A PROPOS DE L'ARTICLE 53 DE LA LOI ALLEMANDE SUR LE DROIT D'AUTEUR RELATIF A L’EXCEPTION DE COPIE PRIVEE par Intidhar MESSAOUDI

Dans un arrêt du LANDESGERICHT DE BRAUNSCHWEIG 9. ZIVILKAMMER DU 7 JUIN 2006, l’exception de copie privée, issue de la loi sur le droit d’auteur allemand (art 53 Urhebergesetz, révisée à la suite de transposition de la directive sur la société d’information de mai 2001) s'est trouvé au centre de l’analyse du juge. Cette dernière diffère du droit français qui se veut moins restrictif. L’exception de copie privée ne peut être retenue si le « copieur » utilise pour se faire un support original illégalement acquis ! (distinction entre support légalement et illégalement acquis).

Les effets de la mondialisation sur les sociétés industrialisées imposent de se doter d’outils particuliers, capables de réagir à ce nouvel environnement.

En effet, les sociétés industrialisées ne peuvent plus se contenter de raisonner en circuit fermé et se suffire à elles-mêmes en ce concerne l’économie, l’écologie ou encore la culture. Le droit n’échappe pas à ce phénomène. Il y a en particulier des domaines du droit où ce phénomène a peut-être même encore plus d’acuité notamment en droit d’auteur et autres droits voisins. Le droit d’auteur et les droits voisins se construisent en partie grâce au progrès technique. Mais il peut également les mettre en péril parfois. L’une des questions centrales aujourd’hui en droit d’auteur est la place à attribuer à la copie privée et la détermination de sa nature juridique.

En effet, le droit d’auteur est en quête aujourd’hui d’une protection effective de ses auteurs dans l’ère du numérique, propice aux copies, pour la plupart illégales ! De la même manière qu’il nous parait juste de mettre en œuvre une protection efficace du travail de nos talentueux auteurs, il semble également tout à fait anormal de concentrer une partie de nos efforts aux conditions du maintien de la copie privée dans nos sociétés, en ce qu’elle assure l’accès à la culture, le maintien et l’encouragement des créations et innovations scientifiques. Le droit européen a pressenti ces enjeux et a tenté d’apporter des réponses à tous ces questionnements en élaborant la directive du 22 mai 2005 dite directive sur les aspects du droit d’auteur et droits voisins dans la société d’information. Cette directive a donc été transposée dans chacun des ordres juridiques des Etats membres non sans mal pour certains, laissant subsister néanmoins des différences.

Le droit allemand a par exemple transposé la directive sans tenir compte du test en trois étapes que nous, juristes français, avons placé au centre de la loi de transposition (loi DADVSI). Le législateur allemand ne s’est pas senti lié par ce test en trois étapes, voyant en cela plus un simple rappel selon lequel les exceptions nationales (mentionnées à l’article 5 I-IV de la directive) doivent être conformes aux standards du droit international, en l’occurrence aux accords OMC qui réglementent ledit test.

Ainsi donc, il semble légitime de se demander quel est le statut juridique réservé par chacun des Etats (en l’occurrence ici la France et l’Allemagne) à l’exception de copie privée ? Quels peuvent être les points de convergences et les points de divergences de ces législations nationales de transpositions ? Est-il possible de s’inspirer mutuellement des questionnements de ces ordres juridiques ?

C’est pourquoi il apparaît tout à fait légitime de s’attarder sur la mise en œuvre par le juge allemand de l’exception de copie privée selon article 53 de la loi sur le droit d’auteur allemand, fraîchement remaniée, de manière à la comparer au droit français.

Mise en œuvre des conditions de l’article 53 de la loi sur le droit d’auteur allemand et divergences avec le droit français

Le droit allemand s’interroge aujourd’hui sur l’émergence d’une nouvelle pratique sur internet qui constituerait une fois de plus une menace contre la protection que le droit d’auteur s’efforce d’apporter. Cette pratique est celle des magnétoscopes virtuels, hébergés par des serveurs internet. Elle permet de la même manière qu’avec un magnétoscope traditionnel d’enregistrer des émissions de télévision qui sont actuellement diffusées ou dont la diffusion est commandée à court terme. Il est possible par la suite une fois l’enregistrement d’une émission programmée de faire des copies de ces émissions qui une fois enregistrées sont téléchargées sur un compte d’utilisateur. Pour pouvoir effectuer ces copies et bénéficier de cette technologie de reproduction, il faut s’acquitter d’une redevance. Le LG Braunschweig a eu à connaître la demande d’une productrice dont les documentaires ont été commandés sur le site. Celle-ci s’estime lésée par une telle diffusion de ces documentaires et considère qu’il y a eu violation de ses droits de diffusion et de distribution de l’œuvre. La défenderesse, éditrice du site hébergeant une telle technologie de reproduction soutient que son site est tout à fait légal et qu’en diffusant son œuvre sur écran télévisé (avant la diffusion sur internet), cette dernière avait perdu une partie de ses droits exclusifs de diffusion. Elle ajoute qu’en ce qui concerne les copies réalisées par les internautes qui se sont acquittés de la redevance qu’elle n’aurait tout d’abord aucune emprise la dessus mais qu’ensuite et de toute façon ces copies tombent sous le coup de l’article 53 de la loi sur le droit d’auteur allemand (Urhebergesetz) qui régie une exception légale de copie privée. Si l’article 53 de la Urhebergesetz est retenu alors l’éditrice du site litigieux serait autorisée à continuer son exploitation sinon elle devra des dommages et intérêts à la demanderesse pour les diffusions qu’elle a déjà faite et devra si elle veut continuer à exploiter son site acquérir une licence de diffusion auprès de l’éditrice (ou de toute autre personne à qui l’éditrice aurait cédé les droits d’exploitation de son œuvre).

L’article 53 dispose dans son alinéa premier : « Sont autorisées les copies privées d’une œuvre faites par des personnes physiques ou intermédiaires privilégiés tant qu’elles ne sont destinées ni directement ni indirectement à des fins commerciales et tant que pour se faire des documents licites et clairs ont servi de base à la reproduction ». L’alinéa 2 dispose à son tour : « il est possible de faire faire une reproduction d’une œuvre par un tiers tant que celle-ci intervient à titre gratuit ou alors que la reproduction est faite sur un support papier ou tout autre support similaire ou même en utilisant un procédé photomécanique ou tout autre procédé similaire ».

Cet article présente un certain nombre de particularité au regard du droit français. En effet, Il est plus pragmatique que les articles français définissant la copie privée.

Tout d’abord ce qui peut sembler à première vue remarquable c’est la définition de la reproduction. Est considérée comme reproduction au sens du droit allemand toute conservation d’une œuvre sur un support, capable de la rendre perceptible par les sens humains et ce peu importe les moyens nécessaires à cette reproduction. Le législateur allemand fait le choix de ne pas distinguer et donc par la même occasion de n’exclure aucun supports possible de l’exception de copie privée. L’idée étant ici de ne pas rattacher à la copie numérique (qui est un des moyens permettant de faire connaître le plus rapidement possible de nouvelles œuvres) à un régime plus répressif que celui par exemple de la copie analogique. Le législateur allemand fait tout simplement le choix de ne pas miser sur la criminalisation à outrance des utilisateurs en multipliant les sanctions mais plutôt d’éveiller la conscience des utilisateurs qu’à chaque fois qu’il télécharge un fichier sur un site peer to peer par exemple ils portent atteinte à la propriété d’autrui. C’est donc pourquoi le législateur allemand a choisi de traiter exactement de la même manière la copie digitale et la copie analogique. Il semble en revanche que le législateur français ait fait un choix différent. En l’absence d’autre précision quant à l’application par les cours de justice françaises du test en trois étapes, il nous faut interpréter ces conditions. Ainsi la condition tirée de l’absence d’atteinte à une exploitation normale de l’œuvre semble établir une distinction entre les copies digitales et analogiques. En effet, « la copie d’une œuvre numérique porte nécessairement atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre car elle affecte un mode d’exploitation essentiel de ladite œuvre indispensable, à l’amortissement de ses coûts de production ». La copie numérique de part sa forme aurait intrinsèquement une incidence économique susceptible d’affecter considérablement l’exploitation économique d’une œuvre, constituant ainsi un manque à gagner non négligeable. Le système français peut donc apparaître relativement plus restrictif. Le test des trois étapes manquerait d’objectivité et entraînerait un double verrouillage des œuvre (superposition des mesures techniques de protection), selon le professeur Pierre-Yves Gautier à l’université Panthéon-Assas de Paris II. Encore plus frappante est la définition du copieur. Cette dernière est véritablement pragmatique en ce sens qu’elle est très vaste. En incluant la copie par tiers, le champ de la copie privée semble plus vaste (du moins si toutes les conditions sont remplies au final). Ainsi tous les « copyshops » dont l’activité repose sur des appareils de reproduction que tout le monde ne n’ pas forcement les moyens financiers de posséder sont inclus. Si par exemple un particulier téléchargeant et gravant d’un cybercafé un certain nombre de fichiers, on n’aurait difficilement pu condamner civilement le copieur puisque selon le droit allemand c’est celui qui met à disposition des tiers une technique de reproduction qui est en réalité de copieur. Il fallait donc rendre possible une condamnation de ces établissement d’autant qu’il y a quelques années, tout le monde ne disposaient pas de telles technologies à la maison. Autant cette disposition pouvait sembler utile à l’époque autant elle paraît aujourd’hui sans aucune raison d’être. En effet, une grande majorité des personnes disposent aujourd’hui de ces technologies à domicile. La copie effectuée par un tiers est pour ainsi dire quasiment inexistante. Il n’est donc pas véritablement nécessaire de se doter d’une telle disposition en droit français.

La définition de la rémunération équitable dans l’arrêt semble supposer une plus value. Ainsi n’est pas considérée comme une rémunération, une contribution couvrant la mise à disposition technique des moyens de reproduction, de l’œuvre elle-même ou encore des supports vierges. Il faut qu’il existe après déduction des frais précédemment cités une certaine somme à l’attention de l’auteur. Le droit allemand ne connait pas de taxes sur les supports vierges comme le droit français. Cela dit, il se pose la question de savoir en droit français si cette rémunération provenant des supports vierges de reproduction est suffisante. Le droit français pourrait donc être amené à trancher des litiges concernant la rémunération (qui sera souvent contractuellement prévue) de l’auteur ; une telle définition pourrait donc lui servir d’autant plus qu’elle a le mérite d’être sans ambiguïté aucune. A la différence du système français, le système allemand qui bien doté d’une définition claire de la rémunération n’a pourtant pas encore clairement défini le mode de détermination de cette rémunération. En effet contrairement au droit français qui a posé comme acquis la rémunération proportionnelle aux recettes de l’auteur, le droit allemand et plus particulièrement les cours de justices allemandes ont longtemps du expliciter par elles-mêmes l a notion de rémunération équitable. Aujourd’hui il semble que le problème soit résolu grâce à l aloi du 22 mars 2002 qui dispose que la rémunération se doit d’être équitable mais également susceptible de révision à la hausse et doit être négociée collectivement sous forme de barèmes communs. Cependant il semble d’une part ces principes aient posé de nombreuses difficultés pratiques d’application selon la doctrine allemande mais que d’autre part le caractère collectif des négociations des rémunérations d’auteurs peut également heurter de plein fouet le droit communautaire de la concurrence te notamment le délit d’entente d’illicite. Un certain courant doctrinal français semble être attiré par ce type de détermination des rémunérations d’auteur afin de procurer plus de sécurité à ces derniers. Il n’est donc peut-être pas inintéressant de regarder de plus près les critiques de la doctrine allemande à ce sujet. Il n’y a pas que des divergences ressortant du statut juridique de la copie privée entre le droit allemand et le droit français. Il y a même quelques convergences.

Convergences dans les conditions de mise en œuvre de la copie privée aboutissant à un statut relativement proche de la copie privée en droit allemand et en droit français

La condition tirée de l’accès licite à la source ayant permis la reproduction est commandée par le droit allemand ainsi que par le droit français. Cependant, cette dernière est susceptible de poser quelques problèmes dans la pratique. En effet, ce n’est pas forcement chose aisée que de reconnaître le licéité du fichier source lors d’un téléchargement. Tous les internautes ne seraient pas tout à même de le remarquer. La question qui se pose ici est la suivante quant est-il de l’internaute de bonne foi qui ne savait pas qu’il téléchargeait un fichier depuis une source illicite ? L’on peut toujours invoquer le fait que dans le doute on est tenu de s’abstenir ! Très bien mais qu’en est-il alors des internautes qui sont persuadés d’avoir téléchargé depuis un site légal mais qui en fait ne l’était pas ! Le droit français pourrait avoir déjà trouvé une réponse à cette question dans le collège des médiateurs qui pourrait homologuer par un label ou autre les sources licites du téléchargement. Le nombre des copies autorisées par œuvres achetées reste également à déterminer pour chacun des ordres juridiques. Le nombre sept avait été évoque par la jurisprudence allemande en référence au nombre de copies autorisées pour œuvre exploitée sur support analogique mais compte tenu de l’incidence du support numérique il est certain que ce nombre sera inférieur à sept pour les copies numériques. Il y a aussi une convergence en ce qui concerne la légalisation des mesures de protection techniques ainsi la condamnation pénale du téléchargement. Cela dit dans un cas comme dans l’autre il faut encore déterminer le contour de cette légalisation pout les mesures de protection mais de cette condamnation. En effet, il ne faut pas oublier de ménager une sphère d’utilisation minimum pour les consommateurs qui acquièrent légalement les logiciels protégés ainsi que les administrateurs réseau et autres consultants qui utilisent légalement et à des fins professionnelles des logiciels qualifiés d’outils de piratage. Cette harmonisation la n’a pas encore eu lieu.

Pour conclure, on pourrait dire que le fait que les droits tout en étant différents (du fait des choix de transposition de chacun des Etats) aient au final les mêmes résultats n’est pas franchement surprenant. En effet, le but visé était ici l’harmonisation des droits. Ce qui est un peu plus surprenant, en revanche c’est de voir qu’un apport en matière de comparaison des droits est toujours possible et ce même si les objectifs poursuivis sont les mêmes. Les débats, les interrogations sur les diverses interprétations possibles de la loi de transposition ont été différents si bien qu’ils peuvent se compléter mutuellement. Cependant, il reste un certain nombre de questions en suspens et il va donc falloir un peu plus qu’ une directive et 25 lois nationales plus ou moins semblables en la matière pour avoir un statut juridique plus cohérent d’un pays à l’autre de l’Union européenne.

                                                    !!!! BIBLIOGRAPHIE
ARTICLES DE DOCTRINE FRANCAISE

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- Laurence Tellier- Loniewski, « Projet de loi DADVSI : un débat surréaliste ? », Gazette du Palais, 26 janvier 2006 n° 26 p. 3.

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- Laurence Tellier-Loniewski, Matthieu Bourgeois, « propriété littéraire et artistique », Gazette du Palais, 20 avril 2006 n° 110 p. 38.

- Stéphanie Berland, Florence Knafou, « propriété littéraire et artistique », Gazette du Palais, 16 mai 2006

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ARTICLES DE DOCTRINE ALLEMANDE

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- Tobias Pichlmaier, „ Abschied von der Privatkopie? - Von der Zukunft einer Institution “, CR, décembre 2003.

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- Georg Sandberger, „ Behindert das Urheberrecht den Zugang zu wissenschaftlichen Publikationen? “, ZUM novembre 2006.

- Barbara Stickelbrock, „Die Zukunft der digitalen Kopie im Zeitalter“, GRUR, 2004 numéro 9 p. 743.