A propos de la portée contraignante des mesures conservatoires de la CIJ dans le domaine des droits de l’homme : réactions américaines et européennes, par Louise Balsan

La Cour Internationale de Justice est l’organe judiciaire principal de l’ONU. En 2001, lors de la célèbre affaire LaGrand, elle a reconnu la portée obligatoire des mesures conservatoires qu’elle édicte sur le fondement de l’article 41 de son Statut. Cette prise de position n’a pas reçu le même accueil en Europe et aux Etats-Unis ; surtout en matière de droits de l’homme. En effet, elle touche à la question du respect de la jurisprudence de la CIJ et de ses décisions par les Etats.

La Cour Internationale de Justice est l’organe judiciaire principal de l’ONU. En 2001, lors de la célèbre affaire LaGrand, elle a reconnu la portée obligatoire des mesures conservatoires qu’elle édicte sur le fondement de l’article 41 de son Statut. Cette prise de position n’a pas reçu le même accueil en Europe et aux Etats-Unis ; surtout en matière de droits de l’homme. En effet, elle touche à la question du respect de la jurisprudence de la CIJ et de ses décisions par les Etats. La Cour Internationale de Justice (CIJ) est l’organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies (ONU). Instituée en juin 1945 par l’article 92 de la Charte des Nations Unies, sa mission est de régler, conformément au droit international, les différends d’ordre juridique qui lui sont soumis par les Etats et de donner des avis consultatifs sur les questions juridiques que peuvent lui poser les organes et les institutions spécialisées de l’ONU autorisés à le faire. La CIJ est aujourd’hui fréquemment sollicitée par les Etats, sa compétence étant très largement acceptée. Les Etats-Unis ainsi que les Etats européens ont joué un rôle important dans son développement et ont presque toujours reconnu sa compétence lors de différends les opposant à d’autres Etats. Cependant, les décisions qu’elle édicte sont plus ou moins respectées. En effet, la grande majorité des Etats ne reconnaissent pas leur effet direct en droit interne ni leur primauté sur les décisions de justice nationales. Néanmoins, depuis une décennie, la CIJ a été très active concernant l’indication en mesures conservatoires prévue par l’article 41 du Statut de la CIJ : « la Cour a le pouvoir d'indiquer, si elle estime que les circonstances l'exigent, quelles mesures conservatoires du droit de chacun doivent être prises à titre provisoire. En attendant l'arrêt définitif, l'indication de ces mesures est immédiatement notifiée aux parties et au Conseil de sécurité ». En 2001, lors de l’affaire LaGrand, elle a reconnu la portée obligatoire de ses mesures conservatoires. De nombreux Etats ont immédiatement adhéré à cette prise de position alors que d’autres l’ont rejetée. En effet, elle touche à la question des rapports entre le droit international et le droit interne et à la question de savoir jusqu’où les Etats sont prêts à appliquer le droit international. Il est bien connu que, tandis que le droit européen s’inspire de la jurisprudence de la CIJ, l’attitude des Etats-Unis envers elle est souvent incertaine. Dès lors que la Cour prend des mesures conservatoires qui vont à l’encontre de ses intérêts nationaux, les Etats-Unis ont progressivement eu tendance à s’y soustraire et à ne pas les appliquer - notamment dans le domaine des droits de l’homme et de condamnation à mort de ressortissants étrangers ayant commis des crimes sur le sol américain. L’exemple le plus récent est celui de l’affaire dite Avena (Mexique contre Etats-Unis) au cours de laquelle la CIJ a rendu deux arrêts datant du 31 mars 2004 et du 19 janvier 2009. En 1997, José Ernesto Medellin, âgé de 18 ans et d’autres ressortissants mexicains, ont été condamnés à la peine capitale par les Cours du Texas suite au viol et au meurtre de deux jeunes filles à Houston, Texas sans avoir été informés de leur droit à l’assistance consulaire prévue par l’article 36 de la Convention de Vienne de 1963 sur les relations consulaires – à laquelle sont parties le Mexique et les Etats-Unis. Le Mexique a donc procédé à la saisine de la CIJ pour tenter d’obtenir le respect de cette Convention par les Etats-Unis. Le 31 mars 2004, la CIJ a reconnu, dans l’arrêt Avena, que : « les Etats-Unis sont tenus d’assurer, par les moyens de leur choix, le réexamen et la révision des verdicts de culpabilité rendus et des peines prononcées contre les ressortissants mexicains en tenant compte de la violation des droits prévus par l’article 36 de la convention de Vienne». Les juges américains refusant de suivre la décision, le Mexique a de nouveau saisi la Cour en juillet 2008 à propos de la demande en interprétation de l’arrêt Avena et autres ressortissants mexicains et de la demande en mesures conservatoires, afin de «sauvegarder ses droits et ceux de ses ressortissants». La CIJ a édicté une ordonnance en indication de mesures conservatoires le 16 juillet 2008 visant à prévenir l’exécution de M. Medellin. Les juges texans n’ont pas pris en compte cette demande et José Medellin a été exécuté le 5 août 2008. Il convient donc de revenir un moment sur la nature contraignante des mesures conservatoires de la CIJ avant d’aborder les positions américaines et européennes sur ce point. L’évolution des mesures conservatoires de la CIJ dans le domaine des droits de l’homme Selon Gérard Cornu, une mesure conservatoire se définit comme « une mesure avant dire droit qu’un tribunal international invite les parties à mettre en œuvre en attendant son jugement sur la compétence ou sur le fond de façon à éviter une atteinte irréparable aux droits de celle des parties qui les a sollicitées ». Jusque dans les années 1970, la CIJ était rarement saisie de demande en mesures conservatoires ; la plupart des Etats n’étant pas encore habitués à recourir à la Cour. Peu à peu et avec la naissance de nouveaux conflits et tensions inter-étatiques, la CIJ a été fortement sollicitée notamment dans le domaine de la protection des droits de l’homme, dans les conflits armés et situations de crise. Devant cette évolution, il est important de préciser qu’en matière de droits de l’homme, elle ne joue pas le même rôle que les Cours européennes, africaines ou interaméricaines des droits de l’homme. En vertu du principe de souveraineté Etatique, la cour se prononce dans la limite du différend dont elle est saisie et des faits qu’ils lui sont exposés. En effet, la Cour a toujours déclaré qu’elle ne prendra des mesures conservatoires « qu’en cas d’imminence d’un préjudice irréparable ou d’un risque d’aggravation du différend en question ». Ces ordonnances temporaires ne visent pas à régler le litige mais bien à maintenir l’équilibre entre les parties avant que la Cour ne rende sa décision finale. Par ailleurs, le pouvoir de la Cour d’indiquer des mesures conservatoires s’inscrit dans le contexte général de rétablissement et de maintien de la paix par les organes de l’ONU ; contexte dans lequel la communauté internationale l’encourage à jouer un rôle plus actif. Ces mesures touchant des domaines de plus en plus sérieux, elle a finalement déclaré dans l’affaire LaGrand de 2001 que les mesures conservatoires sont contraignantes et que leur non-respect engage la responsabilité internationale de l’Etat fautif et la saisine du Conseil de sécurité. Sept ans après cette importante avancée, la CIJ a été saisie pour la première fois, par le Mexique dans l’affaire Avena, d’une demande en indication de mesures conservatoires postérieurement au prononcé de l’arrêt. Les jugements de la CIJ ne sont généralement pas susceptibles d’appel et seule, une demande en interprétation peut être formulée (Article 60 du Statut de la Cour). Face à la gravité de la situation, la Cour à formuler une ordonnance en demande de mesures conservatoires à l’encontre des Etats-Unis le 16 juillet 2008.

Dans l’affaire en question, il est possible de relever un certain agacement, certes subtil, de la Cour vis-à-vis des Etats-Unis. En effet, cela n’est pas la première fois qu’un Etat saisi la Cour d’une demande en indication de mesures conservatoires dans un litige les opposant aux Etats-Unis en vue d’empêcher qu’un de leurs ressortissants ne soit exécuté. Le Paraguay dans l’affaire Breard (1998) et l’Allemagne dans l’affaire LaGrand (2001) ont été confrontés au même refus de la part des juges de l’Etat de Virginie et de l’Etat de l’Arizona de se conformer aux mesures conservatoires de la Cour. Dans ces trois affaires, la CIJ a pourtant pris toutes les précautions nécessaires pour ne pas porter de jugement concernant le recours à la peine capitale, bien que le droit international s’y oppose fortement. Mais dans l’arrêt Avena, elle a survolé le « test de compétence prima facie », qui lui donne le pouvoir d’indiquer une mesure conservatoire, pour éviter l’incident de l’arrêt LaGrand où la mesure conservatoire avait été indiquée aux parties 24h avant l’exécution prévue et n’avait pas, comme certains le soutiennent, été communiquée aux autorités de l’Arizona à temps. Les mesures conservatoires de la CIJ ne sont que temporaires et visent un objectif bien précis, il est donc intéressant de se pencher sur les arguments des juges américains refusant de s’y conformer.

Les Etats-Unis et le non-respect des mesures conservatoires dans le domaine de la peine capitale

Les Etats-Unis ont souvent eux-mêmes formulé des demandes en indication de mesures conservatoires contre d’autres Etats (par exemple l’ordonnance du 15 décembre 1979, relative à l'affaire du Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran). En revanche, dès lors qu’une mesure conservatoire est prise à leur encontre, les juges américains avancent toute une série d’arguments pour tenter de justifier pourquoi elle ne s’applique pas à eux. Dans l’affaire Avena, ils ont tout d’abord considéré que les mesures conservatoires de la CIJ étaient un moyen pour la Cour de prohiber le recours à la peine de mort et qu’elle avait agi au-delà des pouvoirs qui lui sont accordés par son Statut. Ils sont même allés jusqu’à reprendre l’argument développé par le juge Oda dans l’affaire LaGrand : « la Cour aurait dû s’en tenir au principe selon lequel des mesures conservatoires sont indiquées pour préserver les droits des Etats, et non des individus, qui sont sur le point d’être violés de façon irréparable ». Ensuite, les mesures conservatoires ne sont que temporaires et seule la jurisprudence de la CIJ a consacré leur portée obligatoire. En effet, aucune obligation de se conformer à elles ne figure dans l’article 41 du Statut de la Cour et la version anglaise du Statut n’impose pas mais suggère seulement leur respect (voir arrêt LaGrand). Enfin, le système judiciaire fédéral américain ne garantit pas le respect des décisions de justice internationale. En matière criminelle, les affaires sont portées devant les Cours Etatiques qui ne sont pas liées par le droit international à moins qu’il n’ait été reconnu par le Congrès comme faisant partie intégrante de la loi suprême – ce qui est assez rare. De même, les juges de la Cour Suprême américaine ont déclaré en mars 2008 dans l’affaire Medellin v. Texas, par six voix contre trois, que « les décisions de la CIJ ne lient pas directement les tribunaux des États-Unis ». Bien que la Cour Suprême, ait demandé aux juges Texans de prendre en considération les décisions et mesures conservatoires de la CIJ, la possibilité de ne pas s’y conformer leur a été ouverte. Il est fortement regrettable que la décision des juges américains d’exécuter José Medellin et de ne pas se soumettre aux mesures conservatoires de la CIJ soit acceptée par le droit américain. Un immense décalage entre le droit international et le droit américain existe donc sur ce point. Aux yeux d’un juriste étranger, une certaine perplexité réside dans le fait que les juges américains comprennent que la responsabilité des Etats-Unis sera engagée en cas de non-respect du droit international mais que ce dernier continu de ne pas s’appliquer à eux de manière contraignante au niveau de l’Etat fédéré. Malheureusement, cette attitude est extrêmement paralysante pour la mise en œuvre du droit international. Les deux principales conséquences du non respect des mesures conservatoires et autres décisions de la CIJ sont l’engagement de la responsabilité internationale de l’Etat fautif et la saisine du Conseil de sécurité. Les Etats-Unis disposant du droit de veto, l’application du droit international se trouve bloquée. Il est donc intéressant de se pencher sur la position du droit européen favorable à la portée contraignante des mesures conservatoires. Le droit européen et les mesures conservatoires dans le domaine des droits de l’homme Les Etats membres de l’Union Européenne font partie d’un ordre juridique international beaucoup plus intégré que les Etats américains. C’est pourquoi le juge national sera moins réticent à se conformer aux décisions de la CIJ, même si l’effet direct de ces décisions n’a pas été reconnu. L’exécution de ressortissants étrangers aux Etats-Unis a permis aux Etats Européens, largement opposés à la peine de mort, de se prononcer sur la force contraignante des mesures conservatoires de la CIJ. Au niveau européen, le Secrétaire Général du Conseil de l'Europe, Terry Davis a déclaré le 6 août 2008 que « ce qui est en jeu, c'est d'une part la question de la peine de mort, qui est rejetée par la grande majorité des pays démocratiques et civilisés, et d'autre part l'attitude des Etats-Unis d'Amérique – et de ses Etats – consistant à appliquer « à la carte » le droit international. L'exécution de M. Medellin n'est donc pas seulement une violation des droits de l'homme et de la dignité humaine. C'est aussi une provocation arrogante qui porte atteinte aux mécanismes collectifs mis en place pour garantir la paix et la sécurité dans le monde.'' Par ailleurs, en vertu de l’article 39 de son règlement, la CEDH avait confirmé le 4 février 2005 la portée obligatoire des mesures provisoires indiquées dans l’affaire Mamatkulov et Askarov c. Turquie. Les juges se sont appuyés sur la jurisprudence de la CIJ et de la Cour Inter-Américaine des Droits de l’Homme. La CEDH a été un plus loin le 10 mars 2009 en condamnant la Moldavie pour non respect d’une mesure provisoire. Elle s’est encore une fois largement inspirée de la méthode de la CIJ. Même si cette condamnation n’a pas fait l’unanimité et a été votée à neuf voix contre huit, la CEDH observe le raisonnement suivi par une autre juridiction internationale pour s’en inspirer. L’application du droit international est donc pleinement assurée. Au niveau national, l’Allemagne a joué un rôle crucial dans son mémoire de 2001 dans l’affaire LaGrand. Elle a avancé que «les mesures conservatoires indiquées par la CIJ ont force obligatoire en vertu du droit établi par la Charte des Nations Unies et le Statut de la Cour». Elle a fait référence au «principe de l’effet utile», au caractère obligatoire des mesures conservatoires comme «conséquence nécessaire du caractère obligatoire de l’arrêt définitif», au «paragraphe 1 de l’article 94 de la Charte des Nations Unies», à l’article 41 du Statut de la Cour, ainsi qu’à la pratique de la Cour. Militant non seulement en faveur du respect de la force contraignante des mesures conservatoires, elle a aussi insisté sur le fait que l’Etat qui ne les respecterait pas engage sa responsabilité internationale.

En somme, l’évolution de la jurisprudence de la CIJ vis-à-vis des mesures conservatoires s’est effectuée aux vues des différentes demandes dont elle a été saisie et en collaboration avec les Etats. Pour conclure sur les rapports entre le droit international et le droit interne, il est intéressant d’observer qu’ils sont fortement liés mais que le droit international se trouve, dans certains cas, dans une position plus fragile. En effet, l’exemple américain démontre bien qu’en cas de refus de l’Etat de coopérer, le respect des mesures conservatoires ne sera pas assuré. Au contraire, l’exemple européen démontre que le droit international est de plus en plus intégré et qu’il se construit avec le consentement de la communauté internationale.

Bibliographie:

OUVRAGES

Herbet M. Kritzer, Legal Systems of the world, a political, Social and Cultural Encyclopedia, pages 549-556 (France) et pages 1700 – 1714 (USA).

Shabtai Rosenne, Provisional measures in international law: the International Court of Justice and the International Tribunal for the Law of the Sea, Oxford Press 2005. Part II: 4.1 Jurisdiction to Order Provisional Measures, 6. Duration of Provisional Measures, 8. A Survey of the Decisions : Capital Punishment Cases, Provisional Measures for the Protection of Rights.

Byers and Nolte, US Hegemony and the Foundation of International Law, Cambridge Uni Press. « The International Community, International Law and the US » p25.

P. Daillier et A. Pellet, Droit International Public, les mesures conservatoires de la CIJ p866 et suivantes, 6e édition

ARTICLES

Yannick Julia, La CIJ et la Peine de Mort : le respect des mesures conservatoires, (http://www.abolition.fr/Upload/documents//yannickjulia.pdf)

Extrait du communiqué de presse du Conseil de l’Europe du 6 août 2008 : Exécution au Texas : les Etats-Unis doivent cesser d’appliquer le droit international « à la carte » (http://www.peinedemort.org/document.php?choix=3204)

TEXTES INTERNATIONAUX

Statut de la Cour Internationale de Justice – articles 41, 60 (http://www.un.org/french/aboutun/icjstatute/)

Convention de Vienne de 1963 sur les relations consulaires – article 36 (http://untreaty.un.org/ilc/texts/instruments/francais/traites/9_2_1963_f...)

Statut de la Cour Européenne des Droits de l’Homme – article 39 (http://www.juridix.net/ephr/reglement_court_cedh_fr.htm)

JURISPRUDENCE

Cour Internationale de Justice :

Affaire Breard 1998 (Etats-Unis contre Paraguay) (http://www.icj-cij.org/docket/index.php?p1=3&p2=3&code=paus&case=99&k=08)

Affaire LaGrand 2001 (Etats-Unis contre Allemagne) (http://www.icj-cij.org/docket/files/104/7736.pdf)

Affaire Avena (Etats-Unis contre Mexique) 31 mars 2003 et 19 janvier 2009 (http://www.icj-cij.org/docket/index.php?p1=3&p2=3&code=musa&case=139&k=11)

Cour Européenne des Droits de l’Homme Mamatkulov et Askarov c. Turquie, Gde Chambre, 4 février 2005 (http://leuropedeslibertes.u-strasbg.fr/article.php?id_article=3&id_rubri...)

Supreme Court of the United States Medellin v. Texas, 25 mars 2008 (http://www.supremecourtus.gov/opinions/07pdf/06-984.pdf)

SITES INTERNET

Amnesty International Cour Européenne des Droits de l’Homme Cour International de Justice Human Rights Watch