Le problème de la réintégration du salarié illégitimement licencié après la réforme Fornero illustré à travers la décision du 15-10-2012 n° 2631 de la section du travail du Tribunal de Bologne – Clara Soudan

Suite à la contestation du licenciement disciplinaire d’un salarié pour avoir envoyé un e-mail offensant à son supérieur, le Tribunal de Bologne, après avoir prononcé l’illégitimité d’un tel licenciement, tente d’apporter des éclaircissements aux problèmes posés par la réforme Fornero ayant modifié l’article qui consacrait la règle de la réintégration automatique du salarié lorsque celui-ci se trouvait illégitimement licencié.  

 

 

Introduction

 

« C’est comme parler de psychologie à un cochon » telle est la phrase extraite de l’e-mail interne envoyé par un employé à son supérieur et ayant causé son licenciement pour motif disciplinaire. Suite à cela le salarié licencié a mis en cause la légitimité de son licenciement devant la section du travail du Tribunal de Bologne. Les juges ont déclaré le licenciement illégitime et ont ordonné la réintégration du salarié, et ceci après un gros travail d’interprétation des alinéas 4 et 5 de l’article 18 du Statut des travailleurs (L. 300/1970) concernant la sanction applicable en cas de licenciement illégitime.

La réintégration du salarié est considérée comme étant la sanction la plus forte contre l’employeur qui licencie illégitimement un de ses employés. La réintégration était, selon l’art. 18 du Statut des travailleurs, automatique en cas de licenciement illégitime dans une entreprise ayant plus de 15 salariés. Cette sanction est appelée la protection réelle des salariés. Tel article, considéré comme un acquis social, a été modifié par la réforme du Marché du Travail du 28 juin 2012 (L. 92/2012), dite réforme Fornero, entrée en vigueur le 18 juillet 2012. Désormais, en cas de licenciement disciplinaire illégitime dans une entreprise de plus de 15 salariés, la réintégration n’est plus automatique. En effets, il est prévu aux alinéas 4 et 5, qu’en cas de licenciement illégitime, le salarié reçoit une indemnité réparatrice, ayant la valeur de dommages et intérêts, d’un montant compris entre un minimum de 12 mensualités et un maximum de 24 mensualités. La réintégration du salarié n’intervient que dans deux hypothèses : si le juge établit « l’inexistence du fait » avancé comme motif du licenciement par l’employeur ou si le juge constate que pour le comportement du salarié, à l’origine de son licenciement disciplinaire, les conventions collectives applicables à l’entreprise ou les règlements disciplinaires prévoient des sanctions dites « conservatoires » ( les sanctions conservatoires en droit italien sont par exemple la mise à pied temporaire du salarié ou la suspension temporaire de sa rémunération ou bien encore un reproche écrit) . Ainsi, C’est l’indemnité qui devient la règle et la réintégration l’exception. Une telle modification a déclenché la foudre des syndicats puisque cet acquis social très protecteur pour le salarié a encore plus de valeur en temps de crise économique où le salarié licencié a très peu de chance de retrouver un autre emploi.

Le droit français prévoit également la sanction de la réintégration pour le salarié illégitimement licencié, cependant la procédure qui porte au prononcé d’une telle sanction est différente et beaucoup moins complexe que celle italienne. De plus les juges français, contrairement à leurs homologues italiens, ont plus tendance à octroyer une indemnité au salarié licencié plutôt que d’ordonner sa réintégration.

La décision numéro 2631 rendue par la section du travail du Tribunal de Bologne le 15 octobre 2012 est l’une des premières décisions rendues après l’entrée en vigueur de la réforme Fornero. Les juges de Bologne ont dû affronter les problématiques liées à la nouvelle rédaction des alinéas 4 et 5 de l’art. 18 du Statut des Travailleurs afin de pouvoir rendre leur jugement, à savoir : la complexité de la nouvelle procédure et l’interprétation de l’énigmatique expression « inexistence du fait contesté » employée par le législateur. Cependant les juges ont mis en évidence et profiter du grand pouvoir discrétionnaire que l’art. 18 leur a accordé.

 

 

La complexité de la procédure : l’obligation du double examen

 

Avant la réforme, les juges devaient se contenter de vérifier la légitimité ou non du licenciement et une fois établie l’illégitimité, la sanction était la réintégration du salarié pour les entreprises ayant plus de 15 salariés (dit la protection réelle) et le versement d’une indemnité pour les entreprises ayant moins de 15 salariés (dit la protection obligatoire). Comme on peut le voir dans la décision du Tribunal de Bologne, le juge doit toujours rechercher si le licenciement disciplinaire a été prononcé pour une juste cause - c'est-à-dire pour une cause qui ne consent pas la continuation, même provisoire, du rapport (ex-art. 2119 code civil italien) appelée faute grave en droit français – ou pour un motif justifié – c'est-à-dire pour un manquement considérable du salarié à ses obligations contractuelles (ex-art. 3 L. 604 du 15 juillet 1966). Les juges de la section du travail du Tribunal de Bologne ont établi l’illégitimité du licenciement pour motif disciplinaire puisque « sous le profil de l’évaluation de la gravité du comportement » du salarié, tel comportement « n’est pas apte à intégrer le concept de juste cause du licenciement ex art. 2119 ».

Cependant, comme le disent les juges de Bologne « de telle évaluation sur la gravité du fait […] découle une conséquence importante, relative à la discipline applicable ». En effet, les juges sont à présent obligés de procéder à un deuxième examen pour établir quelle sera la sanction applicable. Les juges rappellent dans la décision que « la récente réforme de l’art. 18 de la Loi N°300/1970, a modifié cette norme, et a précisé dans l’alinéa 4, les cas d’espèces de licenciement disciplinaire avec réintégration, en les distinguant des cas d’espèces du licenciement disciplinaire sans réintégration, réglementées par l’alinéa 5 de cette norme ».

Une fois l’illégitimité du licenciement prononcée, Le juge devra donc procéder par élimination : le fait contesté, c'est-à-dire le motif du licenciement invoqué par l’employeur, est-il inexistant ? Ou le fait rentre-t-il dans les comportements listés dans les accords collectifs et règlements intérieurs applicables et punissables par une sanction conservatoire ? Si c’est le cas, alors le juge prononcera la réintégration ; si ce n’est pas le cas, il ordonnera à l’employeur de verser une indemnité au salarié licencié. C’est d’ailleurs ce que font les juges dans la décision, ils examinent d’abord si le fait contesté est inexistant, en l’espèce c’est le cas, puis même s’ils ne sont pas obligés puisque les deux conditions pour la réintégration du salarié sont alternatives, ils retiennent que le comportement en question est puni par « l’art. 9 Section 4 Titre 7 de la Convention Collective nationale du travail Métal-mécanique  de 2008 » qui prévoit une sanction conservatoire. Donc la sanction pour l’employeur ne peut être que la réintégration du salarié dans son poste de travail.

Les juges français passent par une procédure plus simplifiée. Pour prononcer la légitimité ou non d’un licenciement pour motif personnel, ceux-ci doivent vérifier que le licenciement est bien justifié par une cause réelle et sérieuse (art. L. 1232-1 du Code du travail). Réelle, c’est-à-dire que la cause doit être existante, exacte et qu’il n’existe pas de contradiction entre la cause évoquée lors de l’entretien et celle figurant sur la lettre de licenciement ; Sérieuse, c’est-à-dire que la cause « doit être matériellement vérifiable et ne pas présenter un caractère subjectif » ( J-E. Ray, Droit du travail Droit vivant, 21eme édition 2012/2013, Editions Liaisons). Si le licenciement est privé de cause réelle et sérieuse, alors il est illégitime. Dans ce cas, il est prévu à l’article L. 1235-3 du Code du travail que le juge peut proposer la réintégration du salarié mais celle-ci est subordonnée à l’accord des deux parties car si l’une ou l’autre refuse, le juge octroie une indemnité au salarié. Les juges français ne sont donc pas tenus de procéder à un second examen de la cause du licenciement pour déterminer la sanction applicable.

 

 

L’inexistence du fait contesté : Le fait juridique

 

L’expression utilisée par le législateur, « l’inexistence du fait contesté », a suscité de nombreuses interrogations par la doctrine sur l’interprétation qu’il fallait lui donner. Guido Vidiri, Président de la Section travail de la Cour de Cassation italienne s’est demandé s’il fallait entendre l’inexistence du fait comme une « fausse accusation du point de vue des faits » dont la sanction serait la réintégration, que l’on pourrait distinguer des cas où le comportement est effectivement vérifié mais réputé d’une gravité insuffisante à fonder le licenciement du salarié et dans ce cas, on pourrait parler de « fait insuffisant » sanctionné par une indemnité à verser au salarié (G. Vidiri, La riforma Fornero : La (in)certezza del diritto e le tutele differenziate del licenziamento illegittimo, Rivista italianna del diritto del lavoro 2012, 04, 617, sur www.dejure.giuffre.it). Une autre partie de la doctrine s’est demandée si on pouvait parler d’inexistence du fait contesté lorsque « la procédure disciplinaire résulte bâtie sur du néant, ou sur de gros équivoques, plus ou moins imputable à l’employeur » (C. Cester, Il progetto di riforma della disciplina dei licenziamenti : prime riflessioni, sur www.csdle.lex.unict.it ).

Le Tribunal de Bologne dans son jugement a donné une interprétation à l’expression « l’inexistence du fait contesté ». Selon les juges, le « fait contesté » fait nécessairement référence au « Fait Juridique » dans « l’unicum » composé d’un élément objectif et d’un élément subjectif. C'est-à-dire qu’on ne peut pas faire abstraction de l’élément psychologique, de la volonté de l’action du salarié. Si cet élément vient à manquer, alors le « fait contesté » devient inévitablement« inexistant ».  Dans le cas en espèce, le stresse subi par le salarié et les excuses qu’il a ensuite présenté après avoir envoyé l’e-mail offensant à son supérieur suffisent aux juges pour considérer que l’élément subjectif n’est pas présent et que donc le « fait contesté est inexistant ».

Dans la décision étudiée, les juges du Tribunal de Bologne insistent également sur un aspect important : « le fait » dont parle le législateur ne fait pas référence au fait purement matériel, puisque si cela était le cas, à partir du moment où le fait serait matériellement vérifié, peu importe l'élément subjectif, la sanction serait forcément l'indemnisation. Le risque est évident, si « le fait » était interprété comme purement matériel, la sanction de la réintégration, en cas de licenciement disciplinaire illégitime, viendrait presque à disparaître.

 

 

 Le pouvoir discrétionnaire du juge renforcé

 

Avant la réforme Fornero, lorsque le licenciement était illégitime car prononcé sans juste cause ou motif justifié, le juge, en fonction du paramètre dimensionnel de l’entreprise (plus ou moins de 15 salariés), ordonnait la réintégration du salarié ou le versement d’une indemnité. A présent, le juge est doté d’un pouvoir discrétionnaire plus large dans l’appréciation de l’inexistence du fait contesté. Ainsi, dans la présente décision, les juges du Tribunal de Bologne après avoir établi que « le fait » auquel fait référence le législateur est composé d’un élément matériel et psychologique, ont considéré que l’état de stresse du salarié ainsi que les excuses qui ont suivi l’envoi du mail offensant suffisent à prouver le caractère non intentionnel du comportement adopté par le salarié. Dans cette décision, avec l’intégration de l’élément psychologique, intentionnel, les juges ont, grâce à leur interprétation de l’expression « inexistence du fait » de l’art. 18 al. 4,  amplifié leur pouvoir discrétionnaire.

Dans le jugement étudié, les juges ne se contentent pas de qualifier le fait contesté d’ « inexistant », mais ils constatent également que la seconde condition, bien qu’alternative, à la réintégration du salarié de l’art. 18, al. 4 est également remplie.

En effet, les juges soulignent que le comportement incriminé « rentre dans les conduites punissables avec une sanction conservatoire » selon les prévisions des accords collectifs applicables et du règlement intérieur. Ainsi on constate que le juge est lié aux prévisions des accords collectifs applicables et du règlement intérieur. Si la sanction prévue, pour ce genre de comportement, est une sanction conservatoire, alors le juge devra ordonner la réintégration. On pourrait donc croire, en apparence, que le pouvoir discrétionnaire du juge est limité par les prévisions de l’article puisque soit le fait contesté est « inexistant », soit le fait est un comportement pour lequel il est prévu dans les accords collectifs applicables ou dans le règlement intérieur, une sanction conservatoire, et dans ces deux cas le juge ordonne la réintégration du salarié dans son poste de travail. Si ce n’est pas le cas, il ordonnera à l’employeur de verser une indemnité réparatrice au salarié illégitimement licencié. Cependant, les conventions collectives ou les règlements intérieurs ne donnent pas de listes exhaustives de tous les comportements punissables. En effet, dans la présente décision, les juges font rentrer l’envoie de mail offensant dans la catégorie insubordination envers son supérieur. L’insubordination étant puni par une sanction conservatoire par la Convention collective applicable à l’entreprise, le salarié doit donc être réintégrer. De plus, souvent deux sanctions différentes (par ex. : mise à pied provisoire et licenciement) sont possibles pour le même comportement en raison de la gravité de la conduite à sanctionner qu’il faut mesurer en prenant compte de l’élément subjectif qui en est à la base et des modalités dans lesquelles elle se réalise, ce qui laisse donc au juge un ample espace discrétionnaire (G. Vidiri, La riforma Fornero : La (in)certezza del diritto e le tutele differenziate del licenziamento illegittimo, Rivista italianna del diritto del lavoro 2012, 04, 617, sur www.dejure.giuffre.it). Ainsi, le juge peut très bien, avec une certaine liberté, considérer ou exclure des comportements qu’il estime similaires ou non à ceux énumérés dans les textes.

Ce large espace discrétionnaire laissé aux juges dans l’examen de légitimité du licenciement ainsi que dans le choix de la sanction applicable ouvre la porte à de possibles contestations et il n’est pas incertain que dans un futur proche la Cour de cassation italienne tente d’encadrer un tel pouvoir.

En droit français, le pouvoir discrétionnaire des juges est plus limité puisqu’il se manifeste seulement lorsqu’ils examinent si le licenciement est bien fondé sur une cause réelle et sérieuse et non lors du choix de la sanction à appliquer. Cependant, contrairement au droit italien, les juges ne sont pas liés par les prescriptions des règlements intérieurs, puisque cela risquerait de porter atteinte à leur pouvoir de qualification de la faute (P. Lokiec, Droit du travail Tome I – Les relations individuelles de travail, Thémis droit, 2011). Le pouvoir discrétionnaire du juge français est donc lui aussi pleinement reconnu, mais il reste plus encadré. Ainsi leurs décisions feront moins l’objet de contentieux.

 

 

 

 

 

 

 

 

Bibliographie 

 

Droit italien :

 

-          Tribunale di Bologna, Sezione Lavoro, Procedimento N° 2631/2012 del 15 ottobre 2012

-          Art. 18 dello Statuto dei Lavoratori (L. 300/1970)

-          Riforma del Mercato del lavoro 28 giugno 2012 (L. 92/2012)

-          ex-art. 2119 Codice civile

-          ex-art. 3 L. 604 del 15 luglio1966

-          G. Vidiri, La riforma Fornero : La (in)certezza del diritto e le tutele differenziate del licenziamento illegittimo, Rivista italianna del diritto del lavoro 2012

-          C. Cester, Il progetto di riforma della disciplina dei licenziamenti : prime riflessioni

-          M. Marazza, L’art.18, nuovo testo, dello Statuto dei lavoratori

-          www.dejure.giuffre.it

-          www.csdle.lex.unict.it

 

Droit Français:

 

-          art. L. 1232-1 du Code du travail

 

-          art. L. 1235-3 du Code du travail

 

-          J-E. Ray, Droit du travail Droit vivant, 21eme édition 2012/2013, Editions Liaisons

 

-          P. Lokiec, Droit du travail Tome I – Les relations individuelles de travail, Thémis droit, 2011