Crime et chatiment de Dostoïevski

juin
8

        Avoir Crime et Châtiment posé sur sa table de chevet, c’est classe, mais s’y attaquer, c’est une autre histoire. Avec plus de mille pages, le roman fait peur, et pourtant, c’est l’une des plus belles oeuvres de la littérature russe, si ce n’est mondiale. Même si l’on considère ce roman comme un classique, il reste peu lu et étudié, et ceci peut s’expliquer par la traduction laborieuse qui en était faite. Mais depuis quelques années, plus d’excuse, André Markowicz a retraduit avec génie les œuvres de Dostoïevski.
        S’il fallait faire un résumé du livre, celui-ci serait pourtant assez court, Dostoïevski se concentrant principalement sur la psychologie du personnage central. Le héros est un jeune homme, Raskolnikov, qui a dû arrêter ses études par manque d’argent. La situation financière de sa famille est si catastrophique que ses parents sont contraints de marier sa sœur à un homme riche, diablement mauvais. Pour remédier à ces problèmes, Raskolnikov décide de tuer une vieille usurière. Il avait longuement prémédité son acte, et lui avait trouvé une explication : comme tous les grands hommes que l’Histoire a comptés, il lui faut être capable de surmonter des sacrifices et des actes pour le moins immoraux pour réussir à accomplir ses projets. Il est persuadé qu’il ne sera pas accablé par la culpabilité car il fait partie de ces rares surhommes. En effet, Raskolnikov garde une haute estime de lui-même, se comparant souvent à Napoléon Bonaparte. Mais rien ne se passe comme prévu : comme décidé, il tue la vieille, mais fait mourir également sa propre sœur. Pire, ses convictions sur lui-même sont ébranlées. Contrairement à ce qu’il avait pensé, il ne supporte pas son geste. C’est l’évolution d’un homme malade que l’on suit, un homme qui découvre avec douleur qu’il n’est nullement un surhomme, mais qu’il appartient au commun des mortels. La paranoïa et la culpabilité s’emparent de lui, il n’est plus en état de faire confiance à personne, devient encore plus taciturne : ses journées se passent sans qu’il arrive à détacher ses pensées de son meurtre, sans qu’il arrive à tourner la page...
        L’intrusion au cœur d’un cerveau malade nous montre à quel point le châtiment n’est pas la condamnation comme on l’aurait cru de prime abord, mais qu’elle est en nous, et qu’il s’agit de la conscience. Le remords et l’obsession constituent son véritable châtiment.
La transcription du remords et de l’obsession sont les pièces maîtresses qui font que ce roman est au vrai sens du terme fascinant, hypnotique, et que l’on peut  facilement passer des journées entières à le lire sans sortir.
        Le principal intérêt de Crime et Châtiment est l’impressionnante minutie de la description de l’état psychologique de Raskolnikov, qui tient du génie. Dostoïevski arrive avec une précision extrême à nous faire comprendre comment le jeune homme raisonne, jusqu’à nous faire nous sentir proches du personnage, et nous montre à quel point la barrière entre la raison et la démence est mince. L’évolution est fulgurante. Tout d’abord fier de lui, Raskolnikov est en fait détruit par son acte et n’est plus que l’ombre de lui-même. Le chemin de la rédemption est long.
        Au cours de ses pérégrinations dans Saint-Pétersbourg, Raskolnikov fait de nombreuses rencontres, qui permettent à Dostoïevski de décrire également une ville aux multiples facettes, rongée par la progression du capitalisme en Russie.
        Finalement, le meurtre de la vieille usurière amènera Raskolnikov à vagabonder dans des endroits qu’il n’aurait jamais pu apprécier auparavant, des milieux populaires et populeux, au sein desquels il se reconstruira, et où il trouvera l’amour et un nouveau sens à sa vie, que je vous laisse découvrir par vous-mêmes.


• Crime et Châtiment, Volume 1, traduit par André Markowicz, Arles, 1996, Ed. Actes Sud, Collection Babel
• Crime et Châtiment, Volume 2, traduit par André Markowicz, Arles, 1996, Ed. Actes Sud, Collection Babel
 


Pierre Gomel