A propos de la possibilité pour les parties en droits américain et français de renforcer le contrôle des sentences arbitrales, par Alexandre Bertuzzi

L'arrêt étudié consacre la possibilité en droit américain pour les parties à une convention d'arbitrage de prévoir un contrôle plus strict de la sentence arbitrale que celui prévu par le droit national. Cette décision a par la suite fait l'objet d'un revirement de jurisprudence, et les différents circuits d'appel fédéraux sont partagés à ce sujet. Bien que différente de la solution adoptée en droit français, elle semble néanmoins tout aussi acceptable, et pourrait être retenue par la Cour Suprême dans une décision à venir

International par sa nature même, l'arbitrage commercial international a longtemps été soumis à de très fortes différences entre droits étatiques applicables. Toutefois, le développement du commerce international après la Seconde guerre mondiale a poussé à une certaine uniformisation du droit, notamment avec la Convention pour la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères de New York de 1958 et la Loi type sur l'arbitrage commercial international de la CNUDCI de 1985, lesquelles tentent d'harmoniser le droit de l'arbitrage commercial international et d'obtenir une reconnaissance quasi-universelle des sentences arbitrales. Malgré cela, il reste encore aujourd'hui dans ce domaine des divergences entre les différents droits nationaux. En particulier, ceux-ci se révèlent souvent distincts par leur déférence à l'arbitrage, notamment en ce qui concerne la validité des conventions d'arbitrages et les recours à l'encontre des sentences considérées comme domestiques. Ceci est de première importance, puisque les sentences arbitrales doivent, pour être reconnues et mises en œuvre à l'étranger, satisfaire les critères établis par ces ordres juridiques étrangers. Il faut donc prendre en compte cet élément dès le début de toute procédure arbitrale, notamment en qui concerne le choix du siège de l'arbitrage. Ainsi, si le droit français ne reconnaît comme recours à l'encontre d'une sentence arbitrale en matière commerciale internationale que le recours en annulation – et ceci pour des motifs bien précis et limités – le droit américain autorise quant à lui le juge étatique à aller au-delà de la simple annulation en révisant une sentence arbitrale. De sorte que le juge américain peut – au moins dans une certaine mesure – substituer son appréciation à celle du tribunal arbitral. L'arrêt étudié consacre la possibilité pour les parties de prévoir dans leur clause d'arbitrage une révision de la sentence par les juridictions américaines, non seulement sur les fondements prévus par le Federal Arbitration Act (FAA), mais également sur des fondements supplémentaires. La question présentée à la cour était ainsi de savoir si les parties pouvaient élargir les fondements de révision de la sentence, donc de savoir si ces dispositions de la loi étaient supplétives ou impératives. De manière particulièrement intéressante, cette position de la cour a par la suite été abandonnée par la même cour siégeant en séance plénière. Les différents circuits d'appels fédéraux sont d'ailleurs très partagés, la Cour suprême ne s'étant pas encore prononcée à ce sujet. En revanche, en droit français, une telle possibilité de révision est absolument impossible, puisque l'unique recours possible est l'annulation, ceci afin d'éviter une substitution de l'appréciation du juge à celle de l'arbitre. La question se pose donc de savoir quelle solution est la meilleure, du point de vue des parties, ce qui est la préoccupation essentielle de tout le système de l'arbitrage. Se pose également le problème de savoir s'il est juste de maintenir une sentence arbitrale rendue sur la foi d'une convention d'arbitrage prévoyant une révision de la sentence sur des fondements supplémentaires, alors que cette partie de la convention aurait été déclarée nulle. N'est-ce pas là une attaque contre la volonté des parties et l'équilibre contractuel sur lequel elles se sont accordées? La comparaison entre le droit français et le droit américain est particulièrement intéressante pour plusieurs raisons. Tout d'abord, ces deux pays sont deux places très importantes de l'arbitrage commercial international. Les règles qu'ils adoptent ont donc de grandes conséquences en ce domaine. Ensuite, ce sont deux systèmes de droit différents, le système américain étant traditionnellement considéré comme plus respectueux de la volonté des parties, ce que le problème étudié en l'espèce permet de réévaluer. Enfin, la comparaison des différentes solutions pourrait permettre de déterminer quelle solution est la plus adaptée, et ainsi résoudre les divergences constatées sur cette question aux États-Unis. Alors qu'une décision de la Cour suprême à ce sujet (Hall Street v. Mattel) est attendue pour bientôt, il sera intéressant de voir si celle-ci correspond bien à la solution apparemment la meilleure.

Une solution cohérente favorable à la volonté des parties Dans l'arrêt LaPine Tech. Corp. v. Kyocera Corp., 130 F.3d 884 (9th Cir. 1997)(Kyocera I), la question principale était de savoir si les parties à une convention d'arbitrage pouvaient, en droit américain, prévoir des fondements de révision de la sentence non prévus par le FAA, le droit applicable en l'espèce. Un des deux problèmes fondamentaux que cette question soulève est celui du choix entre, d'un côté, le respect de la volonté des parties, et, de l'autre, le désir de préserver le caractère relativement simple et rapide de l'arbitrage. En effet, il ne fait guère de doute que le respect de la volonté des parties imposerait d'accepter la possibilité pour celles-ci d'élargir les fondements possibles pour un recours en révision devant les juridictions étatiques. Cependant, la cour de première instance oppose à cette considération le fait que prévoir un recours en révision plus approfondi nuit au souci de rapidité traditionnellement cité comme l'un des principaux avantages de l'arbitrage. Au final, la cour d'appel tranche en faveur de la volonté des parties. Elle se fonde pour cela non seulement sur le fait que les parties sont parfaitement libres de choisir une procédure plus lourde que la norme pour leur arbitrage, quitte à allonger sa durée, mais également sur le fait que le FAA a pour but essentiel l'exécution des conventions d'arbitrages telle que souhaitée par les parties. De sorte que si les parties souhaitent un contrôle par le juge étatique de la bonne application du droit dans une sentence arbitrale, il ne semble pas y avoir de raison valable pour le leur refuser. Au contraire, un tel refus signalerait, toujours selon la cour, un retour à une méfiance étatique vis-à-vis de l'arbitrage et de l'autonomie de la volonté en ce domaine, méfiance que le FAA est précisément destiné à combattre et éliminer.

Le caractère supplétif des fondements de révision de la sentence arbitrale dans le FAA L'autre problème soulevé par cette affaire est de savoir s'il est possible, voire même loisible, de laisser des personnes privées imposer une compétence, et donc une obligation, au juge étatique. Ce problème est particulièrement saillant en droit américain, où les cours fédérales n'ont qu'une compétence d'attribution. Si ce problème paraît effectivement plus réel, la cour le résout en se fondant sur un double argument. Tout d'abord, elle rappelle qu'il n'est nulle part évident dans le FAA que les fondements de recours énumérés sont exhaustifs, et que celui-ci n'est pas un texte conférant une compétence juridictionnelle mais uniquement un texte de régulation du commerce. Ensuite, elle signale qu'un recours formé contre une sentence arbitrale n'est possible devant une juridiction fédérale que si l'affaire pourrait, en l'absence de convention d'arbitrage, être valablement portée devant ladite juridiction. Ainsi, demander au juge étatique d'exercer un contrôle renforcé reste malgré tout une charge relativement courante pour lui et moins lourde que celle de devoir trancher le litige dans son intégralité.

La remise en question de cette solution dans un contexte juridique incertain Si la solution de la cour, bien que très favorable à l'autonomie de la volonté, paraît justifiée, elle a néanmoins fait l'objet d'un revirement de jurisprudence par une nouvelle décision de la même juridiction, en séance plénière (LaPine Tech. Corp. v. Kyocera Corp., 341 F.3d 987 (9th Cir. 2003)(Kyocera II)), qui a considéré que c'était là une "question d'importance exceptionnelle". Dans son analyse, la Cour d'appel énumère d'ailleurs les positions des différents Circuits d'appel fédéraux, qui sont divisés à ce sujet. Les Troisième et Cinquième circuits suivent la position de Kyocera I (Roadway Package Sys., Inc. v. Kayser, 257 F.3d 287 (3d Cir. 2001); Gateway Techs., Inc. v. MCI Telecomms. Corp., 64 F.3d 993 (5th Cir. 1995)), essentiellement dans un souci de respect de la volonté des parties, tandis que les Septième (Chicago Typographical Union No. 16 v. Chicago Sen-Times, Inc., 935 F.2d 1501 (7th Cir. 1991)), Huitième (UHC Mgmt. Co. v. Computer Scis. Corp., 148 F.3d 992 (8th Cir. 1998)) et Dixième (Bowen v. Amoco Pipeline Co., 254 F.3d 925 (10th Cir. 2001)) circuits suivent la position de Kyocera II, en se fondant à la fois sur le fait que des personnes privées ne peuvent créer de compétence pour un tribunal étatique et sur le fait qu'un contrôle plus abouti des sentences arbitrales porterait atteinte à la simplicité de l'arbitrage, caractère qui ferait, selon la cour, son attrait. De surcroît, la cour décide que cette disposition de la clause d'arbitrage peut être éliminée sans atteindre la validité de la convention d'arbitrage dans son ensemble, de sorte que la procédure et la sentence arbitrales sont considérées comme valables.

Des arguments peu convaincants pour un revirement de jurisprudence La Cour, dans Kyocera II, se fonde donc sur les arguments développés par le juge de première instance et critiqués par la cour d'appel dans Kyocera I. Toutefois, on peut s'interroger sur leur pertinence. En effet, comme expliqué plus haut, il ne fait aucun doute que l'objectif fondamental du FAA est de garantir le respect de la volonté des parties, en réaction à l'hostilité traditionnelle des juridictions nationales vis-à-vis de ce type de procédures. Ne pas respecter une disposition expresse et parfaitement claire prévoyant un contrôle renforcé de l'application correcte du droit ne va évidemment pas dans le sens de la mise en œuvre de la volonté des parties. La Cour invoque pour se justifier le fait de privilégier la rapidité et la simplicité de la procédure arbitrale, ses avantages traditionnels, sur la bonne application du droit. Ceci amène deux remarques. Tout d'abord, si l'arbitrage était effectivement à l'origine une procédure rapide et simple, il est depuis devenu, avec le développement du commerce international et du nombre de litiges, pratiquement aussi long et complexe qu'une procédure devant le juge étatique, notamment à cause des actions engagées devant ce juge. En témoignent d'ailleurs les faits de l'espèce, puisque la sentence arbitrale a été rendue le 25 août 1994 et que la décision plénière du 27 juin 2003, qui intervient après un nombre important de décisions et d'appels, ne marque même pas la fin de la procédure. On imagine par ailleurs le coût total de ce litige, en prenant en compte non seulement les coûts de l'arbitrage mais également des procédures juridictionnelles qui en découlent. C'est donc se fourvoyer que de fonder une décision de cette importance sur de prétendus avantages, de moins en moins évidents, de l'arbitrage. Au contraire, seconde remarque, le principal avantage de l'arbitrage à l'heure actuelle réside dans la souplesse qu'il offre aux parties, qui sont libres de choisir pratiquement tout et de se départir de tout système étatique potentiellement partial. La solution de Kyocera I paraît donc une fois encore bien plus en phase avec la réalité de l'arbitrage. Le problème de l'imposition d'une compétence au juge étatique par des personnes privées est plus sérieux. Néanmoins, comme déjà expliqué, il ne semble pas constituer une difficulté insurmontable, puisque le contrôle prévu en l'espèce (contrôle de l'absence d'erreur de fait et de droit) est un type de contrôle classique pour le juge étatique. Ceci d'autant plus qu'en l'absence de convention d'arbitrage, l'affaire devrait être entièrement décidée par le juge. Or, c'est là un risque bien réel si, ne pouvant pas prévoir un contrôle efficace des erreurs de droit lors d'une procédure arbitrale, les parties préfèrent abandonner complètement l'arbitrage, de peur de subir une injustice. Au vu de l'importance des sommes en jeu, on comprend la réticence à s'en remettre au jugement d'un arbitre sans un contrôle relativement strict des erreurs de droit.

La solution Kyocera I plus favorable à l'arbitrage que celle du droit français Nonobstant ces considérations, il est indéniable qu'il n'appartient en principe pas aux personnes privées d'imposer une compétence au juge étatique. Dès lors, on peut tout à fait, pour préserver les prérogatives étatiques, suivre la décision Kyocera II, bien que l'arbitrage international soit source de beaucoup d'autres attaques contre ces prérogatives. Cependant, il paraît alors plus judicieux, dans un souci de respecter au mieux la volonté des parties, d'annuler en entier une convention d'arbitrage prévoyant un contrôle étendu comme en l'espèce, plutôt que de la valider en éliminant la clause de contrôle élargi. En effet, une telle suppression porte forcément atteinte à l'équilibre contractuel, et peut même aller jusqu'à éliminer un élément – la garantie d'un contrôle étatique quant à la bonne application du droit – essentiel à l'accord de volonté des parties. C'est là la solution adoptée par le droit français, pour lequel un contrôle élargi comme celui dont il est question en l'espèce n'est pas possible (Société de Diseno c. Société Mendes, Paris, 27/10/1994, 1995 Revue de l'arbitrage 265). Bien que relativement radicale, cette solution semble être la seule à même d'offrir à la fois la protection des prérogatives étatiques dans l'établissement de la compétence des juridictions, mais également le respect de la volonté des parties, principe cardinal en arbitrage commercial international.

En conclusion, il semble que tant Kyocera I que le droit français, bien que quasi-opposés, soient des solutions raisonnables. En revanche, Kyocera II semble témoigner d'une méconnaissance de l'évolution de la réalité de l'arbitrage et d'un retour à une moindre prise en compte de la volonté des parties. Alors que la Cour suprême doit bientôt rendre une décision à ce sujet, il sera intéressant de voir quelle position elle adopte, les débats laissant plutôt augurer d'une solution similaire à celle de Kyocera I. Les États-Unis adopteraient dans ce cas une position étonnamment favorable à l'arbitrage et à l'autonomie de la volonté des parties, alors que le droit français, en général très favorable et respectueux de la procédure arbitrale (Thalès contre Euromissile, Paris, 18/04/04) montre peut-être ici les limites de cette faveur, dans une situation où les parties cherchent à contraindre l'État.

BIBLIOGRAPHIE:

Ouvrage général: - Varady T. et autres, International Commercial Arbitration: A Transnational Perspective, Thomson West, 3ème édition, 2006

Textes officiels: - Convention pour la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères de New York de 1958 - Loi type sur l'arbitrage commercial international de la CNUDCI de 1985

Décisions: - LaPine Tech. Corp. v. Kyocera Corp., 130 F.3d 884 (9th Cir. 1997)(Kyocera I) - LaPine Tech. Corp. v. Kyocera Corp., 341 F.3d 987 (9th Cir. 2003)(Kyocera II) - Roadway Package Sys., Inc. v. Kayser, 257 F.3d 287 (3d Cir. 2001) - Gateway Techs., Inc. v. MCI Telecomms. Corp., 64 F.3d 993 (5th Cir. 1995) - Chicago Typographical Union No. 16 v. Chicago Sen-Times, Inc., 935 F.2d 1501 (7th Cir. 1991) - UHC Mgmt. Co. v. Computer Scis. Corp., 148 F.3d 992 (8th Cir. 1998) - Bowen v. Amoco Pipeline Co., 254 F.3d 925 (10th Cir. 2001)

- Cour d'appel de Paris, 27/10/1994, Société de Diseno c. Société Mendes, Rev. arb. 1995 p.265 - Cour d'appel de Paris, 18/11/2004, Thalès contre Euromissile, JCP G 2005, II, 10038, note approb. G. Chabot ; JDI, 2005, p. 357, note A. Mourre, Rev. Lamy Concurrence, février/avril 2005, p. 68, note crit. E. Barbier de la Serre et C. Nourissat ; RTD com., 2005.263, note crit. E. Loquin ; JCP G, 2005, I, 134, obs. crit. Ch. Seraglini