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Kubrick à nu

robin.lewis - Posted on 07 janvier 2013

 Lorsqu’ on revient sur ce film, œuvre d’un génie du 7e art est assurément l’un des plus grands cinéastes de son siècle, qui dépeint les horreurs physiques, psychologiques de la grande « guerre sale » des Etats-Unis.

 

Full Metal Jacket (Balle chemisée métal) est d’autant plus intéressant qu’il fut réalisé par l’américain Stanley Kubrick (1928-1999), un des plus grands cinéastes du XXe siècle, à qui l’on doit notamment des chefs d’œuvres références tels qu’Orange Mécanique ou Barry Lyndon. Ce film est celui inspiré du roman de Gustav Hashford : The Short Timers, auteur dont Kubrick est devenu un admirateur dès 1982. Les principaux acteurs convoqué par le réalisateurs sont : Matthew Modine, qui joue l’engagé « Guignol » (que l’on retrouve également dans Birdy, Batman The Dark Knight Rise), Vincent d’Onofrio, dans le rôle de Leonard Lawrence dit « Baleine » (Men In Black et New York : Section Criminelle) et enfin Ronald Lee Erney, qui incarne le sévère sergent d’instruction Hartman. Le film dure près de deux heures (1h 52min) ce qui a pour conséquence de nous captiver dans son rythme tantôt rapide tantôt trépidant propre à Kubrick.

Ce n’est pas le premier film ayant comme arrière-plan la guerre du Vietnam, bien au contraire, c’est un des derniers faisant suite aux Voyage au bout de l’enfer (avec R. De Niro), Appocalypse Now (de Coppola) ou encore Platoon. Pourtant Kubrick a su prendre le contre-pied sur son temps avec Full Metal Jacket.

Le film s’ouvre sur une scène de tonte à la fin des années 1960, aux USA, mettant en scène de jeunes soldats qui partent en formation au camp de Parris Island, dans l’état de Caroline du Sud. L’histoire se focalise rapidement sur l’un de ses soldats : le jeune J. T Davis, surnommé Guignol par son sergent instructeur. On suit d’abord son parcours dans le camp d’entrainement militaire du corps des Marines durant lequel le groupe auquel il appartient est pris en main par le brutal sergent Hartman (Robert Lee Erney). Ce dernier utilise l’intimidation et l’injure afin de former les nouvelles recrues, il prend à partie le soldat Lawrence (V. D’Onofrio) qu’il surnomme Baleine à cause de son surpoids et de sa gaucherie. En effet, la recrue est lente, peine aux exercices et semble posséder une capacité intellectuelle limitée (il lui arrive de confondre sa droite et sa gauche, de se voir être incapable de faire ses lacets ou de faire son propre lit seul). Le sergent finit par confier l’engagé Baleine à Guignol qui va tenter de l’aider mais sans résultat Baleine devient la tête de turc de son unité, faisant punir les siens par son inaptitude à s’intégrer et finissant par être victime de la vengeance de la part de ses pairs. Suite à cela, la correction qui est infligée à Baleine semble lui être bénéfique ; en effet, il devient une recrue modèle, disciplinée et ainsi réussi à avoir son diplôme et une affectation. Cependant, c’est durant la dernière nuit du groupe de Guignol au camp de Parris Island que tout bascule. Lawrence est pris d’un accès de folie qui le pousse à assassiner son officier instructeur avant de retourner son arme contre lui-même, le tout sous les yeux ébahis de Guignol, impuissant. Ainsi ce moment dans le camp d’entrainement des Marines représente la première partie du film et annonce une montée en puissance des événements et du message véhiculé.

 

Dans la seconde partie du film, Guignol, est plongé au cœur de la guerre du Vietnam (1962-1975) à Hué durant l’offensive du Têt, en 1968. Sur place Guignol demande à être muté au service de journalisme de guerre au journal « Star and Stripes », il n’est donc pas en contact direct avec les combats qui font rage au Nord du pays. Mais un jour durant une réunion avec son rédacteur en chef et supérieur hiérarchique, il entre en conflit avec ce dernier à propos du manque de véracité des faits rapportés par le journal dont la rédaction se contente de maquiller la vérité à au profit de la propagande (massacres, lourdes pertes, destructions massives). En conséquence, Guignol est envoyé faire un reportage sur le front. Il y retrouve un de ses camarades de camp d’entrainement surnommé Cowboy aux côtés duquel il va être plongé au cœur des hostilités.  Au cours d’une mission de reconnaissance son unité est prise à partie par un tireur d’élite qui tue plusieurs de ses compagnons d’arme, Guignol se retrouve alors confronté à ses limites morales et psychologiques à la vue de la barbarie avec laquelle ses amis se font achever sous ses yeux sans qu’il puisse réagir. Au bout d’un quart d’heure le sniper est finalement mis à terre, mourant, c’est Guignol qui l’achèvera d’une balle dans la tête. Le film se termine de nuit sur des soldats américains en mouvement chantant une chanson enfantine (sur Mickey Mouse) avant de reprendre les combats - près de la rivière des parfums dixit Guignol –ce dernier apparait comme transformé en s’éloignant dans l’ombre vers l’aube vers son avenir pour le moins incertain.

La guerre du Vietnam fut le second grand conflit de la guerre froide après la guerre de Corée (1950-1953) et fut une guerre particulièrement violente tant sur le plan physique que sur l’aspect psychologique. Les USA y ont envoyés à peu près 500.000 « boys » entre le début de l’intervention sous J. Kennedy au début des années soixante et la fin du conflit opérée par le président républicain R. Nixon à l’aube des années 1970. Cette guerre fut violente de par ses pertes mais aussi de par les moyens utilisés, par les USA et par le Viêt-Cong, tels que les armes de destruction massive, chimiques ou meme la guérilla dans la forêt vierge de l’Asie du Sud-Est. C’est aussi la première défaite des USA depuis 1945 et qui plus est contre le communisme, contre le petit Vietnam (soutenu par la Chine Populaire). La seconde raison qui justifie ce choc psychologique qui accompagne le choc physique c’est l’influence de cette guerre sur la population qui vit aussi mal cette « guerre sale ». Ce malaise populaire amène les événements de l’année 1968 qui révèle la blessure interne de la superpuissance américaine jusqu’alors invincible.

 

L’œuvre de Kubrick porte donc sur ce sujet – qui me tient à cœur - qui a été très sensible aux Etats-Unis, qui a concerné voir opposé plusieurs générations pendant des décennies. En effet, la guerre a duré 12 ans, a fait plusieurs centaines de milliers de morts dans les deux camps dont 60. 000 tués rien que pour les USA, et qui a été un choc psychologique sans égal dans la société américaine puis mondiale et plus précisément sur la jeunesse,  dès le milieu des années 1960.

Dès le début du film le spectateur est plongé dans une atmosphère de détente avec l’arrivée des recrues à leur camp de formation pourtant c’est bien dans un univers militaire dans lequel on est confronté. La rudesse de l’entrainement peut évoquer celle des combats de par le conditionnement et la sollicitation physique auxquels sont exposés les futurs soldats. En effet, ils ne le sont pas encore purement soldats de l’armée américaine, ils doivent pour cela obtenir un diplôme validant leurs aptitudes physiques et psychologiques ce qui pourrait être mis en parallèle avec la victoire finale d’une longue bataille contre soi meme.

A cette époque les USA sont en guerre perpétuelle contre l’ennemi communiste représenté par l’URSS, ou ici la république du Nord Vietnam rattaché au bloc de l’Est. D’une certaine manière on peut affirmer que la mise en scène du réalisateur vise à mettre en relief la manipulation du gouvernement US de ces populations face à cet ennemi soviétique à travers le formatage des marines à Parris Island. Il nous vient tout de suite à l’idée d’une dénonciation de l’impérialisme des Etats Unis qui combattait ces ennemis avec une intensité proportionnelle à la peur qu’il avait de ses ennemis.

On parle de conditionnement car les recrues sont formatées pour devenir des soldats d’élite, ils vivent, courent, mangent, dorment et vont aux toilettes ensembles. Tout cela est la marque du commencement de déshumanisation de ces futurs soldats, certains n’ont plus de prénoms du fait du surnom, souvent rabaissant voir raciste, qui leur est attribué par Hartman. Il y a vraiment une impression de robotisation du jeune américain qui est obligé de commencer et de finir toutes ses allocution à son supérieur par « chef » ce qui contribue à obliger le soldat à s’exprimer de façon primitive, la recrue perd d’une certaine manière la faculté de langage qu’il avait jusqu’à maintenant. C’est durant les entrainements quotidiens que l’aspect machinal de la formation apparait le plus clairement, les recrues sont toujours en groupe et sont rapidement assimilées à leur arme – un fusil de type M14 - qu’ils gardent, par la suite, presque constamment avec eux pendant la journée tant que pendant la nuit. L’homme vie donc avec son outil de mort afin qu’il s’imprègne de sa froideur, de sa rigidité, de sa fiabilité, de sa robustesse, de sa solidité (le M14 est fait de bois et de métal).

 

L’homme, ici, devient une arme, il est assimilé à son arme, il se déshumanise voir il se robotise. Cette métamorphose atteint son paroxysme lors de la dernière nuit des nouveaux soldats sur la base de Parris Island lorsque l’engagé Baleine, atteint de folie due au traumatisme de l’entrainement, tire sur son sergent instructeur avant de retourner son arme contre lui afin de mettre fin à ses jours. Cette scène particulièrement noire, voir glauque, qui se passe de nuit à la lumière de la lune dans les WC de la caserne accompagnée d’une musique des plus inquiétante propre aux films de Kubrick.

A partir de la 60e minute quand Guignol devient un soldat dans l’armée de terre US et est envoyé à la base de Hué, une ville principale d’Annam au centre du Vietnam actuel, en tant que journaliste de guerre. Dans un premier temps cette partie fait office d’opposition avec la violence de la formation militaire. En effet, on voit d’abord Guignol prendre du bon temps en ville puis sur la base elle-même, il rédige des articles et ne connais pas encore bien le front, il ne fait qu’en parler dans son journal de guerre et manier des chiffres. C’est justement ces chiffres qui causeront sa mutation du fait que sa propre morale a peu à peu repris le contrôle de son esprit à la place de son formatage militaire, on le voit à l’écran lorsqu’il conteste les ordres de son supérieur sur la question de la publication du chiffre des pertes de la semaine, Guignol veut dire la vérité aux soldats lecteurs tandis que son rédacteur en chef veut maquiller ces chiffres « pour préserver le moral des troupes » au détriment de la vérité. Plus tard Guignol réitérera son acte d’insubordination, cette fois sur le front, quand un colonel le réprimande concernant son insigne de paix, peace and love, sur son torse et la fameuse inscription belliciste sur son casque : « Born to kill » (ce qui veut dire : « né pour tuer »).

 

C’est tout naturellement qu’il répondra naturellement que c’est pour illustrer la dualité de l’homme à propos de la guerre et sa volonté de paix et de la cessation des hostilités au Vietnam justement qui a beaucoup la jeunesse de cette époque. Ainsi on peut dire que contrairement à Baleine, l’entraiment militaire a été bénéfique à Guignol car il fait preuve d’humanité après avoir subi une robotisation forcée. On peut dire qu’il représente l’insouciance de la jeunesse de l’époque, il s’est d’ailleurs laissé repousser les cheveux.

Suite à ce sursaut de Guignol sur la base de Hué, se passe une rechute de ce dernier au contact de la froideur de la guerre, qui se confronte à l’affreuse vérité de la guerre à partir de la 72e min. ce changement de climat est perceptible rapidement à partir de la 80e min qui se matérialise par un premier contact avec la mort de soldats américains. La scène est assez spéciale de par sa mise en scène originale : les soldats, dont Cowboy et Guignol, sont en cercle autour de leur camarades décédés et la caméra les pointe uns par un en vue contre-plongée, ce qui a pour effet de révéler les émotions sur les visages des survivants. A nouveau on est témoin de la déshumanisation de la guerre. Les soldats US ont le moral et les nerfs qui flanches à cause la mort toujours présente et des du manque de raison valable de faire la guerre. C’est ce que Kubrick veut illustrer ici : l’Amérique a beau fabriquer des armes toujours plus dévastatrice – je pense notamment au napalm - elle ne peut pas gagner contre un peuple qui a la conviction de se battre pour sa liberté. C’est la raison pour laquelle la guerre devient vite impopulaire. Les soldats se moquent de leurs dirigeants et des raisons qui les a poussés à faire cette guerre qui leur apparait comme une cause perdue et « inutile ».

 

Bien que Full Metal Jacket revienne sur un sujet récurrent à son époque, S. Kubrick a réussi à me surprendre en adoptant une approche différente de la guerre du Vietnam et des conséquences sur les troupes. En effet, dans la première partie de son œuvre le réalisateur a choisi de dépeindre une vision globale de l’entrainement de l’armée américaine ; je trouve ce choix particulièrement judicieux du fait qu’ainsi on arrive à se glisser dans l’ambiance du film et pouvoir ainsi être plus réceptif au(x) message(s) du réalisateurs. En outre, Kubrick a privilégié ici la dénonciation, par sa mise en relief, de violence psychologique. En effet, si la scène dans laquelle le sergent instructeur Hartman crie sur ses recrues peut paraitre comique et divertissante, elle témoigne néanmoins du conditionnement brutal et humiliant des Marines à l’époque avant d’être lâchés sur le front en Asie. De meme la dernière scène du film où l’on voit Guignol et ses compagnons d’armes chanter une chanson pour enfant n’a rien d’enfantin ou de comique, cette scène marque justement l’abrutissement des soldats à la guerre et leur désir de retrouver un monde insouciant. Guignol le souligne alors en disant en voix off que dans ce monde « merdique » son seul but était de survivre avant de rentrer chez lui.

 

 

 Full Metal Jacket, Stanley Kubrick, 1985, 112 min.

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