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juin
6

Les nouvelles fringues du roi

Réécriture du conte d'Andersen "Les habits neufs de l'empereur"

 
Il était une fois – car c’est toujours comme ça que les contes commencent – un roi qui accordait grande importance à son apparence. Rien ne l’intéressait davantage que ses très nombreux vêtements. Royaume, chasse, guerre et château... toutes les occupations habituelles d’un roi l’ennuyaient. Chaque matin, il passait des heures devant sa glace, essayait un nombre incalculable de tenues, avant d’en changer encore plusieurs fois dans la journée. « Je n’ai rien à me mettre », l’entendait-on répéter sans cesse. Un roi de conte de fées d’un genre nouveau, et aux occupations toutes masculines, en somme. Chaque sortie en public prenait bien vite des allures de défilé, de grande parade militaire vestimentaire. Les habitants du royaume connaissaient bien les préoccupations premières de leur bon roi et s’en accommodaient, acceptant d’être relégués bien loin derrière robes et autres costumes d’apparat. Situation initiale, le décor est planté, le héros bien présenté.
 
Mais un jour, voilà que survient l’élément perturbateur, ou élément modificateur, selon les affinités lexicales de chacun. Deux escrocs arrivent en ville et se présentent au roi comme deux tisserands hors pair, capables de lui confectionner des vêtements somptueux que seuls les gens intelligents sauront voir. Exit les imbéciles. Les niais. Les bêtas. Eux ne verront rien. Enfin un moyen commode pour reconnaître les gens intelligents, se ravit aussitôt le roi.
 
Les deux imposteurs, prenant très à cœur leur rôle d’opposants, font alors semblant de se mettre au travail, derrière des bobines vides, et commencent à amasser soie, or et argent. Au bout de quelques jours, le roi désire connaître l’avancée de leur travail. Entre deux essayages, il se lance activement à la recherche d’un bon adjuvant. Une virée shopping plus tard, il se décide à envoyer en reconnaissance son bon et vieux ministre. Assurément intelligent, il saura voir l’étoffe et en décrire les nuances avec précision. Il saura aussi en évaluer la qualité et la beauté. Car aussi extraordinaires que soient ses propriétés, un vêtement doit avant tout être beau et bien coupé.
 
Première péripétie : l’honnête vieux ministre demande à voir le travail des deux tisserands. Il entre dans la salle, s’avance, puis s’avance encore. Il ne voit rien. Ni fils, ni aiguilles, ni étoffe. Rien. Il ouvre grand les yeux et se concentre. Toujours rien. Les deux tisserands l’invitent alors à donner son avis. Les couleurs lui plaisent-elles ? Les dessins sont-ils bien choisis ? Notre bon vieux ministre n’arrive pas y croire. Pourquoi ne voit-il rien ? Serait-il bête ? Surtout, ne rien laisser paraître. Que personne ne sache. « Ma foi, c’est charmant, tout à fait charmant », réussit-il à répondre, mimant le plus grand naturel. Puis mettant ses lunettes : « Ce dessin, ces couleurs... oui, je dirai au roi que votre travail est d’une grande qualité, que le vêtement s’annonce somptueux ». Et il décrivit en effet chaque détail du tissu avec la plus grande des précisions. Le roi fut ravi. Les deux escrocs aussi.
 
Quelques jours plus tard, deuxième péripétie, le roi envoie aux tisserands un second ministre. Tout aussi honnête et intelligent. Même réaction, de peur de paraître idiot. Inutile de développer, cf. péripétie n°1. Voilà donc notre roi bien avancé. Avec deux adjuvants d’une telle efficacité, la suite s’annonce corsée.
 
Le roi décide finalement de se rendre lui-même auprès des deux tisserands. C’est la troisième péripétie. Même réaction. « Voilà qui est somptueux. Vous gagnez là, messieurs, toute mon admiration. » Contentons-nous de ces quelques propos et épargnons-nous tout le questionnement intérieur du roi, que nous devinons aisément, et qui ne nous apprendrait rien. Faisons l’économie des redites inutiles, des éléments redondants. Et ils sont nombreux, dans ces contes pour enfants.
 
La suite des péripéties se résume rapidement. Les deux escrocs, heureux d’avoir trouvé d’aussi bons adjuvants, terminent leur travail, mimant d’y apporter le plus grand soin. Ce qui débouche sur la quatrième et dernière péripétie : le roi essaie son nouveau costume, et, ravi, s’en va parader ainsi dans tout le royaume. Devant des habitants à l’image de leur bon souverain. Eux non plus ne voient rien. Eux non plus ne l’avouent pas. De peur de paraître idiots. Extase générale au passage du roi, sur l’incroyable beauté de ce nouvel habit d’apparat.
 
Cette histoire pourrait durer encore longtemps. Mais heureusement, comme dans tout bon conte qui n’en finit pas, un nouvel événement vient clore les péripéties et engendrer la situation finale. Celui-là, on l’appelle élément de résolution. Quatrième étape du schéma narratif. Ici, il prend les traits d’un petit garçon, qui, perdu au milieu de cette foule en admiration, ose s’écrier que le roi n’a pas d’habits. Le peuple se ravise et reconnaît la vérité, s’écriant à son tour que le roi ne porte rien sur lui.
 
Situation finale, et peu glorieuse pour le roi. Ce dernier comprend que la foule a raison, et qu’il a été victime d’une escroquerie. Extrêmement honteux, il ne renonce pas à son honneur pour autant. Et décide de continuer sa marche, se redressant plus fièrement encore.
 
Fin ? Oui, même si le conte ne s’arrête pas tout à fait là. Ou plutôt pas tout à fait à ça. Les contes pour enfants sont moralisateurs, c’est dans leur nature. Il va falloir tirer un enseignement de toute cette histoire, pourtant bien farfelue. Une sorte de morale, même si ici, contrairement à celle des fables, elle ne s’énonce pas explicitement. Quelque chose qui mettrait en garde le lecteur contre la tentation d’approuver l’opinion générale, de taire ignorance et désaccord afin de paraître intelligent et érudit. Et qui dirait que la vérité, elle, sort bien de la bouche des enfants. 

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