Incarcération et contrat de travail: Refus de réintégration d'un salarié de Telefónica au sein de l'entreprise après treize ans d'incarcération. Commentaire de l'arrêt de la Chambre Sociale du Tribunal Supremo du 14 février 2013 (n°979/2012)

Résumé : Le Tribunal Supremo, par un arrêt du 14 février 2013, a rejeté le pourvoi formé par un salarié de Telefónica, incarcéré pendant treize ans qui considérait que le refus de son entreprise de le réintégrer était injustifié et constituait un licenciement frappé de nullité. L'arrêt de cassation donne raison à Telefónica qui a considéré que la relation de travail s'était éteinte par abandon du poste de travail, l'extinction débutant au moment de la condamnation du salarié.

Monsieur Luciano prêtait ses services au sein de l'entreprise espagnole Telefónica depuis le 22 décembre 1983. Il est détenu le 19 mars 1998 et il sera incarcéré trois jours plus tard, le 24 mars 1998. Son contrat de travail est suspendu pendant la période comprise entre le 23 mars 1998 et le 18 mai 2001 alors que le salarié est en situation de détention provisoire. Le 18 mai 2001, la chambre pénale de la Audiencia Nacional espagnole (équivalente à la Cour d'Appel), condamne le salarié à treize ans de prison ferme. Le 10 mars 2011, le salarié sort de prison. Le lendemain, le 11 mars 2011, le salarié demande une réunion avec Telefónica dans le but de solliciter sa réintégration au sein de l'entreprise. Le 14 mars a lieu la réunion avec un membre du Comité d'entreprise, ce dernier communiquant au salarié qu'il serait informé dans les prochains jours.

Par une communication écrite du 31 mars 2011, l'entreprise informe le salarié que son contrat avait été suspendu entre la période du 23 mars 1998 au 18 mai 2001. A partir de cette date, correspondant à celle de son incarcération ferme, le salarié n'a plus donné de nouvelles à l'entreprise. Telefónica a donc considéré que l'absence du salarié à son poste de travail constituait un abandon du poste de travail dans les termes prévus à l'article 49.1 d) du Statut des Travailleurs (Estatuto de los Trabajadores, équivalent du Code du Travail français). Par conséquent, l'entreprise communique au salarié qu'à la date de sa demande de réincorporation, la relation de travail était rompue depuis 2001.

L'entreprise savait que le salarié était incarcéré. Cependant, il n'y avait plus de contact avec l'employé. Ce dernier a été maintenu dans la liste électorale de l'entreprise jusqu'au 31 mars 2011, date de la communication écrite de l'entreprise, et a également été maintenu en tant que titulaire de l'assurance Assistance Sanitaire par l'entreprise durant son incarcération. Cependant, il avait été retiré du régime de la Sécurité Sociale le 22 mars 1998, juste après sa détention.

M. Luciano demande l'entreprise Telefónica en première instance devant le Tribunal Social de Bizkaia, au Pays Basque, lequel, par une décision du 20 septembre 2011, fait droit à sa demande en déclarant injustifié le licenciement par Telefónica. Le Tribunal condamne l'entreprise à la réintégration du salarié dans un délai de 5 jours à partir de la notification de la décision ou bien à lui verser une indemnisation de 53.866,56 euros plus une quantité correspondant aux salaires non perçus depuis la date du licenciement jusqu'à la notification de cette décision de justice.

Telefónica interjette appel contre cette décision devant la Chambre Sociale du Tribunal Superior de Justicia du Pays Basque. Par un arrêt du 24 janvier 2012, le Tribunal donne raison à Telefónica et M. Luciano est débouté de sa demande. Contre cet arrêt, M. Luciano se pourvoi en cassation.

L'arrêt du Tribunal Supremo du 14 février 2013 (équivalent à la Cour de Cassation française) étant objet du présent commentaire, le déboute de sa demande et donne raison au défendeur, Telefónica, confirmant ainsi l'arrêt d'appel en considérant que Telefónica n'a pas licencié le salarié sinon qu'elle a considéré que la relation de travail s'était éteinte par abandon du poste de travail au moment de la décision le condamnant à treize années de prison. L'abandon a été caractérisé tout d'abord par le manque de justification de l'absence au travail pendant treize ans par le salarié et dans un second temps par le fait que pendant cette période, le salarié ne s'était mis en contact avec l'entreprise à aucun moment. Enfin, l'entreprise avait retiré le salarié du régime de Sécurité Sociale en 1998, sans que le salarié ne se manifeste. Le rejet par le Tribunal Supremo du pourvoi est donc justifié et l'arrêt d'appel est confirmé.

Plusieurs questions se posent dans l'arrêt étudié. En effet, cet arrêt aborde dans un premier temps la suspension du contrat de travail en raison de la détention provisoire du salarié puis la rupture de son contrat de travail. La première question est donc celle de la mise en œuvre de la suspension du contrat de travail du salarié incarcéré. Le second aspect de cet arrêt est la rupture du contrat de travail. La question qui en dérive est celle de savoir comment le Tribunal Supremo justifie-t-il dans un premier temps la suspension du contrat de travail et dans un second temps la rupture de la relation professionnelle.

Afin d'étudier comment le droit français et le droit espagnol envisagent l'incarcération du salarié et l'avenir de son contrat de travail, nous nous intéresserons dans un premier temps au régime de la suspension du contrat de travail en raison de l'incarcération du salarié et de ses conditions d'application. Dans un second temps, nous analyserons la justification par le Tribunal Supremo de la rupture du contrat de travail du salarié.

  1. L'incarcération provisoire du salarié comme cause de suspension du contrat de travail.

La suspension du contrat de travail intervient lors de la détention provisoire du salarié. Cette suspension du contrat de travail est motivée par la présomption d'innocence du salarié en détention provisoire.

A. La suspension légale du contrat de travail pour privation provisoire de liberté du salarié prévue par le Statut des Travailleurs.

Dans l'arrêt de la Chambre Sociale du Tribunal Supremo du 14 février 2013 étudié, Telefónica informe le salarié que son contrat de travail avait été suspendu entre le 23 mars 1998 et le 18 mai 2001. Effectivement, cette période de presque trois ans correspondait à la période de détention provisoire du salarié.

Le Statut des Travailleurs espagnol établit des catégories de causes de suspension du contrat de travail. Ces catégories sont celles dues à la volonté aussi bien de l'employeur que de l'employé, les causes dues à l'entreprise et les causes dues au travailleur.

L'article 45.1 g) du Statut des Travailleurs dispose que le contrat de travail pourra être suspendu en cas de privation de liberté du travailleur, du moment qu'il n'existe pas de décision de justice le condamnant à une peine de prison. Il s'agit donc de la détention provisoire pendant laquelle le salarié attend une décision de justice le condamnant à une peine de prison ferme ou non.

Cette cause de suspension du contrat de travail est qualifiée par le droit du travail espagnol d'une cause d’intérêt général. En effet, le Statut des Travailleurs inclus dans la catégorie des suspensions pour raisons d'intérêt général relatives au salarié aussi bien les suspensions dues à l'exercice d'une fonction de représentation publique au niveau national ou de fonctions syndicales que la privation de liberté du salarié.

Bien que les premières protègent un élément positif de prestation de service à la société, le second est relatif à un élément négatif d'implications dans des faits en matière pénale. Mais le dénominateur commun au final est tout de même que l'intérêt public est concerné dans chacun de ces cas (1.Manual del Derecho del Trabajo, Carlos Moreno Manglano, Ana MatorrasManual, decima edicion, Civitas, Thomson Reuters, page 567).

Ainsi, le régime prévu par le droit du travail en Espagne laisse penser que lorsque la décision de justice absout le travailleur d'une peine de prison, celui-ci réintègre son poste de travail et la suspension du contrat de travail est terminée. En revanche, la situation devient plus compliquée si le juge condamne le salarié. Il faut là encore distinguer selon les peines prononcées par le juge. En effet, si la décision de justice condamne le salarié à une peine de prison, il faudra examiner les conséquences aussi bien sur la relation professionnelle en raison de la privation de liberté mais également si la conduite condamnée par le juge constitue une cause de licenciement.

L'appréciation sera laissée dans ce cas au juge. Ce dernier devra en effet analyser si la conduite du salarié peut justifier un licenciement disciplinaire de la part de l'employeur.

A l'inverse, si la décision de justice condamne le salarié mais que la condamnation n'est pas une peine de prison, la situation suspensive du contrat de travail se terminera également par la réincorporation du salarié à son poste de travail sauf si, comme nous venons de le signaler, la conduite condamnée par le tribunal est une conduite justifiant l'extinction du contrat de travail par l'employeur (2. Manual del Derecho del Trabajo, Carlos Moreno Manglano, Ana MatorrasManual, decima edicion, Civitas, Thomson Reuters, page 569).

La jurisprudence constante du Tribunal Supremo considère que tout licenciement du salarié incarcéré de façon provisoire en raison de cette incarcération sera considéré comme nul (3. Arrêt chambre sociale du Tribunal Supremo 14 avril 1989 n° de recours 1989/2977).

En droit français, le Code du Travail ne prévoit pas la suspension du contrat de travail en raison de l'incarcération du salarié, ni la question de l'incarcération du salarié. Il faut donc se référer à la jurisprudence des tribunaux français pour analyser les réponses données par le droit dans le cas d'espèce. En présence d'une incarcération provisoire, la doctrine et la jurisprudence admettent généralement la suspension de l'exécution du contrat de travail (4. Arrêt chambre sociale de la Cour de Cassation 21 novembre 2000, Bull. civ. V, n° 383).

La suspension du contrat exclut la rupture de celui-ci qui serait fondée sur l'incarcération. Selon l'analyse de M. Frouin, « à partir du moment où l'incarcération est ainsi considérée comme une cause de suspension, il en résulte que, par l'effet de la suspension de l'exécution du contrat née de l'incarcération, le salarié se trouve délié de l'obligation d'accomplir sa prestation de travail et son absence ne peut plus lui être reprochée en tant que telle, ni constituer par suite un motif de licenciement». (5. Jean Savatier, Incarcération du salarié, incarcération de l'employeur : quelles incidences sur la poursuite du contrat de travail ?, Droit social 2004 p. 729)

Ainsi, aussi bien en Espagne qu'en France, la suspension du contrat de travail peut être mise en place lorsque le salarié est incarcéré de façon provisoire. Cependant, en Espagne, cette suspension paraît plus automatique et plus respectée car régulée par le Statut des Travailleurs lui-même, alors qu'en droit français, c'est la jurisprudence des tribunaux qui s'occupe d'encadrer cette question. Nous pouvons donc penser que la question de la suspension est également plus protégée et garantie en Espagne par le fait de ne pas laisser à l'appréciation du juge la suspension du contrat de travail en cas de détention provisoire qui pourrait prendre en considération d'autres éléments tels que la durée de la détention, élément que nous étudierons par la suite.

B. La réaffirmation du principe de présomption d'innocence du salarié en détention provisoire : fondement de la suspension du contrat de travail.

Le Tribunal Supremo, dans l'arrêt étudié, justifie la suspension provisoire du salarié par la présomption d'innocence à laquelle il a droit tant qu'une décision de justice ne le condamne pas définitivement. Ainsi, le Tribunal Supremo vient appuyer sa décision para une jurisprudence de la chambre sociale du Tribunal Supremo en date du 9 mars 1994 (n°1501/93) selon laquelle « la décision de justice qui condamne définitivement le salarié prive de justification l'absence du salarié à son poste de travail qui jusque alors, et en raison de la garantie du droit à la présomption d'innocence, se dérivait de l'article 45.1 g) du Statut des Travailleurs » relatif à la suspension du contrat de travail en raison de la privation de liberté provisoire du salarié.

Ainsi, le Tribunal Supremo confirme que la disposition légale de l'article 45.1 g) du Statut des Travailleurs se fonde sur le principe pénal de la présomption d'innocence de l'individu. En l'espèce, Telefónica avait en effet maintenu le contrat du salarié en suspension pendant trois ans jusqu'à ce qu'une décision de justice le condamne à treize ans de prison, moment à partir duquel le contrat s'est éteint. Le Tribunal Supremo donne donc raison au défendeur qui a respecté l'absence du salarié, justifié par la détention provisoire dérivant du principe de présomption d'innocence.

En droit français, la jurisprudence des tribunaux français a également soulevé la question de la présomption d'innocence: peut-on justifier la suspension du contrat de travail pendant la durée de la détention provisoire par le recours à la présomption d'innocence ? La Cour de cassation affirme que le placement d'un salarié en détention provisoire alors qu'il est présumé innocent entraîne la suspension du contrat de travail (6. Arrêt chambre sociale de la Cour de Cassation 21 novembre 2000 Bull. civ. V, n° 383).

Cependant, s'est posée, en droit français, la question de la vie personnelle et de la vie professionnelle du salarié. En effet, l'employeur ne peut pas motiver le licenciement du salarié par l'incarcération provisoire de ce dernier, qui est le fait de l'autorité répressive, et non pas du salarié. En revanche, même au cours de la poursuite répressive, l'employeur peut reprocher au salarié les faits ayant provoqué cette poursuite, s'ils constituent une faute disciplinaire. La présomption d'innocence ne porte que sur l'imputabilité au salarié de l'infraction pénale, et non sur l'existence d'une faute disciplinaire. Il faut donc prendre en compte la distinction entre les actes de la vie professionnelle et ceux de la vie personnelle du salarié. La qualification de la faute disciplinaire étant autonome par rapport à celle de l'infraction pénale, le salarié peut faire l'objet d'une sanction disciplinaire même au cours de l'instance répressive, malgré la présomption d'innocence dont il bénéficie pendant celle-ci au regard de l'infraction pénale (7. Jean Savatier, Incarcération du salarié, incarcération de l'employeur : quelles incidences sur la poursuite du contrat de travail ?, Droit social 2004 p. 729).

En conséquence, en droit français, la justification de la suspension du contrat de travail par la présomption d'innocence n'est pas toujours d'application puisque la chambre sociale de la Cour de Cassation a déclaré justifiés des licenciements alors que des poursuites pénales étaient en cours. Or, la présomption d'innocence devrait s'opposer à une telle solution. Le trouble causé à l'entreprise primerait alors sur la présomption d'innocence (8. Élisabeth Fortis, Professeur à l'université Paris X-Nanterre, Vie personnelle, vie professionnelle et responsabilités pénales, Droit social 2004 p. 40).

Ainsi, tant le droit espagnol que le droit français reconnaissent la suspension du contrat de travail en cas de détention provisoire du salarié, suspension se fondant dans les deux droits sur le principe de la présomption d'innocence ; ce principe étant confirmé dans l'arrêt étudié mais qui se développe de façons différentes dans les deux droits étudiés puisque le législateur espagnol garantie cette suspension au sein même du texte légal du Statut des Travailleurs, là où le droit français laisse un rôle important à l'interprétation des juges en la matière et donc une plus grande insécurité.

Après avoir étudié comment le Tribunal Supremo justifie la suspension du contrat du travail, intéresserons nous à présent aux éléments sur lesquels se fonde l'arrêt pour confirmer la rupture de la relation professionnelle du salarié incarcéré.

  1. La justification de la rupture du contrat de travail : la démission du salarié incarcéré.

L'arrêt du Tribunal Supremo étudié déboute le pourvoi de son recours en considérant justifiée la rupture du contrat de travail en raison de la démission du salarié, caractérisée par l'abandon du poste de travail et en prenant en compte la durée de l'incarcération.

A. La caractérisation de l'abandon du poste de travail par le Tribunal Supremo.

La jurisprudence constante du Tribunal Supremo rappelle que pour qu'il y ait démission du salarié, il n'est pas nécessaire qu'il y ait déclaration formelle. Il suffit que sa conduite manifeste de façon indiscutable son option pour la rupture ou l'extinction de la relation professionnelle. Il faut qu'il démontre une volonté claire, concrète, consciente, ferme, révélatrice de son intention de démissionner. La manifestation d'une telle volonté se démontre par des faits qui ne laisse pas de marge au doute quant à l'intention du salarié et à sa portée. De plus, l'extinction du contrat de travail en raison de l'abandon de son poste de travail par le salarié dépend du contexte, de la continuité de l'absence et des motivations de celle-ci (9. Arrêt chambre sociale du Tribunal Supremo 19 octobre 2006 n° de recours 2006/7859 ; Arrêt chambre sociale du Tribunal Supremo17 mai 2005 n° de recours 2005/6321)

Dans l'arrêt d'espèce, le Tribunal Supremo considère que Telefónica n'a pas licencié le salarié. Telefónica a estimé que la relation de travail s'était éteinte par abandon du poste de travail dès le moment de la décision le condamnant à treize années de prison. Le Tribunal caractérise tout d'abord l'abandon par le manque de justification de l'absence au travail pendant treize ans. Rappelons que sur la justification de l'absence du salarié au travail, les juges ont confirmé une jurisprudence de la chambre sociale du Tribunal Supremo en date du 9 mars 1994 (n°1501/93) selon laquelle, à partir du moment où la décision de justice a condamné le salarié, l'absence au travail du salarié n'est plus couverte par la situation suspensive du contrat de travail. Dans un second temps, l'extinction est justifiée par le fait que, pendant cette période, le salarié ne s'est mis en contact avec l'entreprise à aucun moment, même lorsque l'entreprise avait retiré le salarié du régime de Sécurité Sociale en 1998, sans que ce dernier ne se manifeste.

Le Tribunal estime donc la rupture du contrat de travail comme conforme à l'article 49.1 d) lequel dispose que le contrat sera rompu en raison de la démission du travailleur, étant d'application le préavis établit par les conventions collectives ou par les usages de l'entreprise. L'arrêt étudié justifie donc la rupture du contrat de travail par la démission du salarié incarcéré, caractérisée par l'abandon injustifié du poste de travail et par le manque de contact et d'information avec l'entreprise durant le temps de son incarcération, même lorsque l'entreprise l'avait retiré du système de la Sécurité sociale, concluant ainsi à une acceptation implicite de la part du salarié.

Le Tribunal Supremo, à l'inverse du Tribunal de première instance, attribue la rupture du contrat de travail au salarié puisque la démission est une rupture unilatérale du contrat de la part du travailleur, n'ouvrant droit à aucune indemnité de la part de l'employeur, là où le tribunal de première instance qualifiait la rupture d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le Tribunal estime que si le travailleur a arrêté de venir travailler, la cause de cet arrêt du travail lui est entièrement attribuable.

Selon le pourvoi, l'arrêt attaqué va à l'encontre de la réinsertion professionnelle des salariés puisque cela suppose que toute personne privée de liberté perdrait automatiquement son poste de travail après la détention provisoire, et qu'elle serait soumise à une peine double, celle de la privation de liberté et la perte de son emploi. Ceci est à relativiser en fonction de l'information qui a été donnée à l'entreprise sur l'incarcération. En l'espèce, bien que le salarié n'ait pas informé expressément Telefónica, celle-ci savait que le salarié était incarcéré.

Ne s'agit-il donc pas ici de mauvaise foi de la part de l'entreprise ? Le Tribunal Supremo n'est pas de cet avis et estime qu'il s'agit en l'espèce d'un absentéisme volontaire du salarié, l'absence au travail du salarié ayant arrêté d'être couverte par la situation suspensive du contrat de travail pour se configurer comme un manquement à ses obligations contractuelles, qualifié en l'espèce par l'entreprise d'un abandon du poste de travail justifiant la démission.

L'arrêt d'espèce du Tribunal Supremo se situe dans la lignée de la jurisprudence constante du Tribunal Supremo qui, dans des cas similaires, a confirmé la rupture du contrat de travail du salarié incarcéré, justifiée par la démission de celui-ci (10. Arrêt chambre sociale du Tribunal Supremo 16 mai 1988 n° de recours 1988/4983 ; Arrêt chambre sociale du Tribunal Supremo 8 mars 1980 n° de recours 1980/803 ; Arrêt chambre sociale du Tribunal Supremo 29 mai 1995 n° de recours 1995/4454).

En droit français, est-il possible de qualifier, comme le fait le droit espagnol, l'incarcération du salarié comme une démission de celui-ci? La jurisprudence française a considéré, par un important arrêt de la Cour de Cassation du 30 octobre 1996 (n° 94-41038) que l’employeur ne peut supposer que le salarié qui se trouve en prison exprime sa volonté de démissionner. Selon l'arrêt, la prise d'acte patronale d'une démission du salarié incarcéré qui ne répond pas aux courriers adressés par l'employeur n'est plus possible.

En droit français, il n'est donc plus question d'invoquer une rupture imputable au salarié même si ce dernier ne prévient pas du motif de son absence (11. Paul-Henri Antonmattei, La rupture du contrat de travail consécutive à l'incarcération du salarié, Droit social 1997 p. 246). L'employeur ne peut donc imputer la charge de la rupture des relations contractuelles au salarié car cela équivaudrait à la démission du salarié.

Le droit français est donc totalement différent du droit espagnol sur ce point puisque ce dernier considère que le manque d'information du salarié incarcéré est un abandon du poste de travail et donc une volonté de sa part de démissionner. Le droit français est en la matière plus protecteur du salarié incarcéré que le droit espagnol.

B. Refus de prise en compte de la durée de l'incarcération du salarié par le Tribunal Supremo pour la justification de la rupture du contrat de travail.

Les juges, dans l'arrêt attaqué par le pourvoi du 24 janvier 2012 de la Chambre Sociale du Tribunal Superior de Justicia du Pays Basque, justifient la rupture du contrat par le fait que « le pourvoi a été absent pendant treize ans, sans qu'il n'existe aucune norme légale ou convention collective qui oblige l'entreprise à ne pas considérer éteint le contrat de travail lorsque se produit un absentéisme d'une durée telle qu'elle dépasse toute probabilité légale et contractuelle de maintenir le contrat en vigueur ou de le rétablir après une telle absence ». Par cette considération, les juges justifient la rupture du contrat par le fait qu'une telle absence est impossible à prévoir. Il s'agit finalement d'une justification de la rupture du contrat par la force majeure. En effet, l'article 1.105 du Code Civil espagnol (Código civil) dispose que personne ne peut être responsable de faits impossibles à prévoir ou bien prévisibles mais inévitables. Les juges d'appel ont donc justifié la rupture du contrat de travail du salarié incarcéré par la force majeure.

Cependant, le pourvoi, contre l'arrêt d'appel, et en vertu du principe du contradictoire, apporte un arrêt dans ses conclusions afin de déterminer s'il y a contradiction de l'arrêt attaqué avec la jurisprudence antérieure.

L'arrêt contradictoire est un arrêt rendu par la chambre sociale du Tribunal Superior de Justicia de Catalogne en date du 19 novembre 2003 (n° de recours 6184/03). Cet arrêt rejeta un pourvoi formé par une entreprise contre son salarié. Ce dernier avait été incarcéré pour une durée de quinze jours. Il avait tenté de réintégrer son poste de travail à sa sortie de prison, mais l'entreprise avait refusé sa réincorporation.

L'entreprise, face à l'absence de son employé, avait envoyé un télégramme, quelques jours après son incarcération, lui demandant de réintégrer son poste de travail dans un délai de 24 heures et le prévenant qu'en cas contraire, l'entreprise considérerait qu'il avait démissionné de son poste de travail. Le Tribunal Supremo, dans l'arrêt de contradiction, estimait que l'absence au travail du travailleur incarcéré ne pouvait pas être considérée comme une volonté délibérée de ce dernier sinon qu'elle était la conséquence d'une condamnation pénale. Le Tribunal considérait également que le fait que le salarié n'informa pas son employeur de son incarcération ne pouvait révéler la volonté du salarié de démissionner, en prenant de plus en compte le fait que le jour même de sa mise en liberté, le salarié se présenta à son lieu de travail.

Les deux arrêts, l'arrêt attaqué et l'arrêt de contradiction présentent les mêmes caractéristiques : deux salariés qui ont été incarcérés et n'ayant pas communiqué à leur entreprise leur situation d'incarcération, qui se sont présentés le jour suivant à leur mise en liberté sur leur lieu de travail dans le but de reprendre leur activité professionnelle. La seule différence notable entre ces deux arrêts pourrait être la durée de l'incarcération. Cependant, le Tribunal Supremo dans le cas d'espèce considère que la période pendant laquelle a été incarcéré le pourvoi, qu'elle soit de treize ans ou de quinze jours, n'a pas d'importance car la ratio decidendi des deux arrêts comparés n'est pas le temps de l'absence sinon le caractère volontaire de celle-ci.

Le Tribunal Supremo estime que l'arrêt attaqué en l'espèce est justifié, l'extinction du contrat de travail par l'entreprise trouvant sa justification dans l'abandon du salarié, à l'inverse de la jurisprudence antérieure apportée par le pourvoi qui n'estimait pas justifiée la rupture du contrat de travail car l'absence du salarié n'était pas volontaire. Le Tribunal Supremo estime donc que la durée de l'absence n'est pas déterminante au moment de qualifier la démission, contrairement aux arrêts de 2005 et 2006 cités précédemment lesquels considéraient que la continuité de l'absence pouvait être un critère au moment de qualifier l'extinction du contrat de travail pour démission. Le Tribunal se contente donc de ne s'intéresser qu'au caractère volontaire ou non de l'absence et non pas au caractère temporel ni au caractère imprévisible et inévitable de ladite absence. Cependant, nous pouvons nous interroger sur la validité de ce raisonnement, puisque dans les deux cas, les faits étaient les mêmes. La continuité de l'absence serait donc finalement un élément important en droit espagnol.

En droit français, la rupture du contrat était admise dans certains cas où la force majeure était alléguée par l'employeur par exemple lorsque la durée de détention était totalement inconnue. Cette solution est aujourd'hui abandonnée puisque la chambre sociale a affirmé dans un arrêt du 15 octobre 1996 (Bull. civ. V, n° 326) que la situation résultant de l'incarcération du salarié ne constituait pas un cas de force majeure. (12. Élisabeth Fortis, Vie personnelle, vie professionnelle et responsabilités pénales, Droit social 2004 p. 40). La chambre sociale est venue préciser dans trois arrêts du 12 février 2003, que « la force majeure permettant à l'employeur de s'exonérer de tout ou partie des obligations nées de la rupture du contrat de travail s'entend de la survenance d'un événement extérieur irrésistible ayant pour effet de rendre impossible la poursuite dudit contrat », interdisant en conséquence l'utilisation de la force majeure dans le but de justifier la rupture du contrat en raison de l'incarcération du salarié, la poursuite du contrat après cette incarcération étant possible. Par cet abandon, la Haute Juridiction ne prend donc plus en considération la durée de l'incarcération.

Cet abandon de justification de la rupture du contrat de travail du salarié incarcéré par la force majeure est donc établit en France depuis une quinzaine d'année. Cependant, la jurisprudence française permet tout de même le licenciement non disciplinaire du salarié lorsque son incarcération de longue durée, perturbe le bon fonctionnement de l’entreprise en raison d'un « trouble objectif et caractérisé au sein de l'entreprise » compte tenu de la nature des fonctions du salarié et de la finalité de l'entreprise (13. Arrêt chambre sociale de la Cour de Cassation 21 mai 2002, Adapei des Hautes-Pyréenées, n° 1777 FD ; Arrêt chambre sociale de la Cour de Cassation 21 novembre 2000 Bull. civ. V, n° 383, précité). L’employeur devra respecter la procédure de licenciement pour motif personnel et verser l’indemnité de licenciement légale ou conventionnelle de licenciement.

Finalement, en droit espagnol, l'abandon de la force majeure n'est pas si ancré dans la jurisprudence des tribunaux comme en droit français, puisque certaines juridictions continuent de justifier l'extinction du contrat de travail en raison de l'incarcération du salarié par le caractère soudain, imprévisible et inévitable de celle-ci, comme c'est le cas des juges d'appel en l'espèce. Bien que le Tribunal Supremo refuse la prise en compte de la durée de l'incarcération du salarié, il affirme dans son attendu que l'extinction est notamment justifiée en raison de « l'absence injustifiée pendant une période de treize ans ». La solution aurait été la même selon le Tribunal si la durée avait été de quinze jours, le caractère volontaire étant le seul déterminant selon lui. Cependant, tout comme le témoigne l'arrêt de contradiction, dans un cas similaire mais avec une durée d'incarcération beaucoup moins longue, l'extinction du contrat n'était pas justifiée.

 

BIBLIOGRAPHIE

Ouvrages

-Manual del Derecho del Trabajo, Carlos Moreno Manglano, Ana Matorras, decima edición, Civitas, Thomson Reuters, page 567

Doctrine

-Incarcération du salarié, incarcération de l'employeur : quelles incidences sur la poursuite du contrat de travail?, Jean Savatier, Droit social 2004, p. 729.

-Vie personnelle, vie professionnelle et responsabilités pénales, Élisabeth Fortis, Droit social 2004, p. 40.

-La rupture du contrat de travail consécutive à l'incarcération du salarié, Paul-Henri Antonmattei, Droit social 1997, p. 246.

Textes légaux

-Statut des Travailleurs (Real Decreto Legislativo 1/1995, de 24 de marzo, por el que se aprueba el texto refundido de la Ley del Estatuto de los Trabajadores)

Jurisprudence

-Tribunal Superior de Justicia de Catalogne 19 novembre 2003 (n° 6184/03)

-Tribunal Superior de Justicia du Pays Basque 24 janvier 2012 (arrêt d'appel)

-Tribunal Supremo 8 mars 1980 (n°1980/803)

-Tribunal Supremo 16 mai 1988 (n°1988/4983)

-Tribunal Supremo 14 avril 1989 (n°1989/2977)

-Tribunal Supremo 29 mai 1995 (n°1995/4454)

-Tribunal Supremo 9 mars 1994 (n°1501/93)

-Tribunal Supremo 17 mai 2005 (n°2005/6321)

-Tribunal Supremo 19 octobre 2006 (n°2006/7859)

 

-Cass. Soc. 15 octobre 1996, n° 93-43.668, Bull. civ. V, n° 326

-Cass.Soc. 30 octobre 1996, n° 94-41.083, Bulletin V n° 362 p. 257

-Cass.Soc. 21 novembre 2000, n° 98-41.788, Bull. civ. V, n° 383

-Cass.Soc. 21 mai 2002, Adapei des Hautes-Pyrénées, n° 00-41.128.128

Sites internet

-Westlaw.es

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