Les « anti-suit injonctions » au sein de l’Europe : la position des Juges anglais dans l’arrêt Airbus Industrie GIE v. Patel - Par Marie Parkinson

Cet arrêt présente l’opinion des juridictions britanniques sur l’intégration de la Convention de Bruxelles portant sur la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matières civiles et commerciales. Il est notamment intéressant de voir comment les juges anglais tentent de justifier et de préserver l’existence de procédure tel que les anti-suit injonctions visiblement opposées au droit Européen.

INTRODUCTION : Dans l’arrêt Airbus Industrie GIE v. Patel rendu par la Chambre des Lords en 1998 la question qui s’est posée était de savoir si les juges allaient ordonner un «anti-suit injonction». Il s’agit de la procédure qui permet de demander au juge anglais d’enjoindre la partie adverse de ne pas introduire, ou de retirer, une procédure introduite devant un juge étranger (D. McClean and K. Beevers, “ The Conflict of Law” ( Thomson, London, Sweet and Maxwell LTD, 6th ed. 2005)). La possibilité pour les juges anglais de restreindre une procédure a débuté au début du dix-neuvième siècle quand la « Court of Chancery » a accordé une injonction permettant de restreindre une procédure en Common Law. Cette compétence des juges anglais est maintenant reconnue dans l’article 37, paragraphe 1 du « Suprême Court Act » de 1981. Il est difficile de d’établir des règles stricts sur les situations où les tribunaux peuvent intervenir. En général l’injonction sera prononcée lorsque certains droits légaux ou équitables sont en jeu. Une injonction interdisant une procédure à l’étranger est probablement le mode de réparation le plus puissant que les juges anglais ont à leur disposition lorsqu’ils sont en charge d’un litige portant sur la juridiction compétente ( C. Ambrose, « Can anti suit injonction survive the European Community Law » Avril 2003 International and comparative law quarterly). Le droit anglais en matière d’« anti-suit injonction » est soumis à de nombreuses tensions. La justice parfois garantie la protection des défendeurs en ordonnant au demandeur de renoncer à une procédure devant une juridiction étrangère. Mais cela oblige les juridictions britanniques à intervenir dans les affaires du forum étranger (R. Fentiman, « Comity and anti-suit injunctions » 1998 The Cambridge Law Journal-Case and Comment). Ce mode de réparation est d’ailleurs devenu de plus en plus controversé du fait que cela semble évident que cette procédure est incompatible avec la convention de Lugano dans son article 6 ainsi qu’avec la convention de Bruxelles portant sur la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matières civiles et commerciales ( C. Ambrose, « Can anti suit injonction survive the European Community Law » Avril 2003 International and comparative law quarterly). Cette convention a par la suite été remplacée par le règlement Bruxelles I (No 44/2001 du 20 décembre 2000), notamment l’article 21 portant sur les actions identiques devant des tribunaux de différents Etats membres. Une telle injonction étant vue comme une interférence avec la juridiction étrangère, les juges anglais ont donc toujours essayé d’appliquer ces injonctions avec autant de précaution que possible (D. McClean and K. Beevers, “ The Conflict of Law” ( Thomson, London, Sweet and Maxwell LTD, 6th ed. 2005) ). Cependant, il ne semble pas que les tribunaux britanniques souhaitent renoncer à leur pouvoir discrétionnaire. Ceci est notamment dû au fait que cette procédure est un des moyens à leur disposition pour lutter contre le forum shopping. Dans quelle mesure ces injonctions peuvent être compatibles avec le droit européen ? Les juges de la chambre des Lords, dans l’arrêt Airbus, ont tenté de justifier cette compatibilité. Nous verrons notamment quel sont les arguments des juges anglais ainsi que ceux des juges européens. Il est également important de voir quelles sont les différentes approches entre les pays civilistes et ceux du Common Law.

Les faits de l’arrêt : Les faits de l’arrêt sont les suivants. Un Airbus 320 s’est écrasé en Inde. Construis par Airbus Industrie en France, il était utilisé exclusivement pour des voyages internes. Les familles des victimes ont entamé une action au Texas, ayant choisi l’Etat du Texas aux Etats-Unis en raison des règles très stricts en matière de responsabilité qui leur assurait, pratiquement avec certitude, un succès. De plus, ils auraient probablement reçu des « punitive damages ». Une procédure en Inde aurait probablement échoué du fait que les demandeurs avaient l’obligation de prouver la faute.( D. McClean and K. Beevers, “ The Conflict of Law” ( Thomson, London, Sweet and Maxwell LTD, 6th ed. 2005) ).

La procédure de l’arrêt : Les tribunaux indiens ont accordé une «anti-suit injonction » mais celle-ci ne pouvait pas être imposée en Angleterre, où les demandeurs résidaient. Ainsi, les défendeurs ont demandé qu’une injonction similaire soit ordonnée par les juges anglais. La question que les juges anglais ont dû se poser était de savoir s’il pouvait autoriser une telle injonction, malgré le fait qu’aucune procédure n’aurait lieu en Angleterre, le forum naturel étant l’Inde. (D. McClean and K. Beevers, “ The Conflict of Law” ( Thomson, London, Sweet and Maxwell LTD, 6th ed. 2005). La cour d’Appel en 1996 a accordé une injonction dans cette affaire mais il n’y avait aucun précédent. Dans tous les arrêts antérieurs, il y avait une interrelation entre la procédure britannique et la procédure étrangère. Cependant, la cour d’appel a statué que les tribunaux anglais pouvait utiliser leur pouvoir discrétionnaire pour autoriser une injonction afin d’empêcher qu’une injustice soit commise en permettant à la partie concernée de continuer la procédure lorsque ceci est devant une juridiction incompétente. Cette décision de la Court d’appel a été rejetée par la chambre des Lords. En effet, La chambre des Lords n’a pas souhaité étendre la possibilité d’une « anti-suit injonction » à ces circonstances. Cependant, l’arrêt semble laisser la porte ouverte. En effet, il a été admis que, dans certaines « circonstances extrêmes », lorsqu’un Etat exerce sa juridiction de telle manière que cela prive la juridiction du respect auquel elle a normalement droit. Le refus par l’Etat du Texas de soulever l’exception du forum non convenience n’a pas été jugé comme suffisamment extrême pour justifier qu’une injonction soit prononcée. (M. Palomba, International Commercial Litigation Fevrier 1997)

Conditions pour l’obtention d’une anti-suit injonction : Afin d’obtenir une injonction qui va restreindre la procédure à l’étranger, le plaignant doit démontrer que le défendeur a agi en violation d’un contrat en commençant la procédure dans une autre juridiction que celle autorisée par le contrat. Une telle injonction sera accordée si les dommages et intérêts ne sont pas un mode de réparation adéquat. Les juges anglais vont prendre en considération les circonstances de cette affaire : - Dans quel pays les évidences sur les questions relatives aux faits sont situées ou d’avantage accessible, et l’effet que cela va avoir sur la convenance ou le coût du procès au tribunal anglais par rapport avec le tribunal étranger. - Est-ce que la loi étrangère s’applique et si oui, en quoi est-il différent du droit anglais - Quel pays est connecté à l’affaire ou lequel a les liens les plus étroits - Si le défendeur veut simplement un procès dans un pays étranger ou s’il cherche à obtenir des avantages à travers cette procédure à l’étranger. (M. Palomba, International Commercial Litigation Fevrier 1997) Les anti-suit injonctions permettent au tribunal de protéger sa propre compétence en empêchant l’une des parties de poursuivre la procédure à l’étranger. Il semble que dans l’arrêt Airbus Industrie la chambre des Lords a décidé que les tribunaux anglais ne devraient pas «agir comme s’ils étaient une police internationale » en accordant une telle injonction et ne devrait agir que si le tribunal britannique a un intérêt suffisant dans l’affaire(International Law association london conference 2000 committee on internation civil and commercial litigation).

Quel mécanisme similaire dans les pays civiliste Si les juges français s’interdisent toute injonction de ce style, ils ne sont néanmoins pas pour autant totalement désarmés face à des décisions étrangères rendues par des tribunaux qu’ils estiment manifestement incompétents. Ils ne réagiront que sur le terrain de la reconnaissance et de l’exécution en France de la décision étrangère : ils refuseront à cette décision tout effet en France s’ils estimaient que le juge étranger n’était pas doté de compétence directe . Il s’agit de la demande d’exéquatur de la décision en France. L’arrêt Munzer (Civ. 1ère, 7 Janvier 1964) a énoncé cinq conditions nécessaires : le juge étranger devait être compétent pour rendre cette décision, la procédure devant la juridiction étrangère doit être régulière, le choix de la loi doit être conforme au règle de conflit de loi française, la décision doit également être conforme à l‘ordre publique international et il ne doit pas y avoir de fraude à la loi. Cependant, si une partie préfère une juridiction étrangère parce que la loi y est d’avantage favorable, la juridiction étrangère se déclare compétente et il n’est pas nécessaire d’exécuter cette décision en France alors l’autre partie n’aura aucun recours. ( B. Audit, Droit International Privé, ( Economica, 2ème ed. 1997)) L’injonction est-elle contraire aux conventions européennes : l’approche des juges anglais dans l’arrêt Airbus

L’arrêt se concentre sur la question de savoir quel est le lien qui lie le tribunal aux litiges. Cependant la véritable question qui se pose est de savoir si un tribunal, peu importe l’intérêt qui le lie à l’affaire, est autorisé à déterminer si une procédure à l’étranger est acceptable (R. Fentiman, «  Comity and anti-suit injunctions » 1998 The Cambridge Law Journal-Case and Comment). La chambre des Lords a alors essayé de justifier l’injonction en disant qu’elle ne visait pas la juridiction étrangère mais les individus. Ceci pour éviter que l’injonction ne soit considérée comme contraire au droit européen ( C. Ambrose, « Can anti suit injonction survive the European Community Law » Avril 2003 International and comparative law quarterly). Cependant, cet argument ne semble pas être acceptable puisque une telle injonction résultera forcement dans une interférence avec les tribunaux étrangers. De plus, ces injonctions créent une multiplicité de procédures et des inconsistances entre des décisions portant sur la même affaire. (M. Palomba, International Commercial Litigation Fevrier 1997)

Les différences entre les approches civilités et anglophone décris dans l’arrêt Airbus industrie DIE v Patel:

Lord Goff dans cet arrêt, afin de justifier cette contradiction avec la convention, a considéré que la convention avait pour but d’éviter les clashes entre la juridiction des Etats contractants et est complètement séparée de la position adoptée entre les pays de Common Law dans des affaires ou la convention ne s’applique pas. Selon lui, la convention permettrait d’éviter les surprises en donnant un certain niveau d’uniformité mais au prix de quelques résultats qui peuvent être jugés comme inéquitable ou injuste. Alors que dans le système de Common Law, les injonctions permets aux juges d’obtenir un résultat plus juste malgré le fait que le système juridique est une véritable « jungle » ( C. Ambrose, « Can anti suit injonction survive the European Community Law » Avril 2003 International and comparative law quarterly).

L’arrêt Turner v : quel future en Europe pour l’anti-suit injonction :

Un des arrêt postérieur à l’arrêt Airbus Industrie GIE, est l’arrêt de la chambre des Lords (13 Décembre 2001) Turner v Grovit :une question préjudicielle a été posée à la cour de justice des communautés européennes: Est-ce inconsistant avec la Convention européenne sur les juridictions et l’enforcement des jugements en matière civil et commerciale du 27 Septembre 1968 pour les tribunaux britanniques d’ordonner un « restraining orders » à l’encontre du défendeur qui menaçait de commencer un procédure légal devant les tribunaux d’un autre Etats membre lorsque les défendeurs agissent de mauvaise fois, avec l’intention et dans le but de faire obstruction à la procédure devant les juridictions britanniques ? La position retenue par les conventions européennes Le terme anti-suit injonction peut être déroutant du fait qu’il sous entend qu’une tel injonction retire par préemption la juridiction d’un autre tribunal. Ceci est interdit, d’après l’article 21 de la convention de Bruxelles (Steven bartels “House of Lords 13 December 2001- Turner v Grovit and others » 2004 the European Legal Forum – Case Law).L’arrêt Turner v Grovit ne porte pas sur le commerce international ; cependant la question préjudicielle, portant sur la convention de Bruxelles et son application, aura un impact sur les litiges de commerce international. La cour européenne a répondu que « la convention est nécessairement basé sur la confiance que chaque Etat membre accorde aux système légaux et judiciaires de l’autre. C’est ce respect mutuelle qui a permis d’établir un système judicaire d’application direct, auquel les tribunaux d’Europe doivent respecter, et parallèlement les Etat ont renoncé à leur droit d’appliquer leurs règles légales en matière de reconnaissance et exécution des décisions en faveur d’un mécanisme simplifié. » Toute injonction qui interdit à un plaignant d’introduire une action devant une autre Etat membre doit être considérée comme une interférence avec la compétence d’un tribunal étranger, ce qui est, en tant que tel contraire avec le system de la convention. D’après de nombreux auteurs anglais, comme d’autres procédures contraire aux conventions européennes, les anti-suit injonctions seront applicables lorsque le litige concerne un Etat non membre de la convention. (D. McClean and K. Beevers, “ The Conflict of Law” ( Thomson, London, Sweet and Maxwell LTD, 6th ed. 2005). Cependant, on peut noter que La situation des anti-suit injonctions est proche de celle du « forum non convenience ». Les juges anglais, afin de préserver cette procédure avaient considéré qu’elle ne contredisait pas la convention européenne lorsque le litige concernait l’Angleterre et un pays tiers. Cependant cet argumentation a été rejetée par la CJCE dans l’arrêt Owusu v Jackson ( C-281/02 premier Mars 2005). Ainsi, malgré le fait que la question posée par la chambre des Lords ne couvrait pas ce problème, il semble peut probable que les anti-suit injonctions pourront être prononcées lorsque le litige concerne une procédure dans un Etat tiers. Conclusion Encore une fois, l’Angleterre s’est vue imposé par l’Europe, des dispositions totalement opposées à celle que l’on rencontre dans les pays de Common Law. Il est difficile à l’Angleterre d’introduire des règle issu de la Common Law du fait que la plupart des pays de l’Union Européenne sont des pays de tradition civiliste. Ce qui est d’autant plus vrai pour la Convention Européenne devenue le Règlement Bruxelles I puisqu’à l’origine, l’Angleterre n’était pas un pays membre. Les différences entre les conceptions civiliste et anglo-saxonne ont été souligné dans l’arrêt Airbus Industrie par les Juges de la Common Law. Ils ont également soulevé les raisons pour lesquels l’anti-suit injonction ne devrait pas être considéré comme contraire au droit Européen. Cependant, malgré l’attachement des juges britanniques à cette injonction, il ne semble pas que la CJCE y soit favorable.

Bibliographie : Manuel : C. Ambrose, « Can anti suit injonction survive the European Community Law » Avril 2003 International and comparative law quarterly D. McClean and K. Beevers, “ The Conflict of Law” ( Thomson, London, Sweet and Maxwell LTD, 6th ed. 2005 B. Audit, Droit International Privé, ( Economica, 2ème ed. 1997)

Article : Steven bartels “Housee of Lords 13 December 2001- Turner v Grovit and others » 2004 the European Legal Forum – Case Law R. Fentiman, « Comity and antisuit injunctions » 1998 The Cambridge Law Journal-Case and Comment D. McClean and K. Beevers, “ The Conflict of Law” ( Thomson, London, Sweet and Maxwell LTD, 6th ed. 2005) M. Palomba, International Commercial Litigation Fevrier 1997

International law association london conference 2000 committee on internation civil and commercial litigation