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févr.
8

Quand Barbe Bleue se transforme en opéra délirant

 Voici une réécriture du conte Barbe Bleue. Cette réécriture délirante est le fruit des goûts prononcés de l'étudiante qui l'a écrite pour la littérature, la musique et la fantaisie car un monde sans fantaisie est triste. 
SCÈNE 1 :
La scène d’un immense théâtre parisien lors d’une répétition. Bianca Castafioro, soprano, et quatre jeunes hommes nommés Adriano, Felipe, Bernardo et Carlos, formant le groupe de jazz Blue Beard Blues, ou pour les intimes, BB Blues, sont déjà sur scène en train de s’échauffer la voix. Des musiciens dans la fosse. Entre Cindy, compositeur-librettiste et metteur en scène, avec un épais volume de partitions dans une main et un sac et une chaussure bleue à laquelle il manque le talon dans l’autre.
CINDY : Bonjour, bonjour. Comment ça va ? Pose la chaussure, le sac et la partition sur l’un des fauteuils du premier rang. Où est notre chef d’orchestre national ? On ne peut pas commencer sans lui !
ADRIANO : Jean-Philippe ? Je ne sais pas trop ce qu’il a en ce moment. Il a le blues… C’est original la chaussure…
CINDY : Oui je sais. J’ai dérapé dans l’escalier. Je ne suis pas tombée mais le talon a lâché. J’ai la poisse avec les chaussures : j’ai eu le même problème il y a un an après je ne sais plus quel gala. Je suis sortie à minuit et le talon s’est cassé ! Enfin… Bon. Si Jean-Philippe a le blues, on va devoir improviser sans lui. Je reprends pour que tout le monde soit bien au jus : on fait une création originale mêlant chant lyrique et jazz. C’est à la fois une réécriture des codes traditionnels de l’opéra et d’un conte. C’est comique, mais l’émotion ne doit pas pour autant être occultée. Bianca, tu es cruelle, froide, tu fais peur et tu fais rire. Ok ? La costumière m’a apporté la barbe que tu porteras pour que tu t’habitues à chanter avec. Ouvre le sac et sort une barbe bleue.
BIANCA avec un fort accent italien : Ma, si la barrrbe tombe. Comment je peux fairrre ?
CINDY : Justement : on va essayer aujourd’hui. Je veux savoir si ça tient, et surtout si tu peux ressembler à une vraie femme à barbe. On va d’ailleurs commencer tout de suite. On va faire le moment où tu te présentes. Tu fais comme d’habitude. Si ça tombe, et ben… ça ne fera que le deuxième objet de la journée avec ma chaussure qui n’obéit pas à son propriétaire. Sérieusement, on ajustera la barbe. Bon, les musiciens, je vais tenter de vous diriger, mais faites quand même comme si Jean-Philippe était là pour allumer le feu. C’est parti.
BIANCA met la barbe et commence à chanter son air : Moi, je suis la Barrrbe Bleue, vorrrace de divorrrces…
LES BB BLUES en claquant des doigts: Babelouba, babelouba, Blue-bearded woman! Ad libitum.
CINDY: Ok, ok. Merci. C’est très bien! Tu es maaaaaaagnifique Bianca. J’adore l’effet rendu par la barbe. S’adressant au groupe. Vous les enfants, vous êtes très bien aussi. Vous l’orchestre, je pense, mais ça n’engage que moi, que vous devez swinguer un peu plus. Et par ailleurs, mesure 24 il y a une modulation en ré mineur. Il y a quelqu’un qui est resté en majeur par là. Désigne une partie de l’orchestre. Sinon c’était vraiment bien.
Entre Jean-Philippe.
CINDY : Ah bah, tiens ! Ça me fait plaisir de te voir. Tu vas bien ?
JEAN-PHILIPPE : Moui… J’ai un peu le blues en ce moment mais bon… Enfin, pour toi je vais mettre le feu. Je suis désolé pour le retard, mais je devais régler deux, trois petites choses. Tu as commencé à ce que je vois…
CINDY : Oui ! On n’attendait plus que toi d’autant que moi et la direction ça fait cent-cinquante mille. On a fait la présentation de la Barbe Bleue. On pourrait faire maintenant le moment où elle demande Adriano en mariage.
JEAN-PHILIPPE : Oui ok. Très bien. S’adressant à l’orchestre. Mesure 58. Je rappelle que ça doit être très ample. Attention à l’équilibre : ça doit être comique parce que c’est une parodie du conte, mais garder tout de même l’émotion due à une demande en mariage. Ça te va comme explication Cindy ?
CINDY : C’est parfait. Très clair… parfait.
JEAN-PHILIPPE : Très bien. Tout le monde en place.

BIANCA chante :
Ô moi, la Barrrbe Bleue,
Je ne peux avoirrr le cœur heurrreux
Qu’avec toi mon amourrr,
Qu’avec toi pour toujourrrs…
 ADRIANO chante en swinguant :
Mais quel sentiment étrange !
Quel curieux mélange !
Je suis partagé entre la peur que m’inspire cet être barbu
Et l’amour pour cette femme qui met mon cœur à nu !
 FELIPE, BERNARDO, CARLOS chantent en swinguant aussi:
Ô malheur ! Les journaux montrent bien
Qu’on ne sait ce que sont devenus les précédents conjoints
De cette femme dont l’attribut pileux
Est d’une couleur profondément bleue.
JEAN-PHILIPPE tapant dans ses mains : Merci, merci, merci beaucoup. Tournant la tête vers Cindy Ça rend bien hein ?
CINDY : C’est su-blime ! Mon bébé commence à prendre vie ! Bon ! eh bien, c’est sur cette note heureuse (musique quand tu nous tiens) que je vous invite à prendre une pause. Rendez-vous dans une heure.
 JEAN-PHILIPPE : On va déjeuner ma belle ?
 CINDY : Ah oui, je meurs de faim. Attrape sa chaussure et sa partition.
 JEAN-PHILIPPE : Elle va servir à quoi la chaussure dans le spectacle ?
 CINDY : À rien : c’est ma chaussure. Le talon est mort. C’est tout.
Tout le monde sort.



SCÈNE 2 :
La scène du théâtre. Le décor du théâtre représente l’intérieur du château de la Barbe Bleue. Bianca et Adriano sont sur scène. Le reste des BB Blues est assis au premier rang à côté de Cindy. Jean-Philippe est dans la fosse à son pupitre face aux musiciens. Bianca porte une robe bleue et sa barbe bleue.
 CINDY chante au début: J’ai bien mangé, j’ai bien bu, j’ai la peau du ventre bien tendue! Bon alors, on fait le moment où toi, Bianca, tu donnes tes recommandations à Adriano. Tu gardes tout le temps un ton sérieux. Adriano, tu joues le mari bien obéissant.
 JEAN-PHILIPPE : Vous les musiciens, vous instaurez une ambiance un peu stricte, puis soudain : Pam pam pam pam, et tzin tzin tzin, saccadé, legato et tutti ! Fait de grands gestes pour accompagner ce qu’il dit. On ne doit rien comprendre à ce qu’il veut dire. Pendant l’explication de Jean-Philippe, les musiciens restent impassibles. Allez, on y va !
 BIANCA chante :
 Je parrs en voyage pour des affairrres.
Mais pendant ce temps tu peux fairre tout ce qui peut te plairrre.
Tu peux prendrrre la vaisselle d’orrr
Ainsi que des pièces du trésorrr.
Tu peux dormirrr chaque soirrr dans une chambrrre différrrente
Et inviter des amis si cela te tente. Donne un énorme trousseau de clefs à Adriano.
Tu peux fairrre ce que tu désirrres,
Fairrre tout ce qui te fait plaisirrr
Mais n’ouvre pas ce petit cabinet
Ce qu’il rrenferrrme est secrrret,
Sinon, je me fâche tout rrrouge et avec ma barrrbe, ça ferrra violet !
 CINDY : Gé-ni-al ! Cette phrase est complètement stupide ! Mais c’est justement parce qu’elle est stupide que ça fonctionne ! Adriano, cette sobriété te va très bien. Ça va faire un superbe contraste avec l’ambiance déjantée de la scène suivante lorsque tes potes arrivent. C’est une atmosphère totalement différente : un peu gospel, Broadway, jazz, tout ça, super dynamique !
 JEAN-PHILIPPE s’adressant à l’orchestre : Ça veut dire que vous, les enfants, vous devez vous préparer à changer complètement de registre. En fait, songez que la dernière phrase de Bianca est la transition vers le tableau suivant qui est super animé. C’est à vous notamment d’allumer le feu !
 CINDY s’adressant à Bernardo, Carlos et Felipe : Allez ! On enchaîne ! Crie: Changement de décor !
Bernardo, Carlos et Felipe montent sur scène tandis que Bianca rejoint Cindy. Un décor très coloré représentant l’intérieur du château de Barbe Bleue avec des décorations multiples (guirlandes, bougies etc.) apparaît au fond de la scène. Différents actrices et acteurs apparaissent sur scène derrière les BB Blues dans des costumes bariolés. La musique jouée par les musiciens est très dynamique.
 CINDY : Tout le monde est en place ? Envoyez la sauce !
  LES ACTEURS ET ACTRICES chantent et dansent :
Nous sommes les amis du mari de la Barbe Bleue
Nous sommes invités ici, que nous sommes heureux !
Nous découvrons toutes les richesses de la maîtresse des lieux !
Que nous sommes heureux !
Un grand écran plat !
Une salle de cinéma !
Un jacuzzi !
C’est le paradis !
Pendant que les acteurs et les actrices chantent et dansent, Cindy regarde toute la troupe en dansant sur place.
JEAN-PHILIPPE à la fin de l’air s’adressant aux musiciens : C’est très bien, c’est très très bien !
À ce moment-là, deux musiciens peu discrets se moquent de Jean-Philippe en imitant ses grands gestes effectués un peu plus tôt ce qui agace nécessairement le chef d’orchestre.
 JEAN-PHILIPPE énervé en brisant sa baguette en mille morceaux : Non ! C’est mauvais, c’est très mauvais ! Et vous deux là-bas, vous n’arrêtez pas de jacasser !
 CINDY lassée à part : Hélas, c’est là qu’est l’os… Il nous a bien allumé le feu le Jean-Philippe là… À tous : Bon. On ne va pas s’énerver parce que deux musiciens se moquent gentiment en aparté – à juste titre d’ailleurs – fort du chef ! Reprenons.
Mais Jean-Philippe, toujours énervé prend ses affaires, et notamment ses clefs, et s’écrie :
 JEAN-PHILIPPE : Je vois qu’on respecte les gens sérieux ici ! Je m’en vais ! À Cindy : De toute façon les affaires dont je t’ai parlé ce matin ne sont pas totalement réglées. Puisque je constate qu’on n’a plus besoin de moi, je vais aller les terminer et vous laisse à votre cher opéra que vous ne pourrez jamais réussir à donner en public de toute façon ! À Cindy : N’est-ce pas que tu as quelques petits problèmes financiers ma jolie ? Eh bien moi je ne vais pas attendre que la manne me tombe du ciel ! Je vous salue bien bas messieurs dames ! Il s’en va. Chemin faisant, il fait tomber une clef de son trousseau dont le porte-clefs est un peu lâche. À la clef est attachée une étiquette indiquant à quoi elle correspond.
 ADRIANO : J’avais bien dit qu’il avait le blues…
 CINDY à Jean-Philippe : Attends !... Apercevant la clef. Qu’est-ce que c’est que ça ? Lit : « Casier 137 ». À part : ça m’intrigue. Si j’étais une femme parfaitement honnête, j’irai la lui rendre. Mais étant donné ce qu’il vient de me faire… Non ça ne se fait pas je vais la lui rendre… Non, c’est trop tentant. Je veux savoir ce qu’il y a dans ce casier. Après tout, peut-être que la manne me tombera dans les mains…
 
 
SCÈNE 3 :
Le soir. Une salle du théâtre dans laquelle se trouvent les casiers réservés aux techniciens du théâtre. Cindy s’avance et s’arrête devant le casier 137.
 CINDY : Évidemment, ce n’est pas bien. Malgré les vacheries de cet après-midi, Jean-Philippe est mon ami… Je ne peux pas comme ça fouiller dans ses affaires. Cela dit, c’est quand-même bizarre tout ça. Et si… Bon tant pis ! Maintenant que j’y suis…
Ouvre le casier. Elle en sort un épais cahier sur lequel est écrit : « Cendrillon et la Mère Michel » avec un contrat.
 CINDY avec grande surprise : Quoi ! Mais c’est le livret de mon prochain opéra ! Il a fait croire que c’était de lui et s’apprête à négocier avec un autre théâtre ! Lui que je considérais comme mon ami !
À ce moment-là paraît Jean-Philippe derrière Cindy un revolver dans une main et la barbe bleue de Bianca au visage. Il s’approche silencieusement d’elle alors qu’elle examine, effarée, les documents, et soudain pose sa main sur l’épaule de la jeune femme.
 JEAN-PHILIPPE : Alors, ma belle ! Tu ne t’attendais pas à me voir, n’est-ce pas ? Cindy se retourne, surprise. Elle aperçoit, affolée, le revolver. C’est tout ce que tu trouves à dire ? Toi, d’habitude si bavarde, te voilà soudain muette ! Ça me va bien la barbe bleue tu ne trouves pas ? Je me suis dit que j’allais peut-être réutiliser cet accessoire dans ce merveilleux opéra pour lequel tu as été un nègre fabuleux. Je t’en remercie vivement. Mais maintenant que tu es au courant de tout, tu comprends que je ne peux pas te laisser repartir. Tu vois, je n’ai pas très envie d’avoir des démêlées avec la justice. Donc… Approche son revolver de la tempe de Cindy. Je vais devoir te laisser ici…
 CINDY affolée : Attends, attends, je t’en prie ! Ne fais pas ça ! Prends mon opéra si tu veux ! Dis que c’est toi qui l’as écrit, mais ne me fais pas de mal, je t’en supplie !
 JEAN-PHILIPPE : Pas question mademoiselle : qui sait si tu n’essaieras pas de récupérer le livret plus tard ? Qui sait si tu ne tenteras pas de réunir une armada d’avocats pour faire valoir tes droits ? Je ne veux pas courir le risque. Désolé.
 CINDY : Laisse-moi au moins appeler ma mère pour lui donner mes dernières volontés.
 JEAN-PHILIPPE : Non : elle pourrait appeler la police. Je vais juste te laisser un quart d’heure pour terminer la dernière scène de l’opéra de sorte que j’aie le manuscrit complet et c’est tout.
 
 
SCÈNE 4 :
Cindy est seule dans l’un des bureaux du théâtre. La porte est fermée à clef. L’unique fenêtre du bureau est bien trop petite pour que l’on puisse s’en servir pour quitter la pièce. Jean-Philippe se tient à l’extérieur du bureau devant la porte pour s’assurer que personne ne vient.
 CINDY : Que puis-je faire ? Je suis enfermée ici. Mon destin est scellé. Sauf si…
Chante très fort : C’est la Mère Michel qui a perdu son chat ! Tra la la la la !
Cendrillon ne le retrouve pas ! Tra la la la la !
 JEAN-PHILIPPE crie à travers la porte : Qu’est-ce que tu fais ? Tu veux m’embobiner ?
 CINDY : Non, non. Tu sais bien que j’ai besoin de chanter les airs que j’écris pour savoir s’ils sont bien. C’est comme Flaubert : je gueule… À part : pourvu qu’on m’entende ! Certes, ça ne ressemble pas à un appel au secours, mais quelqu’un pourrait bien venir, ne serait-ce que pour cause de tapage nocturne !
 JEAN-PHILIPPE crie toujours : Fais attention ! Je te surveille !
 CINDY chante de nouveau :
Le retrouvera-t-on
Le petit chaton ?
Rien n’est moins sûr
Quand on pense que Cendrillon a perdu sa chaussure !...
 LES BB BLUES dans la rue : Tiens, Cindy travaille encore à cette heure-ci ? Pas mal la musique !
 CINDY : Les BB Blues ! Chante encore plus fort :
Venez m’aidez
À récupérer
Le petit chat égaré !
Je vous en conjure !
En récompense vous aurez une magnifique chaussure !
 JEAN-PHILIPPE : Dépêche-toi : je vais rentrer !
Les BB Blues entrent dans le théâtre tandis que Cindy chante toujours. Ils aperçoivent Jean-Philippe qui doit alors dissimuler son revolver.
 LES BB BLUES disent en même temps : Salut ! Tiens, tu as mis la barbe de Bianca ? C’est marrant. Elle fait quoi, Cindy ?
Tandis que Jean-Philippe balbutie une fausse excuse, Cindy glisse un papier sous la porte sur lequel il est écrit en gros caractères : Jean-Philippe veut me tuer ! Au secours ! Adriano le lit discrètement, fait un signe à ses camarades qui aperçoivent également le papier et dit soudain à Jean-Philippe :
 ADRIANO : Attends, je peux essayer la barbe de Bianca, moi aussi ? Ça doit être marrant de se déguiser en schtroumpf ! Il passe derrière Jean-Philippe comme pour lui retirer la barbe et lui arrache des mains le revolver et le tue. Après cela, il ouvre la porte à Cindy.
 CINDY pâle : Merci !
 LES BB BLUES ensemble : Il n’y a pas de quoi !
 ADRIANO : Tu ne nous dois rien, c’est naturel !
 FELIPE : Absolument rien !
 BERNARDO : Sauf une chaussure !
À ce moment-là, Bianca arrive.
 BIANCA : Je me promenais en ville tout à l’heurrre et j’ai entendu chanter. C’était beau ! Je peux chanterrr avec vous aussi ?
 TOUT LE MONDE chante et danse :
C’est la Mère Michel qui a perdu son chat ! Tra la la la la !
Cendrillon ne le retrouve pas ! Tra la la la la !
Le retrouvera-t-on
Le petit chaton ?
Rien n’est moins sûr
Quand on pense que Cendrillon a perdu sa chaussure !...
Venez m’aidez
À récupérer
Le petit chat égaré !
Je vous en conjure !
En récompense vous aurez une magnifique chaussure !
 À la fin de l’air, Cindy sort sa chaussure à laquelle il manque le talon et dit aux BB Blues : La voici votre chaussure. Vous l’avez bien méritée !
FIN
 

 

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