L’article 37 de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant de 1989 : position américaine et française, par Louise Balsan

La Convention Internationale des Droits de l’Enfant a été ratifiée par tous les Etats à part la Somalie et les Etats-Unis. L’article 37 de cette convention prohibe l’emprisonnement à vie sans possibilité de libération conditionnelle des mineurs. Alors qu’actuellement 2000 américains sont condamnés à cette peine pour des crimes commis lors de leur minorité, en France, l’ordonnance du 2 février 1945 posait déjà le principe de la primauté de l’éducatif sur le répressif ainsi que celui de la responsabilité pénale atténuée du mineur ; graduée en fonction de l’âge. Les USA et la France ont ici une attitude différente à l’égard du droit international qui s’explique par des facteurs culturels et juridiques.

De nos jours, la justice pénale des mineurs est au coeur des débats politiques mondiaux du fait de l’augmentation d’homicides volontaires commis à un âge de plus en plus jeune. Que doit-il advenir d’un jeune adolescent se rendant coupable d’un meurtre, dans certains cas, aggravé ? La question qui se pose plus précisément est celle de savoir quelle peine maximale peut-on appliquer à une personne âgée de moins de 18 ans. Cette question étant transversale, il est intéressant de se demander quelle réponse est apportée par l’ordre juridique international. En d’autres termes, existe-t-il une position commune adoptée par la majorité des Etats ? Quelles sont les grandes lignes directrices posées par le droit international coutumier et/ou conventionnel quant à la peine maximale applicable aux mineurs? En l’espèce, il s’agit de se pencher sur la Convention Internationale des Droits de l'Enfant (CIDE), dite aussi « Convention de New York ». Adoptée par l'Assemblée générale des Nations unies le 20 novembre 1989, elle complète la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme – qui évoquait déjà les droits de l'enfant dans son article 25 – en prenant en compte le statut particulier de l'enfant. Elle énonce les droits de toute personne âgée de moins de 18 ans non seulement en termes de libertés, mais aussi en termes de protection. La réponse du droit international et celle de la quasi-totalité des Etats du monde à la question précédente est posée par l’article 37 (a) et (b) de la CIDE : Les États parties veillent à ce que : Nul enfant ne soit soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants : ni la peine capitale ni l'emprisonnement à vie sans possibilité de libération ne doivent êtres prononcés pour les infractions commises par des personnes âgées de moins de 18 ans…L’emprisonnement d’un enfant doit être en conformité avec la loi, n’être qu’une mesure de dernier ressort et être d’une durée aussi brève que possible ». Ces condamnations entrent dans la catégorie de « torture et peines ou traitements inhumains ou dégradants», prohibés par de nombreux textes internationaux et internes. Le droit international pose ici expressément de façon claire et précise une limite à la condamnation de mineurs. Ceci est renforcé par l’emploi du verbe « devoir » qui marque l’obligation.

Un traité international étant le fruit de la volonté des Etats, il est parfois possible d’affirmer qu’il est de reflet d’une norme coutumière. En l’espèce, la CIDE fait partie des rares instruments internationaux les plus ratifiés et a donc une importante valeur contraignante. Seuls deux Etats, la Somalie et les Etats-Unis, ont refusé de la ratifier. En effet, il arrive qu’une norme coutumière ne soit pas partagée par un Etat et donc ne s’applique pas à lui s’il a été un objecteur persistant à cette norme. Les Etats-Unis, issus du système de Common Law, s’opposent souvent au droit international en raison de leurs propres convictions internes mais il est rare que le droit international ne leur soit pas applicable. Les Etats-Unis ont été très actifs dans l’élaboration de la CIDE qui a même été signée par eux sous la présidence de Bill Clinton le 23 février 1995. La ratification a été bloquée au niveau du Sénat américain en raison, notamment, des exigences strictes posées par l’article 37 de la CIDE. En effet, ce n’est que le 1er mars 2005, dans l’arrêt Ropers v. Simmons (543 U.S. 551) que la Cour Suprême américaine a renversé la décision Stanford v. Kentucky (492 U.S. 361) de 1989 en déclarant que l’application de la peine de mort pour les personnes âgées de moins de 18 ans au moment des faits est contraire à la Constitution. Toutefois, les USA font partie des rares pays qui ont toujours recours à l’emprisonnement à vie de mineurs sans possibilités de libération conditionnelle : « life imprisonment without possibility of parole ».

Il est souvent difficile de comparer directement la position du droit international avec celle du droit interne. C’est pourquoi notre étude portera également sur le droit interne français en matière de justice pénale des mineurs. Cela nous permettra de comparer l’attitude de différents droits internes, issus de systèmes différents, envers l’article 37 de la CIDE. La France est issue du système romano-germanique et a tendance à s’aligner sur le droit international. Elle était le second pays à ratifier la Convention de New York qui est entrée en application le 6 septembre 1990. Depuis cette date, de nombreuses lois ont été promulguées afin de permettre l’application de la Convention en France. Il s’agira désormais de se demander pourquoi les USA sont favorables à l’emprisonnement sans possibilité de libération conditionnelle de mineurs tandis que la France s’aligne sur la position du droit international et évite de prononcer des peines d’emprisonnement.

Il convient de revenir un moment sur le système pénal américain pour mineur. La première cour «juvénile» a été créée en 1899 dans l’Etat de l’Illinois. En 1925, la plupart des Etats américains sont dotés d’institutions spécialisées pour juger des crimes et délits impliquant des mineurs. Ces Cours ont été mises en place afin que des peines moins lourdes soient infligées aux mineurs et qu’ils soient placés dans des centres de détention spécialisés. Toutefois, depuis les années 1990 - notamment depuis l’augmentation des massacres dans les lycées américains - de nombreux Etats sont revenus sur leur législation. Le procureur ou le juge peut décider de transmettre l’affaire à la Cour criminelle ce qui implique que les mineurs seront jugés comme des adultes et encourent des peines beaucoup plus élevées. Par exemple, dans l’Etat du Vermont l’âge minimal pour être jugé comme un adulte en cas de crime grave est établit à 10 ans.

La particularité du système américain est que le fédéralisme attribue la compétence de droit commun en matière pénale et en procédure judiciaire à chacun des 50 Etats. Ceci explique que les sanctions pénales prononcées à l’encontre des mineurs varient. Les conséquences de ces changements dans la jurisprudence et la législation américaines sont inquiétantes dans la mesure où un mineur peut donc être condamné à la peine la plus élevée du pays : la prison à perpétuité sans possibilité de libération anticipée – notons le, peine qui remplace aujourd’hui la condamnation à mort de mineurs.

Un rapport de juin 2008 du Bureau des statistiques judiciaires du Département Américain de la Justice a constaté que la population carcérale avait atteint le chiffre record de 2,3 millions de personnes. Les Etats-Unis ont aujourd’hui la plus grande population carcérale et le taux d'incarcération par habitant le plus élevé au monde. D’après Amnesty International et Human Rights Watch (The Rest of Their Lives : Life without Parole for Child Offenders in the United States, 2005), les Etats-Unis comptent plus de 2000 personnes condamnées à la prison à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle pour des crimes commis lors de leur minorité. Ils n’en existent que 12 au total dans les autres pays du monde (sans compter l’Afrique du sud, Israël et la Tanzanie). Dans 26 États américains, cette condamnation est automatique pour toute personne reconnue coupable de meurtre avec circonstances aggravantes, quel que soit son âge. Par exemple, en Mai 2000, Nathaniel Brazill âgé de 13 ans au moment des faits, tue son professeur Barry Grunow par balle. Quelques semaines plus tard, Lionel Tate, 12 ans, tue une enfant de 6 ans en jouant avec elle. En réponse à ces deux homicides, les Cours de l’Etat de Floride ont fait preuve d’une extrême sévérité. Brazill a été condamné à 28 ans d’emprisonnement sans possibilité de libération anticipée. Tate a été condamné à « life imprisonment without possibility of parole ». En d’autres termes, cela signifie qu’ils ont été jugés en tant qu’adultes alors qu’ils n’étaient âgés que de 12 et 13 ans au moment des faits et soumis à une peine ouvertement prohibée par le droit international.

Il convient d’ajouter que les prisons américaines sont des institutions privées et sont en concurrence directe les unes avec les autres. Il existe de nombreux cas où la justice a été corrompue et a condamné des mineurs à “life without parole” sans motifs valables. Récemment la presse s’est offusquée du comportement de deux juges américains ayant touché « 2,6 millions de dollars de la part de prisons privées. Une "compensation" pour avoir envoyé 500 jeunes mineurs en détention pour des délits sans rapport avec leur peine » (cf. article de l’Express). La sévérité dans la condamnation pénale des mineurs aux Etats-Unis est bien sûr choquante pour un juriste français et européen. Il faut pourtant garder à l’esprit le fait que le droit américain est avant tout jurisprudentiel. Le juge américain détient un pouvoir important et rend un jugement au vu des faits. Les juges de la Cour suprême et ceux de circuit et de district sont nommés par le Président des États-Unis sur approbation d'un vote majoritaire du Sénat. Les méthodes de sélection des juges d'États varient d'État en État. Les systèmes de sélection les plus courants incluent la nomination d'une commission et le vote populaire. Le regard et la pression de l’opinion publique comptent énormément et les enjeux politiques se font également ressentir dans le système judiciaire américain. Ainsi, si un mineur est capable de commettre un crime avec circonstances aggravantes qui choque l’opinion publique américaine, il doit en assumer les conséquences – qu’importe son âge. Selon l’adage américain : « old enough to do the crime, old enough to do the time ».

Le système français, à la différence du système américain se base avant tout sur la loi. La loi applicable en l’espèce est la CIDE et le droit interne. La particularité de la CIDE est qu’elle n’est pas intégralement et directement invocable devant les juridictions françaises. Son respect est assuré dans la mesure où il existait déjà de nombreuses lois françaises allant dans le même sens que le droit international. Le principe de l’existence d’une justice pénale des mineurs a été intégré au bloc de constitutionnalité par une décision du Conseil Constitutionnel du 29 août 2002 Loi d’orientation et de programmation pour la justice. La loi française, en matière de justice pénale des mineurs, s'appuie en grande partie sur l’ordonnance du 2 février 1945. Contrairement au système américain, l'âge du mineur est presque toujours pris en compte dans la décision du tribunal pour enfants ou la cour d'assises des mineurs en France. Il s'agit de l'âge au moment de l'infraction qui place le mineur sous un régime juridique spécial. L’ordonnance du 2 février 1945 permet d'engager des poursuites à partir de l'âge de 10 ans. Les enfants de 13 à 18 ans peuvent être condamnés à une peine d'emprisonnement. Bien que ces peines soient les mêmes que pour les adultes, la loi prévoit une réduction de peine de moitié pour les 13-16 ans. C'est ce que l'on appelle l'excuse atténuante de minorité. A partir de 16 ans, un mineur peut être jugé exactement comme un adulte. Il faut remarquer ici que les tranches d’âge sont les mêmes en France et aux Etats-Unis. La différence est que l’emprisonnement de mineurs sans possibilité de libération anticipée n’existe pas en France. La sanction pénale pour les crimes les plus graves en France est la prison à perpétuité. L’on observe dans la pratique qu’un aménagement de peine est souvent accordé. En effet, la mise en liberté sous condition n’est pas considérée comme remettant en cause la décision du juge. Elle est surtout importante pour les mineurs car elle leur permet d’être réinsérés socialement, de façon progressive et surveillée, afin de mieux protéger la société.

L’ordonnance de 1945 pose le principe de la primauté de l’éducatif sur le répressif ainsi que celui de la responsabilité pénale atténuée du mineur et graduée en fonction de l’âge. En mars 2007, le ministre de la Justice Pascal Clément a inauguré le premier établissement pénitentiaire pour mineurs en France. Voulant donner la priorité a la réinsertion des jeunes détenus hors du monde carcéral adulte. De même les propositions de rabaisser la « majorité pénale » à 12 ans ont été rejetées après de nombreuses discussions. Toutefois, le nouveau gouvernement Sarkozy a réussi à faire passer des lois de durcissements des peines prononcées contre les mineurs. La loi renforçant la lutte contre les récidives des majeurs et mineurs du 10 août 2007 en est le parfait exemple avec notamment l’instauration de peines minimales en cas de récidive et l’exclusion possible de l’excuse de minorité pour les récidivistes de plus de 16 ans. L’opposition à l’Assemblée Nationale et au Sénat a formé un recours devant le Conseil Constitutionnel qui a toute fois décidé le 9 août 2007 que ces dispositions étaient conformes à la Constitution. Pour la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme ces dispositions sont cependant contraires à la CIDE : un mineur doit bénéficier d’une justice prenant en compte les spécificités de son âge et pour lequel la peine d’emprisonnement doit être l’exception. La France passera devant le Comité des Droits de l’Enfant qui a demandé des explications sur cette loi.

En somme, il est possible d’affirmer que la France et les Etats-Unis sont tous deux confrontés aux problèmes contemporains de crimes graves commis à un âge de plus en plus jeune. Cependant, ces crimes n’ont pas la même ampleur en France et aux Etats-Unis et l’on peut dire que les enjeux socio-culturels ont une influence importante sur les condamnations. La France a, de manière générale, largement adopté la position du droit international : l’emprisonnement d’un mineur doit avoir lieu en dernier recours et sous de strictes conditions. L’exemple de l’article 37 de la CIDE et de la position américaine démontre bien la thèse selon laquelle certains Etats accordent encore aujourd’hui une grande importance à leur souveraineté étatique et sont réticents à l’idée que le droit international gouverne certains aspects de leur droit national. Il faut toutefois noter que certains Etats américains tels que la Californie se mobilisent pour faire passer un Life Without Parole Reform Act qui limiterait la peine maximale prononcée contre un mineur à une durée de 25 ans. De même certains juges américains ont formulé des opinions dissidentes favorables à la CIDE. Le gouvernement Obama s’est déjà prononcé quant à sa possible ratification. Lors de l’abolition de la peine de mort pour mineurs, les juges de la Cour Suprême s’étaient livrés à une étude comparative internationale en se basant largement sur l’état du droit international. Le droit international coutumier étant largement établi concernant l’interdiction des peines d’emprisonnement sans possibilité de libération conditionnelle pour les mineurs, il ne serait pas surprenant que dans quelques années, la Cour Suprême rende un jugement prohibant cette pratique.

Article 37 Les États partis veillent à ce que : a) Nul enfant ne soit soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants: ni la peine capitale ni l'emprisonnement à vie sans possibilité de libération ne doivent être prononcés pour les infractions commises par des personnes âgées de moins de 18 ans ; b) Nul enfant ne soit privé de liberté de façon illégale ou arbitraire: l'arrestation, la détention ou l'emprisonnement d'un enfant doit être en conformité avec la loi, n’être qu'une mesure de dernier ressort et être d'une durée aussi brève que possible : c) Tout enfant privé de liberté soit traité avec humanité et avec le respect dû à la dignité de la personne humaine, et d'une manière tenant compte des besoins des personnes de son âge: en particulier, tout enfant privé de liberté sera séparé des adultes, à moins que l'on n'estime préférable de ne pas le faire dans intérêt supérieur de l'enfant, et il a le droit de rester en contact avec sa famille par la correspondance et par des visites, sauf circonstances exceptionnelles ; d) Les enfants privés de liberté ont le droit d'avoir rapidement accès à l'assistance juridique ou à toute assistance appropriée, ainsi que le droit de contester la légalité de leur privation de liberté devant un tribunal ou une autre autorité compétente, indépendante et impartiale, et à ce qu'une décision rapide soit prise en la matière.

Bibliographie (liste non exhaustive)

• Droit international public, P. Dailler et A. Pellet, LGDJ, 7ème édition, pp.92-116 et 284-291

• Droit International Public – Denis Alland, chapitre 8 Droit international et droit interne pp 352-387

• America’s Courts and the Criminal Justice System – David W Neubauer, 2007

• Should juveniles be tried as adults ? – Christine Watkins, 2008 page 7 à 58. Chapitre 5 : life without parole should be prohibited for minors , chapter 6 : life without parole should not be prohibited for minors

• America’s Imprisoned Kids : The United States Is an Outlier in the World When it Comes to Detaining and Sentencing Juvenile Offenders as Adults. But There Are Finally Signs of Change , Ari Paul, prospect.org 11 May 2007.

• Final report 2009 USA, Human Rights Watch (http://www.hrw.org/fr/world-report-2009/tats-unis)

• The Most Dangerous Attack on Parents’ Rights
In the History of the United States
By Christopher J. Klicka, Esq.
and
William A. Estrada (http://www.hslda.org/docs/nche/000000/00000020.asp)

• Site web Amnesty International Des milliers de mineurs délinquants condamnés à la réclusion à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle ()

• Des juges corrompus remplissaient des prisons privées américaines, L’express, le 17 février 2009,(http://www.lexpress.fr/actualite/monde/amerique/des-juges-corrompus-remp...)