A propos du Fair Credit Reporting Act et de la protection des consommateurs dans le cadre du credit-scoring en France et aux Etats-Unis, par Nicolas BOITTIN

Alors qu’aux Etats-Unis le consommateur ne peut échaper au credit-score lors d’opérations quotidiennes, l’utilisation du score en France reste encore limitée à la seule sphère du crédit à la consommation. Le Fair Credit Reporting Act (FCRA), texte spécifique au credit-scoring, protège les consommateurs américains contre une utilisation abusive des informations recueillies par les agences de notation (consumer reporting agencies). En France, la protection du consommateur en matière de credit-scoring s’inscrit dans un cadre plus général, reflétant ainsi une utilisation moins répandue du score.

Que ce soit dans le cadre d’un forfait de téléphonie mobile, de la signature d’un contrat de bail ou de l’obtention d’un crédit immobilier, le credit-score est omniprésent aux Etats-Unis. Le scoring bancaire est une méthode développée par les établissements de crédits permettant, au moyen d’un programme de traitement des données, d’évaluer le risque de crédit d’un emprunteur. Ce nombre à trois chiffres, selon qu’il est élevé ou non, détermine les chances d’obtention d’un crédit ainsi que le montant des mensualités. Plus le nombre (score) est bas, plus les mensualités sont élevées et la probabilité de rejet du dossier importante pour le consommateur. Au début des années 1990, le scoring s’est développé aux Etats-Unis comme moyen de garantir certains crédits hypothécaires. Aujourd’hui, les scores et fichiers (credit reports) sont utilisés par tous types de créditeurs, du banquier au bailleur. A la différence de la France, où les fichiers sont en grande majorité créés par les établissements de crédit eux-mêmes, à des fins exclusivement internes lors d’une demande de prêt, il existe trois principales agences de notations aux Etats-Unis. Ces trois agences sont Experian, TransUnion et Equifax (D Pridgen, R. Alderman, Consumer Credit and the Law : Credit reports, Westlaw 2008). Les établissements de crédit qui recueillent des informations lors de la signature d’un contrat de prêt transmettent ces données aux agences. Les agences, grâce à l’historique de crédit de chaque consommateur, ainsi que différentes formules statistiques, émettent un score qui peut varier de 300 à 850 ou de 501 à 990 selon la formule choisie. Le score dépend largement du nombre de crédits contractés et du remboursement à échéance de ces derniers et non des ressources réellement disponibles. A chaque consommateur est associé un score, qui détermine le degré de risque de non remboursement d’une dette et ainsi, la probabilité pour le consommateur d’obtenir ou non un crédit (Federal Trade Commission, Credit & Loans). Le Fair Credit Reporting Act de 1970 réglemente les droits d’accès et de rectification des données par le consommateur, ainsi que les conditions dans lesquelles les agences de notation sont autorisées à communiquer les fichiers et scores à des tiers. En France, il n’existe pas de loi spécifique au credit-scoring en raison de l’utilisation limitée de cette technique aux seuls établissements de crédit. Ainsi, c’est une association de plusieurs textes qui offre une protection au consommateur français. La loi « Informatique et Liberté » du 6 janvier 1978, qui s’applique à toutes données et traitement de données à caractère personnel, permet, entre autres, au consommateur d’obtenir certaines protections des informations recueillies lors d’une demande de prêt. En outre, le secret bancaire joue un rôle important dans l’encadrement de la communication de ces données aux tiers. Les enjeux que pose le credit-scoring sont de trois types. Comparer les droits d’accès et de rectification des données pour les consommateurs américains et français, afin d’expliquer l’importance du Fair Credit Reporting Act et la nécessité d’un accès plus étendu aux informations aux Etats-Unis (I). Analyser l’encadrement légal des critères inclus dans les programmes de traitement aux Etats-Unis et en France, pour constater une divergence de la définition du critère discriminatoire (II). Confronter les limites instaurées par le droit français et le Fair Credit Reporting Act en matière de communication des données aux tiers pour s’interroger sur l’intérêt du credit-scoring tel qu’il existe aux Etats-Unis (III).

I) Un droit d’accès aux données important aux Etats-Unis : reflet d’une protection nécessaire. Les droits pour le consommateur d’obtenir la rectification des données inexactes et d’accéder aux données sont communs au Fair Credit Reporting Act et la loi « Informatique et Libertés » (1). En revanche, le droit d’information et d’accès aux scores paraît différent en France et aux Etats-Unis (2).

(1) Le droit d’obtenir rectification et d’accéder aux données L’article 611 du Fair Credit Reporting Act permet au consommateur ayant constaté une erreur dans son dossier d’obtenir rectification après demande auprès de l’agence de notation (15 U.S.C 1681 i). De façon similaire, l’article 40 de la loi « Informatique et Libertés » permet à la personne concernée d’obtenir la rectification de données à caractère personnel la concernant qui seraient inexactes. Le FCRA prévoit en outre une obligation pour l’agence de notation de procéder à la rectification sous trente jours suivant la demande de l’intéressé (15 U.S.C 1681 i). Il convient pourtant de remarquer que la loi « Informatique et Libertés » ne s’applique qu’aux « données à caractère personnel concernant la personne » alors que le FCRA s’applique à « toute information contenue dans le dossier du consommateur . » (Traduction 15 U.S.C 1681 i). Néanmoins, il s’agit bien pour les deux droits de garantir un dossier le plus complet et de permettre au consommateur de vérifier que les données sont à jour et exactes. L’article 609 du FCRA permet au consommateur d’obtenir la communication de toute information contenue dans le dossier du consommateur (15 U.S.C. 1681 g). Le consommateur a droit à une copie gratuite par an de son dossier. En France, l’intéressé est autorisé à demander la communication des données à caractère personnel le concernant (Art. 39-4 L. 1978). Ainsi, les droits sont similaires mais ne s’appliquent pas aux mêmes données, ce qui rend l’accès du consommateur américain plus large que celui du consommateur français. Cette divergence s’explique par la nature différente des textes américain et français. La loi « Informatique et Liberté » a une vocation bien plus large que celle du credit-scoring, dont le FCRA est le seul objet. L’objectif du FCRA est de protéger le consommateur dans le système complexe du credit-scoring. Cette divergence dans le champ d’application des textes explique surtout l’absence de droit d’accès au score en France.

(2) Le droit d’information et le droit d’accès aux scores En France, le consommateur n’a pas le droit de demander la communication de son score car il ne s’agit plus d’une donnée à caractère personnel mais d’un produit du traitement de ces données. En vertu de l’article 39-5 de la Loi « Informatique et Libertés », le consommateur aurait le droit de demander la communication des « informations permettant de connaître et de contester la logique qui sous-tend le traitement automatisé » dans l’hypothèse de la création d’effets juridiques à l’égard de l’intéressé. Le consommateur pourrait demander la communication des critères et de la formule statistique utilisés mais pas du score lui-même. Aux Etats-Unis, le Fair and Accurate Credit Transaction Act de 2003 (FACTA), qui a amendé le FCRA en partie, prévoit que le consommateur a droit d’obtenir la communication de son score moyennant un prix raisonnable (Art. 212 FCTA). L’accès au score est bien plus important pour le consommateur américain que pour le consommateur français. Aux Etats-Unis, sans score, il est impossible d’obtenir un crédit et difficile de contracter un bail ou un contrat de téléphonie mobile. La culture du crédit aux Etats-Unis impose à tout consommateur d’avoir accès à son score afin que les créanciers de ce dernier puissent évaluer la propension du débiteur à payer à échéance ou à rembourser ses dettes. En raison de la place prépondérante que prend le credit-scoring aux Etats-Unis, la lutte contre les discriminations dans le choix des critères utilisés est l’unique moyen de légitimer un système par ailleurs défavorable à ceux qui ont fait défaut ou ceux qui ne se sont pas endettés.

II) Une protection contre la discrimination plus large aux Etats-Unis : seule correction dans un système critiquable. La conception de ce qu’est un critère discriminatoire en matière de scoring est différente en France et aux Etats-Unis (1). En revanche, la preuve de l’existence d’un critère discriminatoire reste tout aussi difficile dans les deux droits (2).

(1) La notion de critère discriminatoire Le FCRA fait référence au Equal Credit Opportunity Act, qui dispose qu’un établissement de crédit ne peut refuser d’octroyer un crédit sur le fondement de la race, la couleur de peau, la religion, la nationalité, le sexe, la situation maritale et l’âge (15 U.SC. 1691 a). Ainsi, aux Etats-Unis, les critères utilisés pour obtenir un credit-score ne peuvent pas être liés à la nationalité du consommateur. En France, la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL), en application de la Loi « Informatique et Libertés » ainsi que de l’article 12 du Traité instituant la Communauté européenne (égalité de traitement), s’est prononcée contre l’utilisation de la nationalité comme critère pour le scoring (Délibération 98-101 du 22 décembre 98). Certains établissements de crédit intégraient dans leurs grilles de scoring le critère de la nationalité sous la forme « Français, ressortissant CEE, autres » (JCP 2002, 10140, nº 38, obs. Sombetzki-Lengagne). Pourtant, le Conseil d’Etat s’est prononcé en sens contraire affirmant que la nationalité est un critère pertinent au regard de l’objectif poursuivi par les établissements de crédit lors de l’utilisation du scoring (CE, 30 oct. 2001, Ass. Française des sociétés financières). Le Conseil d’Etat estime que le critère de la nationalité est pertinent au regard de l’appréciation par les banques d’éventuelles difficultés de recouvrement d’une créance. Même si le Conseil d’Etat affirme qu’il existe des différences de facilité et de coût liées au recouvrement d’une créance impayée selon la nationalité, le soutien apporté à ce critère demeure critiquable à l’heure de la mondialisation des flux financiers. Au regard de l’importance que prend le credit-scoring aux Etats-Unis et de la possibilité d’agir en groupe (Class action), la lutte contre les discriminations sur le fondement du FCRA et du ECOA est efficace. Dans une action de groupe contre une compagnie d’assurance qui utilisait une formule intégrant la race comme critère, la cour a donné droit aux consommateurs (Dehoyos v. Allstate Corp., W.D. Tex. 21 février 2007). Toutefois, le succès de ces actions de groupe dépend en grande partie de la qualité des preuves à disposition des demandeurs.

2) La preuve de l’utilisation d’un critère discriminatoire En France, comme aux Etats-Unis, la preuve de l’existence d’un critère discriminatoire est en pratique difficile. Même si la preuve est compliquée, le nombre d’actions intentées aux Etats-Unis sur le fondement du FCRA et du ECOA en matière de credit-scoring reste bien plus élevé qu’en France. La preuve de l’utilisation d’un critère discriminatoire est un moyen détourné pour les consommateurs défavorisés par le système du credit-scoring d’obtenir satisfaction. Au regard de l’ampleur du credit-scoring aux Etats-Unis et de la nécessité d’avoir un score élevé pour obtenir un crédit automobile, un logement ou un simple forfait de téléphonie mobile, les consommateurs les moins aisés qui ont fait défaut, ainsi que ceux qui n’ont pas d’historique de crédit et ne peuvent afficher une capacité à rembourser leurs dettes à échéance, sont défavorisés. Ainsi, le credit-scoring, outil de protection mis en œuvre par les créditeurs pour écarter les clients les plus susceptibles de faire défaut, atteint ses limites lorsqu’il éloigne également les clients aux ressources importantes mais sans historique de crédit aux Etats-Unis.

III) La communication des données aux tiers facilitée aux Etats-Unis : constat d’une société du crédit. Les agences de notation aux Etats-Unis peuvent communiquer les fichiers à certaines personnes identifiées par le FCRA alors que le droit français contraint les établissements de crédit au secret bancaire et à des conditions posées par la CNIL(1). En dépit de la liste limitée instaurée par le FCRA, le nombre et la nature des tiers ayant accès aux fichiers met en évidence le caractère d’une société où le crédit est omniprésent (2).

(1) Les limites à la communication des données aux tiers Le FCRA prévoit que les agences de notation peuvent communiquer le fichier concernant un consommateur à tout établissement de crédit ayant reçu une demande de prêt par l’intéressé, à tout employeur potentiel, à toute compagnie d’assurance en relation avec l’intéressé, et à toute personne ayant un intérêt à obtenir le fichier en raison d’une éventuelle opération commerciale avec le consommateur (15 U.S.C. 1681 b(a)(3)). La nature des tiers autorisés à accéder au fichier illustre l’intérêt du credit-scoring aux Etats-Unis. Le credit-scoring n’est plus limité à l’usage des seuls établissements de crédit souhaitant évaluer le risque de défaut de paiement du consommateur, mais permet à toute entreprise de déterminer la capacité du consommateur à payer à échéance et le nombre de crédits déjà contractés. Le credit-scoring, tel qu’il existe aux Etats-Unis, est ainsi une protection très efficace pour d’éventuels créanciers du consommateur. En France, la situation est différente étant donné que le credit-scoring est utilisé par les seuls établissements de crédit dans l’unique but d’évaluer le risque de défaut de remboursement d’un consommateur. De plus, ce sont les établissements de crédit qui créent les fichiers et non des agences indépendantes comme aux Etats-Unis. A la différence du FCRA, les fichiers des consommateurs sont étroitement protégés par la CNIL et les informations non publiques révélées par le consommateur au banquier, soumises au secret bancaire. L’autorisation unique AU-005 que doit obtenir l’établissement de crédit auprès de la CNIL avant de procéder au traitement automatisé des données pour le scoring est conditionnée à l’usage strictement interne des fichiers et scores créés (Délibération CNIL n° 2008-198 du 9 juillet 2008 modifiant l’autorisation unique n° AU-005 relative à certains traitements de données à caractère personnel mis en œuvre par les établissements de crédit pour aider à l’évaluation et à la sélection des risques en matière d’octroi de crédit). De plus, toute information non publique communiquée par le consommateur au banquier ne peut être transmise à d’autres établissements de crédit en vertu du secret bancaire. Cette obligation, bien plus flexible que celle imposée par l’autorisation de la CNIL, permettrait cependant au banquier de communiquer des renseignements généraux sur la solvabilité d’un client dans la mesure où la banque n’en aurait pas eu connaissance exclusive à l’occasion de relations d’affaires avec l’intéressé (Cass. Com. 18 septembre 2007, Turcon).

(2) Le crédit omniprésent aux Etats-Unis L’existence du FCRA, texte exclusivement destiné à protéger le consommateur contre les abus du credit-scoring, est le reflet même de la place prépondérante que prend ce système dans la société américaine. Certes, l’utilité du credit-scoring ne doit pas être négligée puisque cette technique permet aux créanciers de mieux évaluer le risque encouru lors d’une transaction avec un consommateur et ainsi de favoriser, dans le cadre d’un prêt, l’efficacité financière et économique du placement pour le créancier. Toutefois, lorsque le score devient un élément incontournable à une majorité d’opérations quotidiennes tels des contrats de téléphonie mobile, l’utilité pour les créanciers devrait céder le pas aux besoins du consommateur. La raison sous-jacente de l’omniprésence du credit-scoring aux Etats-Unis est certainement plus profonde. Le consommateur américain, vivant à crédit et souvent si proche du surendettement, est peut être le seul responsable d’un système mis en place par les créanciers pour limiter les risques de défaut de paiement devenus trop fréquents.

Bibliographie :

Gavalda C., Stoufflet J., Droit bancaire, Paris, Litec, 7ème édition 2008.

Bonneau T., Droit bancaire, Paris, Montchrestien, 7ème édition 2007.

Pridgen D, Alderman R., Consumer credit and the law: Credit reports, Westlaw 2008.

McKee D., Liability for wrongfully furnishing or obtaining a credit report Under the FCRA, 44 Am. Jur. 3d Proof of facts §287 (2008).

Sombetzki-Lengagne, La délibération n° 98-101 du 22 décembre 1998 de la CNIL portant modification de la recommandation relative à la gestion des crédits ou des prêts consentis à des personnes physiques par les établissements de crédit est annulée, JCP 2002, 10140, nº 38.

Délibération CNIL n° 2008-198 du 9 juillet 2008 modifiant l’autorisation unique n° AU-005 relative à certains traitements de données à caractère personnel mis en œuvre par les établissements de crédit pour aider à l’évaluation et à la sélection des risques en matière d’octroi de crédit.

Site internet de la CNIL : http://www.cnil.fr, visité le 20 avril 2009.

Site internet de la Federal Trade Commission : http://www.ftc.gov/credit, visité le 20 avril 2009.