A propos du Digital Economy Act et la loi Hadopi, problématiques communes ; par Melina Papacostas

La Digital Economy Act et la loi Hadopi, problématiques communes

Avec le progrès des technologies, l'accès aux contenus littéraires et artistiques est extrêmement facilité.  Acheter des  livres, des films ou des contenus musicaux  sur internet est aujourd’hui  très simple et rapide. Le succès des sites comme Amazon ou ITunes témoigne de ce phénomène. Cependant cet accès est problématique lorsqu'il se fait de manière illégale, à travers des sites de partage et d'échange entre les internautes de contenus artistiques.  La propriété intellectuelle des auteurs de ces contenus est alors mise à mal par les internautes. L’enjeu est important car les revenus tirés de la propriété intellectuelle sont considérables. La propriété intellectuelle récompense l’effort des créateurs dans le but d’encourager la créativité et l’esprit d’innovation. C’est pourquoi, la mise en place d’un droit protecteur en la matière est indispensable pour tout Etat souhaitant promouvoir la création intellectuelle. De ce fait, la propriété intellectuelle est un droit fondamental garantie par de nombreux textes internationaux comme la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme du 10 décembre 1948 (article 27) ou la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne  (article 17-2) qui avec le Traité de Lisbonne de 2007 a acquis une valeur juridique contraignante. Une fois de plus, le droit peine à trouver  des outils adaptés à l’ère numérique  afin de protéger un droit fondamental. 

Au niveau européen, c’est d'abord la Directive 2001/29/CE  du 22 mai 2001 qui pose un cadre juridique harmonisé visant à adapter la législation relative à la propriété intellectuelle aux évolutions technologiques et tout particulièrement à la société de l’information. La Directive 2004/48/CE du 24 avril 2004 relative aux mesures et procédures visant à assurer le respect des droits de propriété intellectuelle dont l’objectif principal est d’assurer un niveau équivalent de protection dans les Etats membres vient renforcer cette harmonisation.  Selon cette Directive (article 3) les Etats membres doivent mettre en place des moyens de recours et des sanctions effectifs, dissuasifs et proportionnés contre les auteurs des actes de contrefaçon. Ces exigences sont d’ailleurs en conformité avec les obligations internationales  issues des Accords de l’OMC sur les Aspects des droits de Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce (1994).

En France la loi du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet,  dite loi Hadopi, vise à réprimer le partage illicite d’œuvres protégées par le droit d’auteur  sur internet.  Elle met en œuvre un dispositif de « réponse graduée », à l’issue duquel peut être prononcée une suspension de la connexion Internet des personnes soupçonnées d’actes de partages.   La loi crée une autorité administrative (Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet ou l’HADOPI) chargée d’appliquer ce dispositif. Alors même que la loi Hadopi, telle qu’elle existe aujourd’hui, semble condamnée depuis la conclusion du rapport Lescure (Mission « Acte II de l’exception culturelle », Contribution aux politiques culturelles à l’ère numérique, Pierre Lescure, 13 mai 2013), elle a inspiré de nombreux pays au sein de l’Union Européenne (en Irlande, Belgique et en Italie) mais aussi à l’international (au Japon, en Nouvelle-Zélande et en Corée du Sud notamment). En outre, le Parlement britannique a adopté une loi similaire à la loi HADOPI en 2010, le Digital Economy Act (ci-après loi DEA) qui met en place un système similaire à celui de la réponse graduée (dit « the three strikes »).  Cependant l’entrée en vigueur de cette loi, qui crée de vives polémiques ne cesse d’être reportée (pour l’instant elle est programmée pour 2014).

 

Tout comme la loi DEA, la loi Hadopi  avait suscité de vives réactions. Le Parlement européen avait notamment adopté en 2009 un rapport intitulé «  Renforcement de la sécurité et des libertés fondamentales sur Internet ». Par une forte majorité, les eurodéputés avaient manifesté leur opposition à l’encontre de toute sanction de privation d’accès à internet. (Recommandation du Parlement européen du 26 mars 2009 à l'intention du Conseil sur le renforcement de la sécurité et des libertés fondamentales sur Internet (2008/2160(INI)). En outre, un rapport de l’ONU qui s’attaque aux lois  Hadopi et DEA (Le rapport de Franck La Rue, Rapporteur de l’ONU pour la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression, 16 mai 2011, Conseil des Droits de l’Homme, 17ème session) demande au gouvernement français d’abroger la loi Hadopi et au gouvernement britannique  de renoncer à la loi  DEA.

Alors que le Royaume-Uni  prépare l’entrée en vigueur d’une loi très similaire à la loi Hadopi, il est intéressant d’étudier le dispositif que ces deux lois mettent en place afin de mettre en évidence les difficultés que le droit de la propriété intellectuelle rencontre à l’ère des nouvelles technologies.

Un dispositif contesté quasiment identique : la réponse graduée

Selon le dispositif de la loi Hadopi, dès qu’une adresse IP procédant à un téléchargement illégal est repérée par les ayants droits ceux-ci peuvent saisir l’HADOPI. L’autorité, après avoir examiné les faits, peut, dans un délai de deux mois, enclencher la première étape de la réponse graduée par l’envoie d’un mail d’avertissement au titulaire de l’abonnement. Pour cela, elle aura au préalable obtenue l’identité de la personne concernée par une requête à son fournisseur d’accès à internet (FAI).

En cas de réitération dans un délai de 6 mois suivant l’envoi du premier avertissement, l’autorité peut enclencher la seconde étape de la réponse graduée : l’envoi d’un courrier recommandé (article 5 loi Hadopi). Dans le cas où une nouvelle activité illicite serait repérée dans un délai d’un an, l’autorité informe le titulaire de l’abonnement que ces faits sont susceptibles de poursuites pénales et elle peut transmettre le dossier au parquet. Le juge peut alors prononcer une amende maximale de 1500 euros pour un particulier et  peut également décider de la coupure de la connexion Internet sur une durée maximale  d’un mois.  C’est cette dernière étape de la réponse graduée qui suscite de nombreuses réactions en ce qu’elle va à l’encontre de  la liberté d’information et de communication de l’internaute en question.

La réponse graduée de la loi DEA repose sur un « rapport constatant une infraction aux droits d’auteur » (Copyright Infringement Reports) dressé par les ayants droit qui identifieraient de telles infractions. La section 3 de la DEA prévoit qu’un ayant droit qui identifie une infraction de son droit d’auteur par un internaute peut établir ce rapport  contenant les preuves qu’il a recueillie de cette infraction et le transmettre aux FAI dans un délai d’un mois suivant la constatation des faits.  Le fournisseur d’accès aura à son tour un mois pour avertir le contrevenant présumé en reliant l’adresse IP à un abonné. Dans l’exercice de leur mission prévue par la loi DEA, les FAI devront constituer une base de données des abonnés qui ont fait l’objet de 3 avertissements au cours d’une période de 12 mois. Cependant la liste ne permettra pas d’identifier les contrevenants. Dans le cas où un ayant droit souhaiterait identifier un abonné afin d’engager des poursuites pour infraction aux droits d’auteurs contre celui-ci, il pourra obtenir sur injonction judicaire l’identité de l’abonné en question.

Le système britannique implique donc davantage les FAI. La loi DEA leur  attribue un rôle de police en leur confiant des tâches qui en France sont attribuées à l’HADOPI. Cette situation explique pourquoi au Royaume-Uni les FAI sont les premiers contestataires de la loi DEA qui représentent pour eux un coût et une charge excessive. Le rôle de l’homologue britannique de l’HADOPI, l’Ofcom (l’Office of Communications est l’autorité qui régule les secteurs de la radiodiffusion, des télécommunications et de la poste)  se confinera à la rédaction et l’application de la législation secondaire à la loi DEA.

En effet, afin de mettre en œuvre le dispositif de la réponse graduée, la loi DEA prévoit l’élaboration de législations secondaires notamment un « Code des obligations en matière de violation des droits d’auteurs  en ligne » (ci-après le Code). Une fois rédigé par l’Ofcom ce Code devra être approuvé par le Parlement.  

En ce qui concerne la définition de l’abonné, le Code précise que les institutions qui offrent des services de Wi-Fi comme les bibliothèques, les universités, cafés, etc. ne sont pas concernés par cette loi. En effet il est difficile de sanctionner une telle institution pour des faits commis par un ou plusieurs de leurs utilisateurs.  D’autant qu’en cas de récidive, la suspension de la connexion à internet viendrait sanctionner la totalité des utilisateurs. Cette précision a été rajoutée dans une deuxième version du Code suite à la mobilisation des institutions concernées. En France, en revanche, la loi Hadopi, s’applique à tous les titulaires d’une adresse IP. Cependant elle précise que « pour prononcer la peine de suspension […]  et en déterminer la durée, la juridiction prend en compte les circonstances et la gravité de l’infraction ainsi que la personnalité de son auteur, et notamment l’activité professionnelle ou sociale de celui-ci, ainsi que sa situation socio-économique » (article 9). Ainsi, cette rédaction de la loi témoigne de la volonté du législateur français de permettre au juge de moduler sa décision afin d’éviter les conséquences néfastes que pourraient provoquer la coupure d’internet pour une entreprise ou une administration.

La problématique de l’identification des contrevenants par l’adresse IP

L’adresse IP permet d’identifier la personne qui a souscrit à l’abonnement internet, hors, celle-ci n’est pas forcement celle qui a commis l’infraction.

Au Royaume-Uni, les incohérences qui entourent l’identification des contrevenants aux droits d’auteurs par l’intermédiaire des adresses IP ont été soulevées dans deux affaires (Media C.A.T. v Adams [2011] EWPCC 6 et [2012] EWHC 723 (Ch)).  Dans le premier cas, une action collective avait été intentée à l’encontre de la société  Media CAT qui représentait divers ayant droit et qui avait envoyé des lettres à 10 000 personnes censées avoir enfreint les droits d’auteurs de ces ayants-droit. La société a demandé aux contrevenants de payer une compensation à défaut de quoi elle les assignerait en justice. La société avait obtenu l’identification des personnes concernées par l’adresse IP. Il s’est avéré plus tard que la plupart des personnes identifiées n’étaient pas les auteurs des faits qui leur étaient reprochés.  Dans cette affaire les juges ont émis une mise en garde contre la méthode consistant à identifier des personnes censées avoir enfreint des droits d’auteurs par  l’intermédiaire d’une adresse IP. La seule chose qu’une adresse IP permet d’identifier est la personne qui a un contrat avec le FAI.  Dans une deuxième affaire similaire, la Haute Cour a reconnu qu’un abonné ne doit pas être présumé responsable pour une infraction au droit d’auteur uniquement sur le fondement de son  adresse IP. De ce fait la Cour a refusé de contraindre le FAI de révéler l’identité des personnes se cachant derrière l’adresse IP.

Selon Ofcom ces jugements ont été pris en compte lors de la rédaction de la version 2012 du Code. Ainsi, le Code exige désormais la validation par Ofcom de la procédure de collecte des preuves par les ayant-droits.  Ofcom prévoit le déploiement d’un guide de bonne pratique et de standard pour la  collecte de preuve. La nécessité de promouvoir une bonne pratique de la collecte des preuves par les ayant-droits d’une infraction et d’une procédure stricte du contrôle des preuves par Ofcom est d’autant plus importante que, comme le soulève le groupe de pression Consumer Focus, les personnes souhaitant contester les accusations présentes dans une des lettres devront le faire à leur frais (des frais d’un montant de £20 devront être versés selon le Code). Pour le groupe de pressions le Code ne prévoit pas assez de garde-fous afin d’assurer que les abonnés ne soient pas injustement accusés et leur éviter de payer les frais de contestations.

 En France, il n’est pas possible pour un abonné de contester les allégations contenues dans les lettres d’avertissement, car ces avertissements sont considérés comme de simples rappels à la loi. L’abonné peut cependant faire valoir ses observations par mail ou par courrier postal à l’HADOPI. En outre, au stade de la décision de l’autorité de transmettre ou non le dossier au parquet, l’abonné pourra être entendu par l’autorité composée de trois juges avant que celle-ci décide de transmettre le dossier au parquet. Cette audition se fera de manière gratuite pour le présumé contrevenant évitant ainsi des frais pour les abonnés injustement accusés.

Mais la problématique d’une possible condamnation d’une personne pour des faits qu’elle n’aurait pas commis n’est pas pour autant résolu. Ainsi, la première personne condamnée à 150 euros d’amende pour infraction à la loi Hadopi était le propriétaire  de la ligne et non l’auteur du téléchargement illégale en cause (il s’agissait de son conjoint).

C’est la logique même des lois Hadopi et DEA  qui est mise en cause à travers cette problématique. En effet, on peut se demander si ces lois ne se trompent pas de cible en sanctionnant les auteurs de téléchargements illégaux plutôt que de s’attaquer directement aux plateformes qui mettent à disposition ces téléchargements.  Le développement de nouvelles technologies tel que le VPN (Virtual Private Network ou Réseau Privé Virtuel) permettant une connexion à internet anonyme et, rendant ainsi l’identification des contrevenants par l’adresse IP inefficace, renforce cette idée.  Lorsque les progrès technologiques rendent l’application du droit impossible, on ne peut qu’en conclure que ce dernier se révèle inadapté à l’ère des nouvelles technologies.

La suspension de la connexion à internet : une mesure controversée

La loi DEA tout comme la loi Hadopi prévoit  que la réponse graduée peut aboutir à des sanctions prononcées par un juge et notamment la suspension de la connexion à internet. La loi DEA prévoit, hormis la coupure de l’accès à internet, un ralentissement de la connexion. Cette mesure moins drastique permettrait d’empêcher le contrevenant de poursuivre ses activités illicites (téléchargements illégaux mais aussi téléchargement direct illégaux) qui nécessitent souvent une connexion à internet puissante sans le priver de l’exercice de son droit de communiquer librement et de sa liberté d’expression (accès à des sites d’informations ou à une boite mail). Cependant, un ralentissement de la connexion à internet aurait également l’effet d’empêcher le contrevenant de poursuivre ses téléchargements légaux et d’autres activités légales. A l’heure où, il est possible de revoir des émissions de télévisions légalement sur internet ou de voir des émissions en directs, d’effectuer des paiements en ligne, de communiquer avec ses proches par des appels vidéo ou messagerie instantanée etc., il est difficile de distinguer clairement une connexion qui permettrait de faire cesser toute activité illicite sans trop restreindre la liberté de communiquer et d’expression de l’internaute.

L’avenir de ces mesures et leurs modalités d’exercice sont encore incertains. La loi DEA prévoit, que de telles mesures ne pourront être prononcées que 12 mois après l’entrée en vigueur du Code de l’Ofcom. Par ailleurs, une législation secondaire posant le cadre de ces mesures doit être adoptée par le Parlement.

En  France, aucune mesure de coupure d’accès à internet n’a pour l’instant été prononcée et il est probable qu’aucun juge ne daigne appliquer une telle sanction au vu des vives controverses qu’elles suscitent. La  sanction pécuniaire beaucoup plus respectueuse de la liberté d’expression et de communication devrait donc être privilégier. Le rapport Lescure confirme cette approche puisqu’il préconise l'abandon de la suspension temporaire de l'accès à internet. Par ailleurs, le nouveau dispositif faciliterait l'imposition de sanctions pécuniaires car l'autorité en charge d'appliquer la réponse graduée (le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel et non plus l'HADOPI laquelle disparaitrait) pourrait prononcer elle-même les sanctions sans avoir à faire appel à la justice. La sanction pécuniaire ne serait donc plus pénale mais administrative et son montant serait revu à la baisse (montant forfaitaire de 60 euros au lieu d'une amende pouvant aller jusqu'à 1500 euros prononcée par un juge). Le rapport témoigne donc d’une volonté  d’éviter la justice.   

Dans la mesure où d’autres mesures moins contraignantes pour la liberté d’expression et de communication peuvent être utilisées afin d’atteindre le même objectif (dissuader un internaute de poursuivre ses activités de téléchargement illicites), il est normale de  considérer que ces restrictions de l’accès à internet soient  disproportionnées. De telles sanctions n’ont donc pas vraiment leur place dans la loi Hadopi et la loi DEA. Les contestations nationales et internationales qu’ont provoquées ces mesures de restrictions d’accès à internet ne  font que renforcer cette idée.

Au Royaume-Uni, l’entrée en vigueur de la loi DEA a été repoussée notamment en raison de batailles juridiques entamées par deux FAI qui sont les premiers concernés par cette loi.  En effet, la loi DEA impose des obligations sur les FAI qui sont censés collaborer avec les ayant droits afin d’identifier les contrevenants, envoyer des notifications aux contrevenants présumés et dresser une liste des contrevenants. Ce rôle de police des FAI, représente non seulement une charge considérable pour les FAI mais implique également un coût pour ces derniers. Le législateur anglais témoigne d’une volonté d’éviter  toute implication des instances judiciaire et voire même d’une quelconque  administration  dans le dispositif de la réponse graduée (alors qu’en France on retrouve une stratégie d’évitement de la justice  dans le rapport Lescure  mais le dispositif reste à la charge d’une administration).  Un tel système octroi un pouvoir  important au FAI  accompagné d’une grande responsabilité,  ce qui pourrait encourager des pratiques abusives de leur part, notamment dans le but de s’exonérer de toute responsabilité.

Les deux plus grands fournisseurs d’accès internet au Royaume-Uni (Talk Talk et British Telecom), ont donc initié une procédure de  judicial review  (recours administratif ouvert à toute personne concernée par un acte administratif ou une loi et qui permet d’en demander la révision par un tribunal) en vue d’un réexamen du texte par la Haute Cour. Les deux fournisseurs invoquent principalement le caractère disproportionné des mesures prévues par le texte, son incompatibilité avec la législation européenne sur les droits et libertés des internautes (notamment avec les directives sur le traitement des données à caractère personnel, la directive sur le commerce électronique et la directive dite « autorisation ») et se plaignent de la charge excessive qu’il fait peser sur eux.   La Haute Cour et la Cour d’appel (R (Biritsh Telecommunications Plc) v BPI (British Recorded Music Industry Ltd & Ors [2012] EWCA Civ 232)) ont toutes les deux rejeté les contestations des deux fournisseurs, validant ainsi le dispositif du gouvernement.

Bien que cette bataille judiciaire se soit achevée par une victoire du gouvernement, les groupes de pressions comme Consumer Focus ou Open Rights Group se mobilisent toujours autant contre cette loi. La nouvelle version du Code d’Ofcom n’est toujours pas approuvée par le Parlement à ce jour.

De manière similaire, la loi Hadopi avait été soumise à un contrôle constitutionnel à l’issue duquel elle avait dû être modifiée afin de mieux protéger la liberté d’expression et de la communication des citoyens français (décision n° 2009-590 DC du 22 octobre 2009) en prévoyant notamment la présence d’un juge pour toute condamnation des internautes . Le Conseil a en effet jugé qu’une loi ne pouvait confier de tels pouvoirs de sanctions allant à l’encontre de la liberté du droit de communiquer et de s’exprimer librement (coupures d’internet d’un titulaire d’abonnement notamment) à une autorité administrative dans le but de protéger les droits d’auteur (Les Cahiers du Conseil constitutionnel Cahier n° 28 Commentaire de la décision n° 2009-590 DC du 22 octobre 2009).

C’est à l’occasion de cette décision que le Conseil constitutionnel a fait d’Internet une composante de la liberté d’expression, considérée comme un droit fondamental auquel seul un juge peut porter atteinte. Le conseil constitutionnel a sans doute pris en compte  l’amendement au « paquet télécom »  voté par le Parlement européen qui rendait hors la loi le projet français autorisant la coupure d’internet sans décision judiciaire en cas de téléchargement illégal.

Les deux lois ont résisté à ces contestations nationales mais continuent à susciter de vives controverses. C’est pourquoi en France le rapport Lescure est en faveur de l’abandon de cette sanction controversée qu’est la suspension de la connexion à internet.  Reste à voire si le Royaume-Uni s’orientera dans la même direction.   

Outre les critiques tenant à la sanction démesurée qu’elles imposent, on s’interroge également sur l’efficacité réelle de ces lois au vue de techniques de partages toujours plus innovantes.

Des lois déjà dépassées ?

Si très peu de sanctions, et aucune coupure d’accès à internet, n’ont été prononcées depuis l’entrée en vigueur de la loi Hadopi, selon HADOPI plus de 1 150 000 courriels d’avertissement avaient déjà été envoyés en 2012 et 100 000 courriers recommandés, ce qui signifie que nombreux d’entre eux ont, entre temps, cessés leur activité illicite. Plus de 300 abonnés avaient été identifiés plusieurs fois.  On ne peut donc nier l’effet dissuasif de la réponse graduée. Le dispositif de la réponse graduée se veut avant tout pédagogique, comme l’indique HADOPI sur son site « la réponse graduée est  le dispositif pédagogique de rappel à la loi mise ne place (…) pour lutter contre les échanges illicites d’œuvres protégées par le droit d’auteur ».  Selon une étude du Syndicat national de l’édition phonographique (Snep), les sites peer-to-peer aurait connu une baisse de leur fréquentation qu’il attribue à l’effet dissuasif d’Hadopi (« 150 euros d’amende : première condamnation pour infraction à la loi Hadopi », Le Point.fr, 13 septembre 2012). Le bilan  pédagogique de cette loi parait assez convainquant. Et pour cause, le rapport Lescure maintient le dispositif de la réponse graduée en ne changeant que le dernier stade (plus de suspension d’accès à internet mais une amende administrative).

Cependant, d’autres moyens permettant le partage et les échanges de contenus se sont développés depuis, les sites de téléchargement direct (streaming) en sont un exemple. La loi Hadopi semble donc déjà être dépassée sur ce point-là puisqu’elle ne concerne que les plateformes de téléchargement (les sites peer-to-peer).

La DEA allait au départ encore plus loin que la loi HADOPI en ce qu’il prévoyait la possibilité de bloquer l’accès aux sites qui permettent une « infraction substantielle » du droit d’auteur.  La définition d’une  « infraction substantielle » très vague aurait permis  l’éventuel blocage aussi bien des sites de téléchargements directs illégaux (sites qui permettent d’obtenir des contenus en streaming) que des sites de partage ou encore des services des plateformes de vidéos comme You Tube. Cependant, cette mesure se serait apparentée à une véritable censure sans véritable contrôle judiciaire. Ces mesures vivement contestées ont donc été abrogées car jugées inapplicables par Ofcom.  La liberté d’expression et de communication l’ont donc emporté à cette occasion. On note ici la difficulté que rencontre le législateur à trouver un système capable de protéger adéquatement les droits d’auteurs, face à des avancées technologiques qui permettent de contourner le dispositif actuel, sans restreindre purement et simplement la liberté d’expression et de communication des internautes.

Le rapport sur les moyens de lutte contre le streaming et le téléchargement direct illicite publié le 25 février 2013 par HADOPI, tente d’apporter des solutions pour lutter contre ce nouveau type de téléchargements illicites. Le rapport préconise notamment de responsabiliser les hébergeurs de contenus et sites référençant des liens vers des contenus illégaux en mettant en place une forme de réponse graduée visant cette fois-ci les hébergeurs et non les internautes. En outre le rapport Lescure s’inspire du rapport de l’HADOPI en préconisant également une responsabilisation des  intermédiaires (les éditeurs et hébergeurs de contenus, les moteurs de recherche, les opérateurs de services de paiement en ligne et les régies publicitaires notamment) mais privilégie la méthode de l’autorégulation. Cette autorégulation se ferait par la signature de chartes de bonnes pratiques entre les ayant-droits et les intermédiaires. Elle serait encadrée par une autorité publique, la Cyberdouane, chargée de dresser une liste noire des sites ou hébergeurs de contenus et de liens ayant refusés de donner suite aux notifications des ayants droits  afin de les transmettre aux intermédiaires signataires des chartes avec les ayant-droits. Il appartiendrait ensuite à ces intermédiaires d’en tirer les conséquences (déréférencement ou rupture des relations contractuelles par exemple). Ce n’est qu’à ce stade là que le juge pourrait intervenir à la demande des sites mis en cause  faisant l’objet de mesures de sanctions ou à la demande de l’autorité afin de contraindre les intermédiaires à appliquer les mesures nécessaires.

Le temps dira si ce nouveau dispositif, dans le cas où il serait adopté  en l’état, aura assuré une protection efficace des droits d’auteurs  et, s’il aura été capable de s’adapter aux futures transitions technologiques impulsées par les internautes qui ne tarderont pas à trouver des nouveaux moyens pour se procurer gratuitement des œuvres culturelles sur internet.

 

BIBLIOGRAPHIE

 

Textes officielles

Lois

-LOI n° 2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet

http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=7802625A769E6E8285E4D226CCB6230B.tpdjo10v_3?cidTexte=JORFTEXT000020735432&dateTexte=20130516

-Digital Economy Act 2010

http://www.legislation.gov.uk/ukpga/2010/24/contents

Décisions

-R (Biritsh Telecommunications Plc) v BPI (British Recorded Music Industry Ltd & Ors [2012] EWCA Civ 232

-Media C.A.T. v Adams [2011] EWPCC 6 et [2012] EWHC 723 (Ch) 

Sites internet

Site de l’HADOPI

Publication du rapport sur les moyens de lutte contre le streaming

-http://www.hadopi.fr/actualites/actualites/publication-du-rapport-sur-le...

Site Ofcom

-http://media.ofcom.org.uk/2012/06/26/new-measures-to-protect-online-copyright-and-inform-consumers/

-http://stakeholders.ofcom.org.uk/consultations/infringement-notice/summary

Site du Parlement européen

-Recommandation du Parlement européen du 26 mars 2009 à l'intention du Conseil sur le renforcement de la sécurité et des libertés fondamentales sur Internet (2008/2160(INI) http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P6-TA-2009-0194+0+DOC+XML+V0//FR

Site du Conseil Constitutionnel

-Les Cahiers du Conseil constitutionnel Cahier n° 28 Commentaire de la décision n° 2009-590 DC du 22 octobre 2009

http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/root/bank/download/2009590DCccc_590dc.pdf

Site des Nations Unies, Droits de l’homme

-Le rapport de Frank La Rue, Rapporteur de l’ONU pour la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression, 16 mai 2011, Conseil des Droits de l’Homme, 17ème session

http://www2.ohchr.org/english/bodies/hrcouncil/docs/17session/A.HRC.17.27_en.pdf

Site Consumer Focus

-http://www.consumerfocus.org.uk/files/2009/06/Consumer-Focus-response-to-Ofcom-notice-on-draft-Initial-Obligations-Code-Digital-Economy-Act-2010.pdf

Site du Ministère de la Culture et de la Communication

-Rapport Lescure

http://www.culturecommunication.gouv.fr/Actualites/A-la-une/Culture-acte-2-80-propositions-sur-les-contenus-culturels-numeriques/(language)/fre-FR

Article

« 150 euros d’amende : première condamnation pour infraction à la loi Hadopi », 13 septembre 2012.

http://www.lepoint.fr/societe/150-euros-d-amende-premiere-condamnation-pour-infraction-a-la-loi-hadopi-13-09-2012-1505824_23.php