A propos d’une étude de David. E. Rigney relative à la protection des compilations par le droit d’auteur américain par Zelda GERARD

La problématique soulevée par D. E. Rigney concerne la définition d’une compilation en droit américain. Cette dernière est une œuvre composée d’un assemblage d’œuvres préexistantes ou de données préalablement sélectionnées, coordonnées, ou arrangées, de telle sorte que le résultat final, une fois assemblé, constitue lui-même une œuvre de création originale. L’auteur doit opérer des choix décisifs et faire preuve d’originalité s’il veut que son œuvre soit protégée. L’œuvre la plus similaire en France est l’œuvre composite. David E. Rigney, What constitutes a « compilation » subject to copyright protection – modern cases, American Law Reports ALR Federal (1988), 88 A.L.R. Fed. 151

Le titre de l’article énonce clairement la problématique de l’auteur, à savoir la définition d’une compilation susceptible de bénéficier de la protection du droit de la propriété intellectuelle aux Etats-Unis. Pour répondre à cette question, l’auteur se penche sur les arrêts rendus récemment en la matière aux Etats-Unis, afin de déterminer quelles compilations ont été considérées comme protégeable en droit américain. L’article étudié ici est extrait des American Law Reports (« ALR »). Les ALR sont une source très importante pour les juristes américains qui évoluent dans un système de Common Law, car ils présentent les arrêts récents rendus pour un sujet donné, et pour différentes juridictions. Ils permettent ainsi à l’étudiant ou au praticien du droit d’évaluer rapidement la jurisprudence de son Etat concernant un sujet déterminé et de comparer les positions des juridictions entre elles. Apres avoir examiné les critères retenus par les juridictions américaines, il est intéressant d’examiner le droit français à ce sujet. Peut-on trouver des œuvres de compilation en France ? Existe-t-il un équivalent en droit français ? Quel type de protection leur est accordé et comment le droit français répond-il aux problématiques soulevées par les juridictions américaines ?

L’article 17 U.S.C.A. §101 (extrait du United States Code Annoté) nous offre une définition de la compilation en droit américain. Une compilation est une œuvre composée d’un assemblage d’œuvres préexistantes ou de données préalablement sélectionnées, coordonnées, ou arrangées de telle sorte que le résultat final, une fois assemblé, constitue lui-même une œuvre de création originale. (« A compilation is a work formed by the collection and assembly of preexisting materials or of data that are selected, coordinated, or arranged in such a way that the resulting work, after assembling, constitutes an original work of authorship » 17 U.S.C.A. §101) L’article de David E. Rigney donne quelques exemples de compilations. L’auteur analyse successivement divers types d’œuvres considérées par la jurisprudence américaine comme des œuvres de compilation, telles que certaines publicités, des programmes informatiques, un annuaire, des données financières, certaines photographies, et même des livres de recette, des cartes ou encore d’autres sujets susceptibles d’être protégés par un copyright.

L’auteur d’une compilation effectue des choix décisifs dans les éléments qui composent son œuvre, ce qui justifie une protection légale. L’auteur choisit les données, l’ordre de placement de ces données afin qu’elles soient utilisables de façon effective par le lecteur. « A partir du moment où ces choix sont réalisés de façon indépendante et démontre un certain degré de créativité », l’œuvre présente un caractère original suffisant pour être protégée par le droit de la propriété intellectuelle. (« The compilation author usually chooses which facts to include, in what order to place them, and how to arrange the collected data so that they may be used effectively by readers. These choices as to selection and arrangement, so long as they are made independently by the compiler and entail a minimal degree of creativity, are sufficiently original that congress may protect such compilations through the copyright laws. »)

L’arrêt phare en matière de compilation, et plus particulièrement en matière de compilations de données factuelles, est l’arrêt Feist Publications v. Rural Telephone Service, arrêt de la Cour Suprême, 499 US 340 (1991). Dans cet arrêt, la Cour Suprême a statué que les données factuelles en elles-mêmes ne peuvent recevoir de protection. Cependant les œuvres de compilation de faits reçoivent généralement une protection. Le standard applicable est l’originalité de l’auteur. La notion d’originalité en droit américain fait référence à la personnalité de l’auteur que l’on peut percevoir dans son œuvre. L’exigence d’originalité est aisément satisfaite. Une œuvre est perçue comme une création indépendante dès lors que l’auteur n’a pas copié une autre source, et fondé son œuvre sur une œuvre préexistante. (“Independent creation requires only that the author not have copied the work from another source.”) Intellectual Property in the New Technological Age, Merges, Menell et Lemley, 3e edition, ASPEN, p. 327.) Dans l’arrêt Alfred Bell & Co. v. Catalda Fine Arts, Inc., 191 F.2d 99, 103 (2d Cir. 1951), le tribunal a affirmé que la Constitution des Etats-Unis et les lois en vigueur requièrent de l’auteur en matière d’originalité uniquement une contribution qui soit plus qu’une simple variation d’une œuvre préexistante. On doit pouvoir reconnaitre la personnalité de l’auteur à travers son œuvre. (“all that is needed to satisfy both the Constitution and the statute is that the “author” contributed something more than “merely trivial” variation, something recognizably his own.”) On ne peut oublier que le droit de la propriété intellectuelle américain découle de la Constitution des Etats-Unis, qui donne au Congrès le droit « de favoriser le progrès de la science et des arts utiles, en assurant, pour un temps limité, aux auteurs et inventeurs le droit exclusif à leurs écrits et découvertes respectifs » (Constitution des Etats-Unis, article premier, section 8). L’auteur montre qu’il existe une grande diversité d’œuvres bénéficiant du statut de compilation. Par exemple, une compilation de scènes extraites de divers films présentant un acteur a été déclaré une œuvre de compilation dès lors que l’auteur avait exercé son savoir faire et sa créativité dans le choix et l’arrangement des scènes (numéro 6). Une carte géographique peut aussi être qualifiée de compilation au sens où les efforts présents dans la création de la carte lui confèrent un statut particulier. L’arrangement de photographies dans un livre de classe de même. On peut noter toutefois certaines exceptions à l’octroi de protection pour les compilations. Par exemple, certains tribunaux ont refusé la qualification de compilation protégeable à des œuvres contenant des interprétations artistiques ou historiques. Le manque d’originalité peut aussi être un facteur décisif. Dans l’arrêt Cooling Systems & Flexibles, Inc. v. Stuart Radiator, Inc. (1985, CA9 Cal) 777 F2d 485, 228 USPQ 275, la cour a refusé de considérer un catalogue de radiateurs comme une compilation protégeable, en raison du manque d’originalité dans l’arrangement du catalogue. De façon générale en droit américain, le droit de la propriété intellectuelle n’offre pas de protection pour des données factuelles contenues dans une œuvre, l’octroi d’une protection par le droit d’auteur d’une compilation de données factuelles va dépendre de la sélection et de l’arrangement de ces données. Dans l’arrêt Hearn v. Meyer (1987, SD NY) 664 F Supp. 832, 3 USPQ2d 1721 que nous présente cet article, l’auteur d’un manuscrit destiné à retracer l’historique et l’évolution des illustrations de leur origine jusqu'à aujourd’hui, arguait que, même s’il ne prétendait pas pouvoir acquérir de droits sur les illustrations présentées, n’étant pas leur auteur, il estimait cependant que son travail d’assemblage de ces illustrations et données pouvait bénéficier d’une protection offerte par le droit de la propriété intellectuelle. La cour a rejeté cet argument, pour la simple raison que les éléments assemblés étaient des faits, compris dans le domaine public, et leur assemblage ne pouvait bénéficier d’une protection légale.

Qu’en est-il en France ? A quel type d’œuvre française peut-on assimiler la compilation ? Le mot compilation en France fait pratiquement exclusivement référence aux compilations de morceaux sur un même disque lorsque ces morceaux n’étaient pas censés faire partie d’un même album au départ. On peut penser à la notion d’œuvre composite à savoir l'œuvre nouvelle à laquelle est incorporée une œuvre préexistante sans la collaboration de l'auteur de cette dernière. Si en droit américain une compilation est un assemblage d’œuvres préexistantes qui sont sélectionnées, et arrangées de façon à former un tout original et susceptible de bénéficier d’un copyright, peu importe que l’on puisse distinguer séparément les éléments qui la composent, l’œuvre composite ou dérivée est selon l’article L.113-2 al.2 du Code de la Propriété Intellectuelle, (« CPI »): «l’œuvre nouvelle à laquelle est incorporée une œuvre préexistante sans la collaboration de l’auteur de cette dernière», par exemple une adaptation, une traduction ou un recueil. L’œuvre composite suppose l’incorporation d’une œuvre ancienne dans une œuvre nouvelle. L’article L.113-4 du code de la Propriété Intellectuelle dispose que l’œuvre composite est « la propriété de l’auteur qui l’a réalisée, sous réserve des droits de l’auteur de l’œuvre préexistante. » L’autorisation de l’auteur de l’œuvre de base est obligatoire, sauf si cette dernière fait partie du domaine public ou n’est plus protégée par le droit d’auteur. La compilation ne nécessite pas forcément que les œuvres qui la constituent aient été destinées à être insérées dans une compilation au moment de leur création. De la même façon en France et aux Etats-Unis, l’auteur de la compilation américaine ou de l’œuvre composite française ne se voit conférer aucun droit sur les œuvres qui composent l’œuvre de compilation. Le copyright accordé à la compilation ne s’étend pas aux œuvres qui composent cette compilation. (the copyright in a compilation extends only to the material contributed by the author of such work, as distinguished from the preexisting material employed in the work, and does not imply any exclusive right in the preexisting material. The copyright in a compilation extends only to the material contributed by the author of such work, and does not imply any exclusive right in the preexisting material. (17 USCA 103(b))). Cependant, en droit français comme en droit américain, l’auteur de l’œuvre de compilation peut se voir conférer un copyright ou droit d’auteur sur la compilation dans certaines conditions. Les mêmes exigences s’appliquent. L’œuvre doit être fixée, et l’auteur doit faire preuve d’originalité. Mais il faut toujours garder en mémoire que l’auteur ne peut recevoir de protection légale que pour sa contribution à la création d’une nouvelle œuvre.

BIBLIOGRAPHIE

• Pierre-Yves Gautier, Propriété littéraire et artistique, PUF, coll. « Droit fondamental », 2004. • Intellectual Property in the New Technological Age, Merges, Menell, et Lemley, 3e édition, chez ASPEN. • Copyright in a Global Information Economy, Cohen, Loren, Okediji, O’Rourke, Second Edition, chez ASPEN. • Bernard Edelman, La propriété littéraire et artistique, 3e éd., PUF, coll. « Que sais-je ? », 1999, no 1388. • Fiches techniques de la direction du développement des medias sur le respect du droit de la propriété intellectuelle et artistique sur Internet : o http://www.culture.gouv.fr/culture/infos-pratiques/droits/beneficiaires.htm • Code de la propriété intellectuelle o Article L.113-2 al.2 o Article L.113-4