A propos des différentes notions rattachées au crime de génocide : le constat de ses insuffisances intrinsèques, par Marine RIEM

La notion de génocide se trouve systématisée dans l’urgence après la IIème Guerre Mondiale malgré l’expérience de massacres antérieurs. Sa définition première n’a subi aucune modification en 60 ans et la jurisprudence des deux Tribunaux pénaux internationaux ad hoc l’a faite évoluer dès les années 90 en s’appuyant sur leurs circonstances particulières. La traduction de la définition du crime de génocide dans les ordres juridiques nationaux procède de différents degrés de protection dépendant en grande partie du bon vouloir des Etats. Par ailleurs, la CPI peine à affirmer sa légitimité et reste paralysée du fait du principe de subsidiarité qui reste au bénéfice des Etats. La qualification actuelle du crime de génocide reste insuffisante en ce qu’elle n’est pas à la hauteur, tant au niveau national qu’international, de la caractérisation à laquelle on peut s’attendre d’une norme de jus cogens.

Le XXème siècle, tristement rebaptisé “siècle des génocides”, s’est notamment distingué dans l’histoire de l’humanité comme étant une période particulièrement violente et excessive ayant atteint des niveaux jusqu’alors sans précédents. Une nouvelle réalité apparait à la fin de la IIème Guerre Mondiale et dès lors l’objectif devient clair : mettre un nom sur l’innommable et trouver le moyen de prévenir d’éventuels autres massacres.

C’est au Tribunal de Nuremberg de poser le premier les bases de ce qu’allait devenir par la suite l’entière matière du droit pénal international en en déterminant trois chefs d’inculpation : les crimes contre la paix, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité. Pourtant, il faudra attendre 1948 avec la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, pour que la notion même de génocide ne soit introduite dans l’ordre juridique international. Son article II en donne une définition dont la version originelle est restée inchangée jusqu’à aujourd’hui : “Le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel : a) Meurtre de membres du groupe; b) Atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe; c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle; d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe; e) Transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe. » Cette définition montre bien la détermination de la communauté internationale de « libérer l’humanité d’un fléau aussi odieux » le plus rapidement possible comme il est précisé en introduction de la Convention. Et en effet, celle-ci a vite su s’imposer comme un instrument juridique incontournable et a bénéficié tout de suite d’un large écho notamment du fait de son caractère impérieux et essentiel. Dès lors s’est engagé un long processus d’institutionnalisation d’une Justice pénale au niveau international capable de juger des individus, personne physique, personnellement responsables de graves crimes internationaux ; une révolution pour l’époque qu’il convient de souligner. Cette définition du crime de génocide a été reprise successivement par les Statuts des deux Tribunaux Pénaux ad hoc, le Tribunal Pénal International pour l’Ex Yougoslavie –TPIY- et le Tribunal Pénal International pour le Rwanda –TPIR-, et plus récemment encore, par celui de la Cour Pénale Internationale –CPI-. Ainsi, la version de sa définition initiale en 1948 en détermine la base légale mais est-elle toujours d’actualité dans son intégrité première ? Se pose ainsi la question de son interprétation par les différents Tribunaux internationaux et surtout de son intégration et donc de sa traduction dans les différents droits nationaux : dans quelle mesure cette norme internationale va-t-elle y être incorporée ? Car dès la résolution du 11 décembre 1946, l’Assemblée Générale de l’ONU a « invité les Etats membres à prendre des mesures législatives nécessaires pour prévenir et réprimer ce crime » qu’est le génocide. A l’aube de la Conférence de Révision du Statut de Rome de la CPI devant se dérouler cette année 2009, quelles conclusions pouvons-nous tirer de l’expérience offerte par les 60 dernières années ? La principale interrogation porte donc sur l’efficacité structurelle de la notion même de génocide et de son évolution tant dans son intégration dans les ordres juridiques nationaux que dans sa prise en considération par la jurisprudence internationale. Des carences textuelles palliées par une jurisprudence évolutive des Tribunaux pénaux internationaux ad hoc. La notion de crime de génocide connait néanmoins des lacunes du fait de la rapidité de la réaction avec laquelle elle a été délimitée, au lendemain de la fin de la guerre. En effet, il ressort nettement des insuffisances de la Convention de 1948 que la jurisprudence des deux Tribunaux pénaux internationaux a commencé à combler quelque cinquante années après.

La Convention ne définit pas les victimes de génocides mais fait simplement référence à des groupes rassemblés (d’une manière particulièrement rationnelle) en quatre catégories semblant de prime abord restreintes : national, ethnique, racial et religieux. Pourtant, le TPIR dans son arrêt AKAYESU de 1998, a su élargir cette approche en concédant à tout regroupement de personnes ayant pour caractéristique d’être “stable et permanent” de pouvoir être reconnu comme une éventuelle victime de génocide. Les cinq types d’actes relevant de la qualification de génocide ont été également élargis par la jurisprudence. En effet, le TPIR dans son arrêt AKAYESU, a qualifié le viol de crime de génocide en se basant sur le deuxième type d’actes, atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe. Par ailleurs, le TPIY a su admettre une 6ème catégorie de crime de génocide ne figurant pas dans les textes qui est le nettoyage ethnique ou la purification ethnique comme il est question dans son arrêt KRSTIC de 2003. Il s’agirait par là même d’expulser de force un groupe d’un territoire dans le but de le détruire. Ainsi, à la lumière des textes, la jurisprudence des deux Tribunaux internationaux ad hoc a su faire évoluer ce droit devenu coutumier en renforçant les droits des populations victimes des actes de génocide. La pratique génocidaire ayant de multiples facettes, la jurisprudence s’adapte et comble les insuffisances textuelles dès que la situation s’y prête. En effet, c’est grâce à l’action combinée des deux Tribunaux pénaux internationaux ad hoc qu’on a pu redessiner les contours d’une notion qui au départ conduisait à des inégalités, en innovant et en harmonisant leur jurisprudence. Avec la CPI, on espère réduire encore plus ces variables pour permettre, sur le long terme, une meilleure application des sanctions de la violation du crime de génocide.

Des degrés de protection variables selon les transpositions nationales. La question de son intégration en ordre interne pose de sérieux problèmes de traduction des concepts employés dans la Convention de ’48. En effet, la notion de génocide fait peser sur chaque Etat de la Communauté Internationale des obligations erga omnes. Ces derniers se doivent donc de respecter ces normes impératives en toutes circonstances. Il convient donc d’analyser comment la définition originelle donnée par la Convention de ’48 a été traduite dans les ordres juridiques nationaux français et italien et dans quelle mesure des modifications y ont été apportées. L’intégration en droit français de la notion de génocide se retrouve à l’article 211-1 du Code pénal français dans son Livre II « des crimes et délits contre les personnes » au Titre I « des crimes contre l’humanité et contre l’espèce humaine » pour lui consacrer le Chapitre I « du génocide ». Par contre, comme bien souvent en droit italien, c’est une loi spéciale en complément du Codice penale italiano qui encadre cette notion ; la Legge n.962 du 9 octobre 1967.

La définition textuelle internationale montre très nettement une intention génocidaire en ce qu’elle parle d’ « intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe… ». La traduction française de l’intention criminelle montre une avancée à laquelle le droit international général ne fait pas référence : « constitue un génocide le fait en exécution d’un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle d’un groupe.. ». Dans ce cas précis, le législateur français a choisi de spécifier la volonté de destruction des groupements de personnes en mettant en relief la planification antérieure à la réalisation des actions génocidaires, par les responsables personnes physiques, mais il l’a fait dès 1994, c’est-à-dire avant les premiers sursauts jurisprudentiels des deux Tribunaux pénaux internationaux. En revanche, le droit italien se montre beaucoup plus frileux en ce qu’il atténue la portée même du mot « intention » en choisissant la locution «uno degli seguenti atti effettuato al fine di distruggere in tutto o in parte un gruppo… », c’est-à-dire « afin de » dans la version interne alors que dans la traduction officielle de la Convention « con l’intento di » (« avec l’intention de ») apparaît. Une minimisation a été opérée entre la Convention et son intégration en droit interne dans la Legge de ’67 ce qui est fort dommage car celle-ci nie en partie l’essence même de la portée humaniste de la norme internationale. Pour autant, cela a-t-il pour effet de diminuer l’efficacité de la norme ? Malgré le silence de la jurisprudence italienne, le problème se situe plus selon moi sur un plan politique que sur un plan juridique. En effet, cette traduction malheureuse ne peut pas avoir de répercutions vraiment néfastes sur la prise en charge, par les Tribunaux italiens, de ce genre de cas d’espèce car l’engagement de la responsabilité de l’Etat, même théorique, est toujours à prendre en considération.

Les groupes potentiellement victimes de génocide sont au nombre de 4 selon la Convention de ’48 : « national, ethnique, racial et religieux » ce qui est équivalent en droit italien. En revanche, le droit français étonne par son audace en ce qu’il précise « d’un groupe national… ou d’un groupe déterminé à partir de tout autre critère arbitraire » ! Ainsi, le droit français ouvre une large brèche vers la prise en compte de nouvelles catégories de groupements de personnes : par exemple, comme il a été proposé en doctrine, les groupements politiques ou pourquoi pas culturels, à la différence de l’Italie qui semble réfractaire à toute forme d’ouverture de la notion.

Les 5 types d’actes relevant de la qualification de génocide dans la Convention de ’48 apparaissent de la même façon en droit français mais à la différence près du premier type d’actes « meurtres de membres du groupe » qui devient « atteinte volontaire à la vie » qui fait comme une piqûre de rappel à « l’intention criminelle ». En droit italien, toute la logique change pour se consacrer à la sanction précise encourue calculée en années ; ainsi deux groupes sont distingués. Le premier, « atti diretti a cagionare lesioni personali gravi » (actes causant des préjudices personnels graves) sans autres indications, renvoie à une peine de prison de 10 à 18 ans. Le deuxième, « morte o lesioni personali gravissime » (mort ou préjudices personnels très graves), correspond de 24 à 30 ans d’emprisonnement. Est également précisé que la même peine est encourue si une personne soumet un groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique, totale ou partielle. L’article 3 de la Legge de ‘67 mentionne également la « circostanza aggravante » dans l’hypothèse où la mort d’une ou de plusieurs personnes serait avérée, ce qui condamnerait les personnes responsables « all’ergastolo » (peine à perpétuité). Par la suite, le droit italien reprend les deux hypothèses oubliées du droit international général à ses articles 4 et 5 « limitazione delle nascite » (entraver les naissances) et « sottrazione dei minori » (transfert forcé d’enfants).

Ainsi, l’on constate que la traduction en droit italien de la figure internationale du génocide comme norme impérative de jus cogens se fait de manière plus limitée et cela transparait au travers du vocabulaire -édulcoré- choisi. Le droit français quant à lui se démarque de l’entière scène internationale par son originalité et son audace en insérant un critère absolu de « tout autre critère arbitraire » ce qui ne peut que renforcer le poids de la protection des groupes victimes. Tout dépend donc de la bonne volonté des Etats à déterminer la place occupée par les Droits de l’Homme dans tout système juridique national. L’essentiel est d’impulser un intérêt juridique suffisamment important pour en garantir son respect.

Les limites de la définition du crime de génocide au regard de son applicabilité en droit international. Ce crime international qu’est le génocide se devrait d’être sanctionné d’une manière forte comme l’a ainsi démontré l’expérience des Tribunaux internationaux ad hoc. Face aux succès de ces deux Cours, l’idée latente depuis 1948 de la création d’une Cour pénale internationale permanente est relancée ce qui a abouti à la signature du Statut de Rome le 17 juillet 1998, dont l’entrée en vigueur a été définitive le 1er juillet 2002. La Cour Pénale Internationale (CPI) était née et, à côté de la CIJ, celle-ci a pour but de promouvoir le droit international en jugeant « des crimes les plus graves commis par des individus ayant une portée internationale » (article 1 du Statut de Rome).

Le crime de génocide est tout d’abord imprescriptible selon la Convention de ’68 sur l’imprescriptibilité des crimes de guerres et des crimes contre l’humanité. Il bénéficie donc d’une justiciabilité quasi obligatoire. L’art. 5-1 du Statut de Rome semble confirmer également la large possibilité d’action de la Cour : pas de limitation territoriale ni de termes enfermant sa compétence. A priori, elle serait donc compétente pour juger tous les faits se produisant après la date d’entrée en vigueur de son Statut. Pourtant, la CPI qui devrait être la première concernée par le crime de génocide voit sa compétence s’amoindrir du fait du principe de subsidiarité qui lui est attachée : elle agit donc en complément des Juridictions pénales nationales ce qui affaiblit sans aucun doute sa mission universelle et ce qui rend encore plus essentielle la question de la traduction des normes internationales en droit interne. Par ailleurs, nombre de pays se montrent hostiles face à une Cour permanente ayant une vocation générale et donc plus dissuasive, d’où certaines voix négatives lors de sa création (Etats-Unis, Chine, Israël pour les plus importants) ou les limitations de l’applicabilité de son Statut lors de sa ratification (art. 124 Statut permettant à un Etat, comme c’est le cas pour la France, de décliner pour 7 ans la compétence de la Cour pour les crimes de guerre).

En regardant la pratique internationale sur la reconnaissance des crimes de génocide, l’on ne peut que constater la diversité des opinions envisagées. Les idées divergent au regard surtout de considérations politiques et cela ne peut être que déploré car par génocide on comprend massacres et extermination de populations entières. Historiquement, le premier génocide du XXème siècle, à savoir le génocide Arménien de 1915, n’a toujours pas été reconnu par la Turquie. Le mois dernier, le premier mandat d’arrêt a été lancé par la CPI contre le Président soudanais encore en exercice mais le crime de génocide au Darfour ne figure pas dans l’acte d’accusation. Ainsi, tout l’enjeu de la matière repose sur sa définition qui, encore aujourd’hui, présente de nombreuses lacunes. Sa preuve est très difficile à rapporter et notamment son élément subjectif, l’intention criminelle. Des propositions de modifications ont bien été faites mais aucune n’a vu le jour jusqu’à maintenant. Cette année doit se tenir la Conférence de révision du Statut de Rome de la CPI mais aucun des amendements proposés ne suggère une modification de la définition du génocide. Par contre, l’intégration du crime d’agression dans les crimes internationaux constitue une avancée essentielle pour permettre le développement d’un droit pénal international plus efficace. Pourtant, la notion de génocide mériterait un dépoussiérage qui, 60 ans après une définition juridique conçue dans l’urgence, ne convient plus aux réalités de l’époque contemporaine. BIBLIOGRAPHIE

Ouvrages généraux : Emmanuel Decaux, Droit international public, Dalloz, 5ème édition 2006.

Textes officiels : - Code pénal français, art. 211-1, modifié Loi du 6 août 2004 n. 800, JORF du 7 août, art.28. - Legge 9 ottobre 1967 n. 962/1967, « prevenzione e repressione del delitto di genocidio », G.U. n. 272 del 31 ottobre 1967. - Statut de la Cour Pénale Internationale, entrée en vigueur 1er juillet 2002. - Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, du 9 décembre 1948.

Décisions : - TPIR : Akayesu, 2 octobre 1998. - TPIY : Krstic, 1er juillet 2003.

Sites : Centre d’actualités de l’ONU, dépêches du service d’information des Nations Unies.