait de créer un salaire minimum européen fixé au regard du salaire médian de chaque Etat membre et qui respecterait la diversité européenne tout en assurant une protection sociale certaine à l'ensemble des travailleurs européens. Enfin n’est t-il point envisageable une harmonisation du salaire minimum par l’attribution d’une valeur relative fixée au regard du seuil de pauvreté ?


 


BOUSSENDORFFER Florent


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            BIBLIOGRAPHIE


 



  • Memento practico SOCIAL de 2010, Francis Lefebvre

  • Précis de droit du travail, 2010

  • Journal digital en date du 24/10/2007, El actual salario mínimo en España es casi la mitad que el de la media europea.

  • Quotidien público en date du 30/12/2010 El Gobierno aprueba subir el salario mínimo un 1,3% para 2011.

  • Le Journal Le Parisien du 14 décembre 2010, Le Smic passerait en 2011 à environ 9 euros de l'heure, sans "coup de pouce".

Donnée basées sur les études faites par EUROSTAT (Commission Européenne) en 2007, mises à jour pour les plus récentes (années 2010,2011) :