Miranda v. Arizona ou le vacarme du droit au silence - par Mélinda E. BOISSON

L’affaire Miranda est connue de tous par la prononciation d’un avertissement lors de l’arrestation d’un individu, lui signifiant notamment son droit au silence et à bénéficier d’un avocat. Les aveux, en tant que preuve, sont recevables si le détenu a, lors de ses dépositions, connaissance de ses droits. En France, le droit au silence existe mais depuis 2003 il n’est plus notifié au détenu. Le législateur français craint-il que la notification du droit au silence favorise l’impunité ?

Miranda v. Arizona, 384 U.S. 436, 1966

N’importe quelle personne qui allumerait sa télévision, peut tomber sur une scène de film, mettant en jeu un policier avertissant un criminel de ses droits : « Vous avez le droit de garder le silence. Tout ce que vous direz pourra être retenu contre vous ». La diffusion mondiale de cet avertissement dans des films américains a porté à la connaissance d’un plus grand nombre les droits dits Miranda.

Les droits précités et l’avertissement du même nom ont été dégagés par la Cour Suprême des Etats-Unis en 1966 dans l’affaire Miranda v. Arizona. A la lumière de cette jurisprudence, les interrogatoires de garde à vue, apparaissent comme un élément essentiel du système pénal accusatoire anglo-américain. Les garanties affirmées par cette affaire encadrent la relation entre l’officier de police et le suspect. L’arrêt Miranda a suscité de vives réactions. Certains craignaient qu’il proscrive l’aveu et provoque une certaine impunité. Pourtant, la lecture des droits dits Miranda n’empêche pas soixante dix-huit pour cent des suspects de toujours renoncer au droit au silence et d’accepter de répondre aux questions de la police (Richard A. Leo, "Criminal Law: Inside the Interrogation Room", 86 J. Crim L. & Criminology 266, 276, 1996). Miranda simplifie considérablement la tâche des procureurs puisque la recevabilité de l’aveu et le caractère volontaire de celui-ci sont strictement encadrés.

Depuis le Moyen-Age, la procédure pénale française est soumise à un régime inquisitoire. Ce régime vise l’obtention de la « reine des preuves » (William Feugère, "Réformer la justice pénale", Les annonces de la Seine, le 19 juin 2006, n°40) : l’aveu. La « religion de l’aveu» (A.J Bullier et F.J. Pansier, "De la religion de l’aveu au droit au silence ou faut-il introduire en France le droit au silence des pays de Common Law", Gazette du Palais, 8 février 1997) partagée par policiers et magistrats français n’a pas manqué d’être critiquée. Ces critiques témoignent d’une évolution vers un régime plus libéral. Pour autant, cette mutation doit-elle susciter l’adoption en droit français de la notification au gardé à vue du « droit au silence » connu depuis des années par la common law ? Le silence ne vaut pas consentement en droit civil, alors pourquoi serait-il synonyme d’aveu de culpabilité en droit pénal ? Notre étude comparative s’attachera tout d’abord à une analyse détaillée de l’affaire Miranda (I). A partir de celle-ci, il s’agira de s’interroger sur les tergiversations du législateur français devenues au fil du temps de véritables résistances à la notification du droit au silence aux personnes mises en garde à vue (II).

I. Miranda v. Arizona

A. L’affaire

Les faits : En 1962, la police de Phoenix soupçonne Ernesto Miranda, multirécidiviste, d’avoir enlevé et violé plusieurs jeunes filles. En 1963, une victime pense avoir reconnu la voiture de son agresseur. La police arrête Ernesto. Il avoue, sans avoir été informé de ses droits, les faits reprochés pendant l’interrogatoire. Lors du procès, ses aveux seront utilisés comme un moyen de preuve contre lui. Il sera condamné pour enlèvement et viol. Son avocat interjettera appel devant la Cour Suprême d’Arizona sur le fondement de l’irrecevabilité des aveux de son client. Toutefois, en 1965, la cour confirmera la décision.

L’arrêt : En 1966, la Cour Suprême décide que les droits de la personne interrogée doivent être garantis puisque l’interrogatoire est par nature coercitif. La Cour va déclarer :

« La personne en garde à vue doit, préalablement à son interrogatoire, être clairement informée qu’elle a le droit de garder le silence et que tout ce qu’elle dira pourra être utilisé contre elle devant les tribunaux ; elle doit être clairement informée qu’elle a le droit de consulter un avocat durant l’interrogatoire, et que, si elle n’en a pas les moyens, un avocat lui sera désigné d’office ».

Ces droits n’ayant pas été respectés lors de l’interrogatoire de Miranda, la Cour annulera les aveux de ce dernier en tant que moyen de preuve.

B. Les conséquences de l’affaire Miranda

Les droits Miranda : La Cour Suprême mentionne, selon le cinquième amendement de la Constitution, le droit de garder le silence découlant du droit de ne pas témoigner contre soi-même. Lorsque la personne interrogée invoque ce droit au silence, l’interrogatoire doit cesser. Si l’individu choisissait de parler en connaissance de ses droits, ce qu’il dira sera retenu à charge contre lui. La Cour Suprême évoque, selon le sixième amendement, le droit de faire appel à un avocat même si les ressources financières du gardé à vu sont insuffisantes. L’interrogatoire cessera jusqu’à ce que l’avocat soit présent. Les droits Miranda sont invocables seulement lors de « custodial interrogations » (Interrogatoires qui ont lieu en détention). Même si l’interrogatoire n’a pas lieu au poste de police, il peut être Custodial : l’individu doit « se sentir privé de sa liberté d’action de manière significative ». Si l’interrogatoire n’est pas custodial, l’avertissement Miranda n’est donc pas obligatoire.

L’avertissement Miranda : Il a été consacré par la création du verbe « To mirandize ». La forme de l’avertissement n’a pas exactement été définie par la Cour Suprême. Seul son contenu est limité par les droits énoncés. Il n’existe pas « d’incantation talismanique » de la formulation de l’avertissement Miranda : il doit être donné en substance. S’il n’est pas complet, les aveux seront irrecevables au procès. Il suffit que l’avertissement soit oral. Une trace écrite confirmant que celui-ci ait été donné n’est pas requis. Le témoignage du policier suffit aux cours américaines. Il sera donc difficile, pour le gardé à vu, de soutenir qu’il n’a pas été informé.

C. La renonciation aux Droits Miranda

Le mode de renonciation : Le suspect peut renoncer aux droits Miranda. La renonciation peut être écrite ou orale, explicite ou implicite. Ce qui est impératif c’est que le suspect y renonce volontairement.

La preuve de la renonciation : La preuve de la renonciation incombe à la partie poursuivante. La renonciation ne sera pas recevable si elle a été donnée sous influence d’alcool, de drogue. Les interrogatoires multiples sont autorisés. Un suspect renonçant à ses droits Miranda lors d’un premier interrogatoire et qui décide de garder le silence peut renoncer à ce celui-ci lors d’un nouvel interrogatoire. Ceci est possible à la seule condition, qu’il prenne l’initiative de renouer le dialogue.

D. La portée des droits Miranda

Le domaine d’application : La décision s’applique à tous types d’infractions. En revanche, elle ne s’applique pas aux questions posées par un non policier. L’avertissement Miranda se base sur un critère essentiel : celui d’être ou non soumis à une pression psychologique sérieuse émanant d’un interrogateur.

L’atténuation de la règle en jurisprudence : La Cour Suprême a infléchi les contributions de Miranda. Une jurisprudence, relative à un manquement de notification de la part d’un policier au suspect de son droit à un avocat, illustre parfaitement cette évolution. En l’espèce, le suspect avoue tout en précisant l’existence d’un témoin à décharge. Au procès, la cour exclut l’aveu mais pas le témoignage du témoin qui s’avère tout compte fait être à charge. Alors que ce témoin avait été mentionné lors d’aveux irréguliers, sa déposition est toutefois admissible (Michigan v. Tucker, 417 US 433, 1974).

L’arrêt Miranda conditionne la recevabilité d’un aveu donné en détention. En droit pénal américain, la recevabilité de l’aveu est déterminée par l’élément intentionnel des aveux des suspects lors des poursuites judiciaires.

II. Les résistances du législateur français à la notification du droit au silence aux personnes mises en garde à vue

A. L’aveu, comme l’expression d’une liberté

Le droit d’avouer : L’aveu est indéniablement l’expression d’une liberté. L’individu doit avoir le choix : avouer ou ne pas avouer. En France, le droit d’avouer s’entend par le droit de reconnaître un fait comme une manifestation de la liberté d’expression, proclamé par la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen et par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme. Ce droit suscite des questions quant à ses motivations : pourquoi favoriser sa propre condamnation à une peine susceptible d’être lourde ? Le droit au silence, corollaire du libre aveu, suppose d’être maître de sa communication avec autrui. L’aveu doit être libre, faute de quoi il porterait atteinte au droit de ne pas avouer.

Le droit de ne pas avouer : Ce dernier est une manifestation du droit de se taire. Il s’agit donc de savoir s’il peut être déduit de ce silence des conclusions défavorables pour le suspect. Le droit de ne pas avouer, le droit de ne pas s’accuser soi-même participent des droits de la défense. Au plan juridique, le droit au silence est reconnu. Il n’oblige pas le justiciable à s’auto-incriminer et ne permet pas la contrainte à l’aveu.

B. Les réformes de 1993

Objectif de la réforme : Le retard de la procédure pénale française était tel qu’un bouleversement de la procédure se justifiait. La réforme de 1993 s’attache précisément à la rupture de l’isolement de la personne gardée à vue. Celle-ci a dès lors le droit d’appeler un membre de sa famille par téléphone, de subir un examen médical, d’être assistée d’un avocat (Article 63-1, 63-2, 63-3, 63-4 du Code de Procédure Pénale). D’ailleurs, la notification des droits dont le gardé à vu bénéficie se prouve par l’émargement du procès-verbal par celui-ci. A défaut d’émargement, il en sera fait mention sur le procès verbal. Le droit de se taire n’apparaît pas parmi les droits notifiés. En 1993, les droits de la défense au stade de la garde à vue se limitent à l’assistance d’un avocat.

Une réforme décevante : Les grands changements annoncés en France s’illustrèrent par des lois décevantes. Jusqu’en 2004, la personne gardée à vue ne pouvait demander à s’entretenir avec un avocat avant que vingt heures après le début de la mesure se soient écoulées. «Au niveau de la symbolique, c’est profondément choquant» (Propos de M. Pezet). L’entretien avec l’avocat ne doit pas excéder trente minutes. De plus, l’avocat n’a pas le droit d’assister aux interrogatoires. Un juriste américain serait outré de voir un suspect laissé sans protection effective quand il est le plus vulnérable. Or ce qui est en jeu c’est la qualité et la fiabilité des preuves qui s’en trouvent diminuées. La présence de l’avocat a forcément un rôle important quant au silence de l’accusé comme stratégie défensive. Tout compte fait en France, ni la police, ni l’avocat n’est chargé d’expliquer au suspect son « droit au silence ».

C. Loi du 15 juin 2000 (Loi n°2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la présomption d’innocence et les droits des victimes) et la Loi du 18 mars 2003 (Loi n°2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure)

Les tergiversations du législateur français : S’agissant spécialement de la garde à vue, l’article 63-1 du Code de procédure pénale illustre ces tergiversations. Alors que la notification du droit au silence n’était pas expressément prévue, la loi du 15 juin 2000 précise qu’il sera notifié à la personne gardée en vue qu’elle est en droit de se taire. Or, la loi du 4 mars 2002 (Loi n°2002-307 du 4 mars 2002, modifiant la loi renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes) a voulu souligner que « se taire » n’était que l’un des choix offerts à la personne gardée à vue. Celle-ci serait désormais informée de son droit « de faire des déclarations, de répondre aux questions posées ou de se taire ». Néanmoins, la loi du 18 mars 2003 a abrogé l’ensemble de la formule : le droit au silence existe mais il n’est pas notifié formellement à la personne gardée à vue.

Deux enjeux distincts: Sur l’assistance d’un avocat pendant la garde à vue : sa présence fugace et l’absence formelle de notification du droit au silence semble empêcher le suspect de se taire et favoriser le passage aux aveux. La loi n°2004-204 du 9 mars 2004, prévoit cependant que l’avocat intervienne dès le début de la garde à vue. Si certains pensent que la présence d’un avocat favorise le mutisme de la personne comme moyen de défense, le rôle de l’avocat demeure toutefois fortement entravé : l’entretien avec un avocat n’est qu’une obligation de moyens. Et l’officier de police judiciaire ne se trouvera pas tenu d’attendre l’arrivée de l’avocat pour entendre le gardé à vue. Quant au droit au silence : en France le gardé à vue a parfaitement le droit de se taire. Ce silence n’entraîne aucune conséquence juridique. Toutefois il peut ne pas se présenter très favorablement devant la juridiction de jugement. Malgré son silence, l’intéressé peut être acquitté si les juges approuvent souverainement que les preuves rapportées contre lui ne seraient pas suffisantes pour entraîner leur conviction. Il faut alors combattre l’adage qui dit que « L’aveu est une confession de bouche ; le silence est une confession de fait» (Bentham, J.). Et garantir qu’aucun argument ne soit déduit de ce rôle passif. Le droit au silence ne serait-il pas une manifestation apparente de la présomption d’innocence ?

D. Une expérience française décevante

L’absence de notification du droit au silence : L’expérience française du droit de se taire est plutôt décevante. Il s’agit de comprendre cette absence de notification du droit au silence : Quelles sont les craintes du législateur français qui l’inciteraient à ne pas notifier aux suspects ce droit ? Quel est donc ce législateur qui a peur que ses citoyens aient connaissance de leurs droits et en fassent usage ? En effet nul n’est censé ignorer la loi. Or, cet adage n’est qu’une simple fiction juridique, un principe dont on sait la réalisation impossible mais nécessaire au fonctionnement de l’ordre juridique. Le Conseil constitutionnel a crée en 1999 un nouvel objectif de valeur constitutionnelle : l’accessibilité et l’intelligibilité de la loi. La notification souhaitée irait dans le sens de cet objectif.

Le droit au silence, une exigence : Nombreuses sont les références révélant notre attachement à l’aveu. L’aveu à n’importe quel prix, aux fins de confondre le coupable, remet en question la recevabilité de l’aveu en tant que preuve. L’affaire Miranda a l’avantage de s’assurer que la reconnaissance des faits par le suspect soit donnée en connaissance de ses droits. L’expérience américaine de Miranda n’a pas eu pour conséquence une diminution du nombre d’aveux de la part de personnes gardées à vue. Elle a plutôt veillé à ce que les individus privés de leur liberté pendant une garde à vue puissent bénéficier de garde-fous afin que leur aveu soit recevable. La décision Miranda est devenue, après quarante et une année, un aspect fondamental de la procédure pénale américaine. Alors pourquoi tant de résistance de la part du législateur français face au droit au silence importé des pays de Common Law?

BIBLIOGRAPHIE

- DULONG (R.), Le silence comme aveu et le « droit au silence », Langage et société n°92, Juin 2000. - PETTITI (L-E), [Droit au silence |http://www.gddc.pt/actividade-editorial/pdfs-publicacoes/7576-e.pdf|fr] - GIRARD (C.), Culpabilité et silence en droit comparé, logiques juridiques, 1997. - COLDREY (J.), The right to Silence Reassessed, 74 Victorian Bar News 25, 1990. - COLDREY (J.), The Right to Silence: Should it be curtailed or abolished? 20 Anglo-American Law Review 51, 1991. - MARCUS (P.), It’s not just about Miranda: determining the voluntariness of confessions in criminal prosecutions, Valparaiso University Law Review, 2005-2006. - O’NEIL (T.), Why Miranda does not prevent confessions: some lessons from Albert Camus, Arthur Miller and Oprah Winfrey, Syracuse Law Review, 2001. - PEARCE (G.), Constitutional Law – Criminal Law: The United States Supreme Court affirms the use of “Miranda” rights by police to determine the admissibility of statements made during custodial interrogation, North Dakota Law Review, 2001. - ROSCOE (H.), A history of Miranda and why it remains vital today, Valparaiso University Law Review, 2005-2006.