LES CLASS ACTIONS POUR DISCRIMINATION AU TRAVAIL VOIENT LEUR PORTÉE LIMITÉE PAR LA COUR SUPRÊME AMÉRICAINE

Dans sa décision du 20 juin 2011, la Cour Suprême des Etats-Unis a mis fin à la plus grande class action de l’histoire, celle-ci ne remplissant pas un des critères de l’article 23 (a) du Code Fédérale de Procédure Civile. Il doit exister un point commun entre les différentes plaintes des membres de la classe. En l’espèce, la classe devait prouver l’existence d’une politique discriminatoire générale pratiquée par les superviseurs de Wal-Mart. La Cour Suprême a considéré que les plaignants n’avaient pas réussi à démontrer l’existence d’une telle politique, restreignant ainsi la portée des class actions pour discrimination au travail comme la Cour de Cassation l’a fait dans sa décision du 25 juillet 1989 en limitant l’action des syndicats représentatifs au nom des salariés victimes de discrimination, l’équivalent français d’une class action pour discrimination au travail.

 

En 1938, le mécanisme de la « class action » naît aux Etats-Unis et est depuis régi par l’article 23 du Code Fédérale de Procédure Civile. C’est une action en justice collective qui a pour but de réparer une agrégation de préjudices individuels. Elle permet à un grand nombre de personnes ayant subi un même préjudice de poursuivre une autre personne, souvent une entreprise, afin d’obtenir une indemnisation morale ou financière pour le préjudice subi. La class action est introduite par un représentant pour le compte de toute cette classe de personnes ayant des droits identiques ou similaires et aboutit au prononcé d'un jugement qui aura force de chose jugée pour toutes les personnes de la classe, qu’elles paraissent ou non au tribunal. Depuis la révision de l’article 23 en 1966, les seules personnes qui appartiennent à la classe et qui ne seront pas soumis au jugement sont ceux qui ont opt-out. Toute personne entrant dans la définition de la classe en fait partie sauf si celle-ci se manifeste et exprime son refus d’en faire partie. Depuis sa création, ce mécanisme connaît un important succès. Cela est en partie dû à ses nombreux avantages. En effet, l’avantage majeur de la class action est qu’elle permet l’efficience de la justice. Elle permet d’éviter les recours multiples, faisant donc gagner du temps aux tribunaux et évitant une potentielle contradiction entre les différentes décisions rendues. Mais la class action permet aussi un meilleur accès à la justice, puisque des individus qui seuls n’auraient jamais eu recours aux tribunaux (à cause des frais de justice ou encore de la complexité d’une action en justice), peuvent, grâce à la class action, avoir accès à la justice. Ces avantages ont amené les pays européens, notamment la France, à se poser la question de l’importation des class actions en Europe. De nombreux rapports ont été rendus sur la question en France, notamment un rapport de décembre 2005, qui n’ont cependant jamais abouti à une intervention effective du législateur en la matière dû à de nombreux obstacles légaux et procéduraux. Cependant, il existe en droit français des mécanismes semblables aux class actions dans certains domaines tels que celui de la discrimination au travail. En effet, l’article L 122-45-1 du code du travail permet aux syndicats représentatifs de représenter les salariés discriminés au travail devant les tribunaux.  Ce mécanisme est assez semblable à celui d’une class action sauf que le représentant est obligatoirement un syndicat représentatif et que ce dernier va défendre l’intérêt collectif et non une somme d’intérêts particuliers comme cela est le cas dans une class action.

 

La discrimination au travail était justement le fondement de la plus grande class action de l’histoire aux Etats-Unis, celle de Dukes contre Wal-Mart. Cette dernière a commencé il y a plus de 10 ans lorsque Betty Dukes est allée consulter un avocat car elle avait constaté qu’elle était discriminée lors des promotions au sein du magasin Wal-Mart dans lequel elle travaillait à Pittsburgh. La plainte de Betty Dukes s’est transformée en class action, Betty Dukes devenant la représentante de l’ensemble des femmes supposément discriminées par Wal-Mart devant les tribunaux. Cela n’aurait pas pu arriver en France compte tenu de la règle « Nul ne plaide par procureur », l’un des obstacles légaux à l’introduction du mécanisme de class action en France. Wal-Mart étant le premier distributeur mondial et la compagnie générant le plus d’emplois aux Etats-Unis, cette class action avait un enjeu important. 1,5 million de femmes accusaient Wal-Mart de discriminer les femmes en ce qui concerne la paye et les promotions et par conséquent de violer les dispositions des articles 2000e et suivants du Titre VII du Civil Right Act de 1964 qui interdisent la discrimination au travail. Cette class action a pris fin il y a quelques mois, lorsque, dans sa décision du 20 juin 2011, la Cour Suprême des Etats-Unis a refusé de certifier la classe. En effet, la certification de la classe est la phase préliminaire du procès. Cette certification est très importante car elle permet l’amorce de l’action mais elle va aussi déterminer quels seront les effets de l’action puisque le jugement n’aura d’effet que sur les membres de la classe. La méthode de certification de la classe est également un des obstacles procéduraux à l’introduction du mécanisme de class action en France. La certification de la classe est un élément clé de la procédure de class action. Si la classe n’est pas certifiée, l’action n’est pas amorcée et il n’y a donc pas de procès. C’est ce qui s’est passé le 20 juin dernier lorsque la Cour Suprême a considéré que la classe ne répondaient pas aux critères énoncés à l’article 23 (a) du Code Fédéral de Procédure Civile qui précisent les conditions auxquelles une classe doit répondre pour pouvoir être certifiée. L’article 23 (a) énonce quatre conditions : la numérosité, l’existence d’un point commun, un même type de plainte et une représentation adéquate. Dans sa décision, la Cour Suprême explique en quoi le critère de l’existence d’un point commun n’est pas satisfait. 

 

 

La nécessité d’un point commun entre les différentes plaintes : spécificité des plaintes pour discrimination

 

L’article 23 (a)(2) stipule que le représentant d’une classe de personnes peut entamer une action en justice au nom de cette classe uniquement si les personnes appartenant à cette classe sont liées par une ou plusieurs mêmes questions de droit ou que les faits invoqués dans leurs plaintes sont identiques pour chacun d’entre eux. Une telle exigence existe parce que la class action est « une exception à la règle générale selon laquelle les contentieux sont menés uniquement par et pour le compte des parties individuellement nommées » (Califano v. Yamasaki). Cette règle est l’équivalent américain de « nul ne plaide par procureur ». En effet en France, a qualité à agir celui qui a un intérêt à agir. Le législateur a cependant introduit quelques exceptions à cette règle, notamment l’article L 122-45-1, tout comme la class action est une exception à cette règle aux Etats-Unis. Pour surmonter l’obstacle de la règle « Nul ne plaide pas procureur », il suffirait donc d’une intervention du législateur français, comme l’a fait le législateur américain. Aux Etats-Unis, pour que l’exception soit admise, il faut donc que les plaintes des victimes appartenant à la classe soient similaires au point que la décision rendue pour l’une des plaintes puisse être applicable à toutes les autres plaintes. Plus qu’une question commune à l’ensemble des plaintes, on recherche la capacité de la procédure collective de générer une même réponse à ces dernières. C’est là que se trouve tout l’enjeu de la détermination de la classe, le mécanisme de l’opt-out ayant pour conséquence que l’ensemble des personnes de la classe se verra appliquer le jugement. C’est aussi une des raisons pour laquelle la class action n’est pas encore introduite en France. En effet, la doctrine française a tendance à considérer la conséquence du mécanisme de l’opt-out comme une violation du droit d’accès au juge. À cause de ce mécanisme, certaines personnes font partie de la classe sans même le savoir, ignorant l’existence du procès, et se verront appliquer le jugement, sans pouvoir intenter d’action personnelle. Pour remédier à ce problème, la France pourrait adopter un mécanisme d’opt-in comme c’est le cas en Allemagne, le respect du droit d’accès au juge étant assuré puisque seules les victimes se manifestant font partie de la classe. En l’espèce, il fallait donc que les 1,5 millions de plaintes aient un point commun. Or chaque plainte concerne une décision portant sur l’emploi différente. Les plaignantes demandent donc à ce que des millions de décisions portant sur l’emploi soient examinées et jugées en même temps. Les plaignantes reprochent à ces décisions de violer le Titre VII du Civil Right Act de 1964. Or, la violation des protections apportées par les dispositions du Titre VII doit être appréciée au cas par cas. En effet, dans sa décision Cooper v. Federal Reserve Bank of Richmond de 1984, la Cour Suprême a précisé que l’existence  d’une violation des droits garantis par le Titre VII s’appréciait en fonction des raisons invoquées pour justifier une décision d’emploi particulière. Il est effectivement difficilement concevable que l’examen de chacune des plaintes des membres de la classe aboutisse à une même réponse en ce qui concerne l’existence d’une discrimination. Considérant l’importance de la classe et l’impossibilité de trouver une même question de droit ou des faits identiques dans les différentes plaintes, la Cour Suprême a considéré qu’en l’espèce la preuve d’un point commun entre les différentes plaintes revenait à prouver que Wal-Mart avait pour habitude de discriminer les femmes et donc de violer le Titre VII du Civil Right Act de 1964.

 

Déterminer l’existence d’un point commun : Existe-t-il une politique discriminatoire générale ?

 

En anglais, l’existence d’un point commun est ce que l’on appelle la « commonality ». Dans sa décision General Telephone Co. of Southwest v. Falcon de 1982, la Cour Suprême a détaillé l’approche à utiliser pour déterminer l’existence d’un point commun entre les plaintes pour discrimination des différents membres d’une classe. En l’espèce, la différence entre une plainte individuelle et celle d’une classe ayant subi un même préjudice, soit une même discrimination, se manifeste par la preuve de l’existence de la pratique d’une politique discriminatoire générale. En l’espèce, les plaignantes n’ont pas réussi à démontrer l’existence d’une telle politique. Il faut en effet, selon la Cour, différencier une politique discriminatoire générale contre les femmes et une analyse sociologique démontrant que la culture de l’entreprise facilite le sexisme. Il faut démontrer l’existence d’une politique réellement mise en œuvre et qui violerait les dispositions du Titre VII du Civil Right Act. Il existe deux  violations du Titre VII, en anglais, elles sont appelées les «  Title VII injuries » et les « disparate impact Title VII injuries ». Il y a donc deux types de violation, la discrimination intentionnelle et la constatation d’une inégalité de traitement due aux critères d’embauche et de promotion utilisés par diverses supérieurs d’une même entreprise. Les plaignantes ont cherché à démontrer l’existence d’une disparate impact Title VII injury en mettant en avant la politique pratiquée par l’entreprise consistant à laisser toute discrétion aux superviseurs locaux en ce qui concerne toutes les décisions relatives à l’emploi. En effet, bien qu’une telle politique puisse avoir pour conséquence une inégalité de traitement entre les différents employés d’une même entreprise et donc être discriminatoire, il faut prendre en compte le cas en espèce avant de pouvoir affirmer qu’il y a une politique discriminatoire générale. Wal-Mart est une compagnie présente sur l’ensemble du territoire américain et est le premier employeur privé des Etats-Unis. Il semble donc peut vraisemblable qu’aucune disparité n’existe entre les décisions relatives à l’emploi selon l’endroit où le salarié est embauché. Dans le cas de Wal-Mart ceci ne suffit donc pas à établir l’existence d’une politique discriminatoire générale, cependant cela aurait pu être le cas pour une entreprise d’une moins grande importance et moins étalée géographiquement.

 

Stricte interprétation de la règle 23 (a) par la Cour Suprême.

 

En interprétant aussi strictement la règle 23 (a), la Cour Suprême réduit fortement le nombre de classe qui pourra être certifiée dans le cadre d’une plainte pour discrimination au travail. Le 29 juillet 1989, la Cour de cassation a fait de même avec l’équivalent français de la class action en cas de discrimination au travail. En effet, avant cet arrêt, le syndicat ne nécessitait pas l’accord du salarié pour pouvoir agir en son nom, il lui suffisait d’avertir les intéressés. Le nombre d’actions engagées par les syndicats à l’encontre des employeurs devenant important, la Cour de cassation a imposé aux syndicats d’obtenir l’accord des salariés en invoquant le respect de la liberté personnelle. Aux Etats-Unis, la Cour invoque le nom respect des critères du à sa stricte interprétation que beaucoup d’américains ont perçue comme une tentative d’échapper à un procès qui aurait pu être néfaste pour l’économie américaine, Wal-Mart étant le plus grand employeur privé des Etats-Unis.

 

 

Bibliographie :

 

Décisions :

  • Wal-Mart Stores Inc., v. Dukes et al., 131 S. Ct. 2541 - 2011
  • Cooper v. Federal Reserve Bank of Richmond – 467 U.S 867 (1984)
  • General Telephone Co. v. Falcon – 457 U.S 147 (1982)
  • Califano v. Yamasaki – 442 U.S. 682 (1979)

 

Plaintes :

  • Texas: Complaint filed for Women denied equal pay and promotions in Texas Regions of Wal-Mart (Case 3:11-cv-02954-O, Document 10, Filed 01/19/12)
  • California: Amended Complaint filed for women denied equal pay and promotions in California Regions of Wal-Mart (Case No. C-01-2252-CRB)

 

Sites Internet :

Textes de Loi :

  • Titre VII Civil Right Act 1964 (articles 2000e-2 et suivants)
  • Code du travail (articles L 122-45 et suivants)