Cadder v. HM Advocate : pas de garde à vue sans avocat... - par Aude Pouhaer

Cadder v. HM Advocate : pas de garde à vue sans avocat... Etude de l’influence de la jurisprudence de la CEDH sur les procédures de garde à vue en Ecosse et en France

Dans la décision Cadder v. HM Advocate, La Cour Suprême Britannique a appliqué la jurisprudence de la CEDH à la procédure de garde à vue en Ecosse, notamment quant au droit des gardés à vue d’être assistés d’un avocat avant et pendant l’interrogatoire. Ce revirement de jurisprudence a entrainé une réforme de la procédure pénale écossaise. La France, qui a été récemment condamnée par la CEDH en la matière, vient également de réformer sa procédure de garde à vue pour l’adapter aux exigences européennes.

Introduction

Quel que soit le pays où elle est mise en œuvre, la garde à vue se définit comme une mesure de contrainte qui permet de garder un suspect à la disposition des agents de police pour les nécessités d’une enquête. Il ne peut y avoir de garde à vue que s'il existe contre le suspect des raisons plausibles de penser qu'il a commis ou tenté de commettre une infraction.

La durée de la garde à vue étant limitée, il s’agit pour les agents de polices d’être efficaces et d’obtenir rapidement des informations utiles à l’enquête, voire si possible de recueillir des aveux. Cette situation peut alors amener à des dérives, et il y a potentiellement un risque que la garde à vue soit menée dans l’irrespect de la présomption d’innocence et des droits du suspect.

Les droits du gardé à vu sont notamment protégés par l’article 6 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales (CESDH) relatif au droit au procès équitable qui dispose que  « 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi (…) 3. Tout accusé a droit notamment à (…) se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix…»

De nombreuses décisions de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) ont été rendues en vertu de cet article, obligeant certains pays européens à adapter leurs procédures de garde à vue.

En quoi la jurisprudence de la CEDH a-t-elle provoqué la réforme des procédures de garde à vue de l’Ecosse et de la France? Quelles modifications en ont résulté?

Cette étude s’intéresse au récent bouleversement de la procédure de garde à vue écossaise, réformée depuis la décision Cadder v HM Advocate rendue le 26 octobre 2010 par la Cour Suprême du Royaume-Uni. Cette évolution peut être comparée à celle que subit le Droit français depuis la condamnation de la France dans l’affaire Brusco du 14 octobre 2010, et la nouvelle loi votée par l’Assemblée Nationale le 12 avril dernier.

 

-          La position de la CEDH : le droit à un avocat lors de la garde à vue, élément fondamental du procès équitable

La CEDH considère que l’article 6 de la CESDH qui garantit à toute personne le droit à un procès équitable s’applique également à toute phase antérieure au procès, notamment au moment de la garde à vue. Ainsi dans la décision de la CEDH Imbrioscia c. Suisse, du 24 novembre 1993, la Cour explique que si l’article 6 a « pour finalité principale, au pénal, d’assurer un procès équitable devant un ‘tribunal’ », et assure le respect des mêmes droits lors « des phases qui se déroulent avant la procédure de jugement ».

L’opinion de la CEDH en matière de respect du droit à un procès équitable lors d’une garde à vue a été annoncée par des décisions telles que, John Murray c. Royaume-Uni  du 25 janvier 1996, où la Cour explique que «la notion d'équité consacrée par l'article 6 exige que l'accusé ait le bénéfice de l'assistance d'un avocat dès les premiers stades de l'interrogatoire de police ». Toutefois, c’est véritablement avec l’affaire Salduz c. Turquie du 27 novembre 2008 que la Cour confirme fermement sa position et la développe en expliquant que seules des « raisons impérieuses », liées aux circonstances de l'espèce, peuvent justifier qu'il ne soit pas fait appel à un avocat. Dans cette affaire, un garçon, mineur, fut inculpé puis finalement condamné pour avoir participé à une manifestation non autorisée de soutien au PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan). Lors de la garde à vue, et sans avoir été assisté d’un avocat, le jeune homme avait finit par reconnaître sa participation. La Cour estima que l’impossibilité pour lui de se faire assister par un avocat lors de son interrogatoire avait irrémédiablement nuit à ses droits de la défense, ceci d’autant plus qu’il était mineur. Pour la Cour il s’agissait dès lors d’une violation de l’article 6 de la CESDH. En effet, selon elle « l'accès à un avocat [doit être] consenti dès le premier interrogatoire d'un suspect par la police, sauf à démontrer, à la lumière des circonstances particulières de l'espèce, qu'il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit ».

Les récentes décisions de la CEDH condamnant des pays européens en la matière concernent principalement la Turquie. Toutefois d’autres pays, notamment la France ou le Royaume Uni (cf. affaireJohn Murray) ont été condamnés pour des faits similaires, ce qui montre que la problématique est bien européenne et qu’elle ne se limite pas à un seul pays.

-          Les manquements de l’Ecosse et de la France en matière du respect du droit à un avocat en garde à vue

Avant la décision Cadder, le Droit Ecossais avait toujours refusé d’appliquer la position de la CEDH à son Droit interne en matière de droit à un avocat lors des gardes à vues.  En vertu du Criminal Procedure (Scotland) Act de 1995, la police Ecossaise avait en effet le pouvoir de garder à vue un suspect pour une durée de six heures sans qu’un avocat, toutefois  mis au courant de la garde à vue, ne rencontre obligatoirement le suspect pendant cette période. Ainsi, dans la décision Paton v PF de 1999 un homme fut interrogé lors d’une garde à vue avoua les faits qui lui étaient reprochés. Son avocat avait été mis au courant de la garde à vue mais n’avait pas pu assister son client lors de l’interrogatoire. La Cour refusa de retenir la violation des articles 6(1) et 6(3) de la CESDH et expliqua que le droit conféré par ces textes n’était que l’une des composantes du droit au procès équitable (énoncé dans Imbrioscia c. Suisse) et qu’il appartenait à la juridiction interne de décider quelle était la meilleure façon de faire respecter ce droit. Tant que l’interrogatoire avait été mené de façon « juste » (cf. HM Advocate v. Mc Crade and Stirton 1982), il n’y avait pas, selon la Cour, de violation du droit au procès équitable.  Cette solution a été appliquée jusqu’à très récemment notamment dans l’affaire HM Advocate v McLean ([2010] SLT 73). La décision étant postérieure à Salduz c. Turquie, elle illustre bien la réticence des juridictions écossaises à se plier aux exigences européennes.

En France, l’article 63 du code de Procédure Pénale (CPC) prévoit que la durée de la garde à vue est de 24 heures et peut être prolongée sur autorisation du Procureur de la République jusqu’à 96 heures en matière d’affaires de stupéfiants, de délinquance organisée et de terrorisme.

Selon l’article 63-1 CPC, la personne placée en garde à vue doit recevoir notification des droits attachés à cette mesureet être informé de la nature de l'infraction visée, des dispositions relatives à la durée de la garde à vue, et de ses droits (le droit de faire prévenir sa famille, ou son employeur, le droit d'être examiné par un médecin désigné par le procureur, et le droit de s'entretenir avec un avocat de son choix dès la première heure de la garde à vue).

L’article 63-4 CPC garantit ainsi au gardé à vu le droit de « s’entretenir » avec un avocatdès la première heure de garde à vue, mais il ne lui permet pas d’être assisté pendant les auditions. Selon la CEDH, cet article n’est donc pas conforme à l’article 6 de la CESDH qui permet au gardé à vue d’être assisté par un avocat tout au long de l’audition.

Dans l’affaire Brusco c. France du 14 octobre 2010, un homme fut interrogé en tant que simple témoin dans une affaire d’agression commanditée. L’interrogatoire fut mené par les agents de police conformément à l’ancien article 153 du Code de procédure pénale qui disposait que « Tout témoin cité pour être entendu au cours de l'exécution d'une commission rogatoire est tenu de comparaître, de prêter serment et de déposer». Lors de l’interrogatoire, l’homme avoua les faits, et ne rencontra son avocat qu’ultérieurement. La défense souleva des exceptions de nullité de procédure, dans le but de faire écarter les déclarations faites en garde à vue, mais les juridictions pénales du fond ainsi que la Cour de cassation rejetèrent cette demande, et l’accusé fut condamné. En dernier recours, ce dernier fit appel devant la CEDH.

Selon la CEDH, de manière générale « l’obligation de prêter serment pour une personne placée en garde à vue porte nécessairement atteinte à son droit au silence et son droit de ne pas participer à sa propre incrimination » (§ 32). En outre, la Cour réaffirme « le droit [du gardé à vue] d’être assisté d’un avocat dès le début de cette mesure ainsi que pendant les interrogatoires, et ce a fortiori lorsqu’elle n’a pas été informée par les autorités de son droit de se taire » (§45).

La Cour considéra que dans cette affaire « le requérant [n’avait pas] été informé au début de son interrogatoire du droit de se taire» et qu’il « n’[avait] pu être assisté d’un avocat que vingt heures après le début de la garde à vue, délai prévu à l’article 63-4 du code de procédure pénale […]. L’avocat n’a donc été en mesure ni de l’informer sur son droit à garder le silence et de ne pas s’auto incriminer avant son premier interrogatoire ni de l’assister lors de cette déposition et lors de celles qui suivirent, comme l’exige l’article 6 de la Convention » (§ 54). Dès lors pour la CEDH, il y avait en l’espèce « atteinte au droit du requérant de ne pas contribuer à sa propre incrimination et de garder le silence ». La France fut donc condamnée pour violation du droit au procès équitable.

-          L’adaptation aux exigences européennes de la procédure de garde à vue en Ecosse : Le bouleversement de la décision Cadder v HM Advocate

En Ecosse, c’est avec l’affaire Cadder que le changement fut annoncé. En l’espèce, un homme, suspecté d’avoir commis une agression, fut interrogé dans le cadre d’une garde à vue. Les policiers lui annoncèrent son droit à avoir un avocat mis au courant de sa garde à vue, ce qu’il refusa. Il fit ensuite lors de son interrogatoire un certain nombre d’aveux sur lesquels la Cour se reposa pour former sa conviction. Les aveux faits sans présence d’un avocat n’ayant, pour la défense, aucune valeur probatoire, un appel fut interjeté sur le fondement des articles 6(1) et 6(3)(c) de la CESDH et de la décision Salduz c. Turquie.

La Cour Suprême décida alors de procéder à un revirement drastique de jurisprudence et affirma :  « the contracting states are under a duty to organise their systems in such a way as to ensure that, unless in the particular circumstances of the case there are compelling reasons for restricting the right, a person who is detained has access to advice from a lawyer before he is subjected to police questioning » (§48) (Les Etats membres doivent prendre leurs dispositions pour que la personne gardée à vue ait accès à un avocat avant l’interrogatoire mené par les agents de police, sauf si des raisons impérieuses obligent à restreindre ce droit).

Il s’agit donc d’une application directe de la jurisprudence Salduz. Ce revirement de jurisprudence est à mettre en parallèle avec l’adoption du Human Rights Act de 1998. Ce texte, entré en vigueur le 2 octobre 2000, incorpore la CESDH dans l’ordre juridique britannique, ce qui donne une effectivité bien plus grande à la Convention.

A la suite d’une décision de la Cour Suprême britannique appliquant la jurisprudence de la CEDH, il semblait délicat pour le Droit Ecossais de continuer d’ignorer plus longtemps les exigences européennes.

Le Criminal Procedure (Legal Assistance, Detention and Appeals) (Scotland) Act fut alors voté en urgence au Parlement Ecossais. La loi fut promulguée le 29 octobre 2010, c'est-à-dire trois jours seulement après la décision de la Cour Suprême, ce qui montre sans doute que la réforme était à l’ordre du jour et avait été anticipée.

La loi permet notamment à la personne gardée à vue de s’entretenir confidentiellement avec un avocat avant d’être interrogée par les agents de police, et de pouvoir demander son assistance à n’importe quel moment de l’audition, ceci sous réserves de circonstances impérieuses empêchant l’exercice de ce droit (cf. jurisprudence Salduz). La durée de la garde à vue est augmentée de 6 heures, soit une durée totale de 12 heures.

-          La récente réforme de la garde à vue en France consécutive à l’arrêt Brusco

Même si elle n’est pas surprenante et ne fait qu’appliquer à la France des exigences bien établies, la décision Brusco a eu un profond retentissement et a entraîné d’intenses débats autour du régime de la garde à vue en France.

C’est dans cette dynamique que le Conseil constitutionnel a déclaré le 30 juillet 2010 (n° 2010-14/22 QPC : JCP G 2010, 914) que certaines règles régissant la garde à vue de droit commun (hors affaires de stupéfiants, de délinquance organisée et de terrorisme) n’étaient pas conformes à la Constitution.

Le projet de loi réformant la garde à vue a été définitivement adopté le 12 avril par l'Assemblée nationale. La loi doit selon le texte entrer en vigueur le 1er juin 2011, introduit dans le CPP la disposition suivante : « en matière criminelle et correctionnelle, aucune condamnation ne peut être prononcée contre une personne sur le seul fondement de déclarations qu'elle a faites sans avoir pu s'entretenir avec un avocat et être assistée par lui». Elle garantit également au gardé à vue le droit au silence. Il doit en être informé « lors des auditions, après avoir décliné son identité, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire ». Enfin, l'assistance de l'avocat et l'accès aux documents de la procédure doit être prévu dès le début de la garde à vue. Le suspect peut demander l’assistance d’un avocat pour un entretien de 30 minutes. L’avocat pourra également assister son client lors des auditions, qui ne pourront débuter sans sa présence effective.

Cette présence peut être reportée « à titre exceptionnel », pendant une durée de 12 heures maximum « pour des raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l'enquête», terme qui rappelle la jurisprudenceSalduz.

Conclusion

L'assemblée plénière de la Cour de cassation a appliqué la nouvelle loi et décidé lors de quatre arrêts rendus le 15 avril 2011 (n° P 10-17.049, F 10-30.313, J 10-30.316 et D 10-30.242L. n° 2011-392, 14 avr. 2011), que l'article 63-4 du Code de procédure pénale n’était pas conforme à l'article 6 § 1. Elle a énoncé que « pour que le droit à un procès équitable consacré par l'article 6 § 1 de la CESDH soit effectif et concret, il faut, en règle générale, que la personne placée en garde à vue puisse bénéficier de l'assistance d'un avocat dès le début de la mesure et pendant ses interrogatoires».

La Cour, qui rappelle que « les États adhérents à la CESDH sont tenus de respecter les décisions de la CEDH sans attendre d'être attaqués devant elle ni d'avoir modifié leur législation », a décidé d’une application immédiate de la réforme.

La CEDH a donc garanti l’application uniforme en Europe du droit au procès équitable, ce que certains pays européens, notamment la France et l’Ecosse, avaient feint d’ignorer pendant plusieurs années. De manière récente et presque simultanée, ces derniers ont enfin adapté leurs systèmes juridiques aux exigences européennes. Il est cependant trop tôt pour prédire la manière dont seront appliquées ces nouvelles procédures.

 

Bibliographie

Articles

“The Cadder Effect” by Jodie Blackstock, Peter Nicholson, 16 août 2010, J.L.S.S. 2010, 55(08), 10, http://www.journalonline.co.uk/Magazine/55-8/1008491.aspx

 “Rights under question: the legal issues raised by the Cadder appeal and the subsequent emergency legislation; and some wider constitutional questions now being discussed” by Peter Nicholson, 15 Novembre 2010 J.L.S.S. 2010, 55(11), 12-14,16-17 http://www.journalonline.co.uk/Magazine/55-11/1008872.aspx

“Keeping the law in line”by Jamie Millar, 15 Novembre 2010 J.L.S.S. 2010, 55(11), 7 http://www.journalonline.co.uk/Magazine/55-11/1008869.aspx

 “Case Comment: The right to legal advice in detention” by Peter W. Ferguson, Scots Law Times, 2010 S.L.T. 2010, 36, 197-200, http://westlaw.co.uk

« Garde à vue : Droit de garder le silence et assistance de  l’avocat » Communiqué de presse du greffier de la CEDH n°742, 14 octobre 2010 http://numerolambda.files.wordpress.com/2010/10/cedh-141010-brusco-v-fra...

 « Garde à vue : le débat se poursuit à l'Assemblée » par Laurence De Charette, 18 janvier 2011, site internet du Figaro.

http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2011/01/17/01016-20110117ARTFIG0...

 « Garde à vue/ assistance d’un conseil » Unité de la presse de la CEDH, Fiche thématique : la garde à vue, février 2011 http://www.echr.coe.int/NR/rdonlyres/8EB42E17-2159-4AE9-BA82-C21B15E6FD9...

 « Adoption définitive du projet de réforme de la garde à vue ». Dépêches JurisClasseur, 14 avril 2011, 344, http://lexisnexis.fr

« Garde à vue : application immédiate de la réforme ». Dépêches JurisClasseur, 18 avril 2011, 350, http://lexisnexis.fr

Manuel

Evidence, Third Edition, Greens Concise Scots Law, by Fiona Raitt, Sweet & Maxwell 2001

Textes de lois

Articles 63 et suivants du Code de procédure pénale

Loi n°2011-392 du 14 avril 2011relative à la garde à vue

Criminal Procedure (Scotland) Act 1995  

Criminal Procedure (Legal Assistance, Detention and Appeals) (Scotland) Act 2010  

Arrêts

-          Décisions UK

Cadderv HM Advocate [2010] UKSC 43

HM Advocate v McLean[2010] SLT 73

-          Décisions françaises

Conseil constitutionnel, 30 juillet 2010 (n° 2010-14/22 QPC : JCP G 2010, 914

4 arrêts de la Cour de cassation, assemblée plénière, 15 avril 2011 (n° P 10-17.049, F 10-30.313, J 10-30.316 et D 10-30.242L. n° 2011-392, 14 avr. 2011)

-          Décisions CEDH

Imbrioscia c. Suisse [1994]17 E.H.R.R. 441

Murray c. Royaume-Uni [1996]  22 E.H.R.R. 29

Salduz c. Turquie [2008]49 EHRR 421

Brusco c. France [2010]n° 1466/07