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janv.
22

Conan le cimmérien, un barbare venu du nord

« Sache, ô prince, qu’entre l’engloutissement par l’océan de l’Atlantide et des cités étincelantes et l’ascension des fils d’Aryas, il fut un âge de rêve où des royaumes resplendissants s’étalaient de par le monde comme des manteaux bleus sous les étoiles... » (1), ainsi commencent les aventures de Conan, le grand guerrier de Cimmeria tantôt soldat, brigand, aventurier, conquérant, issu de la plume de Robert Ervin Howard, un des ancêtres de l’heroic-fantasy moderne.

 

 

Conan est un héros solitaire qui affronte, au fil de ses épopées, des armées entières et des forces occultes. Il est l’archétype même du héros brutal, sans attache particulière, qui compte souvent sur ses poings à défaut de son épée pour résoudre de sombres desseins. Ce n’est pas pour autant un coeur vaillant, remplit de bienveillance, à la manière des chevaliers légendaires de la légende arthurienne, mais un homme peu civilisé, et peu perverti par la même occasion : un barbare venu de la lointaine Cimmeria, une terre nordique de l’univers fantastique de Howard. Ces aventures auraient lieu dans une période reculée, antérieure à notre ère, sorte d’uchronie où des cohortes de guerriers primitifs côtoient des sorciers malveillants et des créatures démoniaques. L’univers, bien qu’il soit cartographié en détail, n’est pas extrêmement développé et la plupart des descriptions concernant ces contrées ancestrales relèvent d’immensités désertiques, de jungles luxuriantes, ou encore d’étendues en proie au blizzard. Le destin de Conan est alors malmené par les tribulations dans cet univers immense et inquiétant, dans lequel seuls sa brutalité légendaire et son instinct barbare le sauvent d’intrigues tortueuses, dans un univers où sexe, violence, et cités étranges se mêlent à des formes de magie noire frôlant par moments les rites cosmiques. Il n’y a en effet ni dragon, ni nain, ni elfe, chez Howard mais seulement une certaine forme de magie noire empreinte de démonologie dans cet univers où la plupart des civilisations sont humaines, à l’inverse de certaines saga qui ont fait la gloire de l’heroic-fantasy dans la postérité de Conan. Un personnage simple et brutal aux prises avec le destin dans un univers sombre et adulte, voilà ce que pourrait être le canevas basique des aventures de Conan le barbare.

 

« Ses dieux à lui étaient simples et compréhensibles ; Crom en était le chef, et il vivait sur une haute montagne, d’où il envoyait la mort et la damnation. Il était inutile d’appeler Crom à son secours, car c’était un dieu sombre et sauvage qui détestait les faibles. Mais il donnait à chaque homme, à sa naissance, le courage, la volonté et le pouvoir de tuer ses ennemis, ce qui, pour un Cimmérien, était tout ce que l’on était en droit d’attendre d’un dieu. »

 

  

Cette oeuvre est une des premières d’un genre maintenant bien présent dans un grand nombre de maisons d’éditions, l’heroic-fantasy, sous-genre de la fantasy, dont il se distingue par la mise en scène d’un seul héros à la personnalité atypique, la plupart du temps un guerrier puissant auquel le lecteur s’attache particulièrement. Ce genre littéraire est souvent mis au ban de la « grande littérature », au même titre que la science-fiction dont il est un proche parent : le but n’est pas d’entrer dans un débat stérile sur l’existence ou non d’un genre plus proche qu’un autre des belles lettres, mais simplement d’affirmer l’existence de l’heroic-fantasy comme un genre littéraire à part entière ne devant pas être tristement confondu avec le fantastique par exemple. Qui ne trouverait pas étrange de voir dans le même tiroir littéraire une nouvelle d’Edgar Allan Poe comme « Le chat noir » et les aventures de Bilbo le Hobbit de Tolkien ? Bien que la fantasy soit d’une manière ou d’une autre proche du registre fantastique, elle s’en distingue par son cadre imaginaire total ne reposant pas du tout sur un cadre réel à l’origine, où le lecteur comme le personnage se mettent à douter de ce réel, de plus ce genre n'est pas intimement lié avec l'atmosphère nécessairement inquiétante du genre fantastique. De cette façon, la fantasy telle qu'elle est conçue par les  assemblées d'auteurs américains comme la SFWA (Science-fiction and Fantasy Writers of America) peut être perçue comme un genre empreint tantôt du merveilleux que du fantastique "traditionnel". L’univers des oeuvres d’heroic-fantasy est généralement un univers parallèle, temporellement lointain de notre époque moderne : de la même façon que la science-fiction met en scène des croiseurs intergalactiques dans des conflits d’ampleur planétaire, la fantasy est généralement située dans un cadre plus proche de l’époque médiévale ou antique, certaines civilisation de l’univers de Conan rappelant même l’ère mésopotamienne. On entend fréquemment parler de « sword and sorcery » pour désigner un cas comme celui de Conan, ou de Elric de Moorcock : généralement cela désigne les aventures d’un héros belliqueux, musclé, violent, aux prises avec le surnaturel qui ne tient pas de la magie bienfaisante. Les récits de Conan, publiés originellement dans la revue « pulp » Weird Tales, collectif de récits de fantastique et de fantasy, forment ainsi un pilier d’un genre imaginaire à part entière.

Une autre caractéristique récurrente dans les ouvrages d’heroic-fantasy est le découpage en livres appartenant à une longue saga, voire même de plusieurs sagas et récits intégrés à un seul et même univers imaginaire dans le cas de Tolkien. Conan ne déroge pas à cette règle, même si la suite de livres mettant en scène notre barbare favori (Conan, Conan le cimmérien, Conan le flibustier, Conan le vagabond, Conan l’aventurier...) ne suit pas le cours d’une intrigue de fond. Howard était en effet un auteur de nouvelles, et à la manière de Lovecraft dont il était proche, ses récits sont une suite de courtes histoires : elles n’ont, dans l’histoire du cimmérien, pour seul point commun le rôle principal du personnage de Conan, et une cohérence dans les régions de l’univers parcourues. Cette structuration inspirée du genre de la longue nouvelle renforce un point important chez Conan, celui de faire partie d’une suite d’événements qu’il n’a pas réellement désiré : chaque histoire est en effet un épisode à part entière, très détaché des autres, créant ainsi une sorte de « légende » autour du barbare. C’est cet aspect si caractéristique de n’avoir qu’un seul personnage aux prises d’un univers imaginaire qui fait de Howard un père fondateur de l’heroic-fantasy, genre qui ne sera que quelques décennies plus tard étoffé du génie de Tolkien où une bande d’aventuriers toute entière est confrontée à une intrigue plus manichéenne de lutte du bien contre le mal, là où Conan ne cherche que son intérêt personnel !

A plusieurs reprises, la légende du cimmérien a été adaptée sur d'autres supports que les recueils de Howard complétés et publiés par Sprague de Camp, notamment par le succès de la première adaptation cinématographique (Conan le Barbare, réalisé par John Milius en 1982) qui a lancé la carrière d'Arnold Schwarzenegger. La seconde adaptation, plus récente, laisse plus à désirer et n'est pas réellement à la hauteur des récits originels, en étant bien trop basée sur des standards hollywoodiens modernes vus et revus jusqu'à l'indigestion (qui ne s'arrange pas avec l'apparition de la 3D)… En revanche, la plupart des comics américains reprenant les aventures de Conan depuis les années 1970, ainsi que l'excellente série de bande dessinée en cours Conan Anthologie, sont de bonne facture et fournissent un imaginaire pictural supplémentaire pour tous les fans du barbare, notamment grâce à la qualité du dessin de John Buscema. Les supports sont ainsi très variés et permettent d'entrevoir différentes visions de l'oeuvre fondatrice de Robert Howard, qui reste une clef de voûte de la fantasy depuis presque un siècle.

Ainsi Howard, en créant un univers totalement imaginaire théâtre d’un barbare solitaire, est réellement un des pères d’un genre littéraire aussi riche qu’inventif. La simplicité du personnage et des nombreux récits de Conan, à défaut du tissage d’une intrigue longue et magistrale, laisse place à un grand plaisir de lecture louant les bienfaits d’une imagination débordante.

 

Quentin Gomel

L1 Humanités

 

(1) : Howard (R. E.), Conan, J’ai lu, 1985. 

(2) : Illustrations de Frank Frazetta.

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