The Black Balloon, de Elissa Down


bertille.pacquement - Posted on 15 décembre 2011

Qui imagine pouvoir supporter la maladie psychiatrique dans sa famille?

 

The Black Balloon de Elissa Down nous fait partager quelques mois de la vie d'une famille australienne dont l'un des enfants est autiste.

L'autisme est une maladie du développement qui apparaît dès le jeune âge, plus souvent chez les garçons. Il se caractérise par des difficultés majeures de communication (pas d'acquisition du langage) et des comportements répétitifs et stéréotypés.

La scène d'ouverture met tout de suite l'accent sur les deux thèmes principaux du film: la question de la différence et de son acceptation. La scène se déroule au milieu des années 90, Thomas Molisson et sa famille emménagent à Holsworthy dans la banlieue de Sydney. Le second fils, Charlie, qui est autiste, attire l'attention de plus d'un voisin, qui, gênés, s'arrêtent, observent, détournent le regard, semblent mal à l'aise, voire dérangés par sa présence. Comme si l'anormalité était un virus qui se propageait et dont il faudrait se prémunir. Cette première scène annonce de même toute l'ambivalence du personnage de Thomas, qui, mal à l'aise face aux réactions des passants, est partagé entre l'affection qu'il éprouve pour son frère et le rejet de celui-ci.
 
C'est cette ambivalence de sentiments, cette difficulté à accepter la réalité et ce désir de normalité qui vont être abordés tout au long du film au travers du personnage de Thomas, adolescent d'une quinzaine années, qui, arrivant dans une nouvelle école, un nouvel environnement, a pour seul désir de se faire accepter et de vivre une adolescence "normale". Mais sa situation familiale l'en empêche. 
Même si le sujet traité peut nous paraître lointain, les questions posées par le film sont d'ordre plus général. Car ce n'est pas uniquement de confrontation à la maladie mentale dont il est question. Chacun de nous peut se retrouver au travers de Thomas dans cette quête de stabilité, d'équilibre que tout adolescent recherche.
 
On ne connait pas l'âge de Charlie. Il pourrait être l'aîné tout comme le cadet, aucune indication ne nous est suggérée. Peut-être est-ce pour que la différence d'âge ne devienne pas un obstacle à l'identification, afin que le spectateur se sente proche de cet adolescent enfantin, plein d'énergie et de surprises.
La maladie de Charlie se traduit par une absence de parole (il émet des grognements et dit uniquement "da" qui signifie "oui"); il exprime sa souffrance psychologique en frappant le bitume avec une cuillère en bois; son comportement est parfois agressif et violent. Néanmoins, même si Charlie semble inadapté au monde qui l'entoure, il est présenté comme un jeune homme plein de vie et d'amour à donner. On le voit souvent accompagné de ses camarades de classe atteints également d'autisme, répétant pour un spectacle de fin d'année. Il est aussi très entouré par sa famille, notamment par sa mère avec qui il entretient une relation quasi fusionnelle (il accepte de prendre ses médicaments uniquement de sa main, et semble perturbé si cette habitude n'est pas respectée). On perçoit aussi l'inconscience de Charlie qui n'a pas le contrôle de ses actes et en ignore complètement les conséquences; il doit être constamment surveillé (il manque de se faire renverser par une voiture lorsqu'il s'échappe de la maison). En cela, l'autisme est un élément de perturbation de la vie familiale, où cette maladie devient un combat de tous les jours.
 
Son frère, Thomas, est son opposé: d'un conformisme étonnant (cherche-t-il ainsi à rendre moins visible la différence de son frère?) il représente un jeune homme fragile qui cherche sans relâche à se faire accepter, à trouver sa place. Bizarrement, il semble nettement plus inadapté que son frère à ce nouvel environnement, et considère celui-ci comme étant l'unique cause de cette inadaptation. De nombreuses scènes le présentent honteux, refusant d'être mis dans le même sac que son frère… mal à l'aise, angoissé, agacé, plein de haine... Charlie ne serait-il pas le plus heureux des deux?
 
Tout se complique lorsque Maggie, la mère de famille, enceinte d'un troisième enfant, doit se reposer sur ordre du médecin. Pour faciliter cela, le père, Simon, place Charlie sous la responsabilité de son frère. L'équilibre familial est alors bouleversé et la tension ne fait qu'augmenter...
C'est dans cette ambiance chaotique que les deux frères, aussi sensibles l'un que l'autre, vont devoir se confronter pour arriver à mieux se connaître, se trouver. De son côté, Thomas va devoir accepter la réalité, le caractère immuable de la maladie de son frère, ce frère qu'il voudrait "normal". En cela on peut parler de parcours initiatique, de véritable voyage au cours duquel Thomas fera l'expérience de l'amour et de la pure violence, pour trouver, enfin, un certain équilibre.
 
C'est l'image de sa propre adolescence pleine d'événements, confrontée à une certaine "folie" et parfois très triste, qu'Elissa Down, réalisatrice de ce long-métrage, a voulu transmettre au travers de cette oeuvre semi-autobiographique. Issue d'une famille où deux de ses trois frères étaient atteints d'autisme, elle a voulu faire partager cette difficulté d'existence.
Même si Elissa Down a voulu mettre l'accent sur le côté tragique, cette réalité ne pouvant être changée malgré toute la volonté du protagoniste, celui-ci n'est pas prédominant. En effet, la mise en scène de la différence donne une touche d'humour, de drôlerie au film: de nombreuses scènes nous font rire car elles nous semblent improbables. 
On ressent aussi une certaine fraîcheur et douceur à travers le personnage de Jackie Masters, une jeune adolescente longiligne, qui jouera un rôle primordial dans la construction de Thomas. Celle-ci va l'aider à surmonter les événements en le soutenant psychologiquement face aux moqueries de ses camarades, mais surtout en étant simplement là pour lui, et aussi pour Charlie. C'est en cela qu'Elissa Down met en lumière l'importance des liens, familiaux comme amicaux, pour surmonter les difficultés de la vie.
 
C'est en concentrant uniquement l'action sur la famille Molisson (on ne sait pratiquement rien de Jackie) qu'Elissa Down permet au spectateur de côtoyer l'univers de l'autisme, entre joies, querelles, tristesses et frustrations.
Mais Elissa Down n'est pas la seule à être louée pour ce film merveilleux et émouvant qui a reçu un prix à la Berlinale 2008. En effet, la finesse et la justesse de ce film sont aussi dues au jeu incroyable des deux acteurs principaux, qui donnent une véritable puissance au film. En effet, Luke Ford (Charlie) a passé six mois à travailler son rôle aux côtés des frères de la réalisatrice, afin de s'imprégner de l'état psychologique et de la raideur physique de Charlie; et le résultat est saisissant de vérité. D'autre part, Rhys Wakefield (Thomas) a pu s'imprégner de la vie de la réalisatrice pour interpréter avec justesse le malaise psychologique qu'elle a pu ressentir durant sa propre enfance.
 
Ainsi, ce film est à la fois émouvant, drôle, psychologiquement violent et aussi dérangeant. En remettant en question nos certitudes et nos préjugés, Elissa Down nous rend l'autisme plus proche et nous transmet énergie, envie de vivre et d'aimer.