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juill.
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Mademoiselle Julie, pièce naturaliste d’August Strindberg

On rêve toujours d’occuper une place que l’on ne pourra jamais atteindre ! Durant une nuit enflammée de la Saint-Jean, mademoiselle Julie va séduire le valet de son père en dépit des convenances et de leurs rangs sociaux respectifs. Jean doit-il approuver cette situation, en s’y pliant par pure obéissance envers sa maîtresse ? Telle est pourtant la vision de Kristin, la cuisinière, véritable intermédiaire entre les personnages et les spectateurs, qui observe le jeu meurtrier qui se trame devant elle, en tant qu’aînée de ce trio et malgré ses sentiments envers Jean. Cet amour impossible finira lui aussi par un drame.

Mademoiselle Julie peut être qualifiée de pièce naturaliste. Ce ne sont pas des stéréotypes de domestiques et d’aristocrates qui nous sont présentés, mais des personnalités complexes qui se torturent mentalement et physiquement tout au long de la pièce ; c’est spécialement vrai du personnage de Julie, dont l’interprétation est donc délicate. Ces individus ne viennent pas de l’imaginaire de Strindberg, car ce sont certaines de ses connaissances qui l’ont inspiré. L’héroïne est tiraillée deux personnalités : la jeune fille classique de la bonne société des années 1900 et l’aventurière audacieuse prête à partir à la conquête du monde, quitte à enfreindre les conventions. Ses humeurs s’expriment sous forme de crises violentes qui la mèneront progressivement à une fin tragique.

Dans cette sorte de huis clos, Strindberg souligne les rapports de force qui régissent la société du XIXe siècle. Mademoiselle Julie, tout en appartenant à la catégorie sociale la plus élevée, est aussi la plus jeune dans ce trio, ce qui la place comme inférieure à son valet Jean dans la connaissance de la vie. Ainsi, Julie, Kristin et Jean ont chacun un domaine dans lequel ils dominent. Bien que les domestiques puissent être placés sous le même titre, nous remarquons dès le lever du rideau que Jean, bien qu’il dîne à la cuisine, attend de se faire servir par Kristin dont c’est la tâche. Strindberg, qui affectionnait le milieu paysan, dépeint finalement avec beaucoup plus de grâce le « couple Â» de Kristin et de Jean qu’il ne le fait pour la jeune aristocrate, présentée sous les traits d’une fille peu respectable et follement éprise. La richesse de cette peinture fait de Mademoiselle Julie la pièce de Strindberg la plus connue et la plus jouée, que ce soit dans la Suède natale de l’auteur ou dans le reste du monde. Je parle de « peinture Â» de caractères, car en plus d’exercer le métier de dramaturge, il était aussi peintre. Tel un dessinateur, Strindberg parvient en effet à faire ressortir avec une grande finesse les traits intérieurs de ses créatures, par une subtile adaptation des discours aux personnages.

Il s’agit donc de la rivalité des classes sociales, des âges et des sexes. Chacun est habité du désir d’occuper l’autre côté du mur qui borde le parc de la propriété. L’instabilité des personnages peut être mise en lien avec celle de l’existence de Strindberg, qui n’eut jamais dans sa vie un moment de calme. Marié à trois reprises, il aurait eu en réalité une attirance plus grande pour les hommes que pour les femmes, mais l’aurait toujours refoulée, vivant dans un malaise permanent — les mentalités de sa société n’acceptaient pas ce genre de sentiments.


Agathe Vandame

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