Secret des affaires et acquisition des preuves à travers l’arrêt Laffitte v. Bridgestone - par Jean-Eric Brin

Si la question de la protection du secret des affaires par la justice est souvent posée leurs protection face à la justice est d’un égale intérêt. L’accès aux rapports publics, aux documents officiels et au cour de justice de même que l’exploitation directe des rouages judiciaires par un compétiteur sont autant d’opportunité d’acquérir des informations secrètes. Dans l’arrêt Laffitte v. Bridgestone Corp. (674 S.E.2d 154) du 9 mars 2009, la cour suprême de Caroline du Sud a été amenée à se prononcer sur le standard de divulgation des secrets d’affaires en phase de discovery dans une affaire de responsabilité des produits défectueux. Cet arrêt fournis l’occasion de s’interroger sur la notion protéiforme du secret des affaires et sur sa protection qui relève de la difficile mise en balance de droits économiques et d’un impératif de justice.

    Dans un numéro récent de la Gazette du palais (N°32, 01 février 2011, P.10), Christophe AYELA et Kevin BIHANNIC s’interrogent sur l’efficacité du système législatif et judiciaire français en matière d’espionnage industriel. Pour ce faire, ils critiquent le recours de Renault à l’article 411-6 du code pénal concernant les « livraisons d’informations à une puissance étrangère » et commentent l’application de cet article à l’espionnage industriel. Les Auteurs s’engagent alors dans une analyse de l’efficacité des voies d’action pénales par le vol en bande organisée, la corruption passive et l’abus de confiance dans le cadre de l’espionnage industriel avant de manifester leur intérêt pour le projet de loi déposé par le député Bernard Carayon et calqué sur le modèle de l’Economic Espionnage Act américain de 1997.  La critique n’est pas nouvelle et les renvois souvent opérés par la doctrine aux concepts de Common Law comme le « know-how », pousse à la comparaison des régimes.
Dans l’arrêt Laffitte v. Bridgestone Corp. (674 S.E.2d 154) du 9 mars 2009, la cour suprême de Caroline du Sud a été amenée à se prononcer sur le standard de divulgation des secrets d’affaires en phase de discovery dans une affaire de responsabilité des produits défectueux. A la suite d’un grave accident de la circulation potentiellement dû à la défaillance du pneu d’un véhicule utilitaire, Rusell Laffitte, agissant en lieux et place des victimes, entame plusieurs poursuites en justice, dont l'une contre Bridgestone, le fabriquant dudit pneu. En phase de discovery, Laffitte réclame la production de la formule du caoutchouc utilisé pour faire la ceinture d’acier des pneus. Après avoir consulté les experts des deux parties, le tribunal de première instance enjoint Bridgestone de produire la formule et Bridgestone lance un recours en certiorari auprès de la cour suprême de Caroline du sud au motif que cette divulgation porterait, selon l'entreprise, atteinte au secret des affaires et que le demandeur en justice n’a pas justifié d’un « besoin substantiel » pour obtenir cette information? Dans son analyse, la cour revient sur la définition d’un secret des affaires adoptée en Caroline du sud et sur le rapport entretenu entre le South Carolina Trade Secrets Act de 1997 (SCTSA) et la loi modèle fédéral (l’Uniform Trade Secret Act) adoptée telle quelle par de nombreux états. En France la formule en question serait qualifiée de secret techniques. Les secrets techniques sont englobés dans la notion plus générale du secret des affaires et se voient protégés par l’article 152- du code du travail et par le code de la propriété intellectuelle. Cependant, la violation des secrets techniques ou secrets de fabrique est avant tout envisagée dans le cadre d’un rapport de travail.

 

     Le « secret des affaires » est une notion protéiforme (I). Le droit de la preuve interagit principalement avec le secret des affaires à deux occasions. Tout d’abord au moment où la procédure judiciaire force la production d’éléments de preuve relevant du secret des affaires puis dans les cas ou la divulgation de ces secrets d’affaires au demandeur en lui-même, ou au public en général (à travers notamment l’accès aux cour de justice et aux documents de l’affaires) dans la mesure ou la diffusion de l’information nuit a sa valeur pécuniaire en la faisant sortir du secret. Dans le premier cas l’analyse des fondements du droit au « secret des affaires » et de leurs évolutions doctrinales aide à comprendre la mise en balance des intérêts des parties opérées par les cours de justice. Dans le deuxième cas, le détail des éléments constituant les secrets des affaires dans des lois modèles fédérales là ou cette notion se trouve en France éclaté à travers les différents codes et concepts là composant semble faciliter le travail des juges. Néanmoins la protection du secret des affaires relève toujours d’une difficile mise en balance de droits économiques et d’un impératif de justice (II) très révélatrice de la politique juridique en place.

 

I.                   La notion protéiforme du « secret des affaires » :

     Le « secret des affaires » est distingué du simple document confidentiel par l’article 26 (c) (7) des règles fédérales de procédure civile, qui les protège tous deux contre toute divulgation inutile dans la phase de discovery. Généralement associé à la lutte contre l’espionnage industriel ou le détournement d’informations secrètes, la notion de secret des affaires couvre des réalités multiples et s’avère presque impossible à uniformiser sur le plan fédéral malgré les tentatives successives en ce sens. L’arrêt Laffitte v. Bridgestone Corp. Du 9 mars 2009 l’illustre à travers le rapport de force entre la règle californienne et la transposition de la règle modèle fédérale, l’Uniform Trade Secret Act (USTA) et à travers la référence constante aux pratiques des autres états.

 

A.    Les transformations successives de la notion de secret des affaires à travers l’évolution de ses fondements juridiques :

     Le concept en lui-même a été reconnu par la Supreme Judicial Court du Massachussetts statuant dans l’affaire Peabody v. Norfolk (1868). Se basant sur la philosophie de Locke, la cour suprême du Massachussetts  a établi que les efforts personnels et l’investissement de Peabody augmentaient la valeur pécuniaire de son entreprise et faisaient naître un droit de propriété sur ses secrets d’affaires. Lesdits secrets étaient compris comme les procédés de manufacture et inventions, brevetables ou non, mais la cour fait aussi la mention incidente d’un droit a protéger l’ensemble de la « bonne volonté » (goodwill) acquise par son entreprise. Dès son origine, l’application partielle de concept de droit de propriété sur des idées (intangibles) a posé problème aux cours qui distingueront le droit au secret des affaires des droits de propriété intellectuelle en utilisation le concept de « capture » en common law. Comme un oiseau ou un animal sauvage, le secret d’affaire n’appartient qu’à son maître et sur la durée de sa captivité. Si elle  s’échappe, elle tombe dans le domaine public (Werckmeister V. American Lithographie Co.).

Le « réalisme juridique » des années 1920 amène cependant le droit au secret des affaires à un tournant dont il n’échappera pas avant une  cinquantaine d’années. Ce droit au secret cesse d'être fondé sur le droit de  propriété au profit d’une protection par la responsabilité civile délictuelle. Il s’agit alors d’analyser la relation entre les parties et de prouver la conduite fautive de l’auteur du délit. En 1938 le tout premier « restatement of tort » base son analyse sur une obligation générale de bonne-foi entre les parties.

Un nouveau tournant a été opéré en 1974 par la cour suprême dans l’affaire Kewanee Oil Co. V. Bicron. La cour s’est prononcée sur une loi de l’Etat d’Ohio reprenant la définition des secrets d’affaire établie par le « restatement of tort » et couramment reprise par la majorité des états. Ce faisant, la cour l’a ancrée dans les théories économiques et incitatives au développement du droit de la propriété intellectuelle. Ainsi, la cour à compter au nombre des justifications de la protection du secret des affaires « l’incitation à la création ». Comme en Copyright law ou en Patent law cet objectif est accompli par l’attribution et la protection de droits de propriété sur les secrets des affaires, de droits économiques sur ces « propriété intellectuelles » (la cour suprême confirmera cette position dans l’affaire Ruckelshaus v. Monsanto Co.).

En 1996 l’inadéquation de certains aspects de ce nouveau fondement et de ses moyens de preuve face à la monté du crime cybernétique donne naissance à l’ « economic espionnage act »(EEA). En effet, pour établir la responsabilité pénale il fallait, auparavant, prouver que les actions du défendeur privaient le propriétaire de la jouissance de son bien. La tâche était difficile en cas d’information numérique infiniment reproductible. L’EEA combine en quelque sorte les deux branches historiques du droit au secret des affaires tout en l’étendant considérablement en matière pénale. D’une part, il ne requiert que la simple preuve d’une reproduction non autorisé des secrets, de l’autre, il étend la définition usuelle du vol et facilite la preuve de l’ « actus reus » (l’acte coupable) et du « mens rea » (l’intention) par rapport aux standards du droit pénal américain. L’EEA fait face à de nombreuses critiques, les Professeurs Moohr et Burstein (notamment) relèvent que l’expansion de la notion de secret d’affaire à un si large panel d’informations est susceptible de soulever des problèmes constitutionnels « d’imprécisions » et que la preuve des différents éléments en jeu est bien plus facile à obtenir que dans d’autres lois fédérales en matière pénale ( Aaron Burstein, « A Survey of cybercrime in the United States », Berkley Technology Law Journal, 2003 ; Geraldine Szott Moohr, « The Problematic Role of Criminal Law in regulating Use of Information : The Case of the Economic Espionage Act », North Carolina Law Review, March 2002).

Aujourd’hui, de nombreuses cours ont adopté la définition établie aux commentaires b à l’article 757 du « restatement of tort » : « un secret d’affaire peut être toute formule, modèle, objet, ou compilation d’informations utilisés dans l’entreprise et donnant la possibilité d’obtenir un avantage compétitif par rapport à celui qui ne le connait pas ou ne l’utilise pas. ». La Caroline du Sud a adopté l’USTA en 1992 avant de réformer son droit au secret des affaires par le  « South Carolina Trade Secrets Act » (SCTSA) de 1997 qui contient de nombreuses modifications et articles supplémentaires. Toutefois, la définition qu’elle applique du secret d’affaires est tirée de l’USTA et basée sur leur caractère secret et leur valeur économique. Un secret d’affaire est « une information, incluant, mais non pas limitée à une formule, compilation, programme, objet, méthode, technique, produit, système ou procédé, design, prototype, procédure, ou code qui…tire sa valeur économique…du fait qu’elle n’est pas généralement connue, et pas facilement vérifiable…par le public ou toute personne qui peut tirer un avantage économique de sa divulgation ou son usage, et…qui est le sujet d’efforts…au fin de la maintenir dans le secret. »

 

     La doctrine civiliste perçoit également le secret comme puisant ses sources dans un ordre déontologique et renforçant sa légitimité juridique par un aspect coutumier de même que par un ensemble d’obligations légales, contractuelles ou techniques. Ce qui n’incluait que les secrets de fabrications, a fini par s’étendre aux secrets d’organisation puis, par devenir l’ensemble des informations et connaissances ayant une valeur économique pour l’entreprise et entourées du secret, une partie de ces informations ayant une valeur intrinsèque, l’autre ne possédant de valeurs que cachée des tiers.

Sa définition est toutefois cruellement absente des textes Français et sa protection seulement fournie par un véritable patchwork juridique de régime différents.

En France, la responsabilité pénale est engagée en cas de détournement de l’information (vol, abus de confiance, corruption, violation du secret professionnel, divulgation d’un secret de fabrique). Les tribunaux sanctionnent ainsi le détournement de fichiers clients ou d’informations comptables et plans confidentiels sur le fondement des articles 379 et 408 du Code pénal ainsi que les secrets de défense nationale (art 413-7 du code pénal) ou ceux des correspondances écrites (article 226-15 du code pénal) ou encore le secret professionnel (article 226-13 du code pénal).

La responsabilité civile délictuelle est mise en jeu par un « acte de concurrence déloyale fondée sur la faute commise par toute personne ayant révélé un secret de savoir-faire, ou qui a eu accès à ce secret par des actes frauduleux ». Il n’est même plus exigé de démontrer l’existence d’une relation de concurrence entre les parties, mais juste de prouver la faute du défendeur. La jurisprudence a, en matière de concurrence déloyale, également tendance à induire le préjudice du demandeur de la faute du défendeur si celle-ci est prouvée. La faute est constituée par la procuration déloyale d’éléments qui ne sont pas dans le domaine public et que le demandeur avait l’intention de protéger.
On distingue aussi la violation des secrets de fabrique définie par la jurisprudence comme les « procédés de fabrications industriels, originaux, offrant un intérêt pratique ou commercial et tenus cachés » sur le fondement de l’article 152-7 du code de travail.
Enfin, on trouve des confusions avec la notion plus restreinte de savoir-faire souvent dérivé du concept anglais du « know-how ». Le savoir-faire technique assimilé à l’ensemble des connaissances techniques et pratiques non divulguées d’un corps de métier et protégées par l’Accord sur les aspects des Droits de Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce (transposé en France par la loi n°94-102 du 5 février 1994 suite à l’accord de Marrakech) est protégé par le biais de la concurrence déloyale.

 

Si le « secret des affaires » se voit définie de manière similaire dans la doctrine civiliste, les lois modèles fédérales américaines tentent d’uniformiser la notion et de fournir aux cours des éléments de définition plus spécifique.

 

B.     Les éléments de la notion de secret des affaires en droit fédérale américain :

     Avec l’adoption de l’USTA en 2010 par les Etats de New York, New Jersey et du Massachussetts le traité est maintenant transposé dans 46 états. Seuls restent « Les iles Vierges des Etats Unis, le District de Columbia et le Texas. La loi modèle tel que reconnu en Caroline du sud établit trois éléments généraux pour la reconnaissance d’un secret d’affaire :

-          Le secret doit avoir une valeur économique actuelle ou potentielle.

-          Le propriétaire doit faire l’exercice de moyens raisonnables pour garder le secret et en préserver la confidentialité. Ainsi, le demandeur dont les secrets auront été découverts par la fouille de ses poubelles (la pratique du « dumpster diving ») aura la charge de prouver que les documents n’étaient pas mis à disposition sous une forme discernable car il n’y a pas de présomption de protection des données à caractère personnel dans l’espace des bennes à ordures (Frank W. Winne & Son V. Palmer). Le Computer Fraud and Abuse act (18 U.S.C.S §1030) établit la responsabilité du défendeur en cas d’obtention de quelconque « biens de valeur » par l’accès intentionnel à un système protégé sans autorisation préalable. Une discrimination est opérée entre les informations et, plus le secret est unique, plus le standard de preuve  sera large. Face à un secret véritablement unique ou face à des mesures de protection renforcées, il est présumé que la simple duplication non autorisée est abusive (Pioneer Hi-Bred Int’l. v. Holden Found. Seeds).

-          enfin le secret ne doit pas pouvoir être obtenu par des compétiteurs sans difficultés indues. Pour les cours américaines, ce qui est secret ne peut être établi ou connu par des moyens ordinaires.

 Sous cette approche la culpabilité du défendeur dépend de la nature abusive des moyens qu’il a utilisé pour obtenir l’information (le troisième « restatement of tort » fournit une liste non exclusive de ces moyens, les juges restant libres d’apprécier la conduite du défendeur au cas par cas). Une découverte indépendante par des moyens légitimes fait alors office de défense absolue.

En matière pénale l’article 1832 de l’EEA établit trois éléments supplémentaires à prendre en considération :

1) le défendeur doit avoir tiré un bénéfice économique de son acte,

2) il doit avoir eu conscience du fait que ses actes allaient porter atteinte au propriétaire légitime des informations volées,

3) enfin, ces informations doivent être en relation (ou inclus) dans un produit en production ou destiné au commerce inter-état ou à l’étranger.

L’information secrète ne doit pas, par définition, être tombée dans le domaine public, un point doctrinal d’un intérêt particulier dans le cadre de la phase de discovery. Son statut dépend de la forme sous laquelle elle a originellement été publiée (le contrôle de l’accès à un réseau permet ainsi de conserver la confidentialité de l’information), du nombre de sources indépendantes l’ayant publiée et de l’étendue de la fuite. Le test est celui de la chose « généralement connue » par les compétiteurs plutôt que par le public en général : est dans le domaine public la chose généralement connue, ou facilement établie par des moyens légitimes par des personnes pouvant tirer un bénéfice économique de sa divulgation ou de son usage. Pour obtenir une injonction préliminaire, le demandeur a ainsi la charge de prouver l’utilité de l’injonction par rapport aux faits de l’espèce. Si l’information est déjà dans le domaine public la cour ne peut qu’accorder réparation.

 

Le droit au secret des affaires est donc enraciné dans le droit de propriété et son utilisation pour protéger l’activité de la vie économique de l’entreprise. Plus précisément encore, les éléments des secret des affaires reconnus sur le plan fédérale les définissent  par leurs exploitation, leurs valeur économique, mais également par leurs unicité et leur particularité évaluée par rapport à l’état des connaissances des compétiteurs sur le même marché. Ce sont ces enjeux économiques qui sont pris en considération par les cours de justice en matière d’acquisition des preuves.

 

 

II.                La difficile mise en balance d’un droit économique et des impératifs de justice :

     La comparaison des standards d’acquisition des preuves appliqués par la cour suprême de Caroline du sud ou par les lois fédérales américaine aux standards qui gouvernent les  mesure d’enquêtes et mesures d’instruction in futurum révèlent les politiques sociales et économiques sous-jacente à ces standards. En Caroline du Sud l’arrêt Laffitte  s’inscrit ainsi dans le cadre de la politique pro-entreprise de l’état, loin des standards fédéraux en matière de discovery respectés par la majorité des états.

A.    La mise en balance des droits des parties :

     Les secrets d’affaires ne donnent pas naissance à un privilège absolu (absolute privilege) empêchant  leur découverte en phase de discovery. Les droits à la propriété qu’ils impliquent, entrainent un privilège qualifié (qualified privilege). Le demandeur doit ainsi justifier d’une raison légitime motivant l’acquisition des éléments de preuves visés. Ce privilège joue lorsque la valeur économique de ces informations est prouvée. C’est ainsi que dans le cadre d’une procédure équitable, la cour Suprême de Caroline du Sud a du mettre en balance les intérêts des deux parties lors de la phase de discovery.

En l’espèce, Bridgestone se fonde sur le SCTSA et prétend que Laffitte doit établir un « besoin substantiel » (substantial need) pour obtenir la formule demandée. Il devrait ainsi avoir mentionné en détail (with particularity) les pièces dans sa présentation préliminaire des faits au soutien de ses allégations ; la pièce devrait être en rapport direct avec les allégations; elle devrait être d’une telle importance que sa non présentation serait la source d’une gêne substantielle pour le demandeur ; enfin, le demandeur doit croire de bonne foi  que la pièce pourra être admise au procès suivant la discovery.
Laffitte, lui, estime que le SCTSA ne s’applique qu’en cas de détournement du secret d’affaires et se fonde sur l’article 26 (c) des règles de procédures civiles de Caroline du Sud. Bien qu’étendant l’application du SCTSA aux produits défectueux, la cour se réfère à la procédure adoptée dans les autres Etats et aux règles fédérales telles que transposées en Caroline du Sud pour confirmer que le standard de preuve à appliquer est celui de la chose « pertinente et nécessaire » (relevant and necessary). Le défendeur opposé à la discovery doit montrer que l’information en question est un secret d’affaire dont la divulgation serait dommageable. Une fois ce fait établit, la charge revient au demandeur de montrer que l’information est pertinente et nécessaire à sa démarche en justice et en rapport aux faits spécifiques à l’affaire. La nécessité d’obtenir l’élément de preuve visé doit être prouvé par la démonstration des conséquences exactes et réelles de sa non divulgation. Les conséquences doivent être exactes et réelles et non pas de simples risques futurs et potentiels; enfin, la cour mettra en balance les dommages potentiels liés à la divulgation du secret et la nécessité de sa divulgation pour rendre justice. En appliquant ce standard à l’espèce, la cour relève que Laffitte et ses experts n’ont pas satisfait le standard en vigueur et n’ont pas définis spécifiquement la nécessité de divulguer la formule du caoutchouc.

Le degré de pertinence réclamé par la cour est ici en opposition directe avec les standards généralement appliqués. Communément les cours appliquent à la phase de discovery un standard de pertinence plus large que celui appliqué à l’admissibilité des preuves aux procès, l’objectif étant de rassembler un maximum de preuves et d’éléments factuels pour alimenter le débat devant la cour (Coca-Cola Bottling Co. Of Shreveport v. Coca-Cola Co.). Toutefois, la présente décision s’inscrit dans la ligne des précédentes décisions sur le sujet en Caroline du Sud et dans la politique globale pro-entreprise de l’Etat. La même tendance est discernable dans l’idée que le demandeur doit démontrer la nécessité du document, là où de nombreux autres Etats ne demanderont que la preuve de son utilité.

Le test adopté par la cour diffère ainsi de manière subtile des tests généralement appliqués par les autres Etats en ce qu’il requiert la « démonstration » de la nécessité de l’ajout de la pièce. Toutefois, la cour n’a pas clairement tranché sur la question du « besoin substantiel » et il n’est pas établi si Laffitte n’avait qu’à démontrer en quoi des éléments spécifiques constituaient des fondements de responsabilité en général ou s’il avait à démontrer en détails en quoi ils venaient au soutien d’allégations spécifiques. Ce degré de précision est toutefois plus souvent appliqué dans des affaires de détournements d’informations et d’espionnage que dans le cas présent.

Enfin, bien que la question de l'admissibilité des preuves au procès n’ait pas été discutée, le SCTSA ne semble pas demander plus que le standard généralement appliqué à la divulgation d’élément de preuve en phase de discovery (le demandeur doit raisonnablement planifier sa recherche d’informations pour mener à la découverte de preuves admissibles). Ainsi l’idée que le demandeur doive croire, de bonne foi, que la pièce sera admissible ne semble pas particulièrement contraignante. Il faut noter toutefois que d’autres Etats demandent que l’information soit « probablement » (likely) admissible.

B.     La diffusion des preuves rassemblées en phase de discovery :

     Les informations publiées par le gouvernement, rapports de cour ou d’enquête publique sont estimés comme tombés dans le domaine public. Mais, dès son origine, la phase de discovery est privée et le droit d’accès aux documents et rapports judiciaires établis par la Cour Suprême n’inclut pas la phase de discovery. C’est pourquoi la Cour Suprême a établi dans l’arrêt Seattle Times Co. V. Rhinehart que les documents rassemblés durant la phase de discovery peuvent être protégés par un ordre de la cour et ne sont pas ouverts au public. Le sixième circuit a cependant distingué le sort des parties à la phase de discovery de celui des tierces personnes : Une restriction d’emblée (prior restraint) de publication ou de diffusion des documents constituant des secrets d’affaires ne peut être ordonnée par la cour contre un tiers ayant obtenu ces dits documents (Proctor & Gamble Co. V. Banker Trust Co.). L’injonction ne peut se fonder sur la simple prise de connaissance des documents par le tiers agissant pour ses propres fins.
            La phase de discovery est gouvernée par l’article 26 des règles fédérales de procédure civile qui, en sa section (c) (7), dispose qu’une partie peut obtenir un ordre de la cour enjoignant la non divulgation générale ou par un moyen spécifié des documents ainsi rassemblés. Pour l’obtention d’un ordre de la cour, la charge de la preuve repose sur le défendeur qui doit établir une « raison légitime » (good cause) à sa demande. La charge revient alors au demandeur qui doit établir le lien factuel entre l’information et sa demande (proper information). La cour doit alors mettre en balance les dommages occasionnés par la divulgation du secret d’affaire du défendeur et la gêne occasionnée au demandeur en cas de non divulgation. Il ne s’agit pas de considérer le risque de dommages potentiels mais des dommages spécifiques et démontrables. Il est toutefois plus aisé pour le défendeur d’établir les preuves d’un futur dommage économique en cas de divulgation que pour le demandeur de justifier de la nécessité de l’ajout de la pièce au dossier.

C.     Mesures d’enquête et mesures d’instruction in futurum :

     En France, la loi, dite « de blocage », du 16 juillet 1980, a été spécialement conçue pour prévenir « l’importation des procédures de discovery étrangères ». Toutefois, un problème similaire à celui de l’espèce se pose à l’occasion des enquêtes administratives en matière de concurrence, des mesures communautaires en matière de droit de la concurrence, de saisie-contrefaçon et de mesures d’instruction in futurum.

Les enquêtes administratives en matière de concurrence sont gouvernées par un principe de loyauté et toute pièce irrégulièrement saisie sera disjointe de la procédure. Néanmoins, la loi de modernisation de l’économie du 5 août 2008 pose des règles de procédure en matière de recherche et constatation des pratiques économiques. Les pièces rassemblées sont annexées au rapport à l’issue de l’instruction et les parties, le président de l’autorité de la concurrence ou son vice président, peuvent invoquer la protection du secret des affaires. Toutefois, ce secret ne sera pas retenu si la consultation ou la communication des documents sont nécessaires à l’instance. De même l’article L. 463-4 du Code de Commerce permet au rapporteur général de refuser la communication ou la consultation de certains éléments de preuve mettant en jeu le secret des affaires d’une autre personne, sauf nécessité.

Dans le cadre des procédures communautaire en matière de droit de la concurrence, la cour de justice de l'Union européenne a élargi le domaine d’application des droits fondamentaux aux procédures d’enquête préalables (et notamment aux enquêtes visant à constater l’existence d’une entente ou d’une position dominante). Les documents relevant du secret des affaires ne seront pas communiqués ou rendus accessibles par la Commission mais ils devront néanmoins être communiqués (la non-communication entraînant la présomption que le document ne contient pas d’informations confidentielles et peut être librement diffusé). L’entreprise refusant la communication devra se justifier par tout moyen approprié. Enfin, les informations recueillies ne peuvent être utilisées qu’aux fins de la décision.

La pratique des saisie-contrefaçon peut également donner lieu à des griefs de captation. Cependant l’huissier est autorisé à consigner « tous les renseignements permettant d’établir l’origine et l’importance de la contrefaçon ». C’est ainsi qu’un arrêt du 1er Octobre 2010 de la 3ème chambre du Tribunal de grande instance de Paris distingue la procédure de saisie-contrefaçon du simple constat d’huissier. Tant qu’elle n’excède pas les termes de son ordonnance, la saisie n’est pas fautive. C’est lors  même de la saisie que le prétendu contrefacteur a la charge d’invoquer le caractère confidentiel ou secret de tel ou tel document afin que l’huissier les place sous scellés au lieu de les communiquer à la partie adverse, puis de demander au président du tribunal de grande instance de désigner un expert pour évaluer les pièces.

Enfin, l’article 145 du Code de procédure civile (CPC) permet l’obtention de mesures d’instructions in futurum afin de « conserver ou d’établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre l’issue d’un litige… ». Confrontée à la même balance du respect des droits des parties que dans une procédure de discovery  la jurisprudence a établi des mesures de contrôle strict. Le juge s’assure du bien fondé de la demande, que l’auteur a belle et bien l’intention d’agir en justice, que les documents sollicités peuvent effectivement servir de preuve à l’instance et, enfin, il contrôle les motifs légitimes du demandeur.

Depuis un arrêt de la deuxième chambre civile de la cour de cassation du 7 janvier 1999, le secret des affaires n’est pas en lui-même un obstacle aux dispositions de l’article 145 CPC, mais un élément de preuve du défaut de motif légitime parmi d’autres. Pour justifier d’un motif légitime, le demandeur doit établir une situation litigieuse éventuelle et établir l’intérêt probatoire des pièces demandées. L’intérêt probatoire des pièces demandées est défini par leur pertinence, laquelle est évaluée par leur rapport direct aux faits de l’espèce et par l’utilité des faits à établir (est « utile » ce qui améliore la situation probatoire du demandeur). Le juge tend ainsi à restreindre le volume des pièces rassemblées au strict nécessaire pour éviter les risques de dépérissement de la preuve.

Les mesures générales d’investigation sont strictement prohibées et les pièces et documents doivent être spécifiquement désignés ou assemblés dans une liste. Cette liste ne doit pas non plus être une longue énumération de tout les documents envisageable et doit aller à l’utile et l’essentielle. Il s’agit ici d’éviter de voir des missions de constat général confiées aux huissiers de justices investis de leur pouvoir de police judiciaire. D’éviter que l’article 145 CPC ne devienne une technique détournée de saisie et perquisition privée. C’est ainsi que la cour d’appel de DOUAI (1er chambre, le 14 Octobre 2008, n°06/0087) est revenue sur une ordonnance du 5 juillet 2005 du président du Tribunal de Grande Instance de Lille. D’une part, le juge avait autorisé l’huissier à se faire « assister d’un représentant de la force publique, d’un serrurier, d’un expert informatique qui pourra accéder à toutes données pertinentes (…) au besoin en requérant du personnel présent les codes nécessaires (…) » lui fournissant ainsi les moyens de contraintes nécessaires à la remise forcée d’informations en contradiction avec l’article 243 du code de Procédure Civile. D’autre part, la mission confiée à l’huissier de justice était « trop générale et ambiguë » et pouvait être « qualifiée d’espionnage industriel par l’appelant ».

           

 

 

            L’arrêt du 9 mars 2009 est donc assez révélateur des subtiles différences en termes de preuve et de procédure qui rendent presque impossible l’entreprise d’uniformisation du droit au secret des affaires aux Etats-Unis. En dépit de lois modèles fédérales et d’une riche doctrine de droit comparé entre les Etats, la compétition économique pousse à l’établissement de lois protectrices, comme celle de Caroline du Sud. En France, certaines procédures d’enquête semblent fournir un degré raisonnable de protection du secret des affaires, mais les obligations à la charge des entreprises (difficilement supportables par les petites et moyennes entreprises), une doctrine partiellement inspirée par le droit américain et les fondements textuels disparates, poussent les entreprises à fuir les juridictions et à avoir recours (tant que possible) à des procédures d’arbitrage. Dans ce contexte, le projet de loi de Bernard Carayon semble, comme son modèle l’EEA, faire pencher la balance en faveur des entreprises et offrir une protection accrue du secret des affaires. Il est néanmoins nécessaire de s’interroger sur l’opportunité d’un tel projet de loi, résolument tourné vers le modèle américain ou les règles de l’organisation mondiale du commerce.

 

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Droit Français:

-          Christophe Ayela et Kevin Bihannic, « Espionnage industriel en France, que fait la justice ? », Gazette du Parlais, N°32, 01 février 2011, P.10

-          Sylvie Pierre-Maurice, « Secret des affaires et mesures d’instruction in futurum », receuil Dalloz 2002, p. 3131

-          Corine Van Den Bussche, « La protection pénale contre l’espionnage des secrets d’affaires (1re partie), Petites affiches, N°135, 10 novembre 1995, p.19

-          Corine Van Den Bussche, « La protection pénale contre l’espionnage des secrets d’affaires (suite et fin), Petites affiches, N°136, 13 novembre 1995, p.9

-          Joanna Schmidt Szalewski, « Savoir-faire », J. BUISSON, Répertoire Dalloz de droit commercial, février 2009

-          Cour d’appel de DOUAI, 1er chambre, le 14 Octobre 2008, n°06/0087

-          Eric Delfly, « Concurrence déloyale : limites aux opérations de constat d’huissier avant tout procès au fond », Article Cabinet Vivaldi Avocats, 20 Octobre 2008 (http://www.vivaldi-chronos.com/index.php?option=com_content&view=article&id=1368&catid=36:concurrence--consommation&Itemid=28)

-          Ana Maria Fierro Buelvas, « Constat d’huissier et saisie-contrefaçon », Article Cabinet Vivaldi Avocats, Mardi 12 Avril 2011 (http://www.vivaldi-chronos.com/index.php?option=com_content&view=article&id=1990:saisie-contrefacon&catid=45:propriete-intellectuelle-nouvelles-technologies&Itemid=28 )

-          Netpme, 7 aout 2006, Définition et protection du savoir-faire, Véronique Cohen, (http://www.netpme.fr/droit-commercial/769-définition-protection-savoir-faire.html)