A propos du crédit à la consommation à taux variable en droit russe et en droit français : analyse comparative de l’arrêt de La Cour supérieure d’arbitrage de la Fédération de Russie du 2 mars 2010, par Raphaël Galand

Par un arrêt du 02/03/2010, la Cour supérieure d’arbitrage de la Fédération de Russie a créé un précédent dans la jurisprudence commerciale russe à l’occasion d’un contentieux opposant une banque et les Services fédéraux de la protection du consommateur de la ville de Moscou, ces derniers ayant sanctionné d’une amende la banque pour avoir inséré dans un crédit à la consommation un taux variable portant atteinte aux droits du consommateur. Après avoir gagné en 1ère instance et en appel, mais perdu en cassation (qui est en réalité une voie d’appel), la banque s’est tournée vers la juridiction suprême, dite « nadzor », afin qu’elle déclare l’illégalité de la sanction. Mais la Cour a considéré que la variabilité du taux dans un crédit à la consommation était illicite.

 

Le législateur français a souvent réformé les règles du crédit à la consommation dans l’optique de protéger le consommateur, du fait du peu de marge de négociation des clauses du contrat dont il dispose, notamment par la mise en place du taux effectif global. En Russie, des réformes ont également eu lieu, notamment en raison d’un coût du crédit très élevé. Celles-ci se sont notamment traduites par un encadrement plus stricte des pratiques bancaires en matière de crédit à la consommation.

C’est dans ce contexte qu’intervient l’arrêt du 2 mars 2010 de la Cour supérieure d’arbitrage de la Fédération de Russie, juridiction commerciale suprême du pays. Par cet arrêt, la Cour a décidé la nullité partielle du contrat de crédit à la consommation conclu entre un consommateur et une banque, en raison d’une clause de variabilité du taux de crédit, censurant les juridictions inférieures qui se fondaient sur le libre consentement des parties au contrat.

La Cour supérieure d’arbitrage, a ainsi créé un précédent, selon les observateurs. En effet, par cet arrêt, celle-ci décide que la modification unilatérale du taux de crédit par la banque dans un contrat de crédit à la consommation, c’est-à-dire l’application d’un taux variable, est contraire aux dispositions de la loi sur la protection des consommateurs du 07/02/1992. Cet arrêt, qui a surpris doctrine et acteurs de la sphère bancaire, illustre cependant la difficulté pour le juge russe de concilier les intérêts du consommateur avec la nécessaire liberté contractuelle, faute de base légale précise.

La comparaison avec le droit français amène à s’interroger sur le rôle de la protection du consommateur dans le crédit à la consommation, et notamment la place accordée à la liberté contractuelle, de fait favorable à la banque, face aux normes protectrices du consommateur.

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Une protection accrue du consommateur, partie au contrat de crédit

En droit russe, comme en droit français, le consommateur bénéficie d’un régime de protection par rapport aux professionnels, notamment en matière de crédit à la consommation. Ainsi, l’arrêt de la Cour supérieure d’arbitrage insiste sur le fait que le contrat de crédit est un contrat d’adhésion, dont les conditions sont déjà établies par l’établissement de crédit et que le consommateur ne peut guère modifier.

La nécessaire protection du consommateur dans le crédit à la consommation, s’applique en France sous différentes formes : généralement, l’objectif du législateur français s’inscrit dans le cadre de la lutte contre le surendettement des ménages, et se manifeste notamment par une réglementation de la publicité des crédits à la consommation (article L.311-14 du Code de la consommation), ou encore par l’obligation pour le banquier d’informer l’emprunteur au moyen d’une offre préalable de crédit (dont les mentions sont énumérées à l’article L.311-10 du Code de la consommation), destinée à informer de manière efficace le client consommateur du coût du crédit, et notamment du taux effectif global (TEG), constitué du montant des intérêts et de l’ensemble des frais financiers nécessaires à l’obtention du crédit, en vertu des articles L.311-8 et suivants du Code de la consommation (C. Gavalda, J.Stoufflet, Droit bancaire, Litec 8è édition, 2010, p. 435-436 ).

L’obligation d’informer le consommateur du coût total du crédit est également prévu en droit russe par l’alinéa 7, article 30, de la loi fédérale « Des banques et de l’activité bancaire » du 02/12/1990 [ plus loin « Loi fédérale »].  

La protection du consommateur en droit français n’exclue donc pas la possibilité d’une clause de variabilité des intérêts du crédit, même si la Commission des clauses abusives a cependant qualifié de clause abusive la stipulation dans un crédit à la consommation d’une variation du taux selon le taux de base du prêteur dans un avis du 27 mai 2004 ( C.Gavalda, J.Stoufflet, Droit bancaire, Litec 8è édition, 2010, p.345).

Le caractère théoriquement licite de la variabilité du taux de crédit 

Le droit français, comme le droit russe, prévoit que le taux d’intérêt débiteur du crédit est libre. En droit français, cette liberté ressort de la loi du 28/09/1966. En vue de la protection du client profane, à savoir le consommateur, la loi impose la remise d’une offre écrite et préalable de la part du banquier. La variabilité du taux du crédit, qui se distingue du taux indexé, correspond à la variabilité du taux de base de la banque, qui se répercute exactement sur le premier (C. Gavalda, J. Stoufflet, Droit bancaire, Litec, 8è édition 2010, p. 345). Le caractère licite de la clause de variabilité est formellement reconnu depuis 1998 par la Cour de cassation ( Cass. 1ère civ., 17/11/1998, n°96-16132, Bulletin 1998 I N° 323 p. 224), une jurisprudence antérieure ayant jeté un doute sur la question. Le TEG fait cependant l’objet d’un plafonnement légal, prévu par les articles L.313-1 et suivants du Code de la consommation, à savoir le taux de l’usure.

Ce plafonnement légal n’existe pas en droit russe. L’usure, cause de nullité du contrat de crédit en vertu de l’article 179 du Code civil russe, doit correspondre à une situation de « dépendance économique » de l’emprunteur envers le prêteur, accompagnée d’un taux d’intérêt bien supérieur à celui du marché. La nullité du contrat relève alors de l’appréciation souveraine du juge (Popova O., Crédit à la consommation : procédure de remboursement et fixation du taux d’intérêt , Finansovaïa gazeta, N 48, 2005).

Le droit de l’Union Européenne, avec la Directive n°2008/48/CE du 23/04/2008 visant à harmoniser les opérations de crédit à la consommation prévoit une obligation d’information  renforcée à la charge du prêteur. Ainsi, si le crédit est à taux variable, il doit être indiqué que les données mentionnées dans le tableau d’amortissement initial ne sont valables que jusqu’à la modification suivante. De plus, la modification du taux doit faire l’objet d’une information préalable, sauf si les parties au contrat conviennent d’une information périodique du consommateur (Gourio A., La directive européenne du 23 avril 2008 concernant les contrats de crédit à la consommation, La semaine juridique Entreprises et Affaires n°36, 4 septembre 2008, 2047).

La loi du 01/07/2010, portant réforme du crédit à la consommation et qui a transposé en droit interne la Directive n°2008/48/CE du 23/04/2008, prévoit par ailleurs des modifications terminologiques, le TEG devenant taux annuel effectif global (TEAG), et le taux d’intérêt le « taux débiteur ». La loi nouvelle a pour but, entre autres, de renforcer l’obligation d’information à charge du prêteur. En cas de taux variable, l’article L.311-21 nouveau du Code de la consommation (dont l’entrée en vigueur est prévue au 01/05/2011) prévoit les mêmes obligations d’information que celles de la Directive, précédemment citées. (Raymond G., Loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation, Revue Contrats Concurrence Consommation n° 10, Octobre 2010, étude 11). Cette obligation d’information renforcée tranche avec la position adoptée par la Cour de cassation dans un arrêt du 20/12/2007 (Cass. com., 20 déc. 2007, n° 06-14.690, Bulletin 2007, I, N° 396) selon laquelle le prêteur n’est pas tenu d’informer le consommateur de chaque variation du TEG lors de l’exécution du contrat (Crédot F-J., Samin T., Taux effectif global, Revue de Droit bancaire et financier n° 1, Janvier 2008).

La définition donnée par le Code civil russe n’exclue pas de manière générale la stipulation d’un taux d’intérêt variable. Ainsi l’article 819 du Code civil russe, alinéa 1er, énonce que « Par un contrat de crédit, une banque ou un autre établissement de crédit s’oblige à mettre à disposition de l’emprunteur des fonds dont le montant et les conditions de l’octroi sont définis par le contrat, et l’emprunteur s’oblige à rendre les fonds reçus et les intérêts y afférents. ». Cette approche a contrario du caractère licite du taux variable se vérifie également et surtout dans l’article 29, alinéa 2, de la Loi fédérale, selon lequel un établissement de crédit ne peut modifier unilatéralement le taux du crédit en dehors des cas prévus par la loi ou si le contrat en dispose autrement (Belyh V.C, Droit bancaire, Prospekt, Moscou, 2011, p. 601).

Pourtant, l’arrêt conclue au caractère illicite d’une « modification unilatérale du taux du crédit », ce qui correspond à un taux variable: preuve en est que l’arrêt reproduit la condition stipulée par la banque sur la variabilité du taux, qui est fondée sur des critères objectifs comme par exemple la modification du taux de refinancement de la Banque centrale.

La contradiction des normes en droit russe quant aux règles régissant le crédit à la consommation et la protection du consommateur

Les juges vont considérer que la modification unilatérale du taux de crédit est contraire à l’article 16, alinéa 1er  de la loi sur la protection des consommateurs, qui dispose que « Sont nulles, les conditions d’un contrat qui portent atteinte aux droits des consommateurs prévus par les lois et autres normes de la Fédération de Russie relatives à la protection de ces droits. ». Cette conclusion, basée sur un article à la portée très générale et qui ne vise pas directement le crédit à la consommation, surprend à la première lecture. Il faut alors chercher plus loin, dans les considérants qui succèdent, pour trouver les motivations des juges.

Le raisonnement tient en ce que la liberté contractuelle du contrat de crédit à la consommation doit nécessairement être limitée au regard de la position développée par la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie par un arrêt du 23/02/1999, statuant sur la constitutionnalité des dispositions contenues dans l’alinéa 2 ancien (puis alinéa 3 depuis la réforme du 02/11/2007) de l’article 29 de la Loi fédérale. L’arrêt de la Cour supérieure d’arbitrage ne va mentionner que le fait que la Cour constitutionnelle reconnaît que le consommateur est la partie faible dans le contrat de crédit, et qu’il en résulte une nécessaire limitation de la liberté contractuelle dans le but de garantir la protection des droits du consommateur.

Le raisonnement de la Cour supérieure d’arbitrage résulte en réalité de l’analogie. L’arrêt de la Cour constitutionnelle ne porte en effet que sur la gestion de dépôt ( « bankovskiï vklad ») des personnes physiques par une banque, visé conjointement avec le crédit dans l’article 29 de la Loi fédérale. Or contrairement au crédit à la consommation, en vertu de l’article 838 du Code civil russe, le taux d’intérêt du contrat de dépôt ne peut faire l’objet d’une modification unilatérale par la banque, même si celle-ci est prévue par le contrat. Ce fondement législatif à la restriction de la liberté contractuelle n’existait alors pas pour le crédit à la consommation.

La difficile appréhension par la jurisprudence russe de la liberté contractuelle dans le contrat de crédit

D’une manière générale, le juge russe dispose de peu de textes pour corriger le déséquilibre contractuel contenu dans un contrat. La doctrine relève par ailleurs l’impossibilité formelle d’annuler une clause contractuelle qui ne contredirait pas directement une disposition de la loi sur la protection des consommateurs. Pourtant l’arrêt du 02/03/2010, bien que le crédit litigieux ne contredise directement aucune « norme impérative » ( normativii provovii akt), annule la clause de variabilité du taux. En cela, il tient plus du jugement d’équité, face à une condition contractuelle désavantageuse pour le consommateur, sans contenir le fondement juridique nécessaire pour limiter la liberté contractuelle (Bevzenko R.S, « L’acquittement des obligations pécuniaires : la question des clauses contractuelles inéquitables », Vestnik de la Cour supérieure d’arbitrage, n°12 (217), 2010).

D’ailleurs, La Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie, dans un avis du 18/06/2006 et la Cour supérieure d’arbitrage, dans une lettre d’information datée du 26/01/1994, avaient précédemment adopté une position inverse à celle de l’arrêt en l’espèce  (Belyh V.C, Droit bancaire, Prospekt, Moscou, 2011, p. 602). 

La décision de la Cour supérieure d’arbitrage au regard des évolutions législatives récentes

Comme le relèvent les observateurs ( V. Merkylov, P. Tchyvilyaev, P. Pychaylo, kredit vyhodit iz peni, Kommersant Diengi, n°9, 08/03/2010), cet arrêt constitue un précédent. L’arrêt lui-même précise que l’interprétation de la Cour dans l’arrêt du 02/03/2010 doit faire l’objet d’une application uniforme par les Cours d’arbitrages fédérales face à des cas analogues. De plus, bien que l’arrêt soit rendu sous l’empire du droit antérieur, notamment concernant l’article 29 de la Loi fédérale qui était visée dans sa rédaction du 27/12/2009 dans l’arrêt, il convient de relever qu’il aboutit à la même solution que celle apportée par la modification du législateur russe, par une loi du 15 février 2010, de cet article 29.

Participant d’un dispositif visant à mieux prévenir l’endettement des consommateurs, la loi nouvelle a introduit un nouvel alinéa 4, en vertu duquel une banque ne peut, dans un contrat conclu avec un consommateur, décider unilatéralement de modifier le taux d’intérêt du crédit.

En conclusion, l’analyse comparative des législations relatives au crédit à la consommation fait apparaître deux approches distinctes pour un même souci de protection du consommateur : tandis que la variabilité du taux dans le crédit à la consommation devient illicite en droit russe, le droit français, sous l’influence du droit de l’UE, met l’accent sur l’information du consommateur, en donnant même une définition de ce dernier pour la première fois à l’occasion de la loi du 01/07/2010, tout en conservant un système de taux variable dans la limite du taux de l’usure (Raymond G., Loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation, Revue Contrats Concurrence Consommation n° 10, Octobre 2010, étude 11).

Bibliographie :

•          Белых В.С, Банковское право, Проспект, М., 2011

           [Belyh V.C, Droit bancaire, Prospekt, Moscou, 2011]

•            Gavalda C. et Stoufflet J. : Droit bancaire, Litec, 8e éd. 2010

Articles de revues :

•          Р.С. Безвенко, « Порядок погашения требований кредитора по денежному обязательству : частный вопрос проблемы несправледивых договорных условий », Вестник ВАС, № 12 (217), 2010. [R.S Bevzenko, « L’acquittement des obligations pécuniaires : la question des clauses contractuelles inéquitables », Vestnik (Mensuel) de la Cour supérieure d’arbitrage, n°12 (217), 2010]

•          О. Попова, Кредитныйдоговор: очередностьпогашенияиставкипроцентов, ФинансоваягазетаN 48, 2005г [O. Popova, Financovaïa gazeta, Contrat de crédit : procédure de remboursement et fixation du taux d’intérêt, N 48, 2005]

•          A. Gourio, La directive européenne du 23 avril 2008 concernant les contrats de crédit à la consommation, La semaine juridique Entreprises et Affaires n°36, 4 septembre 2008, 2047

•          G. Raymond, Loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation, Revue Contrats Concurrence Consommation n° 10, Octobre 2010, étude 11

•          F-J. Crédot, T. Samin, Taux effectif global, Revue de Droit bancaire et financier n° 1, Janvier 2008

•          В. Меркулов, П. Чувиляев, П. Рушайло, « кредит выходит из пени », Коммерсанть деньги № 9, 08/03/2010 [V. Merkylov, P. Tchyvilyaev, P. Pychaylo, kredit vyhodit iz peni, Kommersant Diengi, n°9, 08/03/2010]

Sources légales et jurisprudentielles :

•            Федеральный закон от 15 февраля 2010 года N 11-ФЗ (Российская газета, N 33, 17.02.2010) [Loi fédérale du 15/02/2010 n°11-FZ ( Rossiïskaia gazeta, N 33, 17/02/2010)]

•            Федеральный закон от 27 декабря 2009 года N 352-ФЗ (Российская газета, N 252, 29.12.2009) [Loi fédérale du 27/12/2010 n°352-FZ ( Rossiïskaia gazeta, N 33, 29/12/2009)]

•          Закон РФ от 07.02.1992 N 2300-1 (ред. от 23.11.2009) « О защите прав потребителей », опубликован в « Российской газете » от 7 апреля 1992 г. [Loi fédérale du 07/02/1992 N 2300-1 (rédaction du 23/11/2009) « De la protection des droits des consommateurs », Rossiïskaia gazeta, 07/04/1992)]

•            Федеральный закон от 27 декабря 2009 года N352-ФЗ (Российская газета, N252, 29.12.2009) [ Loifédéraledu27/12/2009 n° 352-FZ( Rossiîskiagazeta N252, 29/12/2009)

•            Постановление Высшего арбитражного суда Российской Федерации №7171/09, Москва, 2 марта 2010г. [Arrêt de la Cour supérieure d’arbitrage de la Fédération de Russie n°7171/09, Moscou, 02/03/2010]

•            Гражданский кодекс РФ ( Code civil de la Fédération de Russie)

www.garant.ru (portail juridique de recherche de la législation et de la jurisprudence)

www.legifrance.fr