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WEST SIDE STORY, THEATRE DU CHATELET, DU 26 OCTOBRE 2012 AU 1ER JANVIER 2013

 

 

Voilà, la représentation de West Side Story est terminée. Après un tonnerre d’applaudissements et les salutations des danseurs, les lourds rideaux rouges du théâtre du châtelet se ferment et les lumières se rallument. Sur les lèvres, un sourire irrépressible déjà. Dans les murmures, les pépiements de la salle, on sent une indicible joie, comme si l’extraordinaire dynamisme du spectacle avait été transmis au public, qui ne peut que fredonner ses airs familiers.

D’où vient cet enthousiasme ? Cette interprétation de West Side Story n’est pas vraiment nouvelle, puisqu’elle suit fidèlement l’œuvre originale de Leonard Bernstein pour la musique, Jerome Robins pour la chorégraphie, Arthur Laurents pour le livret et Stephen Sondheim pour les paroles, créée en 1957. On se croirait presque revenu dans le film de Robert Wise, classique des classiques, que tout le monde a en mémoire en allant voir cette représentation. Ainsi, les décors de Paul Gallis, simples et ingénieux, constitués de photos de New York dans les années 1950 et de structures métalliques évoquant les escaliers de secours des immeubles de la métropole, rappellent l’ambiance de rue caractéristique du film. Le spectateur n’est donc pas dépaysé, pas surpris par cette mise en scène, fidèle à celle qu’il connaît bien.
 
Mais voilà, on ne se croirait que presque revenu dans le film. Oui, il s’agit des mêmes musiques, de la même histoire, des mêmes chorégraphies. Et pourtant West Side Story n’a jamais résonné de la sorte. Les musiques ne nous ont jamais autant subjugués, les textes jamais autant interpellés. Sur scène, la beauté des danses, en particulier des ballets collectifs captive en même temps qu’elle fait peur, beauté puissante et sauvage, emplis d’une véritable violence, d’une énergie brutale. Les chansons résonnent dans la salle, hilarantes parfois mais toujours emplies d’une profonde gravité. Voilà, dans West Side Story, tout est énergie, et le public est transporté, confronté violemment au texte. Un texte témoignant d’une réalité universelle, porteur d’une vérité humaine. 
 
Car West Side Story transpose la tragédie Roméo et Juliette, écrite par Shakespeare à la fin du XVIe siècle, au monde conflictuel des bandes de l’Upper West Side du New-York des années 1950. Et soixante ans plus tard, on est véritablement sidéré par l’actualité de cette histoire. Le magnifique pari de Joey McKneely (metteur en scène et chorégraphe) et de Donald Chan (directeur musical et chef d’orchestre) est donc de confronter le public à ces réalités. Ils y réussissent et tous les angles de la pièce sont porteurs d'une intensité jusqu’alors jamais perçue dans ce spectacle, qui forme un ensemble à la fois beau et glaçant, violent portrait de la condition humaine. Ainsi, ce qui était émoussé dans le film retrouve ici toute sa violence. Il est question de sexe, de viol, de mort, de racisme. Les paroles envers les Portoricains sont dures et méprisantes, de la part de la bande adverse comme des autorités, ce qui n’était pas aussi présent dans la version cinématographique.
 
En particulier, l’inversion de l’ordre de deux chansons des Jets, « Keep Cool » et « Gee Officer Krupke », accentue la dureté du propos. En effet, tandis que la première, qui exprime la violence contenue de la bande, est placée dans cette nouvelle version avant la bataille, et présage donc le drame imminent, la seconde, dont les paroles et la chorégraphie sont comiques, intervient après la mort de Riff, prenant à contre-pied les émotions du spectateur. Un peu comme si les Jets n’étaient pas affectés par la disparition de leur chef. Comment ne pas être horrifié par l’inconscience de ces jeunes ? De cette mort ne naît aucune tristesse, mais au contraire, la chanson « Gee Officer Krupke », se moque de tous ceux qui prétendent les comprendre et les remettre dans le droit chemin. En tant que spectateur, on s’attend à ce que ces deux morts soldent la tragédie, victimes de la rivalité de bandes. Et au contraire, la brutalité reprend son cours, avec le viol collectif d’Anita, la Portoricaine, dans une chorégraphie très suggestive. Pourtant Tony fait exception. Car, comme l’affirme Joey McKneely, « cette histoire est un miroir de notre société, mais son message est plein d’espoir : il faut croire à l’amour, coûte que coûte ! ». Ainsi, seuls les personnages amoureux dérogent à l’esprit haineux des bandes. Tony et Maria, qui croient jusqu’au bout à leur bonheur malgré les morts et Anita, qui les aide en l’honneur de l’amour.
 
Si West Side Story est encore actuel et n’a pas vieilli, c’est en partie dû à la puissance de sa trame dramatique mais aussi à sa musique, qui, cinquante ans après, fascine toujours autant. La partition, aux accents de jazz mais aussi classiques ou latinos emporte le spectateur, et cela d’autant que l’orchestre, composé de 24 musiciens, effectif rare de nos jours, permet de déployer toute la force de la partition.
 
Mais ce sont aussi les comédiens qui donnent une nouvelle incarnation à West Side Story. L’ensemble de la distribution transmet fougue, spontanéité, fraîcheur, le tout avec une énergie et un dynamisme extraordinaire. Bien que Liam Robin (Tony) et Elena Sancho Pereg (Maria) ne soient pas les meilleurs danseurs ils sont sans aucun doute des chanteurs lyriques et des comédiens hors pair. Tony est incarné dans toute son ambiguïté : à la fois doux, amoureux, plein d’espoir – et par cela, extérieur aux Jets – et en même temps vrai membre de la bande, par sa violence sous-jacente. Maria est plus fade que les autres personnages, mais cela tient à son rôle de toute jeune fille, d’apparence fragile mais dont l’amour révèle la force. L’actrice la plus impressionnante est sans doute Yanita Marin, incarnant Anita, fougueuse, volcanique, passionnée et  très drôle aussi.
 
Cette représentation de West Side Story est un succès complet. A ne pas rater !
 
Emilie Oudet, L1 Humanités