L'exécution partielle d'une sentence arbitrale n'ayant pas encore acquis force obligatoire : l'arrêt NNPC v IPCO du 21 octobre 2008, par Agathe PUYT

La convention de New-York de 1958 pour la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères, joue un rôle primordial d'harmonisation des règles applicables à l'arbitrage. Dans l'arrêt NNPC c/ IPCO de 2008 les juges britanniques ont adopté une position originale, retenant dans un premier temps la possibilité pour une cour étrangère d'exécuter une sentence pour laquelle un recours en annulation est pendant. Et dans un second temps ils ont prononcé un exequatur partiel d'une sentence dans des conditions non prévues par la convention.

La convention de New York pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères (CNY) a été adoptée en 1958. Elle est aujourd’hui ratifiée par un très grand nombre d’Etats (144) ce qui lui confère une application quasi universelle. Ainsi, nous n’étudierons dans ce billet que le cas des sentences auxquelles la convention est appliquée. C'est-à-dire de sentences étrangères, pour lesquelles l’exécution ou la reconnaissance est demandée dans un Etat partie à la convention, autre que celui au sein duquel elle a été rendue. L’importance de cette convention vient du fait qu’elle cherche à faciliter la reconnaissance et l’exécution des sentences en harmonisant les règles applicables. Son texte court, ne comportant que 16 articles, a permis à la convention de s’adapter au cours des décennies et d’être toujours d’actualité aujourd’hui. En effet les articles ont été adoptés à l’unanimité, ce qui rend plus forte encore l’influence de ce texte. Il a été incorporé en Angleterre à la section 100 de l’Arbitration Act ( EAA) de 1996. Ainsi la formulation originelle des articles de la convention a été modifiée en quelques points. Comme nous allons le voir, c’est cette modification de certains termes qui donne aux juges britanniques une plus grande liberté d’action. En effet les deux questions soulevées par cet arrêt sont celles de l’exécution partielle d’une sentence et le fait d’exécuter une sentence non obligatoire. Les fondements pour refuser un exequatur sont énoncés à l’article V CNY, et cette liste est généralement considérée comme exhaustive. En effet il est dit que la reconnaissance et l’exécution d’une sentence ne peut être refusée que si (only) l’une des cinq conditions est retenue. Or l’EAA omet ce terme « only » et énonce : la reconnaissance et l’exécution peuvent être refusées si… Dans l’arrêt Condominiums International Inc v Ray Bolwell and Resort Condominiums (Australia) Pty Ltd, les juges ont considéré que ce changement illustrait la volonté des rédacteurs de l’EAA de ne pas faire de cette liste une liste exhaustive. Il est important d’ajouter que l’esprit de la CNY, repris dans l’EAA, est bien de favoriser l’exécution des sentences puisqu’il est dit que l’exécution ne doit (jamais) être refusée sauf dans les cas limitativement énoncés. Comme nous le verrons plus tard, la France adopte une approche très libérale en matière d’arbitrage, ce qui lui permet d’attirer de nombreux différents. Ainsi l’article VII CNY est souvent préféré à son article V, permettant aux juges français de reconnaître et d’exécuter des sentences encore plus largement que sous l’égide de la CNY. Pourtant, il a également été reconnu que la formulation française de l’article V pouvait être entendue comme laissant la possibilité aux juges de ne pas toujours refuser la reconnaissance et l’exécution d’une sentence arbitrale si la sentence tombe dans une des conditions de la liste. En effet il est écrit « la reconnaissance et l'éxécution … ne seront pas refusées … que si … ». Or il a été relevé que si le but des rédacteurs avait été de d’imposer aux juges de ne pas reconnaître la sentence dans tous les cas cités, il aurait été écrit « la reconnaissance et l’exécution seront refusées si… ». C’est au regard de ces éléments qu’il nous faut maintenant étudier les faits de l’espèce, afin de saisir comment les juges anglais ont fondé une décision qui aurait très bien pu être prise en France. Un différend a pris naissance entre les parties contractantes, IPCO et NNPC. Celui ci doit être résolu par voie d'arbitrage au Nigeria, et soumis à la loi Nigériane, comme prévu par le contrat. Les arbitres ont rendus une sentence en faveur d’IPCO, lui octroyant 152 milliards de dollars en octobre 2004. En novembre 2004, NNPC a engagé au Nigeria un recours en annulation de la sentence. Parallèlement, IPCO a porté l'affaire devant la haute cour anglaise pour en obtenir l'exécution. La cour anglaise a sursis a statuer en attendant que la cour Nigériane rende dans les mois suivants son jugement sur la validité de la sentence. Cependant, les procédures se sont multipliées au Nigeria, et en février 2008, aucun jugement n'étant rendu, ni prévu pour les prochaines années, IPCO a renouvelé sa demande d'exequatur devant la cour britannique. Le juge anglais a alors ordonné l'exécution de deux des six points contenus dans la sentence. NNPC a donc interjeté appel sur le fondement que le juge n'était pas compétent pour ordonné une exécution partielle de la sentence. Il est débouté, les juges de la Court of Appeal acceptent donc d'exécuter partiellement une sentence arbitrale non encore obligatoire. Ainsi cet arrêt pose la question de savoir dans quelle mesure un Etat partie à la CNY est il libre d'exécuter partiellement des sentences arbitrales n'ayant pas encore acquis force obligatoire? L'exequatur d'une décision non obligatoire Les Etats sont libres d’interpréter le sens du terme « obligatoire », en fonction des règles nationales qu’ils appliquent aux jugements. Ainsi la détermination du moment où une sentence a force obligatoire dépend de la loi applicable à cette sentence. En Angleterre, l’article 58 EAA énonce que le fait pour une sentence d’être rendue suffit à lui donner un caractère obligatoire. Cette théorie à l’avantage de la simplicité. Au contraire, en France, une sentence a force obligatoire si elle est régulièrement rendue et si elle remplie les critères énoncés par la CNY. (Cf Arrêt Saint Gobain c/ Fertilizer Corp of India Ltd, TGI de Paris, 1976). Cependant une vision plus moderne tend à considérer qu’une décision est obligatoire si plus aucun recours ne peut être intenté contre elle. Cette vision va dans le sens d’une plus grande sécurité juridique.

La CNY, en son article V e),  prévoit expressément que le juge peut refuser l'exécution d’une sentence si celle-ci « n’est pas encore devenue obligatoire pour les parties ou a été annulée ou suspendue par une autorité compétente du pays dans lequel, ou d’après la loi duquel, la sentence a été rendue. » Il s'agit là d'une possibilité et cette marge de liberté laissée aux Etats ne facilite pas une uniformisation du droit en la matière. Toutefois, si c’est ce genre de concessions opérées par la convention qui lui ont permis d’être très largement adoptée, il faut noter que cela aura eu l’avantage de favoriser considérablement la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales au sein des Etats parties à la convention.

Les juges français n’appliquent pas cette provision. En effet au regard des articles 1502 et 1504 du Code de Procédure Civil, le fait pour une sentence d’être non obligatoire, annulée ou suspendue n’est pas un fondement pour en refuser son exequatur. La France a donc une vision moins rigoureuse que la CNY, et en application de l’article VII de celle-ci, la clause de faveur, elle peut appliquer son droit national plus favorable plutôt que la CNY. La France reconnaît la théorie de la délocalisation des sentences arbitrales, comme l’énonce un arrêt rendu le 29 juin 2007 par la 1ère chambre civile « La sentence internationale qui n’est rattachée à aucun ordre juridique étatique est une décision de justice internationale dont la régularité est examinée au regard des règles applicables dans le pays où sa reconnaissance et son exécution sont demandées ». La sentence est donc indépendante de l’Etat dans lequel elle a été rendue, ainsi elle continue d’exister même si elle a été annulée par une cour de son pays d’origine, et son exécution ne sera pas contraire à l'ordre international public. (cf « Hilmarton Ltd v Omnium de traitement et de valorisation » 1999 Ccas). On en déduit donc que si les cours acceptent d’exécuter une décision annulée dans son pays d’origine, il n’y a aucune raison pour qu’elles refusent d’exécuter une sentence sujette à un recours en annulation dans ce même Etat. Cette possibilité accordée par les cours a été bien accueillie en France. Cependant de vives critiques se sont élevées outre-manche, en ce que cette « délocalisation » n’est pas vérifiée en pratique. En effet malgré l’indépendance voulue de la justice privée vis-à-vis des cours nationales, le soutien de ces dernières à l’appui des procédures arbitrales est nécessaire et non pas illusoire. Ainsi par le choix du siège de l’arbitrage, les parties désignent une cour nationale qui sera chargée de « superviser » la procédure dès que nécessaire (the supervisory court en anglais). Ainsi une sentence n’est jamais véritablement « orpheline », mais pourrait toujours être rattachée à une cour précise. Il est regrettable que cette analyse ne prenne pas en compte les motivations des parties lorsqu’elles désignent un siège. En effet bien souvent ce choix n’est guidé que par la recherche d’un siège neutre par rapport aux parties et aux différents qui les concernent et non pas par la connaissance d’une juridiction particulière et de sa pratique. L'approche qui s’oppose à la doctrine de la délocalisation est la doctrine territoriale, selon laquelle une sentence qui est annulée devant une cour de son pays d’origine n'est pas valide ni dans cette juridiction ni dans aucune autre; la sentence n'existe plus. L'Angleterre n’a adopté aucune de ces deux théories, mais a tendance à s’aligner sur les décisions américaines et notamment sur l’arrêt Baker marine qui considère qu’il faut respecter la souveraineté qu’exerce un Etat sur les actes émis sous sa juridiction. Ainsi la démarche américaine aboutit à accueillir les décisions étrangères dans la mesure où elles ne sont pas contraires à l'ordre public. En effet les cours anglaises se sont déjà prononcées sur une question similaire dans l’arrêt Soleh Boneh. Dans cet arrêt, la cour, respecte la souveraineté de l’Etat émetteur de la sentence, en conditionnant son exécution par des critères précis. Elle considère cependant que le simple fait pour une sentence d’être soumise à un recours en annulation dans l’Etat d’origine ne suffit pas à empêcher l’exequatur si la sentence est manifestement valide. En effet les juges estiment qu’il faut évaluer les chances de succès du recours en annulation, et mettre en balance la nécessité pour l'exécution de la sentence de ne pas être indûment retardée par un recours infondé devant une juridiction étatique, avec le fait qu'une cour doit pouvoir bénéficier du temps nécessaire pour rendre sa décision sans être devancé par un exequatur précipité. Ainsi les conditions à l’exécution d’une sentence non obligatoire sont : que la sentence soit manifestement valide, que l'exécution soit plus difficile si les juges attendent le verdict de la cour chargée du recours en annulation, que les juges de l’exequatur évaluent la bonne fois des recours entrepris auprès des juridictions du pays d’origine et le retard a prévoir pour obtenir un jugement de cette cour, et les chances de succès du recours. On relèvera tout de même, que cette décision pourrait être remise en cause. En effet le juge chargé de l'exécution de la sentence ne devrait pas avoir à évaluer les chances de succès d'un recours car cela reviendrait pour lui à évaluer la sentence au fond, rôle de la cour chargée du recours en annulation. Or le but de la CNY est d’offrir aux parties une exécution rapide et efficace de leurs sentences. On peut donc se demander si l’étude des chances de succès, nécessitant donc une approche au fond de la sentence, n'irait pas dans un sens contraire à la convention. Cependant cette décision a pour avantage de mettre fins aux stratégies de parties malveillantes qui voudraient retarder l’exécution de la sentence par des recours multipliés devant les tribunaux du pays d’origine. Ceci alors que les parties ayant eu recours à la justice privée, ne souhaitent normalement pas que leur différent se perde pendant des années dans les rouages des procédures judiciaires. La possibilité d'un exequatur partiel des sentences Une possibilité d’exequatur partiel est expressément prévue lorsque l’arbitre a statué ultra petita (article V,1, c) Selon une décision de la cour de Paris du 5 mars 1982, en vertu de l’article 1477 CPC le juge de l'exequatur pourrait accorder un exequatur partiel. Cet article concerne l’arbitrage domestique, mais en application de l’article 1500 CPC, il est également applicable à la reconnaissance et l’exécution des décisions étrangères. Ainsi l’exequatur partiel en matière d’arbitrage commercial international est accepté en France. Toutefois, la cour anglaise fonde son arrêt sur la jurisprudence autrichienne (« Mushrooms Case ») qui a également retenu cette position. L’approche comparative en arbitrage commercial international est tout à fait pertinente, puisque l’on va vers une uniformisation des règles applicables. Ainsi les juges autrichiens avaient retenus que si la sentence est rédigée de telle sorte que l'on peut séparer une partie manifestement valide d’une partie qui semble violer manifestement les règles du système légal dans lequel elle a vocation à s’appliquer, alors une exécution partielle est tout à fait envisageable. En l’occurrence il s’agissait de faire exécuter le paiement des dommages et intérêts, mais pas le montant des intérêts. Le juge a relevé que les formulations utilisées dans l’EAA comme dans la CNY ne permettent pas de dire qu’il est expressément interdit de procéder à une exécution partielle. L’avocat de NNPC relève que les termes employés font référence à une sentence ou à la sentence, mais jamais à la sentence ou une partie de celle-ci. Il en déduit que la CNY ne permet pas l’exequatur d’une partie de la sentence seulement. Cependant le juge d’appel a soutenu que cet argument est contre nature en arbitrage commercial international. En effet cela va contre l’objectif d’efficacité et de rapidité de l’exécution des sentences. Le juge ajoute que cela pourrait encourager des parties malveillantes à engager un recours en annulation pour un grief ne représentant financièrement qu’une faible partie de la demande. Cela leur permettant de cristalliser toute la procédure. Ainsi le juge retient qu’une sentence, comportant différents titres ou parties clairement dissociables peut être sujette à une exécution partielle. Cela ne risque pas de remettre en cause l’équilibre de la sentence. La cour chargée de l'exécution a constaté qu'aucune décision n'avait été prise par la cour Nigériane alors que trois années s'étaient écoulées, elle a de plus relevé qu'aucune décision n'allait être prise rapidement. S'appuyant sur ces faits, le Juge Tomlinson était autorisé à prononcer l'exequatur des deux parties de la sentence pour lesquelles le recours en nullité n'avait aucune chance d'aboutir, bien que ceci ne soit pas prévu explicitement par la CNY. La cour d’appel a conclu que l'intention de la CNY est d'assurer une exécution efficace et rapide des sentences arbitrales internationales. Ainsi un juge ne peut pas se limiter à une vision globale de la sentence lorsqu'il s'agit de l'exécuter. Cependant pour bénéficier de cette jurisprudence, les parties devraient veiller à ce que les arbitres rendent des sentences divisées en plusieurs parties, facilement dissociables. Ainsi, cette évolution des cours anglaises, semble être une étape nécessaire pour toute juridiction souhaitant devenir ou s’affirmer comme un des centres principaux d’arbitrage commercial international. Comme nous l’avons vu les cours françaises ont adopté une démarche très libérale au stade de l’exécution des sentences arbitrales, et se sont ainsi parées de tous les atours nécessaires, pour faire de Paris, un siège incontournable en matière d’arbitrage. Cependant, l’approche française suscite de vives réactions en ce qu’elle semble porter atteinte à la souveraineté de l’Etat ayant annulé une décision par la suite exécutée en France. Sous l’apparence d’une grande ouverture, les cours françaises sont peut être un peu trop offensives dans leur démarche. En effet l’arbitrage est aussi une affaire de gros sous pour les Etats et la France, en initiant une course à la libéralisation, met à mal l’objectif d’uniformisation tant recherché par la CNY.

Cette même critique ne peut pas être faite aux cours anglaises qui se montrent une fois encore en faveur de l'arbitrage. Ainsi si cette évolution jurisprudentielle va probablement attirer en Angleterre les parties souhaitant obtenir plus facilement l'exécution de leur sentence, cela ne se fait pas en dépit de la souveraineté d’un autre Etat. Cette jurisprudence sans aller trop loin va dans le sens de la CNY pour une plus grande efficacité des sentences, et une exécution plus rapide nécessaire dans le cadre de différents commerciaux. Cette avancée jurisprudentielle est bénéfique au domaine de l’arbitrage commercial international. Ainsi les libertés que les droits nationaux prennent vis-à-vis de la convention de New York jouent tout de même en sa faveur. C’est ainsi que le texte court de la convention prend tout son sens. En effet en ne contraignant pas excessivement les Etats (donc en ne permettant pas une réelle uniformisation des droits) mais en les laissant adapter les dispositions qu’ils souhaitent, les objectifs de la convention sont tout de même atteints puisque l’on constate en pratique une harmonisation des droits. Toutefois cela ne se vérifie que pour les Etats ayant une forte tradition d’arbitrage et étant foncièrement favorables au développement de cette matière.

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