Stratégie mondiale et droit des marques : l’exemple d’une entreprise de jeu vidéo par Anne-Laure RENOUX

Une entreprise de jeu vidéo souhaite déposer une marque pour l’un des jeux vidéos qu’elle vient de créer et envisage un lancement mondial de son produit. Deux possibilités s’offrent à elle : soit déposer une marque de fabrique unique qu’elle étendra au niveau international, soit gérer un portefeuille de marques différentes, déposées dans différents pays, pour le même jeu vidéo afin de contourner les possibles divergences entre les législations en vigueur sur les différents marchés.

Une entreprise de jeu vidéo souhaite déposer une marque pour l’un des jeux vidéos qu’elle vient de créer. Il apparaît que l’entreprise a une stratégie suffisamment globale pour envisager un lancement mondial de son produit. Elle envisage donc soit de déposer une marque de fabrique unique qu’elle étendra au niveau international, soit de gérer un portefeuille de marques différentes, déposées dans différents pays, pour le même jeu vidéo afin de contourner les possibles divergences entre les législations en vigueur sur les marchés nationaux ou régionaux.

La marque sert à distinguer les produits ou services de son titulaire de ceux que proposent ses concurrents. Elle a une double fonction économique. Elle permet d’individualiser les produits ou services et sert d’instrument de marketing et de publicité. Elle a également une fonction juridique. Par son effet de distinction des produits concurrents, elle garantit à la clientèle l’origine du produit ou service.

Dans l’élaboration de sa stratégie de développement mondial, l’entreprise se doit de protéger au mieux sa ou ses marques à l’étranger. Cette réflexion, à mener au préalable, conditionne le périmètre géographique de la protection de sa marque, et le choix de la ou des procédures les mieux adaptées aux besoins et aux intérêts de l’entreprise.

Dans un premier temps, nous envisagerons donc l’attractivité d’une marque de fabrique unique au niveau mondial, en particulier au regard d’une harmonisation internationale du droit de la marque. Dans un second temps, nous apprécierons l’opportunité d’un portefeuille de différentes marques pour le même jeu vidéo, pour mieux délimiter les marchés économiques envisagés.

I°/ La marque mondiale est un outil de stratégie globale servie par une harmonisation des droits

L’entreprise doit dans un premier temps définir sa stratégie de développement, c’est-à-dire viser les marchés sur lesquels elle souhaite lancer son produit. Si une entreprise française ou installée en France vise seulement quelques pays pour commercialiser ses produits, le dépôt national dans chacun de ces pays s’avère souvent adapté, notamment pour des pays non-membres de l’Union européenne ou du système de Madrid, pour lesquels il n’existe pas de procédure centralisée de dépôt. Au-delà, il devient intéressant de recourir au système communautaire, c’est-à-dire déposer une marque communautaire, ou aux procédures de demandes internationales, comme celles mises en place dans le système de Madrid.

Les avantages de la marque communautaire et du système de Madrid - La marque communautaire, créée par l’Union européenne, est entrée en vigueur le 1er avril 1996. Elle représente pour les entreprises un nouveau moyen de protection efficace sur tout le territoire de l'Union européenne. Il s'agit d'une marque enregistrée auprès de l'Office d'Harmonisation dans le Marché Intérieur (OHMI), office communautaire créé à cet effet.

La marque communautaire et le système de Madrid ont été élaborés dans une volonté d’inciter les entreprises à exporter sur de plus larges territoires en leur permettant de protéger leurs produits, objet de la marque, contre les contrefaçons et autres atteintes au droit de la marque. La marque communautaire permet par essence de n’envisager qu’une marque unique pour le jeu vidéo de notre entreprise, puisque la protection de la marque est la même dans chacun des pays de l’Union Européenne (qu’il s’agisse de la marque en tant que telle, des produits et services revendiqués ou de son titulaire). De plus, l’usage dans un pays vaut exploitation de la marque dans l’ensemble de l’Union européenne. Et le coût d’une marque communautaire est également un avantage car il équivaut à celui d’un dépôt de marque dans 5 ou 6 pays européens seulement. Le système de Madrid permet d’étendre une marque nationale dans un ou plusieurs des 74 pays membres de l’Union de Madrid, par une procédure de dépôt centralisée auprès de l’Organisation mondiale de la propriété industrielle (OMPI). La marque dite « internationale » n’est pas un titre unitaire et peut ne pas avoir les mêmes effets d’un pays à l’autre. C’est en fait une procédure unique qui donne naissance à une série de marques nationales. Concernant les formalités de dépôt, le dépôt communautaire et le système d’enregistrement international présentent un intérêt certain pour les entreprises ayant une forte stratégie de développement international. Tous deux offrent des formalités et une gestion simplifiées grâce à une procédure unique de dépôt, très pratique : une seule demande, une seule langue de dépôt, un seul centre administratif, et une seule date à surveiller pour le renouvellement de la marque. Cependant, les accords conclus par les membres du système de Madrid permettent de centraliser la procédure d’enregistrement au niveau international, mais pour que la marque soit protégée dans chacun des pays désignés, elle doit respecter les critères de validité de chacun des pays concernés. La marque communautaire est, quant à elle, un titre unique, valable sur tout le territoire de l’UE. Elle n’est soumise qu’à une seule règle, le droit communautaire. Toute entreprise capable d’exporter ses produits ou services a tout intérêt à avoir recours à la marque communautaire. Tôt où tard, ses marques seront amenées à circuler dans l’Union européenne qui est aujourd’hui un marché unique, et seule une marque communautaire peut garantir une protection aussi étendue. De plus, la facilité de gestion et un coût avantageux font de la marque communautaire, l’instrument idéal pour une protection étendue en Europe.

La stratégie efficiente des licences - Il est à noter que des entreprises choisissent de ne retenir qu’une marque mondiale, très centralisée et contrôlée depuis leurs sièges. Pour y parvenir, elles exploitent la marque sur place avec des partenaires locaux. Patrick LANTZ, directeur juridique d’Hachette Filippachi Médias, considère qu’il faut « penser la marque localement ». Concrètement, ses entreprises d’envergure mondiale forment avec leurs partenaires locaux divers types de contrats dont la licence (exclusive ou non) dans la perspective de développer le produit sur de nouveaux marchés. Des stratégies de licence peuvent en effet s’avérer plus appropriées qu’une politique de développement intégré à l’entreprise. C’est pourquoi l’entreprise de jeu vidéo peut choisir d’étendre sa marque à de nombreux pays et de développer des partenariats avec des exploitants locaux, régionaux ou nationaux.

En droit français, la licence est le droit donné à un tiers par le propriétaire d'une marque d'utiliser sa marque, selon des modalités définies par contrat. Dans le cadre d’un contrat de licence de marque, le concédant garde la propriété du titre. Il confère uniquement la jouissance de sa marque (il n’y pas d’effet translatif de la propriété). Le concessionnaire peut apposer la marque sur ses produits. Le contrat de licence de marque est fréquemment utilisé dans le cadre d’une stratégie de groupe, c'est aussi un élément du contrat de franchise. Il implique donc des relations étroites (collaboration, et assistance) entre les parties. Il n’existe pas de règles spécifiques dans le code de propriété intellectuelle, ainsi les contrats de concession (ou de licence) de marque sont régis par le régime général du louage.

Stratégiquement, la licence constitue une des méthodes les plus efficaces de développement d’une marque. Elle lui permet d'étendre son territoire rapidement et à moindre coût, de poursuivre son déploiement quelles que soient ses ressources financières ou de répondre à une contrainte réglementaire. Un accord de licence permet de bien délimiter juridiquement l'objet et le territoire de la licence afin de limiter les risques de contrefaçon et d'alimentation du marché parallèle. Cet avantage, tant pour l’entreprise que pour les licenciés, constitue l’un des facteurs-clés du succès d’un accord de licence.

Malgré son caractère unitaire, la marque communautaire peut être l’objet d’une licence exclusive limitée à une partie du territoire de la Communauté. Cela peut s’avérer intéressant économiquement car l’entreprise peut ainsi segmenter le marché et pratiquer différentes politiques de prix. Le titulaire de la marque pourrait être tenté de « cloisonner » le marché commun en accordant une licence exclusive par pays et en interdisant à chacun de ses licenciés d’exporter dans les territoires réservés aux autres. Cependant, ce type de clauses est illicite en droit de la concurrence et inefficace compte tenu de la règle de l’épuisement des droits.

II°/ L’adoption de plusieurs marques permettent-ils d’échapper effectivement aux divergences de législations ?

Une entreprise qui souhaite adopter plusieurs marques pour un même produit, doit envisager les avantages mais aussi les inconvénients de ce choix alternatif.

Les avantages de disposer de plusieurs marques - Concernant la disponibilité de la marque, quelle que soit la procédure choisie, le déposant doit vérifier si une marque antérieure n’a pas été déposée par un concurrent sur les marchés visés. Dans le cas de la procédure communautaire, si la même marque – pour un produit ou un service similaire – a été enregistrée par un concurrent au préalable dans l’un des pays de l’Union européenne, la demande de marque communautaire sera refusée pour tous les pays membres. Il faut alors recourir aux dépôts nationaux dans chacun des pays de l’UE où cette marque n’a pas été déposée. Dans le cas d’une demande d’enregistrement international, si une marque antérieure est déjà enregistrée dans l’un des pays membres désignés, la marque ne pourra pas être protégée dans ce pays, mais cela ne remet pas en cause l’enregistrement international et la possibilité d’étendre sa marque à d’autres pays membres du système de Madrid. Ainsi, vouloir garder la même marque pour l’étendre au niveau international peut s’avérer difficile puisque le signe doit être disponible dans l’ensemble des pays où l’entreprise souhaite déposer sa marque. C’est pourquoi, l’entreprise peut déposer différentes marques pour contourner ce problème. Il est à noter que le choix d’un signe peut s’avérer déterminant dans un marché local ou régional donné. L’entreprise peut donc commercialement (au regard de sa stratégie marketing) avoir tout intérêt à choisir une marque spécifique en fonction du marché visé.

Ne disposer que d’une marque unique laisse encourir le risque pour le titulaire de la marque de voir épuiser ses droits. Concernant la marque communautaire, l’article 7 de la directive européenne 89 /104/CEE du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des Etats membres sur les marques, concerne l’épuisement des droits conférés par la marque. Ce principe a été transposé en droit français à l'article L. 713-4 du Code de la Propriété Intellectuelle, selon lequel : “Le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d’interdire l’usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis dans le commerce dans la Communauté économique européenne ou de l’Espace économique européen sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement”. Mais lorsque des motifs légitimes le justifient, comme l’altération de l'état des produits après leur mise dans le commerce, le titulaire peut s'opposer à la commercialisation ultérieure des produits.

La règle de l’épuisement communautaire du droit de la marque limite ce droit au bénéfice de la libre circulation du produit qu’il couvre. Dans l’arrêt Silhouette du 16 juillet 1998 (C-355/96), la Cour de justice des communautés européennes s’est prononcée en faveur de l’épuisement communautaire. La Cour a jugé que l’article 7, paragraphe 1, de la directive 89/104 ne peut être interprété en ce sens que, sur le seul fondement de cette disposition, le titulaire d’une marque est habilité à obtenir une injonction interdisant à un tiers d’utiliser sa marque pour des produits qui ont été mis dans le commerce hors de l’Espace économique européen sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement. On peut considérer que l’épuisement communautaire permet le libre échange des marchandises mais limite le champ d’action des entreprises dès lors qu’ils ont donné leurs accords pour la première mise en circulation. Ainsi, si l’entreprise souhaite développer elle-même ses activités et segmenter le marché communautaire, le choix de plusieurs marques peut être un moyen efficace de contourner les effets de l’épuisement communautaire.

Les contraintes inhérentes au portefeuille de marques - Le coût de dépôt est un paramètre contraignant à prendre en compte. Protéger ses marques dans de nombreux pays peut s’avérer coûteux (en fonction du nombre de pays et des frais de dépôts attenants) et parfois disproportionné par rapport à l’usage effectif de sa marque. Plus le nombre de marchés visés est important, plus le recours à la procédure communautaire ou internationale est intéressant (coûts réduits par rapport à l’addition des taxes de chaque pays).

Concernant l’usage de la marque, dans certains pays, des preuves d’usage (étiquettes, dépliants publicitaires, photos…) sont requises pour le dépôt, comme par exemple, aux Etats-Unis où l’usage d’une marque doit préexister à son enregistrement, en vertu de la loi américaine de 2006 sur les marques. Par ailleurs, la procédure internationale oblige le déposant à justifier l’usage de la marque dans chacun des pays revendiqués qui prévoient cette obligation dans leur législation. En revanche, la marque communautaire prévoit que l’usage effectif et sérieux sur une partie du territoire de l’Union européenne vaut pour l’ensemble du territoire de l’UE. Par ailleurs, ne pas faire usage de sa marque peut entraîner sa déchéance et donc la fin de sa protection, quelle que soit la procédure choisie. Ainsi, au vu du coût des procédures et des risques de déchéance de la marque, l’entreprise de jeu vidéo doit bien cibler les marchés nationaux ou régionaux qu’elle souhaite conquérir puisque des preuves d’usage confirmant une prochaine commercialisation du produit sont à produire.

La marque est un élément essentiel de la stratégie de l'entreprise dans la conquête des parts de marché. L’entreprise a tout intérêt à déposer une marque communautaire unique car les législations des Etats-membres de la Communauté européenne sont substantiellement harmonisées (directive 89/104 de 1988). La marque communautaire peut servir de marque de base susceptible d’être étendue au niveau international depuis le 1er octobre 2004. Réciproquement, on peut obtenir une marque communautaire par l’extension d’une marque nationale par le biais de l’enregistrement international, en désignant la Communauté parmi les Etats dans lesquels on souhaite être protégé. Ainsi, il pourrait être le plus favorable pour notre entreprise de déposer d’abord une marque nationale dans un des pays de la Communauté pour voir si la commercialisation du jeu se rentabilise, si le jeu est bien accueilli sur le marché. Si tel est le cas, elle fera sur la base de la marque nationale soit une demande internationale, et désignera parmi les Etats dans lesquelles elle souhaite être protégée notamment la Communauté européenne, soit une demande de marque communautaire devant l’Ohmi.

Par ailleurs, elle a tout intérêt à s’adapter aux marchés locaux hors Communauté européenne en déposant différentes marques afin de se conformer aux différentes législations, en particulier concernant la disponibilité du signe. Il ne peut être exclu que l’entreprise crée des marques nationales dans différents pays et les étende à d’autres pays via le système de Madrid afin de créer de réels marchés régionaux comme par exemple le marché asiatique ou nord-américain.

Bibliographie :

• JurisClasseur Commercial > Fasc. 600 : MARQUES. • La marque communautaire - juin 1997,Un an d'existence, Martine Ricouart Maillet • Des outils pour penser la marque mondiale, 30 octobre 2006, www.les échos.fr • Agir dans un contexte concurrentiel agressif, séminaire, www.cncpi.fr • SMEs or Micromultinationals? Leveraging the Madrid System for International Branding, Roya Ghafele, www.wipo.intwww.inpi.frwww.brmavocats.com/fr