L’engagement de la responsabilité de l’État après un féminicide : la position du droit français et du droit italien à la lumière de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme

 

Le 8 avril 2020, la chambre civile de la Cour de Cassation italienne a rendu une décision innovante et d’importance primordiale concernant la possibilité de condamner les autorités publiques pour leur inertie fautive à la suite d’un féminicide et déterminant donc une obligation de réparation des dommages qui pèse sur l’État.

Il convient de préciser d’emblée que depuis plusieurs années le débat portant sur la création d’une nouvelle infraction pénale de féminicide oppose la doctrine française aussi bien que celle italienne. À l’heure actuelle, la plupart des juristes admet qu’au nom du principe constitutionnel d’égalité, cette hypothèse n’est pas envisageable et la réponse juridique adoptée par les deux Etats est identique, c’est-à-dire de considérer comme circonstance aggravante l’homicide commis à l’égard de son partenaire.

Toutefois, le terme féminicide est désormais reconnu officiellement d’un point de vue lexical et culturel ainsi que démontré par les médias et par l’usage courant très répandu. En outre, mêmes les institutions y font référence régulièrement1.

Ici, le mot féminicide sera utilisé pour indiquer le phénomène du meurtre d’une femme commis par un homme qui n’a pas réussi à la soumettre physiquement ou psychologiquement[2]  puisque la victime est considérée comme une possession et non pas comme un individu libre.

Il est en effet indispensable de se référer à ce problème spécifique traitant le sujet de l’engagement de la responsabilité étatique face aux victimes de violences domestiques tuées ou gravement blessées par le partenaire: premièrement pour la  gravité et l’ampleur de ce thème, car en France comme en Italie les statistiques indiquent qu’en moyenne tous les trois jours une femme est tuée par son compagnon ou ex partenaire[3] et deuxièmement puisqu’environ 90% des victimes de violences domestiques est composé par des femmes[4], mais des hommes peuvent l’être aussi et si c’est le cas, ils bénéficient du même statut de protection juridique.

 Il sera nécessaire de se focaliser sur la récente jurisprudence condamnant l’Etat pour comprendre les évolutions du droit concernant le sujet des féminicides. Mais la condamnation de l’État peut-elle être suffisante à la réparation des préjudices subis par les victimes ?

 Pour y répondre, après avoir identifié le statut juridique interne italien et français et avoir approfondi les décisions récemment adoptées dans les deux Pays (I) il sera nécessaire d’examiner le régime de la responsabilité de l’Etat dans le cas de dysfonctionnement du service de la justice et faire lumière sur les lacunes respectives qui demeurent en matière de protection des victimes de violences conjugales (II).

I. L’évolution du cadre normatif interne 

Tout d’abord il s’agit de déterminer quelles sont les normes appliquées en droit italien comme en droit français renforçant la lutte contre les violences au sein du couple (A) et ensuite il est nécessaire d’analyser la jurisprudence portant sur l’engagement de la responsabilité étatique dans les affaires de violences conjugales dont en particulier les féminicides (B).    

                      A. Une protection accrue des victimes des violences conjugales

Ainsi que prouvé par les statistiques, les restrictions causées par l’épidémie de COVID-19 ont eu un fort impact sur les violences conjugales[5]: en Italie comme en France, les chiffres enregistrés pendant la période du confinement démontrent qu’effectivement les violences domestiques ont augmenté d’environ un tiers[6].

 En France, les violences conjugales sont définies comme les « violences commises au sein des couples mariés, pacsés ou en union libre ». La loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes des violences conjugales est le fruit du rapport du GREVIO de 2019[7] qui avait donné lieu au Grenelle des violences domestiques de la même année[8].  Par rapport à la précédente loi de 2019, qui avait élargi le domaine d’application de l’ordonnance de protection et du port du bracelet anti-rapprochement afin de renforcer la sauvegarde des victimes, les nouveautés de cette législation consistent à durcir les peines prévues en cas d’harcèlement moral au sein du couple et des crimes ayant des mineurs pour victimes.[9]La  loi de 2020 réserve également la jouissance de certains droits, tel que l’exercice de l’autorité parentale, au conjoint qui n’est pas l’auteur des violences, indépendamment de sa situation économique. En outre, elle interdit le recours à la médiation pour les infractions relevant de l’article 132-80 du code pénal, caractérisant comme circonstance aggravante le fait de commettre un crime ou un délit à l’égard de son actuel ou ex-partenaire au motif de la relation existante ou ayant existé entre l’auteur et la victime. Les articles 12 et 15 de cette loi concernent l’obligation pour les professionnels de santé de lever le secret professionnel si la victime se trouve en danger de vie, en signalant les faits au procureur de la République et la possibilité, pour les officiers de police, de saisir les armes détenues par la personne suspectée.

En Italie, de même, les mesures visant à supprimer la violence domestique s’inscrivent souvent dans le cadre juridique relatif aux violences de genre, c’est-à-dire le phénomène des violences physiques et psychologiques et des discriminations fondées sur le sexe. D’ailleurs, très fréquemment, les solutions envisagées coïncident pour les deux problèmes : c’est le cas des réformes apportées par la loi n° 119 du 2013 modifiant le décret-loi italien n° 93 du 2013 et par la loi n°69 du 2019.

 Dans un premier temps, il faut souligner que le décret-loi de 2013, ensuite converti en loi, reconnait expressément l’exigence d’intervenir rapidement pour réprimer les graves épisodes de violence à l’égard des femmes dans le Pays. Pour cette raison, la loi de 2013 a été surnommée « Loi sur le féminicide[10] », cela impliquant aussi une reconnaissance implicite de ce terme même dans un contexte juridique et institutionnel. Le texte a prévu un durcissement des peines relatives aux abus au sein de la famille dans tous les cas où la victime est mineure et si une violence sexuelle est commise à l’égard d’une femme enceinte. En outre, l’interpellation de l’auteur a été introduite pour toutes les hypothèses de violences conjugales et intrafamiliales qui caractérisent un délit ou crime flagrant et la protection prévue par la loi a été étendue à toutes les victimes d’un partenaire violent, peu important le statut juridique de la relation (mariés, divorcés, séparés ou conjoints). Quant à la deuxième disposition législative, l’ainsi nommée « Codice rosso », réformant le code pénal et le code de procédure pénale, la principale nouveauté consiste à introduire de nouvelles infractions pénales telles que le délit de « revenge porn », déjà introduit dans le code pénal français en 2016[11], le délit de défiguration parmi les lésions permanentes au visage, le délit de mariage forcé et celui de violation des mesures d’éloignement de la maison familiale. Enfin, la circonstance aggravante est caractérisée si des relations personnelles existent entre le meurtrier et sa victime.

 

B. L’engagement de la responsabilité étatique sur le socle des décisions de la Cour européenne des droits de l’Homme 

En prémisse, il convient de remarquer qu’il est très rare que l’Etat soit condamné pour dysfonctionnement de la justice. Dans cette perspective, les jurisprudences de condamnation assument une valeur symbolique. C’est le cas de la décision phare citée en guise d’introduction, rendue par la Cour de Cassation italienne en avril 2020, désignée comme « affaire Manduca » du nom de la femme victime de féminicide, tuée par son mari après avoir porté plainte contre lui douze fois. 

À propos de cette décision il est d’autre part incontournable de mentionner qu’à partir de 2007 et jusqu’à l’époque actuelle, les décisions de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) ont joué un rôle essentiel permettant de déterminer la responsabilité étatique dans les cas de violences domestiques débouchant, dans la plupart des cas examinés, en féminicide.

En effet, la CEDH a reconnu la responsabilité de l’État dans tous les cas où a été établi son manquement à l’obligation d’assurer une protection effective des droits fondamentaux inscrits dans la Convention dont le droit à la vie (art 2), l’interdiction des traitements inhumains ou dégradants (art 3), le droit au respect de la vie privée et familiale (art 8) et l’interdiction de discrimination dont celle à raison du sexe (art 14). L’État a donc été condamné à la réparation des dommages-intérêts dans toutes les affaires où les juges internationaux ont établi que la violation de ces droits fondamentaux était imputable aux autorités étatiques au motif des « mesures inadéquates » adoptées par ces dernières afin de protéger les victimes de violences conjugales.

La première décision dans cette direction a été en 2007 « Kontròva c. Slovaquie » où la Cour a reconnu un manquement des autorités d’enquête slovaques à la protection du droit à la vie, sur le fondement de l’article 2 de la Convention, à l’égard de deux enfants de la requérante, tués par le père violent. De la même façon, dans l’arrêt « Opuz c.Turquie » de 2009 les juges de la CEDH ont condamné l’État turc pour avoir failli à son obligation positive d’assurer une jouissance effective des articles 2 et 3 de la Convention du fait que les autorités n’avaient pas respecté leur devoir “de prévenir et réprimer les atteintes contre les personnes’’. En outre, les juges ont établi explicitement que les violences perpétrées par l’époux de la requérante contre celle-ci et sa mère, terminées avec la mort de cette dernière, étaient fondées sur le sexe des victimes, constituant donc une violation à l’interdiction de discrimination (article 14 de la Convention). Les juges ont également reconnu que “la violence domestique affecte principalement les femmes et que la passivité généralisée et discriminatoire dont les autorités turques font preuve à cet égard crée un climat propice à cette violence’’. Concernant la jurisprudence condamnant l’Italie il est important de citer la décision « Talpis c.Italie » de 2017. Dans cette affaire, la Cour a confirmé sa précédente jurisprudence en déterminant la responsabilité des autorités italiennes au motif de leur inertie fautive. En effet, en dépit des plaintes portées par la requérante contre le mari violent et du rapport médical qui prouvait la conduite illicite de ce-dernier, le ministère public avait pris une décision de classement sans suite. L’homme avait ensuite commis une tentative de meurtre à l’égard de sa femme et avait tué leur fils. Vu l’imprévisibilité de toute conduite humaine, dans cette affaire la CEDH a en outre circonscrit la portée de l’obligation positive des autorités étatiques de prévenir efficacement toute atteinte aux droits fondamentaux : la puissance publique doit obligatoirement intervenir si la vie d’un individu subit une menace grave et immédiate. La responsabilité de l’État pourra être engagée si aucune action est mise en place pour empêcher que soit portée atteinte à l’un de ces droits.

 La jurisprudence de la CEDH a exercé son influence sur le droit français et italien, ayant le rôle de propulseur pour les réformes portant sur une protection plus effective des victimes, aussi bien qu’à l’égard de récentes décisions rendues à niveau de l’ordre juridique interne.

C’est le cas de la décision « Manduca » de 2020 de la Cour de Cassation italienne : les juges ont ici caractérisé la faute lourde des autorités d’enquête sur le fondement de la violation grave causée par la négligence inexcusable des dispositions de la loi et ils ont ainsi automatiquement déterminé une obligation d’indemnisation des dommages qui en premier ressort incombe à l’État. Dans le cas d’espèce, la victime avait porté plainte douze fois contre son ex-conjoint et les autorités siciliennes étaient donc au courant de la séparation difficile du couple et de la conduite violente de l’homme. Néanmoins, le juge aux affaires familiales avait attribué la garde exclusive des trois fils au père, qui empêchait son ex-épouse d’exercer son droit de visite aux fils ; de plus, il continuait à la harceler, jusqu’au point de la menacer à plusieurs reprises avec un couteau. La femme avait ainsi porté plainte contre ces graves épisodes en décrivant aux gendarmes l’arme mais le Procureur de la République de Caltagirone n’avait engagé aucune poursuite. Par la suite, l’homme avait tué la victime avec ce couteau que les autorités italiennes n’avaient pas confisqué car aucune perquisition de l’appartement de l’auteur n’avait jamais eu lieu. L’importance de cette décision concerne l’engagement de la responsabilité civile des magistrats et des autorités de police judiciaire et l’obligation qui s’ensuit de réparation des dommages qui pèse sur l’État.  Ainsi, la Cour a cassé et annulé l’arrêt rendu par la Cour d’Appel de Messine, qui avait provoqué une explosion d’indignation de la part des institutions[12] et de l’opinion publique[13] : les juges d’appel avaient estimé qu’il n’était pas possible de caractériser la négligence inexcusable des autorités en raison de leur omission fautive car le lien de causalité avec le crime n’était pas établi. Pour la Cour d’Appel, en effet, la saisie de l’arme n’aurait pas pu éviter le meurtre, considéré donc comme inéluctable en raison du fort animus necandi de l’ex-mari de la victime. A l’inverse, les juges de cassation ont reconnu la responsabilité du ministère public qui n’avait pas respecté son obligation d’exercer l’action pénale et ils ont donc liquidé la réparation des préjudices subis par les proches de la femme. La Cour de Cassation a affirmé qu’effectivement le lien de causalité entre l’omission fautive du magistrat et le dommage subi par la victime était bien établi et que l’arrêt rendu par les juges d’appel n’était pas conforme à la législation et à la jurisprudence en matière de responsabilité civile extracontractuelle[14]

Quant à la France, il faut mentionner le récent jugement du Tribunal de Paris, rendu public le 20 avril 2020, s’agissant d’une rarissime condamnation de l’État pour fonctionnement défectueux du service de la justice en matière de féminicide. Dans le cas d’espèce, les juges ont accueilli le recours de la sœur et fille des victimes, Cathy Lemoine, sur le grief concernant l’inaction des autorités face aux violations répétées du contrôle judiciaire sous lequel avait été placé le meurtrier. En effet, l’homme avait pu perpétrer un triple assassinat, tuant son épouse et les parents de celle-ci même si la femme avait à plusieurs reprises signalé aux autorités les persécutions dont elle était victime depuis longtemps. Reconnaissant la négligence fautive de la puissance publique, caractérisant une faute lourde, les juges ont condamné l’État à verser 100 000 € d’indemnisation aux proches des victimes pour leur préjudice matériel et moral.

 

II. La condamnation de l’État comme levier pour une protection effective des victimes ou dernier ressort pour combler les lacunes du droit positif ?

Pour y répondre, premièrement il faut analyser les correspondantes législations en matière de responsabilité étatique dont le cas de responsabilité civile des magistrats (A) et en second lieu il faudra examiner quelles sont les lacunes qui demeurent en droit concernant ces phénomènes (B)

 

A. L’apport d’un régime de responsabilité étatique et le cas du dysfonctionnement du service de la justice

Quel rapport existe-t-il entre le statut juridique de la responsabilité publique et le contexte de violences conjugales ?

En prémisse, il est nécessaire de signaler que l’engagement de la responsabilité de l’État repose sur différentes bases juridiques et que la législation de ce domaine est très vaste.

En matière de violences domestiques, le pilier de la consécration de la responsabilité étatique est constitué par les droits de l’homme ainsi que garantis par le Conseil de l’Europe. En effet, la violation par un État membre de la Convention européenne des droits de l’Homme comporte la mise en place d’une action en responsabilité contre ce dernier, au motif de son manquement à l’obligation de respecter les engagements et les textes précédemment ratifiés. Par conséquent, si un État contrevient à ses obligations négatives et positives découlant de ces textes, ayant pour but d’assurer une jouissance effective des droits et libertés fondamentaux, toute victime - dans le cas d’espèce celle de violences intrafamiliales- pourra demander réparation. Comme il a été démontré dans le précédent paragraphe, après avoir épuisé les voies de recours internes, la victime pourra se pourvoir devant les juges de la CEDH.

En France comme en Italie, la responsabilité patrimoniale de l’État peut être engagée dans le contexte de la responsabilité civile des magistrats, dont le statut juridique, qui demeure aussi très complexe, a beaucoup évolué dans le temps. Par ailleurs, le service de la justice rendu par les magistrats étant un service public, c’est donc l’État qui doit en répondre en premier ressort : il est possible d’envisager la responsabilité pour fonctionnement défectueux de la justice, reconnue pour la première fois au niveau international grâce aux propositions entamées au sein du Conseil de l’Europe et qui ont débouché, en 1998, à l’adoption de la Charte Européenne sur le Statut des Juges. Ce texte a consacré l’obligation étatique de réparer les dommages illicites causés à la victime par une décision ou comportement du juge, sauf la possibilité pour l’État d’obtenir un remboursement partiel de la réparation en se retournant contre le magistrat.

Ce régime correspond à celui de législations italienne et française adoptées par la suite.

En effet, la loi italienne n°117 de 1988 ainsi que reformée en 2015[15], reconnait la responsabilité civile du magistrat dans tous les cas où celui-ci a causé, par son comportement ou par la décision prise, un préjugé injuste à la victime, qu’il doit donc indemniser. Pour ne pas compromettre l’indépendance des juges dans leurs fonctions, les hypothèses donnant lieu au payement des dommages-intérêts sont encadrées dans la norme : il s’agit notamment du déni de justice, du dol et de la faute lourde du magistrat, ce dernier cas concernant les dommages déterminés par la négligence inexcusable, ainsi qu’il a été récemment précisé par la Cour de Cassation[16].

 Aussi bien en France qu’en Italie, la responsabilité est partagée entre l’État et le magistrat : dans les deux systèmes, la victime du mauvais fonctionnement judiciaire devra entamer son action en responsabilité contre l’État qui, seulement dans un deuxième temps, pourra exercer son action récursoire à l’égard du magistrat responsable. Il faut souligner qu’en Italie l’action de l’État envers le magistrat est atténuée, car le juge y répondra dans la limite d’un tiers de son salaire annuel[17].

La règlementation prévue dans l’Hexagone à propos du dysfonctionnement juridique de la justice est similaire et tout juge est tenu à la réparation du dommage causé par sa faute personnelle, s’il y a eu faute lourde ou déni de justice[18] et l’État sera toujours garant de la liquidation du préjudice aux victimes[19]. En rapport à la thématique des violences conjugales il est important de souligner que la jurisprudence a élargi la portée de la législation concernant la responsabilité étatique pour dysfonctionnent du service public de la justice à tous les « agents investis, sous le contrôle et l'autorité d'un magistrat du siège ou du parquet, de pouvoirs de police judiciaire à l'effet de constater et réprimer les infractions à la loi[20] ». Il en est de même en Italie, où récemment la Cour de Cassation a précisé que l’omission fautive de l’agent de police judiciaire dans la conduite de l’enquête pénale ne peut pas caractériser la responsabilité de ce dernier : en effet, les activités de la police judiciaire se déroulent sous l’autorité et le contrôle du magistrat du parquet[21].

 

B. L’exigence d’une meilleure protection des victimes ex ante et d’une législation pour la prise en charge des orphelins et des victimes survivantes

Bien que les dispositions juridiques et la jurisprudence jusqu’ici examinées élargissent le champ de la protection des victimes de violences domestiques, est-ce qu’il existe encore des lacunes à combler en droit français et en droit italien ? Dans le bilan final, après avoir constaté que nombreuses mesures d’intervention et prévention ont été envisagées,  il faut cependant évoquer les recommandations souhaitées en 2020 par le Grenelle de violences domestiques[22] et dans le Rapport sur le même sujet du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes, qui font comprendre que l’adoption d’autres instruments d’impact transversal est nécessaire dont, à titre d’exemple : l’exigence d’une formation plus spécifique des autorités de police et des professionnels de santé, la nécessité de dégager davantage de ressources budgétaires à la répression des violences conjugales et l’urgence de mettre en place un contrôle plus strict des partenaires violents. Il s’agit de solutions concrètes qui, pour être mises en place, nécessitent d’être encadrées par le droit.

Notamment, en cas de féminicide, toute intervention des autorités ex post, c’est-à-dire après la consommation de l’infraction, est inutile à l’égard de la protection du droit à la vie de la victime. Il en est de même concernant son droit à une éventuelle réparation incombant à l’État en cas de dysfonctionnement du service de la justice ; le préjudice subi par la victime sera en effet indemnisé à ses proches.

De là, peut être comprise l’importance d’adopter toute mesure possible pour assurer une jouissance effective des droits fondamentaux de la victime, bien qu’en matière de droits de l’homme il soit plus compliqué pour l’État de respecter ses obligations positives à effets horizontaux[23] par rapport à ses obligations négatives.

Pour conclure, il est important de souligner que les enfants sont souvent les victimes directes et indirectes des violences au sein du couple et qu’en cas de féminicide ils restent orphelins de leur mère alors que le père se voit retirer l’autorité parentale. Vu le besoin de soutien psychologique et économique de ces enfants, le 16 juillet 2020 est finalement entré en vigueur le décret-loi italien[24] créant un fonds d’aide financière pour ces orphelins et leurs familles d’accueil. Jusqu’à cette date, chaque année des fonds leur étaient destinés par la loi de Finance comme c’est le cas en France actuellement. Toutefois ces fonds étaient insuffisants, comme il a été détecté par le rapport du Sénat français en 2020 concernant l’analyse des financements pour la lutte aux violences faites aux femmes[25].

 

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

Articles

LUCIANI Massimo, Table Ronde : Égalité, genre et Constitution, Annuaire international de justice constitutionnelle, 2018, vol. 34-2018 (pp 337-338)

CANIVET Guy et JOLY-HURARD Julie, La responsabilité des juges ici et ailleurs, Revue internationale de droit comparé, 4-2006 (pp 1064-1065)

OBERTO Giacomo, La responsabilité civile des magistrats en Italie, 4-2014  https://www.giacomooberto.com/Oberto_La_responsabilite_civile_des_magistrats_en_Italie.htm

PISILLO MAZZESCHI Riccardo, Responsabilité de l’État pour violation des obligations positives relatives aux droits de l’homme, Collected Courses of the Hague Academy of International Law, 333- 2008

Textes officiels

Convention de sauvegarde des droits de l’homme et libertés fondamentales, 4 novembre 1950

Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, Union européenne, 7 décembre 2000

Charte Européenne sur le Statut des Juges, Conseil de l’Europe, 8-10 juillet 1998

Loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales, JORF n° 0187 du 31 juillet 2020

 

Legge n° 119 del 15 ottobre 2013, Conversione in legge, con modificazioni, del decreto-legge n° 93 del 14 agosto 2013

 

Legge n°69 del 9 luglio 2019, Modifiche al codice penale, al codice di procedura penale e altre disposizioni in materia di tutela delle vittime di violenza domestica e di genere

 

Legge n° 18 del 27 febbraio 2015, Disciplina della responsabilità civile dei magistrati

 

Decreto-legge n° 93 del 14 agosto 2013, Disposizioni urgenti in materia di sicurezza e per il contrasto della violenza di genere, nonché in tema di protezione civile e di commissariamento delle province

 

Decreto n° 71 del 21 maggio 2020, Regolamento recante l'erogazione di misure di sostegno agli orfani di crimini domestici e di reati di genere e alle famiglie affidatarie

 

Article 132-80 du code pénal français

 

Rapports et autres publications

GREVIO, Rapport d’évaluation (de référence) du GREVIO sur les mesures d’ordre législatif et autres donnant effet aux dispositions de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul) concernant l’Italie, janvier 2020

MIPROF, Les violences conjugales pendant le confinement : évaluation, suivi et propositions, juillet 2020

UNITÉ DE PRESSE de la CEDH, Violence domestique, fiche thématique, novembre 2020

Jurisprudence

Cass. Civ., Sez. III, del 10/02/2020, GU: n° 7760 del 08/04/2020

Corte d’Appello di Messina, del 2/7/2019 GU: n. 31 del 31/07/2019

CEDH, Kontrovà c. Slovaquie, 31 mai 2007 (n° 7510/04)

CEDH, Opuz c. Turquie, 9 juin 2009 (n°33401/02)

CEDH, Talpis c. Italie, 2 mars 2017 (n°41237/14)

 

1 Pour la France : Rapport d’information sur la reconnaissance du terme « féminicide » fait par la députée Mme Fiona Lazaar, 18 février 2020 https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/ega/l15b2695_rapport-information

  

Pour l’Italie: Senato della Repubblica, Ufficio Valutazione Impatto: femminicidio, mars 2018, pp 2-7-8-16  Focus_femminicidio_1.pdf (senato.it)

 

  2 Traduction libre de la définition de l’Accademia della Crusca ainsi que citée dans le rapport du Sénat italien du 2018 (note n°1)

 

3 La lettre de l’observatoire national des violences faites aux femmes, Les violences au sein du couple et les violences sexuelles en France en 2019, n°16, novembre 2020

 

4  Servizio analisi criminale (Direzione centrale della polizia criminale), Violenza di genere e omicidi volontari con vittime donne Gennaio – Giugno 2020, 17 luglio 2020 

 

5 EPRS (SHREEVES Rosamund et PRPIC Martina), La violence envers les femmes dans l’Union européenne-État des lieux, novembre 2020  

 

6Communiqué de presse du Parlement européen, COVID-19: stop à la hausse des violences domestiques pendant le confinement, 7 avril 2020

 

[7] GREVIO, Rapport d’évaluation (de référence) du GREVIO sur les mesures d’ordre législatif et autres donnant effet aux dispositions de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul) concernant la France, novembre 2019

 

[8] Grenelle contre les violences conjugales, 3-25 septembre 2019 : il s’agit de réunions organisées par le gouvernement français pour débattre la problématique de violences conjugales et proposer des solutions pratiques.

9À titre d’exemple, voir les articles 227-23 et 227-4 du code pénal concernant la mise en péril des mineurs et respectivement : l’infraction de diffusion de toute représentation pornographique d’un mineur (si l’image concerne un mineur de quinze ans le seul fait de la posséder caractérise l’infraction) et le délit d’inciter les mineurs à participer à des jeux physiquement dangereux ou de leur délivrer des messages incitant au terrorisme, à la pornographie et à la violence. 

 

[10] Legge n° 119 del 15 ottobre 2013, Conversione in legge, con modificazioni, del decreto-legge n° 93 del 14 agosto 2013

 

 

11LOI n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique introduisant l’article 226-2-1 dans le code pénal français

 

[12] À titre d’exemple: Camera dei Deputati, Interrogazione parlamentare presentata da Ascari Stefania, 27 febbraio 2020, seduta n° 313

 

[13] À titre d’exemple :  La Repubblica, Il diario di Marianna- Anatomia di un femminicidio, 19 novembre 2020  et le film I nostri figli, inspiré du féminicide de Marianna Manduca

 

[14] Cass. Civ., Sez. III, del 10/02/2020, GU: n° 7760 del 08/04/2020, § 2.4- 2.5

 

15 «Legge Vassalli»

 

16 Cass., Sez. Unite, n. 11747/2019

 

[17] Legge n° 18 del 27 febbraio 2015, Disciplina della responsabilità civile dei magistrati, art 5 relativo alla modifica dell’art 8 della legge n° 117 del 1988 (Legge Vassalli)

 

[18] LOI n° 72-626 du 5 juillet 1972 instituant un juge de l'exécution et relative à la réforme de la procédure civile, art 11

 

[19]  COJ (Code de l’organisation judiciaire), art L 141-1 et art L 141-3

 

[20] Cass. 1ère civ., 9 mars 1999 n° 96-16.560 P. ainsi que cité dans la bibliographie de l’art 28 du code de procédure pénale, DALLOZ (2021)

 

[21] Cass., Civ., Sez. III, n°6036/2018

 

22Grenelle des violence conjugales-point d’étape sur les mesures, 3 septembre 2020

 

23PISILLO MAZZESCHI Riccardo, Responsabilité de l’État pour violation des obligations positives relatives aux droits de l’homme, Collected Courses of the Hague Academy of International Law, 333- 2008 (pp 224 et suivantes)

 

24Decreto n° 71 del 21 maggio 2020

 

25   BAZIN Arnaud et BOCQUET Éric, Le financement de la lutte contre les violences faites aux femmes : une priorité politique qui doit passer de la parole aux actes, Rapport d’information n° 602 (2019-2020)