A propos de la liberté d'expression sur internet, par Noémie Oudey

La révolution informatique opérée par le développement d’Internet a permis de faciliter l’accès à l’information et à la communication. Mais elle a aussi été l’occasion de la commission de nombreuses infractions liées à la diffusion de contenus illicites. L’harmonisation des droits internes des Etats par le biais d’un texte international s’est donc imposée à eux afin de lutter efficacement contre la cybercriminalité. Mais c’était sans compter sur l’antagonisme des approches des Etats en matière de liberté d’expression.

La liberté d'expression, principe fondamental dans une société démocratique, a toujours été un enjeu important pour les Etats, et davantage encore aujourd’hui depuis l'apparition d’Internet. Internet est un réseau informatique mondial qui constitue un outil rapide et efficace pour ses utilisateurs pour s'informer et même communiquer entre eux. Ainsi, Internet est rapidement devenu un lieu d'échange et de liberté pour les internautes. Dès sa création, l'idéologie d'Internet était de permettre aux individus de toutes nationalités, de toutes religions et de toutes cultures de s'exprimer librement sans aucune entrave. L’idée de liberté dans les échanges était dès lors annoncée. Les contraintes et pressions du marché sont alors placées hors de la conception d’Internet fondée sur un partage de l'information sans limite, l’accès à l’information étant facilité par sa gratuité. Internet devient alors un espace de liberté absolue. Cette liberté est d’ailleurs revendiquée par ses utilisateurs : sur Internet, il est interdit d’interdire ! Le principe de la liberté d'expression revendiqué sur Internet a été consacré dans divers textes internationaux. Tout d’abord dans la Déclaration Universelle des Droits des Droits de l’Homme (DUDH) qui l’a consacré en 1948. La Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme (CESDH) énonce également la liberté d’expression en son article 10. Enfin, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques précise en son article 4 que la liberté d'expression comprend «la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce sans considération de frontière». Tous ces textes prévoient un régime protecteur de l’exercice de cette liberté. Pour autant, cela ne signifie pas qu’ils lui reconnaissent un caractère absolu. Internet est un outil de communication au service de la liberté d’expression qui ne fait pas exception à la nécessité de l’encadrer, voire même de la limiter. Ces exceptions à la liberté d’expression sont justifiées par l’existence d’autres droits et d’intérêts individuel ou collectif. Il apparaît alors une difficulté importante : trouver un juste compromis entre des principes ayant chacun leur propre légitimité, c’est-à-dire entre la liberté d’expression et la sécurité et dignité de l’individu. La révolution informatique ayant facilité l’accès à l’information et à la communication, elle a également été l’occasion de la commission de nombreuses infractions, il s’agit de la cybercriminalité. La cybercriminalité désigne l’ensemble des infractions qui ont été commises sur le Réseau. La cybercriminalité peut prendre trois formes différentes. Tout d’abord, l’atteinte à la propriété intellectuelle, ensuite les infractions liées aux technologies de l'information et de la communication (diffusion de virus, fraude à la carte bancaire) et enfin les infractions relatives au contenu illicite. Nous nous intéresserons ici à ce dernier type de cyber infractions. Le contenu illicite désigne le contenu d'une information, d'un document ou d'un site présents sur Internet qui est défendu par la morale ou par la loi. L’illicéité d’un contenu est très difficile à définir puisqu’elle est déterminée en fonction de notions telles que les bonnes mœurs, la morale ou encore l'ordre public. Ces notions varient d’un Etat à un autre, en effet un comportement ou une pratique considéré immoral dans un pays peut tout à fait être intégré dans la culture d’un autre. Il existe donc une diversité de contenus illicites présente sur Internet qui sont susceptibles de gêner les internautes, tels que la propagande haineuse ou la pédopornographie. Se pose alors la question de la liberté d’expression sur Internet. Est-ce que la liberté d’expression, prônée par de nombreux textes internationaux permet l’expression sur Internet de tout type de discours, notamment de discours racistes ? Nous comparerons tout d’abord les divergences entre les conceptions américaine et française de la liberté d’expression. Nous verrons ensuite que la création de textes internationaux, telle que la Convention sur la cybercriminalité, n’a pas permis d’harmoniser les conceptions de ces deux pays.

La France et les Etats-Unis, deux conceptions différentes d’une même liberté La liberté d’expression est reine aux Etats Unis. Cette idéologie libertaire trouve son origine dans la Constitution américaine, en son premier amendement. En effet, en disposant que « le Congrès ne fera aucune loi restreignant la liberté de parole ou de la presse », celui-ci ne semble pas admettre de limites à cette liberté. Ce texte ne permet donc pas au gouvernement de limiter ou même de nuire à la liberté d’expression, et ce même sur Internet. Le critère fondamental permettant de savoir si un discours est ou non protégé par le premier amendement de la Constitution américaine est celui du clear and present danger selon lequel le danger créé par le discours doit être imminent et clairement identifié. Ainsi, si le discours en cause ne vise pas précisément une personne ou n’incite pas à commettre un acte troublant l’ordre public, celui-ci sera protégé par le premier amendement de la Constitution. En 1989, dans l’affaire Texas contre Johnson (1989), la Cour Suprême a considéré que le fait de brûler le drapeau américain ne justifiait pas la mise en œuvre du critère du clear and present danger, étant donné qu’aucune personne en particulier n’était visée par l’acte en cause. Cet acte n’a donc pas été considéré illégal par la Cour. En ce qui concerne les discours racistes et xénophobes sur la Toile, les Etats-Unis semblent largement les tolérer et se basent, pour ce faire, sur le critère du content neutral selon lequel une simple norme ne peut porter atteinte à l’exercice de la liberté d’expression si elle ne retient, comme condition de censure, que l’illicéité du contenu du discours. Le contenu illicite n’est donc pas une condition suffisante pour justifier la censure d’un discours, d’autres facteurs tels que la sécurité des personnes et des biens, ou encore l’ordre public doivent la compléter. En France, la liberté d’expression est considérée différemment. Depuis la Révolution française de 1789, la liberté d’expression en France est une liberté fondamentale accordée à chaque citoyen. Elle a une valeur constitutionnelle puisqu’elle a été consacrée par l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 et par le Préambule de la Constitution du 4 octobre 1958. La France n’hésite pas à apporter des limites à cette liberté lorsque son exercice abusif peut nuire aux intérêts d’autres citoyens et à la sécurité de l’Etat. Du fait de son adhésion à CEDH, la France se doit de respecter une certaine conception de la liberté d’expression, conception qui admet également des limites à son exercice. La conception américaine en matière de liberté d’expression se distingue donc de la conception française : celle-ci privilégie le dialogue à l’interdiction et tolère des discours racistes et xénophobes car elle considère que chacun a le droit d’exprimer librement ces opinions. La liberté d’expression permet de garantir au citoyen l’accès à un « marché » où toute sorte de discours se rencontre. Le citoyen doit se forger sa propre opinion parmi toutes les informations mises à sa disposition. Les meilleures idées sont censées remporter cette sélection sans que les pouvoirs dirigeants de l’Etat n’aient à intervenir. Ce libre accès à toute sorte de discours caractérise, entre autre, le caractère démocratique d’un Etat. A l’inverse, en France la liberté d’expression est limitée par la loi. Cette conception répond à l’idée que la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres. L’exercice de cette liberté par les uns peut restreindre la liberté d’autrui en lui causant des dommages. Une intervention judiciaire est alors nécessaire pour encadrer l’exercice de cette liberté. Les limites tolérées en France en matière de liberté d’expression sont la protection des personnes et des valeurs. Cela intègre la diffamation, la pornographie et la propagande haineuse. Les menaces pour la sécurité de l’Etat constituent également une limite à l’exercice de cette liberté. L’exemple de la haine raciale sur le Net illustre parfaitement les divergences françaises et américaines. La France, du fait de sa participation à la diffusion de la propagande nazie durant la Seconde Guerre Mondiale, se sent particulièrement concernée par la question de la liberté d’expression, et notamment des abus dont elle peut faire l’objet sur Internet surtout quand ces derniers revêtent la forme de racisme et de xénophobie. Ainsi, la loi Gayssot du 13 juillet 1990 interdit les propos publics « faisant l’apologie des crimes contre l’humanité » ou ceux incitant « à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes en raison de ses origines ou de leur appartenance ou de leur non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ». La position française se conforme à celle de l’Europe qui n’hésite pas en cas de discours racistes à porter atteinte à cette liberté. Pourtant, il est important de préciser que la liberté d’expression aux Etats Unis n’est pas absolue. La Cour suprême admet que des limites soient portées à cette liberté. En effet, la législation américaine interdit les discours dont la cible est une personne déterminée. Ainsi, seront sanctionnés les cas d’injures, d’obscénité et de diffamation. Mais ces exceptions sont très restrictivement interprétées. La Cour suprême exige, comme nous l’avons déjà vu, que le gouvernement ne censure pas un discours au regard de son contenu c’est-à-dire des idées énoncées, mais au regard de ses conséquences immédiates pour l’intérêt public. Nous pouvons cependant regretter que dans l’affaire précédemment citée Texas c/ Johnson, la Cour suprême ait invalidé les poursuites contre des individus ayant brûlé le drapeau américain et n’ait pas retenu le critère de l’intérêt général, pourtant évident en l’espèce, pour justifier l’interdiction de commettre un tel acte. Il apparaît alors que la position américaine se rapproche difficilement de celle de la France en matière de liberté d’expression. En effet, les Etats-Unis reconnaissent la nécessité de restreindre cette liberté, notamment quand les intérêts de l’ordre public sont en jeu, mais peinent dans la pratique à exercer cette restriction. La question de la régulation des contenus pornographiques sur Internet illustre cette difficulté, en effet, elle n’a pas obtenu le soutien du juge américain. Deux textes, le Communication Decency Act (1996) et le Child Online Protection Act (1998) ont tenté d’instaurer des mesures visant à protéger les enfants contre l’extension sur Internet de contenus pornographiques. Ces deux tentatives ont échoué, la Cour suprême considérant que certaines dispositions de ces textes étaient inconstitutionnelles car elles restreignaient le droit de s’exprimer librement. Même si les Etats-Unis ont du faire face à l’extension de contenus pornographiques et même racistes sur la Toile, à aucun moment n’a été envisagée la possibilité de déroger à son libéralisme. Internet doit s’autoréguler car une réglementation du Réseau constituerait un frein à son développement économique.

La Convention sur la cybercriminalité et le Protocole additionnel à la Convention sur la cybercriminalité, une tentative d’harmonisation des droits nationaux Le développement rapide d'Internet a engendré des abus et a facilité la commission d'infractions pénales. Mais la répression de ces infractions se heurte au principe de territorialité de la loi pénale. C'est pourquoi, afin de lutter efficacement contre ce fléau, une approche internationale concertée s'imposait. Les solutions mises en œuvre par les Etats au niveau national comme la censure, n’ont pas eu pour effet de lutter efficacement contre les contenus illicites présents sur Internet et se sont révélées insuffisantes en la matière. En effet, les frontières n'étant pas délimitées sur Internet, les seules législations des Etats ne peuvent suffire pour réglementer un tel espace. Cette dimension internationale apparaît alors comme un inconvénient pour lutter efficacement contre les contenus illicites. La meilleure solution qui se présente alors aux Etats est la coopération internationale. Mais celle-ci ne s’opère évidemment pas sans difficulté. En effet, les Etats ne semblent pas toujours prêts à vouloir perdre une partie de leur souveraineté nationale et veulent garder une part de contrôle sur Internet. L’affaire Yahoo ! illustre parfaitement cette situation dans laquelle la France a tenté d’imposer sa conception de la liberté d’expression sur le Réseau. Mais au regard des caractéristiques propres d’Internet, une réglementation internationale s’impose afin de mieux lutter contre les contenus illicites présents sur Internet. Les Etats membres du Conseil de l’Europe vont sauter le pas en 1997 et constituer un groupe d’experts chargé d'élaborer un projet de convention destinée à lutter contre les auteurs des infractions pénales commises sur le Réseau. Des Etats observateurs, tel que les Etats-Unis, le Canada et le Japon participent également à l’élaboration de ce projet. Les Etats parviennent finalement à un accord et acceptent de céder une partie de leur souveraineté en signant dès novembre 2001 le projet de convention. La Convention sur la cybercriminalité vise d'abord à harmoniser les législations nationales en matière d'incrimination et de sanctions pénales afin de lutter efficacement contre des criminels qui emploient le réseau informatique pour commettre des infractions et qui profiteraient des différences entre les législations. En matière procédurale, elle tend à améliorer la coopération entre les services de police des différents Etats membres durant leur investigation. Une certaine coopération internationale s'est donc mise en place malgré la réticence des États à perdre une partie de leur souveraineté. Mais cet avancement est bien relatif. En effet, très souvent, des accords internationaux telle que la Convention sur la cybercriminalité sont élaborés par les Etats mais ne sont pas appliqués dans leur ordre juridique interne. Ces instruments juridiques internationaux restent alors lettre morte. La Convention incrimine les atteintes à la sécurité informatique et à l’intégrité des données, la fraude informatique. Sont également présentes des infractions liées au contenu comme la pédopornographie. La répression d’abus en matière de liberté d’expression tels que le racisme, le négationnisme et le révisionnisme ne sont pas prévus par le texte de la Convention. Les Etats-Unis, ainsi que le Canada et le Japon, ont refusé que soit intégrée une telle disposition dans la Convention. Dans la mesure où les Etats-Unis représentent le principal moteur de développement d’Internet, il aurait été incohérent de les écarter du projet même si le premier amendement de leur Constitution empêche toute possibilité d’interdire les discours racistes et xénophobes. Lors des rencontres et discussions préalables à cette convention, le comité d'experts n'avait pas adopté les propositions des délégations allemande et française concernant l'incrimination des comportements racistes et xénophobes sur Internet en raison, comme nous l’avons précisé, de l'opposition de divers Etats, qui invoquaient le principe de la liberté d'expression. Aussi, dès 2001, le Conseil de l'Europe suggéra l'élaboration d'un protocole additionnel. Le Protocole additionnel à la Convention sur la cybercriminalité relatif à l'incrimination d'actes de nature raciste et xénophobe commis par le biais de systèmes informatiques fut adopté le 7 novembre 2002 par le Conseil de l'Europe. Les Etats-Unis n’ont bien sûr pas signé ce Protocole. Pourtant, celui-ci constitue un complément essentiel et symbolique à la Convention sur la cybercriminalité même s’il n’a pas un caractère obligatoire. Depuis l'adoption de la DUDH en 1948, la Communauté internationale a réalisé des progrès importants dans la lutte contre le racisme et la xénophobie. Des règles ont été adoptées aux niveaux national et international et un certain nombre d'instruments internationaux de protection des droits de l'homme ont été mis en place, notamment la Convention internationale de New York de 1965 sur l'élimination de toute forme de discrimination raciale (CERD). Mais la portée juridique de cette convention a été limitée par la pratique juridique des Etats. En effet, de nombreux Etats ont conditionné leur adhésion à la CERD à l’exercice de leur droit de réserve. Ainsi, l’article 4 de la CERD qui contraint les États membres à adopter dans leur ordre juridique interne des règles juridiques interdisant et réprimant la diffusion de contenus racistes n’a pas échappé à cette pratique. Les Etats-Unis ont notamment indiqué leur refus d'appliquer l'article 4, si son application suppose une limitation à la protection offerte par leur Constitution à la liberté d'expression. En dépit des progrès réalisés, le souhait d'un monde sans haine raciale ne s'est que partiellement concrétisé. En effet, outre le rapprochement des cultures, la mondialisation a également eut pour effet d’exclure et d’accroitre les inégalités entre les peuples sur une base, très souvent raciale. D’autre part, l’apparition d’Internet offre la possibilité de diffuser plus facilement et plus largement des discours racistes et xénophobes. La coopération internationale semble à nouveau indispensable afin de combattre efficacement ces discours. C’est pourquoi le Protocole poursuit comme objectifs d’harmoniser le droit pénal matériel dans la lutte contre le racisme et la xénophobie sur l'Internet et d’améliorer la coopération internationale dans ce domaine. En effet, une telle harmonisation facilite la lutte contre cette criminalité tant aux niveaux national qu’international.

Terrorisme et liberté d’expression sur Internet : l’exception qui confirme la règle ?

En Europe, la liberté d’expression n’est pas illimitée : les Etats sont autorisés, sous certaines conditions, à y porter atteinte. A cet égard, la jurisprudence de la CEDH en matière de lutte contre le terrorisme permet de déterminer les limites de ces ingérences. L’affaire Zana c/ Turquie a constitué un tournant dans la jurisprudence de la CEDH. En l’espèce, le requérant est l’ancien maire de Diyarbakır, une ville turque. Il a déclaré, lors d’un entretien journalistique, son soutien au mouvement de libération nationale du PKK, tout en s’opposant aux massacres que le PKK perpétuait. Faisant application de l’article 10 de la CESDH, la CEDH, a tenu compte de la position du requérant dans la vie politique turque et des conséquences éventuelles de sa déclaration. La CEDH a estimé que l'adoption, par les autorités nationales, d'une mesure visant à préserver la sécurité nationale et la sûreté publique et la condamnation de cet ancien maire étaient justifiées. Afin d’apprécier si cette ingérence était indispensable, la Cour a jugé nécessaire de vérifier si « un juste équilibre a été respecté entre le droit fondamental d'un individu à la liberté d'expression et le droit légitime d'une société démocratique de se protéger contre les agissements d'organisations terroristes ». Elle a finalement considéré que le soutien apporté au PKK par un politicien important était de nature à aggraver une situation déjà particulièrement difficile. Ainsi, l’Europe, même lorsqu’il s’agit de lutter contre le terrorisme, respecte sa propre conception de la liberté d’expression : celle-ci n’est pas une liberté absolue. Pour autant, consciente des dérives législatives que peut engendrer cette guerre contre le terrorisme, notamment en ce qui concerne le respect des libertés individuelles, la CEDH a précisé les limites qui peuvent être portées à l’exercice de cette liberté. Les Etats-Unis, quant à eux, ont adopté en cette matière une position qui marque une rupture avec la traditionnelle conception américaine de la liberté d’expression. Les Etats-Unis représentent un acteur dominant sur Internet, où la liberté d’expression connaît peu de limites. Pourtant, à la suite des attentats du 11 septembre 2001, le gouvernement américain a adopté une politique différente afin de lutter contre le terrorisme. Celui-ci a fait voter des mesures d’urgence qui ont pour effet de porter atteinte aux libertés individuelles et notamment à la liberté d’expression. Internet pouvant être utilisé par les terroristes comme outil de propagande, le concept de l’absolue liberté d’expression sur Internet a été mis à mal par le gouvernement américain au nom de la lutte contre le terrorisme. En effet, la surveillance du Réseau a été légalisée, le 24 octobre 2001, avec l’adoption par la Chambre des représentants du Patriot Act (Provide Appropriate Tools Required to Intercept and Obstruct Terrorism). Cette loi, votée à la suite des attentats du 11 septembre 2001, étend les pouvoirs d’investigation accordés à l’office fédéral d’investigations (FBI). Ce dernier est alors autorisé, grâce à un logiciel installé chez les fournisseurs d’accès (FAI), à surveiller la navigation sur Internet de toute personne suspectée d’activité terroriste. Le texte étend également la liste des informations que les enquêteurs peuvent exiger des fournisseurs d’accès sans une autorisation préalable du juge. En janvier 2004, le président George W. Bush a demandé au Congrès de rendre permanent le Patriot Act, jugé « vital », alors que celui-ci aurait dû devenir caduc en 2005. Cette démarche a fait l’objet de nombreuses critiques du fait des dérives auxquelles a déjà donné lieu cette loi provisoire. Ainsi, il apparaît que les Etats-Unis n’ont pas hésité à porter atteinte à la liberté d’expression et a ébranlé la conception absolutiste de cette liberté. Le terrorisme semble justifier le durcissement de la législation américaine en la matière. Mais ce durcissement, qui ne devait initialement qu’être temporaire, perdure et constitue une violation des libertés individuelles.

La Convention sur la cybercriminalité a tenté d’harmoniser le droit de ses Etats membres en matière de liberté d’expression sur Internet. Mais cette tâche s’est révélée plus difficile qu’il n’y paraissait. En effet, comme nous l’avons déjà précisé la question de la haine raciale sur le Net n’est pas mentionnée dans le texte de la Convention et ce, afin de respecter la conception de certains Etats en la matière, notamment les Etats-Unis. Cette question a pourtant son importance pour d’autres Etats tel que la France, qui du fait de la diversité de sa population et afin de maintenir une certaine cohésion sociale dans ses frontières, se doit d’encadrer les abus sur Internet qui prennent la forme de propagande raciale. La création du droit international nous montre alors ses limites dans ses rapports avec le droit interne. Le droit international comporte un ensemble de techniques et de procédures que les Etats utilisent pour exprimer leur volonté et satisfaire leurs intérêts. Mais il ne faut pas oublier que les Etats sont souverains en droit international et qu’en acceptant de s’obliger ils affirment leur souveraineté. Les instruments internationaux ne sont alors que l’expression de cette souveraineté. Les Etats souverains, par le biais de traités, décident de créer des règles de droit qui leur sont communes. En effet, dès 1945, la société internationale a été marquée par la volonté, manifestée dans le texte de la Charte des Nations-Unies, de revaloriser les fondements internationaux et d’affirmer l’existence de valeurs et d’idéologies communes à l’ensemble des Etats. Mais il est important de préciser que la Communauté internationale reste profondément hétérogène. Celle-ci est marquée par de considérables disparités de puissance, de développement économique et culturel. Et dans le domaine des droits fondamentaux, la revendication d’identité culturelle remet en cause l’universalité des droits affirmés dans les textes internationaux. La question de la liberté d’expression sur Internet illustre parfaitement ces propos. La question de la haine raciale sur Internet a du être annexée au Protocole de la Convention sur la cybercriminalité, le comité d’experts de la Convention ne pouvant prendre le risque que les Etats-Unis ne participent pas à un tel projet. Aujourd’hui, l’encadrement du racisme sur Internet prévu par le Protocole n’est pas de caractère obligatoire et est surtout symbolique. L’harmonisation des droits internes en matière de contenus illégales sur Internet n’a donc pas été possible et ne reste que fantasmée.