Née en 1959 en Californie, Hugh Shurley appartient à cette génération de photographes qui tentent de saisir la réalité à travers une image travaillée, hors de l’instant chronologique et dont le regard révèle un monde subjectif.

 

Kristine (2004) ne fait pas exception. Elle appartient à une série de portraits de même composition : le sujet mis devant l’objectif pose. Le fond est obscur, parfois totalement noir, parfois clair et uni, mais toujours indéfinissable. Le choix de la couleur sépia traverse toute son œuvre. Il réfère au début de  l’histoire de la photographie, comme une espèce de support chronologique sur lequel s’appuyer, là où le temps est figé par des apparences parfois trompeuses, baroques : une fleur-bijou se pare d’un visage, la fourrure du manteau est dissimulée sous la tête d’un vieillard. Les modèles par leurs anonymats plongent le spectateur dans une esthétique purement artistique. L’Art est ici l’unique point de contact entre le spectateur et le créateur.

Hugh Shurley ne s’adresse pas uniquement à un spectateur contemporain, sa photographie s’affranchit de cette contrainte par l’absence de situation dans laquelle pourrait évoluer Kristine. Seuls les vêtements, ainsi que la broche ou du moins le bijou qu’elle porte, donnent un indice sur l’époque à laquelle appartient la femme : la première moitié du XXème siècle, rien de plus précis. Mais quel âge pourrait avoir Kristine, cette hydre, ce monstre à trois têtes non moins mythologique ? Le visage de la femme, figure centrale de ce triptyque est jeune, près de trente ans ; le visage greffé sur la fleur appartient à celui d’une jeune fille ; le dernier, celui-ci masculin, représente un vieillard à la chevelure et à la barbe blanches et longues : « Lorsque la plupart des photographies tentent de capturer seulement un instant, un collage artistique coupera, éditera, retravaillera typiquement le corps d’une image pour créer totalement de nouveaux  "instants" », explique le photographe sur son site internet. Quel est le lien entre ces trois visages, sinon l’inférence ou la technique du collage ?  Ce pourrait être la fille, la mère et le grand-père ou bien une femme qui songe à son enfance triste et malheureuse devant la sévérité d’un père.

Hugh Shurley refuse cette nouvelle ère technologique où le photo collage se produit en un clic sur ordinateur, ses travaux sont uniquement le résultat d’un processus traditionnel. Dans une conception de l’Art proche de celle de Mickaël Bahktine, Hugh Shurley fait concorder le fond et la forme de manière homothétique et pousse son œuvre jusqu’au perfectionnement d’une architecture stable et cohérente. Le numérique ne  peut s’accorder à l’œil culturel de la Belle Epoque, aussi le photographe adapte-t-il son objectif au sujet. Seule la technique du collage est créatrice d’un monde fantasque, encore et ironiquement le site internet du photographe sert de support à son message : « Je commence par imprimer la photographie originale sur différentes plaques de verres transparentes. Ensuite, afin d’ajouter de subtiles nuances et du sens à l’image, je dispose des morceaux de vieilles photographies éphémères, des documents, et instants personnels entre la couche de verre imprimé, donnant à l’œuvre une figurative – et authentique – profondeur. »

Critique en creux de la simple photographie, le collage par sa pluralité interroge sur le monolithisme de l’image fixe, sur sa dimension unique considérée comme superficielle. Par sa monstruosité, Kristina provoque l’imaginaire, engendre des interprétations. Sans ce collage, la femme centrale n’aurait été qu’une anonyme de la Belle époque à l’air triste, sans passé, ni avenir, seul l’instant présent manifesté par le cliché aurait été source d’admiration ou de compassion. L’absence de perspective arrête le regard et la pensée. L’approche d’Hugh Shurley rappelle celle des Surréalistes pour qui le photomontage suit la logique de l’inconscient. Héritière de ce mouvement, elle recherche, par la technique du collage, une réalité autre, causée par différentes formes d’associations ou de confrontations : figuratives, dimensionnelles, cognitives. Bien que son travail soit parfaitement contrôlé par la raison et que sa préoccupation première demeure l’esthétisme, la part inconsciente de son art, anéantie chez le créateur, est pourtant bien présente chez le spectateur afin que celui-ci devienne actif et, par inférence ou imagination, crée à son tour du sens.

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