Terrorisme : la nécessité d’une définition universellement acceptée

Une multiplicité de définitions du terrorisme n’est pas envisageable lorsqu’il s’agit de rédiger un texte législatif définissant sans ambigüité les comportements érigés en infractions et les sanctions qui leur sont attachées, il faut une définition exacte. Le projet d’une Convention Internationale contre le terrorisme revêt donc un intérêt tout particulier. L’enjeu d’une définition universellement acceptée ne serait-il pas la nécessité de clarifier l’applicabilité des instruments de lutte contre le terrorisme ?

C'est dans une loi martiale concernant la région du Bengale de 1932 visant la suppression des outrages terroristes que l'on trouve pour la première fois le mot terrorisme dans un texte juridique."Une attaque terroriste contre un pays est une attaque contre l'humanité tout entière", cette déclaration de l'ex secrétaire général des Nations Unies fut prononcée le 12 Septembre 2001. Cette date marque le point de départ d’un terrorisme déterritorialisé utilisant les moyens de la globalisation qu'il condamne. Le terrorisme devenu global nécessite donc une réponse globale au niveau national et international. Les États ont ainsi adoptés différentes mesures au niveau du droit interne afin de lutter contre le terrorisme. 
Au Chili, la loi anti-terroriste en vigueur a été approuvée en 1984 sous le régime de Pinochet. En effet, de l'émergence croissante de mouvements de groupes d'opposition au régime, découla le besoin  de classifier au sein du système juridique les différentes conduites ayant un caractère terroriste. La loi n°18.314 a été modifiée le 5 Octobre 2010 par la loi n°20.467. L'article 1er énumère les conduites réputées terroristes, produites dans l’unique finalité de répandre au sein de la population la terreur. Telle finalité est entendue dans trois hypothèses alternatives à l’article 2. Le régime légal chilien destiné à déterminer les conduites terroristes a été et fait l'objet de sérieuses critiques de la part de la communauté internationale et plus récemment de la Commission Interaméricaine des droits de l'Homme. Le Chili est Etat membres des Nations Unies et à ratifier la plupart des traités internationaux en matière de droits de l’Homme.
Au niveau international la première convention visant à lutter contre le terrorisme est la Convention pour la prévention et la répression du terrorisme de 1937, néanmoins cette convention s'est soldée par un échec. L'idée de lutter contre le phénomène grâce au mécanisme de convention a donc émergée avec la Société des Nations, cependant une telle convention générale sur le terrorisme n'existe toujours pas. Cela a donc débouché à établir une stratégie fragmentée, sectorielle contre les crimes associés au terrorisme. L'Organisation des Nations Unies a ainsi développée un système de conventions pour permettre aux pays membres de lutter contre le terrorisme et juger les responsables d'actes terroristes. Le dispositif juridique de l'ONU comprend 16 instruments internationaux en matière de lutte contre le terrorisme (ex : Convention internationale pour la répression des attentats terroristes à l’explosif (1997)).
Dans un premier temps, nous verrons qu’il existe de nombreuses définitions conventionnelles de la notion de terrorisme mais que cependant, il existe des critères communs (I). Puis, dans un second temps nous verrons que l'absence d’une définition claire et précise de la notion pose des difficultés d’utilisation des mécanismes internes de lutte contre le terrorisme (II).

  1. La notion de terrorisme : un concept ample et imprécis

Le dictionnaire Larousse donne la définition suivante: « Ensemble d’actes de violence( attentats, prises d’otages, etc.)commis par une organisation pour créer un climat d’insécurité, pour exercer un chantage sur un gouvernement, pour satisfaire une haine à l’égard d’une communauté, d’un pays, d’un système. ». On comprend que la notion de terrorisme renvoie nécessairement à un comportement illicite visant à terroriser, cependant le terme de terrorisme s’utilise non pas pour designer un seul type d’acte défini mais différentes situations où le crime commis prend une autre dimension que celle d’un délit commun. S’il n’existe pas une définition générale du terrorisme  (A), les différentes conventions sectorielles adoptées en la matière laissent entrevoir que certains aspects peuvent être définis (B).

A-     De nombreuses définitions conventionnelles soulignent l’absence de consensus sur une définition coutumière du terrorisme

Le Droit International Humanitaire(DIH) ne donne pas de définition explicite du terrorisme, cependant il interdit un certains nombres d’actes commis durant les conflits armés que l’on pourrait considérer comme terroristes si ils étaient commis en temps de paix:«  Le terrorisme est l’équivalent d’un crime de guerre en temps de paix » (A.P Schmid, expert des Nations Unies).Il existe à l’article 33 de la Convention IV de Genève une allusion visant à interdire toutes mesures d’intimidation ou de terrorisme, on trouve également à l’article 51.2) du Protocole additionnel 1 et à l’article 13 du Protocole additionnel 2 établit l’interdiction formelle des actes ou menaces de violence dont la finalité est de terroriser la population civile. Le DIH interdit donc les actes terroristes sans déterminer le concept même de terrorisme. Ni le DIH ni le Droit Pénal International ne donnent de définition précise du terrorisme hormis le catalogue d’actes pouvant être qualifiés comme terroristes.Ainsi, les conventions sectorielles établies par les Etats sous la direction des Nations Unies constituent la base de la coopération internationale face au terrorisme. La majorité des actes réputés terroristes, sont des délits communs de droit pénal qui selon les circonstances vont revêtir la dimension de terroriste. La résolution 49/60 souligne que le terrorisme  inclut «les actes criminels qui, à des fins politiques, sont conçus ou calculés pour provoquer la terreur dans le public, un groupe de personnes ou chez des particuliers» et ajoute que de tels actes «sont injustifiables en toutes circonstances et quels que soient les motifs de nature politique, philosophique, idéologique, raciale, ethnique, religieuse ou autre que l’on puisse invoquer pour les justifier»( AG/RES/49/60 par.3(1994)). Dix ans plus tard, le Conseil de sécurité  adopte la résolution 15/66 et se réfère aux «actes criminels, notamment ceux dirigés contre des civils dans l’intention de causer la mort ou des blessures graves ou la prise d’otages dans le but de semer la terreur parmi la population, un groupe de personnes ou chez des particuliers, d’intimider une population ou de contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir un acte ou à s’abstenir de le faire». Le projet d’élaboration d’une Convention Générale sur le terrorisme, propose la suivante rédaction de l’article 2 entendant le terrorisme comme le fait de causer, tenter ou menacer de causer, : ««illicitement ou intentionnellement»: «a) la mort d’autrui ou des dommages corporels graves à autrui; ou  b) de sérieux dommages à un bien public ou privé, notamment un lieu public, une installation gouvernementale ou publique, un système de transport public, une infrastructure, ou à l’environnement; ou c) des dommages aux biens, lieux, installations ou systèmes …, qui entraînent ou risquent d’entraîner des pertes économiques considérables, lorsque le comportement incriminé, par sa nature ou son contexte, a pour but d’intimider une population ou de contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à faire ou à ne pas faire quelque chose».
Au Chili, on entend par terrorisme, certains délits communs (article 2 de la loi n°18.314) lorsqu’ils sont réalisés dans le but de produire, au sein de la population ou d’une partie, la crainte justifiée d’être victime d’un acte terroriste et lorsque l’acte est commis dans le but de contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à faire ou à ne pas faire quelque chose. La loi 18.314 reprend donc certains éléments envisagés par les conventions et résolutions internationales afin de délimiter le concept de terrorisme.

B-      En l’absence d’une définition universellement acceptée, il existe des éléments communs à ce que l’on entend par délit terroriste en droit international

Tous les instruments font référence à l’existence d’une organisation aux fins illicites,à l’utilisation de méthodes particulièrement violentes,au caractère idéologique de l’acte et à la singularité du bien protégé qu’il vise. La nature des actes incriminés et l’utilisation des moyens nécessaires à leur réalisation, montre que l’existence d’un groupe organisé est indispensable. La Convention Internationale pour la Répression des attentats terroristes à l’explosif identifie précisément cet élément, l’article 2.3c précise « (…) groupe de personnes agissant de concert; sa contribution doit être délibérée et faite soit pour faciliter l'activité criminelle générale du groupe ou en servir les buts, soit en pleine connaissance de l'intention du groupe (..). »L’exigence d’une activité criminelle menée par un groupe est un élément de la structure du concept de terrorisme au sens du droit international. Son importance permet de différencier l’association illicite ayant des fins terroristes des actes d’expression organisée d’une protestation sociale ou toute autre manifestation légale. Ainsi, en ayant pour fondement même la répression d’un mouvement social contre le régime, la loi 18.314 viole ce fondement. 
Quant aux méthodes utilisées, elles permettent de distinguer l’organisation terroriste d’autres associations délictuelles. L’usage systématique de la violence ayant la capacité de semer la terreur au sein de la population et, par ce biais, d’interpeller les institutions juridiques et politiques,caractérise l’action terroriste. La gravité exceptionnelle de l’acte permet de qualifier de terroriste un délit commun. Le terrorisme est orienté vers une destruction massive. Le terrorisme porte atteinte aux valeurs fondatrices de la Charte des Nations Unies et des instruments internationaux de protection.
L’action terroriste prétend justifier ce qu’elle réclame par le biais d’un discours politique ou religieux de nature idéologique.

L’absence d’une définition claire, précise et universellement acceptéene contrevient pas à l’existence d'éléments communs aux mécanismes internationaux abordant la notion de terrorisme qui permettent de délimiter  d’une certaines façon celle-ci. Néanmoins, cela nuit à la clarté d’action des Etats dans la lutte contre le terrorisme. La nécessité d’une définition claire est liée à la mise en place d’instruments juridiques anti-terroristes.

  1. Lutte contre le terrorisme : complexité de l’applicabilité des instruments anti-terroristes

Le cadre juridique international en matière de lutte contre le terrorisme énonce un certain nombre d’obligations que les Etats doivent respecter en prenant des mesures contre le terrorisme sans donner une explication précise de ce qu’il faut concevoir par terrorisme. Or, l’absence d’une définition coutumière du terrorisme laisse libre les Etats d’interpréter comme ils le souhaitent le concept de terrorisme et d’adapter les moyens employés dans la lutte contre le terrorisme à leur propre conception. Cela permet aux Etats d’adopter des mesures pouvant aller à l’encontre des leurs engagements en termes de respect des droits de l’Homme par exemple. L’obligation par les Etats de respecter leurs engagements internationaux dans la prise de mesures internes contre le terrorisme (A) peut conduire  à  une législation nationale source de préoccupation pour les organes internationaux de défense des droits de l’Homme (B).

A-     L’obligation par les Etats de respecter leurs engagements internationaux dans la prise de mesures internes contre le terrorisme

Pour que la lutte contre le terrorisme puisse être totalement efficace, celle-ci doit se traduire par des stratégies nationales contre le terrorisme, visant à prévenir les actes terroriste, à poursuivre ou extrader les auteurs de tels acte, et  à prendre les mesures nécessaires envers les victimes. La position des Nations Unies est claire, le respect droits de l’Homme est indispensable à tous les aspects de la stratégie de lutte contre le terrorisme (Rapport de 2006 du Secrétaire General des Nations Unies «  Unis contre le terrorisme : recommandations pour une stratégie mondiale de lutte contre le terrorisme »).  La licéité des mesures prises contre le terrorisme dépend de leur conformité avec les règles internationales en matière de droit de l’Homme.
Cependant, il existe des circonstances nationales exceptionnelles dans lesquelles un Etat peut limiter le respect de ses obligations en matière de droits de l’Homme. L’Etat doit respecter trois conditions, s’ajoutant au respect des principes d’égalité et de non discrimination. La limitation prise par l’Etat doit être prévue expressément par la loi. La limitation par l’Etat d’un droit doit se contenter de satisfaire les justes exigences que requiert la mesure antiterroriste. La dernière condition est le respecter les principes de nécessité et de proportionnalité. Une des observations faite à l'égard de la loi anti-terroriste chilienne est qu’en établissant un régime de protection des témoins permettant d'occulter leur identité tout au long du procès (article 15 de la loi 18.314) elle crée la possibilité de mener un procès avec des « testigos sin rostros » incompatible avec l'article 14(3) du Pacte International relatifs aux droits civils et politiques.

B-      Une législation nationale source de préoccupation pour les organes internationaux de défense des droits de l’Homme

La Cour Interaméricaine des droits de l'Homme a signalée que «l'ambiguïté dans la formulation de délits pénaux génère des doutes et ouvre le champ à un arbitraire de l'autorité particulièrement indésirable lorsqu'il s'agit d'établir la responsabilité pénale d'individus et de les sanctionner avec des peines affectant sévèrement des biens fondamentaux, comme la vie ou la liberté. »(Cour Interaméricaine des droits de l'Homme, arrêt du 30 mai 1999 CASTILLO PETRUZZI).Des délits graves mais non qualifiés d’actes terroristes ne doivent dépendre de la législation antiterroriste. Dans le cas de la loi anti-terroriste chilienne, divers organismes de défense des droits de l'Homme ont signalés leur préoccupation à l'égard de l'amplitude de la classification des actes définis comme terroristes. Il apparaît nécessaire que la loi chilienne se contente de légiférer sous le joug de la loi anti-terroriste les crimes les plus graves contre la vie ou l'intégrité des personnes.
Depuis 2001, la loi anti-terroriste s'est vu être appliquée aux personnes Mapuches dans le cadre de mouvements de revendication sociale liée au droit de propriété (voir cas RIT 3418-2007 CASO BOMBAS). Il s'agit pour chacun des faits reprochés de délits prévus et  sanctionnés par le droit pénal comme des délits ordinaires auxquels ont a attribués le qualificatif de terroriste. Dans le cadre du mouvement de revendication sociale Mapuche il ne s'agit en aucun cas d'atteintes contre la personne mais d'attaques contre des biens et s'est exprimé majoritairement de façon pacifique. L'application de cette loi visant des délits exceptionnels dans le cadre d'un mouvement de protestation sociale viole les principes d'égalité et de non discrimination.

 

BIBLIOGRAPHIE
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- Leslie Cloud. «CHILI: la Commission Interaméricaine des droits de l’Homme vient de saisir la Cour Interaméricaine d’un recours contre l’Etat chilien pour application de la loi anti-terroriste contre des Mapuche. », article publié le 12 août 2011(http://sogip.wordpress.com/2011/08/12/chili-la-commission-interamericain...)