Peut-on réprimer le terrorisme sans le définir ?

Ce billet s’intéresse à l’enjeu juridique que posent les attentats terroristes et la répression des leurs auteurs, et ce malgré l’absence de définition communément admise par la communauté internationale. L’inclusion de la maxime aut dedere, aut iudicare (extrader ou juger) dans les instruments conventionnels réprimant le terrorisme fonde la coopération inter-étatique dans le but de lutter contre l’impunité des terroristes.

 

Il est  couramment admis que les actes terroristes sont la source de troubles majeurs dans les États qu’ils visent, et qu’à ce titre, ils doivent être réprimés. Certains soutiennent que le terrorisme constitue une véritable menace contre la paix. Comment ne pas leur donner raison quand on se souvient que déjà, en 1914, l’assassinat par un terroriste anarchiste de l’Archiduc et prince héritier autrichien Franz-Ferdinand avait plongé l’Europe toute entière dans les affres de la première Guerre Mondiale ?

Aujourd’hui, le terrorisme prend une forme nouvelle, plus agressive encore, dans le sens où il s’institutionnalise et se mondialise aussi rapidement que le permettent les flux des relations internationales. La question de sa répression occupe les  grandes organisations internationales telles que les Nations Unies depuis des décennies. Néanmoins, depuis les attentats commis le 11 septembre 2001 sur le territoire des États-Unis, la question de lutte contre l’impunité des auteurs de tels actes se pose de manière accrue.

Malgré l’absence de consensus international quant à une définition générale du terrorisme, qui sera développée dans un premier temps, les États se sont engagés à réprimer les actes terroristes par le biais de conventions internationales sectorielles. Ces dernières ont consacré la clause aut dedere, aut iudicare (du latin : extrader ou poursuivre) qui impose aux États de lutter contre l’impunité des auteurs de crimes de terrorisme.

L’échec de l’adoption d’une définition générale du terrorisme.

Il existe un relatif consensus autour de l’idée que le terrorisme procède d’une stratégie de violence visant à inspirer la terreur à des fins politiques au sein de la population civile (CASSESE A., International Criminal Law, 2nde éd., Oxford, University Press, 2008, p. 162 ; YEE S., «The Potential Impact of the Possible US Responses to the 9-11 Atrocities on the Law regarding the Use of Force and Self Defence», Chinese J.I.L. 2002, p. 305.). Ce sont des conditions essentielles mais pas exclusives du terrorisme. On peut y ajouter d’autres critères, tels que la nature de l’acte, ses auteurs, les moyens utilisés etc.

Néanmoins il est ardu de dégager une définition unanime. Il est, en ce sens, intéressant de noter que seules de très rares conventions régionales ont franchi le pas de cette définition.

C’est le cas, à titre d’exemple, de la Convention de la Ligue des États Arabes pour la suppression du terrorisme, adoptée au Caire le 22 avril 1998. Selon son article 1 § 2, le terrorisme s’entend de « tout acte ou menace de violence, quels qu'en soient les motifs ou les buts, qui serait l'instrument d'un projet criminel individuel ou collectif, et viserait à semer la terreur dans la population, à lui inspirer de la peur, en lui portant préjudice ou en mettant sa vie, sa liberté ou son indépendance en péril, à causer des dommages à l'environnement, ou à une installation ou un bien, tant public que privé, à occuper ces installations ou ces biens ou à s'en emparer, ou à mettre en danger une ressource nationale ».

 La Convention de l’O.U.A. sur la prévention et la lutte contre le terrorisme, adoptée à Alger le 14 juillet 1999, contient une définition tout aussi générale. Toutes deux reprennent certains des critères dégagés plus haut. Cependant, leur applicabilité ne peut que soulever des interrogations. Comment, de manière concrète, se poursuit cette entreprise ou ces tentatives de codifications ?

Récemment, le Tribunal Spécial pour le Liban, qui a été créé pour connaitre de l’attentat qui a couté la vie à M. Rafiq Hariri et 22 autres personnes, a dégagé une autre définition, fondée sur le droit interne libanais, qui s’attache davantage au critère des moyens employés par les auteurs, comme le souligne le Président du T.S.L., M. Antonio Cassese (Chambre d’appel, décision interlocutoire du 16 février 2011). Ces différentes définitions pointent du doigt la difficulté du consensus en la matière.

Une seconde cause de l’absence de codification du crime de terrorisme est à rechercher dans l’opinion dominante, parmi les pays du tiers monde et des États non-alignés, qu’il existe un terrorisme d'État, fondé notamment sur le colonialisme. Les tentatives de fixer une définition pour le terrorisme ont en effet souvent négligé cet aspect, sans doute car il ouvrirait une boite de Pandore. Cependant, on ne peut nier l’existence d’un terrorisme étatique, comme le prouve l’affaire du Mandat d’arrêt, dont le fondement était la volonté de la Belgique de juger le dictateur Yérodia (C.I.J., arrêt du 14 février 2002), mais aussi l’affaire Pinochet, devant la Chambre des Lords britannique, la plus connue étant l’affaire Lockerbie, dans laquelle était impliqué le gouvernement libyen.

La définition de cette notion donc est tout aussi délicate que celle de termes tels que minorité, peuple ou agression, dans le sens où ces concepts sont imprégnés d’enjeux politiques majeurs (HIGGINS R. and FLORY M. (éd.), Terrorism and International Law, Routlege, Londres, New York, 1997, p. 26.).

Les travaux du Comité contre le terrorisme (fondé à la suite des attentats du 11 septembre par le Conseil de Sécurité)  n'ont  pas abouti à un consensus quant au contenu du crime de terrorisme . En appelant à une plus grande coopération des Etats dans le cadre de la lutte contre le terrorisme (S/RES/1269), le Conseil de Sécurité a, déjà même avant les événements du 11 septembre 2001, considéré que le refus d’extrader ou de juger des terroristes constituait une menace contre la paix, au sens de l’article 39 de la Charte des Nations Unies. Il ne l’a cependant donc jamais défini, et ce, même dans la résolution contraignante et « quasi-legislative » S/RES/1373 de 2001, qu’il a adoptée à la suite des attentats du 11 septembre. Cette qualification du terrorisme comme menace contre la paix a été depuis abondamment reprise, sans jamais toutefois définir la notion, ce qui ne peut manquer d’étonner. (SZASZ P. C., « The Security Council starts legislating », A.J.I.L. 2002, p. 902 ; ROSAND E., « Security Council Resolution 1373, The Counter Terrorism Committee and the fight against terrorism », A.J.I.L. 2003, p. 339; ASTON J. D., « Die Bekämpfung abstrakter Gefahren durch legislative Maßnahmen des Sicherheitsrates – Resolution 1373 (2001) im Kontext », ZaöRV, 2002, p. 285-8.)

Il serait toutefois hâtif de conclure que si le terrorisme n’est pas défini, il n’en est pas pour autant réprimé. Il existe en effet depuis de nombreuses années une répression sectorielle, fondée sur certains actes de terrorisme, qui ont été incriminé dans des conventions internationales largement ratifiées.

La répression sectorielle de certains actes terroristes.

A défaut de définition générale du terrorisme, ainsi que d’instruments légaux le pénalisant en tant que tel, les actes terroristes ne sont réprimés que de manière fragmentaire, par des conventions internationales élaborées à mesure que naissent de nouvelles formes d’actes terroristes (GUILLAUME G., « Terrorism and International Law », I.C.L.Q. 2004, p. 542.). S’il est à déplorer que la répression reste donc sectorielle et circonscrite à certains faits, on peut se réjouir qu’il n’existe pas d’instruments réprimant le terrorisme en général sans expliciter la notion. En effet, cela pourrait conduire à de graves dérives arbitraires, et contreviendrait en outre au principe nullum crimen, nulla poena sine lege, qui interdit que l’on juge et condamne en l’absence d’une loi le prévoyant.

Ces conventions internationales sectorielles organisant la répression d’actes terroristes sont : la Convention des Nations Unies pour la répression de la capture illicite d’aéronefs, adoptée le 16 décembre 1970 à La Haye, la Convention pour la répression d'actes illicites dirigés contre la sécurité de l'aviation civile, adoptée à Montréal le 23 septembre 1971, (rendue tristement célèbre par l’affaire Lockerbie) la Convention sur la prévention et la répression des infractions contre les personnes jouissant d'une protection internationale, y compris les agents diplomatiques, adoptée à New York le 14 décembre 1973, la Convention internationale contre la prise d'otages, adoptée à New York le 17 décembre 1979, la Convention pour la répression d'actes illicites contre la sécurité de la navigation maritime, adoptée à Rome le 10 mars 1988, la Convention internationale pour la répression des attentats terroristes à l’explosif, adoptée à New York le 15 décembre 1997, la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, adoptée à New York le 9 décembre 1999 et la Convention pour la répression des actes terroristes nucléaires, adoptée à New York le 14 septembre 2005.

Aucune de celles-ci ne contient de définition du terrorisme. On remarque qu’il faut attendre 1997, et la Convention internationale pour la répression des attentats terroristes à l’explosif, pour que le terme de « terrorisme » soit explicitement cité. A titre d’exemple, cette Convention évite l’écueil de l’impossible définition en incriminant que «  toute personne, illicitement et intentionnellement, livre, pose ou fait exploser ou détonner un engin explosif ou autre engin meurtrier dans ou contre un lieu public, installation gouvernementale ou une autre installation publique, un système de transport public ou une infrastructure », soit « dans l’intention de provoquer la mort ou des dommages corporels graves », soit « dans l’intention de causer des destructions massives de ce lieu, de cette installation, de ce système ou de cette infrastructures, lorsque ces destructions entraînent des pertes économiques considérables » (Art. 2 de la Convention précitée). Si cet article contient d’intéressants éléments de définition, elle ne se risque néanmoins pas à arrêter une définition.

En Europe, la convention européenne pour la répression du terrorisme, signée à Strasbourg dans le cadre du Conseil de l’Europe, le 27 janvier 1977 incrimine les mêmes faits que les Conventions précitées, du moins celles déjà adoptées au moment de sa ratification. Elle s’en distingue néanmoins en précisant que les actes terroristes ne doivent pas être qualifiés d’infraction politique (ce qui empêcherait les poursuites pénales à l’encontre de leurs auteurs).

On observe un relatif consensus quant au contenu des ses différents instruments conventionnels, ce qui montre l’évidente volonté de la Communauté Internationale des États de réprimer les actes terroristes. L’inclusion de la maxime aut dedere, aut iudicare, fondant une étroite coopération inter-étatique en matière de terrorisme, en est la clef de voute.

La consécration de la maxime aut dedere, aut uidicare.

La clause aut dedere, aut iudicare oblige les Etats qui arrêtent sur leur territoire des auteurs présumés d’acte terroristes de les extrader ou de les juger (GUILLAUME G., « Terrorism and International Law », I.C.L.Q. Vol. 53, juillet 2004, p. 542.).

Elle est contenue dans toutes les conventions internationales et régionales organisant la répression des actes terroristes cités précemment. Elle se voit en outre reconnaitre un caractère coutumier par une partie de la doctrine (MAIERHÖFER C., Aut dedere, aut iudicare, Berlin, Duncker & Humblot, 2006, p. 296.). La coutume est à rechercher dans la pratique des Etats, élement matériel, et dans l’opinio iuris, élément psychologique (C.I.J., affaire du Plateau continental, Jamahiriya arabe lybienne c. Malte, arrêt, Rec. 1985, p. 29,  § 27 ; C.I.J., Licéité de la menace ou de l’emploi des armes nucléaires, avis, 8 juillet 1996, Rec. 1996, p. 253.). De facto, la ratification massive des conventions internationales susnommées permet de déduire une pratique certaine des Etats, qui se soumettent à l’obligation alternative que contient cette maxime. De plus, l’obligation aut dedere, aut iudicare bénéficie en matière de terrorisme d’un solide consensus, comme en témoigne le nombre d’instruments légaux signés depuis quelques années, parmi lesquels des résolutions adoptées par l’Assemblée Générale des Nations Unies (Déclaration de 1994 portant sur les mesures visant à éliminer le terrorisme international annexée à la résolution 49/60 du 14 décembre 1994, régulièrement reprise depuis), dont le « vote largement majoritaire ou unanime » entraîne la preuve de l’opinio iuris (SZUREK S., « la lutte internationale contre le terrorisme sous l’emprise du Chapitre VII : un laboratoire normatif », R.G.D.I.P. 2005, p. 16 ; C.I.J., affaire de l’Interhandel, 21 mars 1959, Rec. 1959, p. 27.). En outre, l’obligation d’extrader découle de ce que les Etats ont un intérêt commun à ce que le terrorisme soit réprimé. De surcroît, la lutte contre le terrorisme « incorpore des règles désormais coutumière » (DUPUY P. M., « La communauté internationale et le terrorisme », in: Les nouvelles menaces contre la paix et la sécurité internationales, Journée franco-allemande de la S.F.D.I., Paris, Pedone, 2004, p. 39-40.).  La maxime aut dedere, aut iudicare en fait partie, et appartient même selon certains auteurs aux normes de la civitas maxima, ou ordre juridique supra-étatique (BASSIOUNI M. C., WISE E. M., Aut dedere, aut judicare, Dordrecht, Martinus Nijhoff Publishers, 1995, pp. 24, 49, 68 ; WOLLF C., Jus gentium methodo scientifica pertractatum, Halle, 1749). En effet, tout les États ont, selon les premiers éléments de doctrine en droit international (Hugo Grotius, Emer de Vattel...), un intérêt commun  à restreindre la criminalité en jugeant ou en extradant les auteurs de crimes, de sorte que, même en l'absence de règle de droit contraignante, les États poursuivent leur coopération judiciaire en la matière.  (GROTIUS H., De iure belli ac paci, Livre II, Chapitre XXI, Paris, 1625 ; VATTEL E. de, Le Droit des gens : Principes de la loi naturelle, appliqués à la conduite et aux affaires des Nations et des Souverains, Vol. II, Chapitre VI, Londres, 1758, p. 136.). En outre, la maxime fait partie intégrante, pour une partie de la doctrine, du corpus des normes de ius cogens, ou normes impératives et indérogeables du droit international, dans la mesure où son non-respect, et l’impunité de facto alors accordée à des auteurs de crimes, est la cause de graves violations du droit pénal international et de la protection internationale des droits de l’Homme.

En outre, la résolution S/RES/1373 précitée contient, à l’instigation des Etats-Unis, de manière implicite, la clause aut dedere, aut iudicare pour les actes de terrorisme, ainsi que toutes les résolutions adoptées sur ce sujet par le Conseil de Sécurité depuis. Ces résolutions, fondées sur le Chapitre VII de la Charte, et liant donc tous les Etats, constituent des instruments de choix dans la lutte contre l’impunité.

Il n’a cependant pas été encore à ce jour tranché laquelle des deux obligations alternatives (extrader ou juger) engage prioritairement les Etats. La décision que la C.I.J. sera amenée à rendre dans l’affaire pendante Question relative à l’obligation de juger ou d’extrader (Belgique c. Sénégal) établira la portée précise de cette obligation.

Il convient enfin de préciser que l’exercice de cette clause ne doit en aucun cas conduire à l’expulsion d’un auteur présumé dans un Etat où il risquerait de subir des mauvais traitements, tels que de la torture, et ce grace à l’existence d’une clause dérogeant à l’obligation d’extrader (Principe de non refoulement, Art. 3 de la Convention contre la Torture de 1984) .

A l’heure actuelle, le contentieux n’est pas étendu. Toutefois, cette absence de pratique des Etats ne signifie pas que ceux-ci se désintéressent des actes terroristes, mais plutôt que la répression ce tels actes passe par des pratiques moins nobles que l’exécution des instruments légaux susmentionnés. Citons par exemple les restitutions extraordinaires pratiquées par certains Etats et qui conduisent à de graves violations des droits de l’Homme. Il est à espérer que les Etats s’accorderont dans un futur proche sur des moyens de répression plus efficaces du terrorisme.

 

 

 

Bibliographie sélective :

Ouvrages :

BASSIOUNI M. Cherif, WISE Edward M., Aut Dedere Aut Judicare, The Duty to Extradite or Prosecute in International Law, Dordrecht, Martinus Nijhoff Publishers, 1995, 340 p.

DAVID Eric, Eléments de droit international pénal : La répression nationale et internationale des infractions internationales, Bruxelles, Bruylant, 4e éd., 1994, 1566 p.

MAIERHÖFER Christian, Aut dedere – aut iudicare“ Herkunft, Rechtsgrundlage und Inhalt des völkerrechtlichen Gebotes zur Strafverfolgung oder Auslieferung, Berlin, Dunkler & Humblot, 2006, 453 p.

PATI Rosa, Due process and international Terrorism, an international legal analysis, Boston, Leiden, Martinus Nijhoff Publishers, 2009, 520 p.

VITZTHUM Wolfgang Graf von, Völkerrecht, Berlin, de Gruyter Lehrbuch, 4e éd., 2007, 756 p.

Articles :

VALLEE Charles, « La Convention européenne pour la répression du terrorisme », Annuaire Français de Droit International, Vol. 22, 1976, pp. 756-786.

BASSIOUNI Cherif, «Legal Control of International Terrorism: A Policy Oriented Assesment», Harvard International Law Journal 2002, pp. 83-84.

CASSESE Antonio, «The Multifaceted Criminal Notion of Terrorism in International Law», J.I.C.J. 2006, pp. 933-935.

ENACHE-BROWN Coleen, FRIED Ari, “Universal Crime, Jurisdiction and Duty: The Obligation of Aut Dedere Aut Judicare in International Law”, McGill Law Journal 1998, pp. 628-689.

KLEIN Pierre, « le droit international à l‟épreuve du terrorisme », R.C.A.D.I. 2006, pp. 217-484.

TOMUSCHAT Christian, « Der 11. September und seine rechtlichen Konsequenzen », E.u.G.R.Z., 2001, pp. 535-540.