A propos de l'affaire Medellin v. Dretke (Cour Suprême des Etats-Unis 2005), par Maroussia Cuny

Cet article examine l’attitude des juridictions américaines vis-à-vis du droit international et des décisions de la Cour International de Justice (CIJ) en particulier. Dans cette affaire un condamné à mort mexicain invoquait la violation de ses droits protégés par la Convention de Vienne de 1963. La Cour lui oppose la non-invocabilité de la convention et ce malgré la décision contraire de la CIJ dans Avena. La Cour suprême refuse ensuite d’entendre l’affaire, les juridictions américaines ne s’estiment ainsi pas liées par les décisions de la cour internationale.

En règle générale, le souverain est compétent pour exercer son pouvoir à l’égard de toutes les personnes qui se trouvent sur son territoire. Cependant, la coexistence des Etats ainsi que leur interdépendance croissante ont créé de véritables exceptions au principe de l’exclusivité de la compétence territoriale, en mettant en avant le principe selon lequel, la libre renonciation d’un Etat à sa souveraineté est une façon de l’exercer. En effet, les engagements internationaux pris par l’Etat peuvent transformer une compétence discrétionnaire en une compétence liée. En revanche, les Etats restent dans une certaine mesure libre de la mise en œuvre des normes internationales dans leur système juridique interne, ce qui peut leur permettre de nuancer leur soumission au droit international. Ainsi le refus des Etats-Unis de reconnaître l’invocabilité de la Convention de Vienne dans cette affaire a réduit à néant les droits que cette norme entendait protéger. Si en principe, les ressortissants nationaux dans un Etat étranger sont soumis à la souveraineté territoriale, plénière et exclusive, de cet Etat, la Convention de Vienne sur les relations consulaires du 24 avril 1963, est venue apporter quelques nuances. En vertu de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 de ladite convention, les autorités de l’Etat de résidence doivent avertir sans retard le poste consulaire du ressortissant faisant l’objet d’une arrestation. En l’espèce, Medellin, citoyen mexicain fut condamné à mort par un tribunal de l’Etat du Texas, pour avoir participé au viol et au meurtre de deux jeunes femmes aux Etats-Unis. Cette sentence fut confirmée en appel. Medellin fait alors une demande en habeas corpus en avançant pour la première fois que le tribunal l’ayant condamné ne l’avait pas notifié de son droit de bénéficier d’une assistance consulaire en vertu de l’article 36 de la convention de Vienne entrée en vigueur aux Etats-Unis le 24 décembre 1969. La requête est d’abord rejetée par la cour de district, puis par la cour d’appel du cinquième circuit qui refuse d’accorder une autorisation spéciale de faire appel (certificate of appealibility) affirmant que la convention de Vienne ne créait pas de droits directs aux particuliers et que la requête du demandeur se heurtait en tout état de cause à la théorie de la carence procédurale. Le rejet de la Cour d’Appel est d’autant plus radical qu’il entre en contradiction avec un arrêt de la Cour Internationale de Justice (CIJ). Il s’agit de l’affaire Avena et autres nationaux mexicains (Mexique c. Etats-Unis) où le Mexique contestait des violations de la convention de Vienne par les Etats-Unis vis-à-vis de Medellin et cinquante et un autres citoyens mexicains condamnés à mort aux Etats-Unis. Selon la CIJ, la convention de Vienne garantit des droits directement invocables par les particuliers. Les Etats-Unis ayant violé ces derniers se doivent d’offrir les moyens de réviser les condamnations et peines des ressortissants mexicains, sans pouvoir invoquer la théorie de la carence procédurale pour interdire une telle révision. Bien que reconnaissant l’existence de ce jugement, la Cour d’Appel ne le met pas en œuvre. Medellin entend alors saisir la Cour suprême, était ainsi posée à la Cour la question de savoir si les cours fédérales étaient liées par les décisions de la CIJ. Si la Cour Suprême accepte tout d’abord de se prononcer sur cette affaire, elle rejette par la suite le writ of certiorari en avançant qu’elle l’avait accordé avec imprévoyance (improvidently granted). La cour décide ainsi de ne pas considérer la validité d’un refus d’autorisation spéciale d’appel lorsque la requête du demandeur repose sur une violation de la convention de Vienne.

Le droit à la notification consulaire reconnu par la convention de Vienne a pour but général d’assurer qu’un ressortissant étranger poursuivi pour violation du droit de l’Etat hôte, soit assisté par un agent officiel de son pays d’origine afin qu’il soit informé des droits dont un défendant de l’Etat hôte bénéficie. Il s’agit d’une garantie procédurale contre les potentielles violations des droits de l’homme que les Etats peuvent infliger aux étrangers présents sur leur territoire, pouvant ne pas être familiers avec la langue ou la culture judiciaire du pays où ils se trouvent. Il s’agit de protéger l’égalité judiciaire entre nationaux et étrangers. Ainsi, la distance prise ici par la juridiction américaine avec non seulement la convention, mais également la décision de la CIJ, met en danger ces libertés. Le système procédural est ici un moyen pour les Etats-Unis de passer outre le droit international, fondé sur le renoncement volontaire des Etats à une partie de leur souveraineté. Si la soumission d’un Etat au droit international est volontaire, alors il lui est possible de revenir sur sa décision (s’il est suffisamment puissant du moins). Le système de droit international semble ne pas pouvoir forcer un Etat de l’envergure des Etats-Unis à respecter ses engagements internationaux. Si dans les rapports privés les agents économiques sont sensibles aux sanctions encourues, c’est moins vrai pour les Etats dans l’ordre international public. En effet, les institutions internationales semblent dépourvues face aux Etats-Unis, puissance politique, économique et militaire mondiale. De plus, la menace du retrait des Etats-Unis d’une institution internationale est également à prendre en compte.

Les Etats-Unis ne s’estiment pas liés par la décision de la CIJ dans l’affaire Avena, ayant décidé que l’article 36 de la Convention de Vienne créait des droits directement invocables par les particuliers, ressortissants étrangers. Au contraire, les juridictions américaines considèrent que les provisions de la convention ne confèrent pas de droits directs aux individus (Mendez v. Roe, 9th Cir. 2004). La cour estime en s’appuyant sur la jurisprudence U.S. v. Emuegbunam (6th Cir. 2001) que le préambule de la convention écarte expressément cette possibilité mais reconnait que ces droits appartiennent en revanche aux Etats, les seuls recours ne sont pas judiciaires, mais diplomatiques et politiques (State v. Gegia (2004)). La Cour d’Appel se prononce ainsi, alors que la CIJ avait expressément décidé dans Avena, que la révision des peines devait être effectuée par la voie juridictionnelle . De même dans Medellin, la Cour d’Appel considère que le demandeur ne peut invoquer la violation de la convention directement en appel, s’il ne l’a pas fait en première instance en vertu de la théorie de la carence procédurale . La cour se réfère à l’arrêt Breard v. Greene (Cour Suprême 1998), où il a été jugé que la théorie de la carence procédurale s’appliquait aux recours fondés sur un manquement à la convention de Vienne comme à la Constitution, même dans les affaires où la peine capitale était en jeu. La CIJ avait pourtant jugé dans l’affaire Avena que la théorie de la carence procédurale était inopérante pour rejeter un recours contre une violation de la convention de Vienne. Selon le moyen du demandeur, les Etats-Unis étant partie à la convention, étaient liés par la décision Avena. En effet selon la clause de suprématie , un traité ratifié a le statut de droit fédéral supérieur. Cette jurisprudence de la cour internationale n’était pourtant pas inédite, le requérant dans Medellin s’était ainsi appuyé sur d’autres arrêts ayant retenu la même solution. En effet, en 2001 la CIJ avait jugé dans l’affaire Lagrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique) que lors d’une infraction à l’article 36 de la convention de Vienne, un recours était du. Les juridictions américaines se devaient de réviser les verdicts de culpabilité ainsi que les peines prononcées. Ainsi s’il semblait avoir été admis depuis longtemps que la violation d'un engagement entraîne l'obligation de réparer (affaire de l'usine de Chorzow rendu par la CIJ en 1927) et que « la réparation doit autant que possible effacer toutes les conséquences de l'acte illicite et rétablir l'état qui aurait vraisemblablement existé si ledit acte n'avait pas été commis », les juridictions américaines s’appuient sur leur procédure interne pour réparer les violations de la convention, la règle de la « carence procédurale » empêchant le réexamen de l’affaire.

La distance prise par les juridictions américaines vis-à-vis de l’autorité de la CIJ, est par la suite confirmée politiquement, par le retrait des Etats-Unis du protocole additionnel de la Convention de Vienne reconnaissant l’autorité de la CIJ pour interpréter le traité, et ce après une intervention ambigüe du président de la république. En effet, le président George Bush a adressé, dans le cadre de l’affaire Medellin, un mémorandum à la Cour suprême le 28 février 2005, ordonnant en vertu des pouvoirs conférés par le droit fédéral et la Constitution, aux juridictions des états fédérés de donner effet a l’arrêt Avena, en accord avec les principes généraux de courtoisie. Une telle déclaration met en exergue l’équilibre délicat entre le respect des décisions de la CIJ et l’indépendance des juridictions américaines en vertu du principe de séparation des pouvoirs. Si le président semble à première vue vouloir respecter la volonté de la cour internationale, sa déclaration repose toutefois sur le principe de « courtoisie ». Par conséquent si les Etats-Unis décidaient de mettre en œuvre la décision de la cour internationale ce ne serait nullement le résultat d’une obligation, mais seulement l’expression d’une courtoisie vis-à-vis de cette juridiction. Cela illustre la conception américaine du droit international présentée dans Schooner Exchange v. M’Faddon (1812) où le juge Marshall affirmait que l’égalité souveraine des Etats et leurs intérêts communs les poussaient à échanger entre eux et à respecter les bonnes manières. De plus, l’idée de courtoisie permettrait surtout d’assurer le principe de réciprocité et donc de permettre aux citoyens américains à l’étranger de bénéficier de la protection consulaire. La Cour suprême reprend ainsi le mémorandum sans en discuter le bien fondé et tente de concilier le droit international avec l’autonomie des juridictions internes. Le respect de la décision de la CIJ émanerait alors de la courtoisie invoquée par le président de la république et non pas d’une obligation issue du droit international. Le chef de l’Etat, en tant que premier responsable des engagements internationaux se prononce, cependant les juridictions des Etats fédérés qui seront chargées de mettre en œuvre la décision de la CIJ, lui opposent le principe d’autonomie. Si la Cour suprême n’analyse pas la constitutionnalité du mémorandum, son refus du writ of certiorari repose tout de même sur l’intervention présidentielle. En effet, le chef de l’Etat invoque la compétence des juridictions des états fédérés, or, Medellin ayant également déposé des requêtes en habeas corpus devant les tribunaux Texans, la Cour suprême estime que le requérant n’avait pas épuisé toutes ses voies de recours et donc que sa demande ne pouvait être entendue devant la juridiction suprême. Néanmoins, la décision de la Cour a été adoptée à une faible majorité (quatre voix contre cinq), les dissidents considérant que le rejet de la Cour était fondé sur une spéculation selon laquelle Medellin obtiendrait gain de cause devant les juridictions étatiques du Texas. Or cette spéculation repose sur le mémorandum du président dont la constitutionnalité n’a pas été analysée. D’autre part, les Etats-Unis décideront par la suite de se retirer du protocole additionnel relatif au règlement des différends relatifs à la Convention de Vienne. Bien qu’à l’origine grands défenseurs de cette juridiction, les Etats-Unis estiment donc désormais que la CIJ n’est plus le forum approprié pour régler les différends internationaux contemporains. Le rejet de l’autorité de la Cour en tant que garante de cette norme est d’autant plus clair que parallèlement à ce retrait, le gouvernement a mis en place un programme d’action favorisant son respect dans la pratique. Ce ne sont donc pas les droits et obligations issus du traité qui sont contestés mais bel et bien le recours au juge international.

D’autre part, les suites de l’affaire méritent également d’être évoquées puisqu’elles apportent quelques éclaircissements sur la position des Etats-Unis vis-à-vis de ce pan du droit international. En 2008, lorsque l’affaire sera à nouveau présentée devant la Cour suprême , la demande du requérant sera à nouveau rejetée. La Cour reconnaît certes que la décision de la Cour de La Haye constitue une obligation pour les Etats-Unis mais décide néanmoins que la Convention de Vienne n’est pas directement applicable en droit interne. La Cour se prononce alors sur l’intervention présidentielle et décide que le Congrès n’avait pas donné au chef de l’Etat le pouvoir d’imposer ainsi une ligne de conduite aux juridictions des états fédérés qui n’étaient par conséquent pas liées. Le mémorandum est jugé inconstitutionnel, il ne s’impose pas au droit du Texas quand bien même il aurait pour but de faire respecter le droit international. Cette décision de la Cour suprême donne donc à chaque état fédéré (et donc à son gouverneur) le pouvoir de se conformer ou non à la décision Avena et au droit international.

La décision Medellin, ignore le principe de la suprématie du droit international sur le droit domestique, en avançant la distinction entre les traité auto-exécutoires et ceux qui nécessitent une loi de transposition, passant outre la décision du juge international. La Cour suprême met en avant cette distinction alors que l’article VI de la Constitution dispose que la Constitution, les lois fédérales et les traités constituent la loi suprême qui lie les juges des états fédérés. La décision Medellin est-elle un revirement de Jurisprudence selon laquelle les traités sont présumés d’effet direct ?

Le débat relatif à l’effet direct des engagements internationaux existe également dans l’ordre juridique français.

Le système constitutionnel français dans la continuité de la Constitution de 1946 reconnaît la suprématie du droit international, à l’instar de la Constitution américaine. Ainsi dans sa décision du 3 septembre 1986, le Conseil constitutionnel a rappelé qu’il appartenait aux différents organes de l’Etat de veiller à l’application des conventions internationales, dans le cadre de leurs compétences respectives. Toutefois la notion de convention auto-exécutoire ou non existe également en droit français. Si certains traités indiquent expressément leur caractère self-executing ou non comme par exemple l’article 19 de la Constitution de l’O.I.T, d’autres textes sont silencieux à ce sujet et des contentieux analogues à l’affaire Medellin sont alors susceptibles de voir le jour, sans avoir eu jusqu’ici les mêmes enjeux. Ainsi, par un arrêt du 29 février 1980, la Cour d’Appel de Paris a décidé que les articles 6 et 13 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme n’avaient pas de caractère auto-exécutoire, contrairement a la position de la Cour de Strasbourg . Ainsi le juge français se montre parfois réticent pour reconnaître aux particuliers le droit de se prévaloir en justice des droits que semblent leur conférer un traité , même si théoriquement le juge est tenu d’appliquer d’office les dispositions conventionnelles ayant un caractère d’ordre Public. Par conséquent, il semble que le critère de l’effet direct des engagements internationaux soit une manière pour le Conseil d’Etat notamment, de limiter les conséquences de l’établissement de sa compétence dans des domaines jusque là hermétique (théorie des actes de gouvernement) . Toutefois, le devoir du juge interne est d’appliquer les traités, on dit d’ailleurs en France que les traités ont « force de loi », c'est-à-dire qu’ils ont force obligatoire. Ainsi la cour de cassation déclare qu’en autorisant par une loi la ratification du traité, le Parlement a donné à ses dispositions les effets d’une loi . Ainsi les juges français assimilent le moyen de la violation d’une convention internationale au moyen de la violation d’une loi.

Si le « droit des gens » postule la supériorité du droit international sur le droit interne, il appartient aux juges nationaux de mettre en œuvre cette primauté. La jurisprudence nationale est donc le vecteur de l’intégration de la jurisprudence internationale. La position de la Cour suprême américaine démontre ainsi clairement les limites de la suprématie du droit international, l’effectivité de la décision internationale étant dépendante de la volonté coopératrice des juridictions internes.

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Difficultés d'application du droit international dans un Etat fédéral Pierre M. Martin, Professeur à l'Université de Toulouse I.

Droit américain : le transnationalisme face à la transition Diane Marie Amann, Professeur de droit à la Faculté de droit de l'Université de Californie, Davis.

American Journal of Comparative Law THE NUREMBERG PARADOX Winter 2010

Construction and Application of Vienna Convention on Consular Relations (VCCR), Requiring that Foreign Consulate be Notified When One of its Nationals is Arrested. Ann K. Wooster, J.D.

Harvard Law Review TREATIES AS LAW OF THE LAND: THE SUPREMACY CLAUSE AND THE JUDICIAL

DROIT INTERNATIONAL PUBLIC, Patrick Daillier et Alain Pellet, ed. L.G.D.J. Guy Canivet - DROIT PENAL INTERNATIONAL, 2005