Le licenciement pour motif économique: les modifications introduites par la loi espagnole 3/2012 de mesures urgentes de réforme du marché du travail.

Résumé : La loi 3/2012 propose des mécanismes permettant de flexibiliser les licenciements pour motif économique en rendant plus simple l'invocation des causes économiques aussi bien dans le secteur privé que dans le secteur public tout en éliminant les contrôles qui limitent l'adoption de telles décisions au détriment de la sécurité des salariés, là où le droit du travail français conserve une définition plus large du licenciement pour motif économique ceci impliquant un contrôle et une rigueur des autorités plus importants.

 

En décembre 2012, l’Espagne connaissait un taux de chômage de plus de 25% de la population active. Le 18 février 2013, la compagnie aérienne Iberia annonçait un plan de restructuration prévoyant le licenciement économique de 3.807 employés, environ 20% du personnel, entre mars et décembre 2013. La loi 3/2012 de mesures urgentes de réforme du marché du travail s´est donc inséré en juillet 2012 dans un contexte économique difficile, rythmé par les licenciements économiques. Elle vient modifier des aspects importants du droit du travail espagnol tels que les contrats de travail à durée déterminée, la suspension du contrat de travail ou encore les mobilités géographiques. Ces modifications ont été amorcées par le Décret Royal du 10 février 2012 (Real Decreto) puis confirmées et précisées par la loi 3/2012, cette dernière insérant principalement d'importants changements quant au licenciement pour motif économique.

Le licenciement pour motif économique (despido por causas económicas) en droit du travail espagnol trouve sa définition dans le premier alinéa de l'article 51.1 du Statut des Travailleurs (Estatuto de los Trabajadores), équivalent au Code du Travail français, qui dispose que « le licenciement collectif produira l'extinction du contrat de travail fondée en raison de causes économiques, techniques, d'organisation ou de production. ». Ce type de licenciement ne sera pas nécessairement collectif et pourra être individuel en vertu de l'article 52 du Statut des Travailleurs qui le qualifie de licenciement objectif (despido objetivo), non inhérent à la personne du salarié. Dans le même sens, l'article L1233-3 du Code du Travail français dispose que « constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification refusée par le salarié d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques.».

En modifiant notamment les causes économiques de licenciement, le rôle de l'autorité administrative et l'importance du pouvoir judiciaire, changements auxquels nous nous intéresserons au long de cette étude, la loi espagnole 3/2012 donne davantage de flexibilité à la procédure du licenciement économique. Cependant la loi dit poursuivre, dans son exposé de motifs, un objectif de « flexisécurité » (flexiseguridad) du droit du travail. Cette notion implique un équilibre entre la flexibilité et la sécurité des relations professionnelles. Les politiques de flexisécurité doivent par exemple promouvoir un équilibre entre les droits et les responsabilités des employeurs, des employés, des demandeurs d'emploi et des autorités publiques ou encore faciliter la flexibilité interne en aidant aux mobilités et à une bonne organisation du travail (1. Article La flexiseguridad laboral en España Fernando Valdès Dal-Ré et Jesús Lahera Forteza, Fundación Alternativas, Documento de trabajo 157/2010).

Les questions qui se poseront au long de cette étude seront donc celles de savoir si la loi 3/2012 insère plus de flexibilité que de sécurité dans la procédure du licenciement économique, si cette procédure est plus souple en Espagne qu'en France ou le devient par le biais des changements introduits par la réforme ou encore l'importance du rôle des autorités administratives et judiciaires dans chacun des deux droits étudiés.

Nous nous intéresserons à ces questions en étudiant d'une part les causes économiques du licenciement et le champ d'action de ce dernier pour analyser d'autre part l'encadrement du licenciement économique par les autorités administratives et judiciaires, aussi bien en droit français qu'en droit espagnol.

 

I) Les modalités d'application du licenciement pour motif économique: entre flexibilité et rigueur.

La loi espagnole 3/2012 a tout d'abord modifié plusieurs aspects sur le fond du licenciement économique, c'est à dire aussi bien les causes justifiant son application que son champ d'action.

A. Les causes justifiant le licenciement économique: rigueur et flexibilité du licenciement.

En droit français, en vertu de l'article L1233-3 les causes économiques se qualifient comme des difficultés économiques, des mutations technologiques, la réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ou encore la cessation d’activité de l’entreprise (2. Droit du travail, Jean Pelissier, Gilles Auzero, Emmanuel Dockès, Précis Dalloz, 2013, 27ème édition, p.500). Lorsqu'un employeur supprime ou modifie des emplois en l'absence de difficultés économiques ou d'innovations technologiques mais dans l'objectif de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise, les licenciements décidés à cette occasion seront des licenciements pour motif économique, tout comme l'a affirmé la jurisprudence de la Chambre Sociale de la Cour de Cassation dans plusieurs arrêts (3. Soc.23 mai 1995, RJS 8-9/95, n°871). De façon plus générale, la Cour de Cassation décide que la cessation d'activité de l'entreprise, quand elle n'est pas due à une faute de l'employeur, constitue un motif économique de licenciement (4. Droit du travail, Jean Pelissier, Gilles Auzero, Emmanuel Dockès, Précis Dalloz, 2013, 27ème édition, p.501-502). Nous pouvons observer que ces causes de licenciement ne sont pas inclues directement dans la loi, qui ne fait que mentionner des difficultés économiques ou des mutations technologiques au sens général du terme. La loi laisse donc le rôle au pouvoir judiciaire de déterminer et examiner au cas par cas les causes pouvant entraîner ou non un licenciement économique.

Le droit du travail espagnol au contraire inclus une description plus précise des causes économiques ou techniques justifiant une Procédure de Régulation de l'Emploi (Expediente Regulador de Empleo ou ERE), autre dénomination espagnole désignant un licenciement collectif pour cause économique. Ainsi, l'alinéa deux de l'article 51.1 du Statut des Travailleurs relatif aux licenciements collectifs dispose que « constitueront des causes économiques les résultats de l'entreprise desquels se dégage une situation économique négative, notamment dans les cas où les pertes sont actuelles ou prévues et/ou la diminution du niveau des recettes ordinaires ou des recettes provenant des ventes est persistante. Dans tous les cas, la diminution sera persistante si durant trois trimestres consécutifs, le niveau de recettes ordinaires ou de recettes provenant des ventes de chaque trimestre est inférieur au niveau enregistré lors du même trimestre de l'année précédente. » L'article 52 concerne les licenciements individuels, le paragraphe c) renvoyant à l'article 51 lorsqu'il s'agira de licenciement économique individuel (5. Arrêt Tribunal Superior de Justicia de Galice, STSJ de Galicie de 06/07/2012 n°recours 12/2012 : l'utilisation par une entreprise de l'article 51 du Statut des Travailleurs dans le but de licencier onze employés est justifiée car ladite disposition établit les exigences formelles actuelles en matière de licenciement économique, ne pouvant être déclaré nul le licenciement si celui-ci en respecte les termes ; Arrêt Cour d'Appel espagnole, chambre sociale, du 21/11/12, numéro 142/2012 : justification du licenciement économique en raison d'une grave détérioration de la situation économique de l'entreprise, la motivation principale étant l'effondrement économique des comptes de l'entreprise. Dans le même sens, Arrêt Tribunal Superior de Justicia de Madrid, STSJ de Madrid de 24/09/2012 n°recours 614/2012).

La dernière phrase du paragraphe relative à la diminution persistante pendant trois trimestres consécutifs a été introduite par la loi 3/2012. Cette disposition simplifie la cause économique du licenciement en la rendant objective, neutralisant ainsi le pouvoir d'appréciation des juges. En effet, il s'agit d'une description très précise de la cause économique, laissant peu de marge de manœuvre au juge quant à l'interprétation de la cause économique (contrairement au droit du travail français).

Cette nouvelle disposition facilite au chef d'entreprise la justification du licenciement puisque elle permet que le licenciement économique devienne quasi automatique lorsque l'entreprise se trouve dans la situation décrite ci-dessus. De même quant aux causes techniques, l'alinéa trois du même article 51.1 disposant que « seront des causes techniques celles relatives à des changements dans les modes ou les instruments de production, les causes relatives à l'organisation lorsque se produiront des changements dans les systèmes et méthodes de travail du personnel ou dans le mode d'organisation de la production et les causes de production lorsqu'elles produiront des changements dans la demande des produits ou des services que l'entreprise prétend développer sur le marché ». Cette clause s’inscrit également dans la volonté de précision du législateur.

La réforme apportée par la loi 3/2012 pourrait donc se montrer plus stricte, en imposant une série de causes économiques justifiant le licenciement pour motif économique. Or, ces diverses précisions permettent de faciliter et de rendre plus flexible le licenciement pour motif économique, à l'inverse du droit français qui offre une plus grande importance à l'interprétation prétorienne en la matière. La volonté de la loi 3/2012 de flexibiliser le licenciement économique en Espagne s'est également manifestée au niveau de son champ d'application.

B. Le champ d’application du licenciement pour motif économique : élargissement au secteur public.

La réforme du marché du travail espagnol a également cherché à rendre plus facile le licenciement dans le secteur public dans un contexte de restructuration de l'administration, de discipline budgétaire et de réduction du déficit public. La vingtième disposition additionnelle, ajoutée au Statut des Travailleurs par la loi 3/2012, concerne l'application du licenciement pour causes économiques, techniques, d'organisation ou de production dans le secteur public. L'article 3.1 de loi relative aux Contrats dans le Secteur Public dispose que le licenciement pour motif économique dans le secteur public s’effectuera conformément aux dispositions des articles 51 et 52.c) du Statut des Travailleurs. Ainsi, selon la vingtième disposition, « seront des causes économiques justifiant le licenciement dans le secteur public la situation d'insuffisance budgétaire survenue et persistante pour le financement des services publics correspondant. Dans tous les cas, l'insuffisance sera persistante si elle se produit pendant trois trimestres consécutifs. On parlera de causes techniques quand des changements se produiront, notamment dans le secteur des moyens et des instruments de prestation du service public concerné ou encore des changements dans les systèmes et les méthodes de travail du personnel rattaché au service public.» (6. Tableau récapitulatif des Modifications de la loi 3/2012 du 6 juillet 2012 de mesures urgentes de réforme du marché du travail, Gonçalves Pereira, Cuatrecasas, Juillet 2012). La loi utilise de nouveau la notion de persistance de la cause économique qualifiée au bout de trois trimestres consécutifs. Il s'agit là, encore une fois, de rendre davantage flexible le licenciement économique par la précision de la cause, cette vingtième disposition étant de plus inclue dans le Statut du Travailleurs afin de renforcer autant sa légitimité que son importance (7. Arrêt Tribunal Superior de Catalogne, STSJ de Cataluña de 13/06/2012 recours n°11/2012: le tribunal accorde les causes d'organisation évoquées en se fondant sur le fait que l'activité réalisée jusque alors par l'administration publique en question (Consorcio) cesse d'être une finalité pouvant être assumée par la Generalitat (le gouvernement catalan), prenant en compte les nouvelles dispositions de la vingtième Disposition additionnelle du Statut des Travailleurs.).

Cette nouvelle disposition s'applique entre autre à l'administration de l'État, aux administrations territoriales, à l'administration de la sécurité sociale et aux organismes autonomes, aux entités et aux entreprises publiques, aux universités publiques et aux autres entités de droit public en situation de dépendance d'une administration publique, et aux sociétés commerciales dont la participation du secteur public est supérieur à 50 %, tout comme le dispose l'article 3.2 de la loi relative aux Contrats dans le Secteur Public (8. Tableau récapitulatif des Modifications de la loi 3/2012 du 6 juillet 2012 de mesures urgentes de réforme du marché du travail, Gonçalves Pereira, Cuatrecasas, Juillet 2012).

En renvoyant à l'article 51.1 du Statut des Travailleurs, il sera possible selon les cas d'invoquer les causes économiques, techniques, organisationnelles dans les mêmes conditions que dans une entreprise privée.

Cette disposition ouvre donc le licenciement économique aux entreprises publiques et aux administrations publiques aussi bien concernant le personnel permanent que les fonctionnaires intérimaires et temporaires. La seule exception est celle des fonctionnaires de carrière (funcionarios de carrera), qui bénéficieront d'un régime spécial car il s´agit de fonctionnaires liés aux administrations publiques et dont la relation est régulée par le Droit Administratif pour l'exercice de services professionnels rémunérés de façon permanente (9. Regards : La réforme de 2012 du marché du travail en Espagne : la flexibilité jusqu'au bout, Eduardo Martín Puebla, Profesor Titular de Derecho del Trabajo, Universidad de Salamanca (Espagne) Revue de droit du travail 2012 p. 442).

En droit du travail français, le motif économique du licenciement ne s'applique pas au secteur public puisque ses employés sont généralement rattachés à un autre régime, différent du régime de droit du travail du secteur privé.

Cette réforme du marché du travail offre donc des mécanismes pour réaliser des ajustements de personnel, aussi bien dans le secteur public que dans le secteur privé, en rendant plus simple et plus flexible l'invocation des causes économiques tout en éliminant dans le même temps les contrôles administratifs et judiciaires qui limitent l'adoption de telles décisions, au détriment de la sécurité des salariés (10. Rapport de la Fondation 1° de Mayo, Éléments clés pour la comparaison des différents modes de licenciements dans l'Union Européenne, Le modèle de licenciement au sein de l'Union Européenne, Mars 2012), là où le droit du travail français conserve une définition plus large du licenciement pour motif économique, impliquant un contrôle et une rigueur des autorités plus importants.

 

II) Ajustements de la procédure du licenciement pour motif économique: importance et rôle de l'autorité administrative et du pouvoir judiciaire.

Après avoir étudié les changements opérés sur le fond du licenciement économique, intéressons- nous à présent aux modifications de la procédure du licenciement et plus précisément l'encadrement de la procédure par les autorités administratives et judiciaires.

A.L'autorisation de l'autorité administrative: la perte d'un élément clé de sécurité dans le système espagnol et un éloignement avec le droit français.

En droit du travail français, les lois du 3 juillet 1986 ont supprimé le régime de l'autorisation administrative. En conséquence, l'autorité administrative n'a plus le pouvoir d'autoriser ou de refuser un licenciement pour motif économique et garde un pouvoir juridique peu important. En effet, celle-ci n'avait un rôle à jouer que lorsque le licenciement est collectif et de moins de 10 salariés. Elle n'exerce aucun contrôle sur le caractère réel et sérieux du motif économique, son contrôle ne porte que sur la régularité de la procédure de consultation et sur les mesures sociales d'accompagnement qui doivent être proposées par l'employeur (plan de sauvegarde de l'emploi par exemple). La loi du 30 décembre 1986 donne à l'autorité administrative un pouvoir de contrôle limité qui doit être exercé dans un délai bref allant de 21 à 35 jours suivant le licenciement et débouchant uniquement sur un avis lorsque l'autorité relève une ou plusieurs irrégularités. L'employeur a, dans ce cas, pour seule obligation celle de répondre aux observations de ladite autorité et d'adresser une copie de sa réponse aux représentants du personnel.

Si le pouvoir juridique de l'administration du travail est assez limité, son rôle en revanche n'est pas négligeable car même si l'administration ne contraint pas l'employeur à adopter telle mesure, elle le conseille et l'incite à élaborer un plan de sauvegarde de l'emploi en limitant autant que possible le nombre de licenciements. (11. Droit du travail, Jean Pelissier, Gilles Auzero, Emmanuel Dockès, Précis Dalloz, 2013, 27ème édition, p.520-521).

Cependant, le 11 janvier 2013, les partenaires sociaux sont parvenus à un accord national interprofessionnel (ANI) sur la compétitivité et la sécurisation de l’emploi. Une des nouveauté est l'intervention de l'administration lorsque, en cas de licenciement de 10 salariés et plus sur une même période de 30 jours dans les entreprises d'au moins 50 salariés, la procédure de licenciement et le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi ne sont pas fixés par un accord majoritaire.

Il appartient alors à l'employeur d'établir un document qui, notamment, précise la liste des documents à produire. Appelée à se prononcer dans un délai de 21 jours sur ce document, l'autorité administrative (la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, Direccte) a donc en charge l'appréciation et l'homologation de l'exécution par l'employeur de son obligation de fournir des informations économiques et financières. (12. Donner l'information en matière économique et financière : brefs propos sur des évolutions récentes, Paul-Henri Antonmattei, Droit social 2013 p. 100 ).

En Espagne, la récente loi 3/2012, poursuivant son objectif de « fléxibilisation » et de simplification de la procédure de licenciement, a supprimé l'exigence d'autorisation administrative pour les ERE, peu important le nombre d'employés affectés par le licenciement, se rapprochant ainsi de la procédure française. Le rôle de l'autorité administrative du travail se limitera à présent à être informée de la notification du projet de licenciement et à veiller à ce que la procédure de consultation soit effective, tout comme l'autorité administrative française du travail.

L'autorité du travail devra veiller à ce qu'il y ait une négociation sincère avec les représentants du personnel, de bonne foi et dans le but d'arriver à un accord. Elle pourra adresser des observations ou des avertissements à l'employeur et aux représentants du personnel pour essayer de trouver des solutions aux problèmes soulevés pendant la négociation. L'autorité administrative s'éloignerait donc de l'autorité administrative du travail française, se contentant à présent d'un rôle d'accompagnateur ou de conseiller. Cette disparition de l'autorisation administrative fait disparaître par la même le rôle attribué à la juridiction administrative, le contentieux se déroulant à présent devant le pouvoir judiciaire qui à travers d'une procédure d'urgence, devra déclarer le licenciement justifié ou injustifié, selon les causes invoquées (13. Regards : La réforme de 2012 du marché du travail en Espagne : la flexibilité jusqu'au bout, Eduardo Martín Puebla, Profesor Titular de Derecho del Trabajo, Universidad de Salamanca (Espagne) Revue de droit du travail 2012 p. 442). L'exposé de motifs de la loi 3/2012 justifie cette suppression par le fait que la procédure administrative des ERE et les possibles demandes devant les autorités administratives et judiciaires étaient contraires à la célérité nécessaire dans le cadre des restructurations d'entreprises (14. Bulletin Officiel de l’État, BOE, num. 162 du 7 juillet 2012, pages 49113 à 49191, BOE-A-2012-9110). Nous retrouvons encore une fois l’objectif de flexibilité de la procédure.

Par conséquent, la procédure devient plus simple. Le contrôle de l'autorité administrative rendait propice les accords de licenciement impliquant des indemnités de licenciement plus élevées de la part de l´employeur en vue d´obtenir l'approbation des représentants du personnel et de passer le contrôle administratif. En éliminant l'autorisation administrative, l'employeur indemnisera les employés concernés par le licenciement économique, celui-ci ouvrant droit à une indemnité de 20 jours de travail par année de travail dans la limite de 12 mensualités lorsqu'il est justifié. Il reviendra à l'employé de former un recours devant le pouvoir judiciaire en cas de désaccord avec cette indemnité. Si le juge estime que le licenciement n'est pas justifié par des raisons économiques, techniques, d'organisation ou de production, l'employé aura droit à une indemnité plus élevée. Mais la loi 3/2012 a également modifié ces indemnités, passant de 45 jours de travail par année de travail dans la limite de 42 mensualités à 33 jours de travail par année de travail dans la limite de 24 mensualités. Cette réduction substantielle flexibilise encore davantage la procédure de licenciement, en prévoyant ainsi un licenciement à moindre coût puisque réduisant l'écart des indemnités entre un licenciement justifié et un injustifié.

En conséquence, là où le droit français redonne un certain pouvoir de contrôle à l'autorité administrative dans le cadre des licenciements économiques (bien que limité car conditionné par le fait que l'employeur ne choisisse pas la possibilité de négocier un accord d’entreprise majoritaire avec les représentants des salariés) et semble s'inscrire dans une tendance de sécurisation de l'emploi, le droit espagnol en revanche, se veut plus flexible en matière de licenciements économiques, au détriment de la sécurité des salariés.

B. Le rôle du juge: disparition du critère raisonnable du licenciement économique en Espagne et contrôle de la réalité de la cause en France.

Comme nous l'avons constaté au long de cette étude, le pouvoir judiciaire espagnol dans le cadre des licenciements pour motif économique a été mis à mal par la loi 3/2012 qui ne laisse que peu de place à l'appréciation des juges sur le licenciement économique. En modifiant les causes des ERE, la loi supprime l'ancienne rédaction de l'article 51 du Statut des Travailleur lequel imposait le critère du caractère raisonnable de l'extinction des contrats de façon à préserver ou favoriser la position compétitive de l'entreprise ou à contribuer à prévenir une évolution négative de l'entreprise ou à améliorer sa situation à travers une organisation plus appropriée des ressources. La loi, en précisant que la baisse des recettes ou des ventes de l'entreprise doit être consécutive pendant trois trimestres, réduit le rôle du juge à constater si cette situation se produit ou non. Si elle se produit, il appliquera une indemnisation de 20 jours. Si ce n'est pas le cas, les indemnités correspondront à 33 jours. Avant la réforme, le juge avait davantage de possibilités au moment de déterminer si une situation était économiquement négative et si le licenciement était raisonnable. Le Décret Royal du 10 février 2012 mentionne de plus dans son exposé de motifs qu'avec les nouvelles modifications de la loi 3/2012, « il est dorénavant clair que le contrôle judiciaire de ces licenciements doit se limiter à une valorisation de l’occurrence des faits : les causes. Cette idée étant valable pour les licenciements pour causes économiques aussi bien collectifs qu'individuels. » (15. Bulletin Officiel de l’État, BOE, num. 162 du 7 juillet 2012, pages 49113 à 49191, BOE-A-2012-9110).

En droit français, le contrôle judiciaire est plus important. Au niveau procédural, on notera la présence du contrôle du juge lors du plan de reclassement des salariés ou encore lors de l'exécution du plan (16. Droit du travail, Jean Pelissier, Gilles Auzero, Emmanuel Dockès, Précis Dalloz, 2013, 27ème édition, p.537-539). En plus de cet aspect procédural, le pouvoir judiciaire contrôlera les causes réelles et sérieuses du licenciement. C'est sur ce point que le droit français se démarque du droit espagnol. La Cour de Cassation applique l'article L1233-2 du Code du Travail en imposant aux juges du fond de procéder à la vérification de l´existence de la cause économique, le juge ne pouvant affirmer l'existence d'une cause économique réelle et sérieuse qu'après avoir constaté l'existence des faits invoqués par l'employeur et la réalité du lien causal entre les faits. La définition des causes justifiant le licenciement économique étant général, le contrôle des difficultés économiques par le juge est particulièrement rigoureux. Les juges ne peuvent se contenter d'énoncer que la baisse du chiffre d'affaires suffit à justifier le licenciement économique, à la différence du juge espagnol qui est dorénavant cantonner à un rôle de constatation de l'existence ou non de la cause économique. Le juge français devra apprécier la réalité des difficultés économiques invoquées. Si la baisse est passagère ou peu importante, les juges ne retiendront pas l'existence de difficultés économiques (17. Soc. 12 décembre 1991, RJS 2/92, n°134 ; Soc. 6 juillet 1999, RJS 10/99, n°1236). De même pour la fermeture d'un établissement qui n'établit pas systématiquement l'existence de difficultés économiques (18. Droit du travail, Jean Pelissier, Gilles Auzero, Emmanuel Dockès, Précis Dalloz, 2013, 27ème édition, p.545-547).

Quand le licenciement économique intervient lors d'un acte de volonté de l'employeur de réorganisation de l'entreprise, les juges ne contrôlent plus seulement la réalité de la cause mais aussi si la réorganisation a été décidée pour sauvegarder la compétitivité du secteur d'activité. L'existence des faits dépendant totalement de la volonté de l'employeur, les juges se montrent davantage prudents et leur contrôle se fait plus important (19. Droit du travail, Jean Pelissier, Gilles Auzero, Emmanuel Dockès, Précis Dalloz, 2013, 27ème édition, p.548).

En conséquence, la définition française du licenciement économique étant plus générale, les juges se trouvent dans l'obligation d'examiner attentivement chaque cas de licenciement, contrôlant rigoureusement les causes et leur réalité. Cela rend important leur pouvoir d'appréciation de façon à contrôler l'arbitraire des employeurs, là où le droit espagnol, par sa nouvelle réforme des licenciements économiques, ne permet plus au juge d'avoir un pouvoir de contrôle, ce dernier devant se cantonner à examiner l'existence ou non de la cause économique, clairement définie et délimitée par l'article 51 du Statut des Travailleurs.

 

En conclusion, la réforme du droit du travail en Espagne tente, selon le législateur, de garantir aussi bien la flexibilité des chefs d'entreprise quant à la gestion des ressources humaines de l'entreprise que la sécurité des employés. Cependant, tout comme nous l'avons remarqué, un autre objectif ne se cache-t-il pas sous cette volonté de flexisécurité du droit du travail? Limiter le contrôle administratif et rendre obsolète le pouvoir judiciaire, des licenciements, réduire le coût des licenciements sans causes réelles et sérieuses, élargir le champ des licenciements au secteur public, flexibiliser la cause économique.

Ne s'agirait-il pas au final d'une loi davantage axée sur la flexibilité du licenciement économique que sur la sécurité des employés? La loi 3/2012 serait donc déséquilibrée, permettant certes plus de flexibilité à la procédure du licenciement au détriment de la sécurité des employés.

De son côté, le droit français redonne un certain rôle à l'autorité administrative en lui permettant l'appréciation et l'homologation du plan social des employeurs. Cette évolution permet de passer d’un contrôle a posteriori par le juge se réduisant en général à des dommages et intérêts à un contrôle a priori de l'autorité administrative afin d’éviter les licenciements abusifs. « Déjudiciariser tout en renforçant l'efficacité de la fourniture d'informations économiques et financières : tel est l'objectif louable de ces évolutions récentes » (20. Donner l'information en matière économique et financière : brefs propos sur des évolutions récentes, Paul-Henri Antonmattei, Droit social 2013 p. 100).

Cependant, l'accord français du 11 janvier 2013 sur la sécurisation de l'emploi confère également un volet flexibilité aux entreprises favorisant les plans de mobilités internes ou bien raccourcissant notamment les délais de recours en justice de douze à trois mois s’agissant de l’accord ou de l’homologation ou encore de cinq ans à douze mois pour un salarié contestant son licenciement. Ainsi, autant le droit espagnol que le droit français font preuve d'une volonté de flexibilité du droit du travail dans un contexte économique de crise mais le droit français restant désireux de conserver la sécurité du salarié grâce aux divers contrôles effectués par les entités administrative et judiciaires.

 

BIBLIOGRAPHIE

Ouvrages

-Droit du travail, Jean Pelissier, Gilles Auzero, Emmanuel Dockès, Précis Dalloz, 2013, 27ème édition, pages 427-431

Doctrine

-La flexiseguridad laboral en España Fernando Valdès Dal-Ré et Jesus Lahera Forteza,, Fundación Alternativas, Documento de trabajo 157/2010

-Regards : La réforme de 2012 du marché du travail en Espagne : la flexibilité jusqu'au bout, Eduardo Martín Puebla, Profesor Titular de Derecho del Trabajo, Universidad de Salamanca (Espagne) Revue de droit du travail 2012 p. 442

-Donner l'information en matière économique et financière : brefs propos sur des évolutions récentes, Paul-Henri Antonmattei, Droit social 2013 p. 100

Textes légaux

-Statut des Travailleurs (Real Decreto Legislativo 1/1995, de 24 de marzo, por el que se aprueba el texto refundido de la Ley del Estatuto de los Trabajadores)

Jurisprudence

-Tribunal Superior de Justicia STSJ Galicie 6 juillet 2012 (n°12/2012)

-Tribunal Superior de Justicia STSJ Madrid 24 septembre 2012 (n°614/2012)

-Tribunal Superior de Justicia STSJ Catalogne 13 juin 2012 (n°11/2012)

-Cour d'appel espagnole, Chambre sociale, 21 novembre 2012 (n°142/2012)

-Cass.Soc, 23 mai 1995, RJS 8-9/95, n°871

-Cass.Soc, 12 décembre 1991, RJS 2/92, n°134

-Cass.Soc. 6 juillet 1999, RJS 10/99, n°1236

Sites internet

-Westlaw.es

-Dalloz.fr

-Légifrance.gouv.fr

Autres

-Bulletin Officiel de l’État, BOE, numéro. 162 du 7 juillet 2012, pages 49113 à 49191, BOE-A-2012-9110).

-Tableau récapitulatif des Modifications de la loi 3/2012 du 6 juillet 2012 de mesures urgentes de réforme du marché du travail, Gonçalves Pereira, Cuatrecasas, Juillet 2012

-Rapport de la Fondation 1° de Mayo, Éléments clés pour la comparaison des différents modes de licenciements dans l'Union Européenne, Le modèle de licenciement au sein de l'Union Européenne, Mars 2012)