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Lettre de démotivation : dites non au travail !


J’écoutais la radio, un soir, lorsque j’ai entendu parler d’un homme qui, depuis des années, s’amusait à répondre aux annonces d’emploi par des lettres de démotivation. C’est un doux dingue, un drôle de zozo, un artiste que cet homme-là. Fatigué d’écrire des lettres de motivation pour trouver un travail qu’on lui refusait à chaque fois, il a décidé de se venger. Fini, l’hypocrisie, les contorsions pour être conforme au poste et au profil demandé ; fini, les mensonges. Il refuse les salaires trop bas, les horaires décalés, le travail de nuit et les slogans ineptes des entreprises. Pour cela, il s’invente des personnages, qui sont toujours d’une franchise féroce et parfaitement inadaptés aux exigences de l’entreprise, voire à la langue que l’on attend d’eux.
C’est un jeu jubilatoire et provocant que de dire non au travail à l’heure du « travailler plus »… pour vivre moins. Aussi ai-je décidé de m’y essayer à mon tour. Voici le résultat de deux de mes tentatives, dont je vous laisse juge.

***

    Madame, Monsieur,


    Titulaire d’une licence Humanités, je possède une bonne maîtrise de la langue, aussi bien à l’écrit qu’à l’oral, ainsi qu’une solide culture générale, ce dont, j’en ai conscience, tout le monde se fout éperdument de nos jours, à commencer par nos dirigeants. En effet, depuis l’avènement du langage SMSN, mon diplôme ne vaut finalement guère plus qu’un vulgaire morceau de papier hygiénique, la douceur et le parfum de Lotus en moins.

    Mes années d’étude à l’université de Nanterre m’ont permis de mieux constater l’appauvrissement continuel qui gangraine l’Éducation nationale. J’y ai subi pendant pas moins de trois ans les affirmations tout aussi absurdes que péremptoires de professeurs psycho-rigides, prouvant mon endurance par l’obtention d’un diplôme tout aussi caduc que le précédent.

    Quant à mon peu d’expérience professionnelle, il a suffi à me prouver que pour être de ceux qui réussissent il faut avoir les dents plus longues que mes rats ne pourraient les avoir et un caractère de cochon. Mon expérience en tant que caissière m’a permis de mieux comprendre l’origine de la misère intellectuelle de notre société. Mon expérience comme hôtesse d’accueil m’a, quant à elle, appris à développer une remarquable résistance psychologique afin de ne pas m’arracher une partie de mes cheveux à chaque sonnerie de téléphone : c’étaient toujours les mêmes gestes, le même sourire figé et l’air de gourde, toujours les mêmes mots, toujours les mêmes emmerdeurs désagréables et hautains au bout du fil.

    Pourtant je jure que je n’ai rien fait de mal. Je jure que je n’ai jamais agi dans l’intention de nuire. Je jure que, si certaines fois j’ai fait des erreurs, ce n’était pas de manière intentionnelle. J’ai toujours mené une existence paisible, je paye mon loyer et mes impôts. S’il m’arrive de boire plus que de raison, je dois bien l’avouer, je jure ne jamais avoir pris le volant de ma voiture en état d’ivresse.

    J’aime les animaux et la musique, je ne vole pas, je regarde la télévision ; parfois j’écris pour dire ce que j’ai sur le cœur. Plus tard, je voudrais avoir un enfant ou deux et un chat. J’ai des témoins qui m’ont vu ne rien faire. Je ne comprends pas de quoi je suis coupable, je ne comprends pas pourquoi vous voulez me condamner à des travaux forcés et aliénants, à des tâches répétitives et ingrates, au stress, et ce pour un salaire misérable. Le supplice est démesuré par rapport à mes minuscules erreurs : quelques anniversaires que je n’ai pas souhaités, quelques absences non justifiées à l’école, quelques soirées trop arrosées… Je refuse donc ce poste.


    Dans l’attente d’une réponse de votre part, je vous prie d’agréer l’expression de mes salutations désabusées.

***

    Madame, Monsieur,


    Je vous écris suite à l’annonce parue dans Le Marché du travail. Veuillez trouver ci-joint mon CV (bien que cette abréviation me paraisse cacher des expressions comme « contraint à vaquer » ou « concentré de vermine »).

    Veuillez noter que je ne sais pas faire grand-chose, à part dormir, manger, respirer, dormir, manger, respirer, et ainsi de suite. Mais j’ai décidé de me remettre en question. Je vais apprendre à me laver, à lire, à écrire et à compter. Cependant, mon ambition a des limites. Sachez que si je dois en baver, je prendrai la fuite.

    À ce propos, j’ai vu que vous cherchiez un technicien de surface travaillant le samedi, le dimanche et les jours fériés, en alternance le jour et la nuit. Je ne compte pas pour ma part être victime d’une dépression ou d’un burn-out. Aussi, je mène personnellement une campagne active de prévention : je refuse les postes de ce type, qui plus est mal payés. En effet, je ne crois pas qu’un si minuscule salaire donne à quiconque l’envie de réussir. Vous me direz que, dans la vie, il faut choisir entre la gloire et la glande — inutile de vous préciser quelle option j’ai choisie. Vous trouvez ça malsain ? Pour ma part, c’est le comportement hégémonique des entreprises, qui s’étend jusqu’au cœur même de la vie des individus, que je trouve malsain. À bon entendeur, salut.

   
    Dans l’attente d’une réponse de votre part, je vous prie d’agréer, Madame, Monsieur, l’expression de mes salutations désabusées.

***

 

Maguelone Doussot

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