A la cour de Fébus

mer, 02/01/2012 - 21:28

    A l’entrée du musée national du Moyen-âge, la cour de Gaston III de Foix ouvre ses portes aux visiteurs : aménagée dans les deux premières salles de l’hôtel de Cluny, l’exposition « Gaston Fébus, prince soleil » est tout simplement inévitable. Ceux qui ont eu l’occasion de visiter l’exposition précédente, « L’Epée. Usages, mythes et symboles » (28 avril – 26 septembre 2011), qui avait été reléguée dans le vaste frigidarium auquel un long couloir peuplé de dalles funéraires conduit, ne peuvent que ressentir le contraste avec cette nouvelle installation. Gaston Fébus se précipite à la rencontre du visiteur puis l’abandonne au bout de deux salles de taille modeste, l’esprit envahi de mille souvenirs : des manuscrits, des hanaps, des pièces de monnaie, des enluminures,… L’exposition est petite mais riche, et gagne en partie le pari de présenter le flamboyant comte de Foix dans un espace restreint.
    Personnage aux mille facettes, prince à la fois généreux et arbitraire, Gaston Fébus a su imposer sa neutralité aux différents partis de la guerre de Cent Ans et protéger ses territoires (le comté de Foix, la vicomté de Béarn et la cour d’Orthez) des dévastations subies par le reste du pays. Telles sont les informations développées sur un grand panneau d’un rouge agressif, qui ouvre l’exposition et résume la situation géopolitique de l’époque, avant de céder la place à la cour épargnée de Gaston. Elle est immédiatement donnée à voir par des vitrines, des bannières, des cadres accrochés aux murs, des citations inscrites en hauteur. Des documents à caractère officiel – un traité d’alliance entre Philippe IV d’Aragon et Charles V de France, la promesse de paix établie entre Gaston et son belliqueux voisin, le comte d’Armagnac, ou encore une confirmation de rente en faveur de Gaston, signée par Jean le Bon – permettent d’établir une transition entre le contexte historique et la sphère intime du comte de Foix. En quittant des yeux les énormes sceaux ornant ces premiers documents, le visiteur lève son regard en direction des murs pour déchiffrer les citations de Jean Froissart, célèbre chroniqueur qui visita en 1388 la cour d’Orthez, pour laquelle il n’eut qu’éloges. « Et quand il (Gaston Fébus) venait de sa chambre à my-nuit pour souper dans sa salle, écrit le chroniqueur, devant lui il y avait douze torches allumées que douze valets portaient, et icelles douze torches étaient tenues devant sa table, ce qui donnait grande clarté dans la salle, laquelle salle était pleine de chevaliers et écuyers, et se tenaient toujours là à foison tables dressées pour celui qui voulait souper. » La citation illustre parfaitement l’exubérance que cherche à faire revivre cette partie de l’exposition : à côté des somptueux manuscrits des Chroniques de Froissart, de la vaisselle d’argent et de cristal scintille. Des hanaps d’argent du trésor de l’Ariège, une aiguière de cristal, des cuillères du trésor de Coëffort,… auxquels répondent des étoffes de velours, issues des collections du musée et décorées de motifs imitant les soieries portées par Fébus sur les enluminures qui le représentent. Enfin, le château d’Orthez est donné à voir : des plans du XIXe siècle reproduisent les tours carrées de la résidence, que Gaston Fébus avait fait moderniser. D’autres illustrations ou photographies représentent la ville d’Orthez, et y est également exposée une œuvre de Gustave Doré, évoquant l’arrivée du chroniqueur Froissart à la cour fastueuse du comte.
    Telle est la première partie de l’exposition : une plongée immédiate dans la cour d’Orthez, luxueuse et lumineuse, rendue vivante par la confrontation entre les objets du banquet et les descriptions de Froissart. Immergé dans le quotidien du comte de Foix, le visiteur passe dans un autre univers en rejoignant la seconde salle. Celle-ci est bien plus petite et bien moins fournie, et est entièrement vouée à l’œuvre principale de Gaston Fébus : son célèbre Livre de la chasse. Trois magnifiques exemplaires du Livre, prêtés par la Bibliothèque nationale, trônent au centre de la pièce, aux côtés de The master of game, la traduction anglaise de l’ouvrage français. C’est en quelque sorte le clou du spectacle, qui fait oublier les charmes de la cour d’Orthez, attirant tous les visiteurs qui se pressent autour des quatre vitrines. Pour éviter l’effet de foule, les organisateurs de l’exposition ont trouvé une solution : les enluminures du Livre de la Chasse sont projetées contre un mur blanc devant lequel ont été installés des bancs. Hélas, l’installation n’a qu’un succès mitigé et les visiteurs préfèrent de loin la vision des véritables manuscrits à leurs hologrammes. Ils en oublieraient presque les autres trésors présentés dans la pièce : toute une série d’ouvrages de chasse ou autres recueils évoquant la nature, ouverts sur de magnifiques enluminures. Tel le Livre du trésor de vénerie d’Hardouin de Fontaines Guérin, représentant des chasseurs soufflant dans leurs cors, illustrant la combinaison des notes correspondantes.
    Enfin, le dernier mur de la salle est consacré à la fin de la vie de Gaston Fébus. Elle est résumée en quelques documents : des citations murales décrivent ses relations avec son fils légitime, qu’il assassina, et son fils illégitime, qui chercha en vain à faire valoir ses droits par la suite ; un long parchemin présenté dans une vitrine fixée au mur évoque la cession de ses terres à Charles VI de France ; pour finir, un dernier exemplaire des Chroniques de Froissart est ouvert à la page décrivant sa mort, une crise d’apoplexie survenue au retour d’une chasse à l’ours. Ce dernier mur envahi par les vitrines attire peu les visiteurs, qui ne se lassent pas du Livre de la chasse, et conclut brutalement le parcours, en rappelant le côté sombre du prince soleil. L’exposition est certes très riche, mais elle n’est pas sans défaut : à la fois d’une grande organisation, guidant le visiteur au travers de la vie et de l’œuvre de Fébus, elle le perd en même temps, en proposant mille facettes du personnage, mille aspects de sa cour, de nombreux documents intéressants mais parfois décalés par rapport au sujet. La brièveté de l’installation, associée à la multitude d’objets exposés, peut déconcerter : on entre brutalement dans l’exposition et on en sort tout aussi brutalement. Et le rythme plus calme de visite que l’on a pu obtenir en admirant la cour d’Orthez est tout à coup brisé par l’apparition du Livre de la Chasse, auprès duquel tous se précipitent.
    La soudaineté de l’exposition, la multiplicité des informations transmises, la rapidité avec laquelle on passe de la vaisselle aux Chroniques puis aux traités de vénerie, tout cela présente un risque : celui, une fois l’exposition achevée, une fois Gaston Fébus décédé sur la petite enluminure de l’ouvrage de Froissart, de tourner dos au musée et de partir en songeant qu’on a vu tout ce que l’on voulait voir. L’exposition précédente était exempte de ce danger puisque le visiteur était invité à longer la salle des vitraux et à suivre un long corridor peuplé de stèles avant d’atteindre le frigidarium, où se trouvait l’installation : il entrait donc dans le musée et se promettait de le parcourir une fois l’exposition achevée. Rien de tel avec Gaston Fébus, trop violemment présenté, trop rapidement quitté.
    Cependant, le visiteur, qui aura véritablement joué le jeu et aura accepté d’abandonner le Livre de la Chasse aux touristes suivants pour achever l’exposition, ne pourra pas ignorer les feuillets proposés à l’entrée de la salle suivante du musée. Ces brochures donnent un nouvel éclairage sur l’exposition et la rendent bien plus intéressante, et surtout bien plus posée, qu’elle ne l’était. En effet, le musée a organisé un parcours en lien avec « Gaston Fébus, prince soleil », axé sur le croisement entre les arts et la nature et proposant de découvrir quelques œuvres exemplaires disséminées dans l’hôtel de Cluny. Il s’agit en vérité d’un jeu de piste, qui offre l’opportunité de prolonger une exposition très brève et de découvrir les autres richesses du musée. Il nous faut repérer un visage feuillu placé en clef de voûte, retrouver parmi une dizaine de plats celui qui est décoré d’oranges coupées, ou bien chercher la miséricorde de stalles qui représente des porcs jouant de l’orgue. Le parcours, alternant œuvres magnifiques et objets insolites (comme cette corne à boire sur pattes de griffon), est d’autant plus savoureux qu’il succède à la visite de deux salles étouffantes, engloutissant les passants sous les pièces exposées.
    Entre les trois somptueux exemplaires du Livre de la Chasse, les soieries à motifs de paons et les gobelets de cristal, le visiteur trouvera son compte. Malheureusement, l’exposition « Gaston Fébus, prince soleil » est aussi brève que spectaculaire, parvenant à conclure la vie et l’œuvre de l’imminent comte de Foix en deux salles, au prix d’une indigestion de merveilles à découvrir. Le parcours offrant de prolonger l’exposition, très jolie trouvaille, ludique, éducative et reposante, aide le visiteur à assimiler tout ce qu’il a brusquement emmagasiné – mais il est bien triste qu’il ne soit pas mis davantage en avant.

« Gaston Fébus (1331-1391), prince soleil » (30 novembre 2011 – 5 mars 2012), exposition organisée au Musée national du Moyen-âge.

Pauline Sidre

 

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