Miró, tout en révolution(s)

mer, 05/18/2011 - 22:53

Miró, tout en révolution(s)

Cela faisait près de quarante ans que les sculptures de Joan Miró n'avaient pas fait l'objet d'une exposition digne de ce nom à Paris. L'erreur est réparée, grâce au Musée Maillol, qui expose jusqu'au 31 juillet 2011 l'œuvre sculptée de l'une des figures de proue du surréalisme.

 

De Miró, on connaît surtout les peintures aux courbes enchanteresses et aux couleurs vives. Mais l'artiste de nationalité espagnole n'est pas seulement le peintre au pinceau énergique que l'on sait ; il est aussi (et peut-être même surtout, c'est ce que nous laisse penser cette exposition) un très grand sculpteur. Dans ses œuvres sculptées, la vie déborde, les sensations exultent et la réflexion s'impose. Si le talent de Miró-sculpteur est mondialement reconnu, la visibilité de l'artiste en tant que tel reste faible. Félicitons donc l'initiative du Musée Maillol de nous offrir pas moins d'une centaine de sculptures, céramiques et œuvres sur papier de celui qui aimait à se qualifier de « catalan international ».

C'est en 1944 que Miró réalise ses premières sculptures en bronze. Vingt ans plus tard, il rejoint la Fondation Maeght, appartenant à ses amis mécènes. C'est l'occasion pour lui de créer des œuvres sculptées monumentales qui vont s'intégrer dans un projet architectural qui lui-même souhaite mêler le factice à la nature. Miró, ainsi à l'abri, peut se lancer dans la démesure la plus totale et réaliser des œuvres gigantesques : c'est sur commande de la Fondation que Miró va créer un jardin de sculptures au caractère féerique et onirique, mêlant toutes sortes de compositions sculptées, fondues ou peintes. En reconstituant en partie ce jardin aux propriétés magiques, le Musée Maillol emmène le visiteur dans une spirale enchanteresse. De certaines de ces « œuvres-monstres », impossibles à transporter, le Musée Maillol n'a pu réunir que les pré-projets et les maquettes.

Sur les deux étages restreints consacrés à l'exposition, on se sent épié par des milliers d'yeux invisibles. L'ambiance intimiste et le caractère labyrinthique de l'endroit nous transportent dans un univers cher à l'artiste. Les sculptures de Miró représentent quasiment toutes des êtres, de Femme à Femme-oiseau, en passant par Femme-chien ; ces statues agissent de même qu'une statue vaudou : le charme se diffuse, un léger vertige nous prend et des êtres invisibles pénètrent en nous.

Miró joue avec les extrêmes. Une statuette filiforme de quelques centimètres jouxte l'immense Jeune fille s'évadant, un bronze peint de 1968, mesurant presque deux mètres. Les couleurs primaires étalées par grands aplats de cette dernière jurent avec le gris pierre, originel, du Personnage de 1970. L'artiste sait être à la fois léger et imposant. Son énergie tient dans la manière qu'il a de systématiquement « déconstruire » les choses, les bêtes, les êtres. De ces mélanges incroyables, que l'on qualifie d'abstraits du bout des lèvres, ne sachant s'il faut les théoriser ou non, Miró crée un nouveau langage. Un langage éminemment poétique, un langage qui vole et qui danse, comme les personnages rouges-orangés de Matisse, comme les mots du poète lyrique amoureux, comme la dernière prière d'un condamné à mort. Femme et oiseau de 1973, qui n'est rien d'autre qu'une chaise haute pour bébé engluée d'embauchoirs recouverts de bronze, révèle à elle seule tout un univers ; en inversant et en chamboulant la réalité, Miró crée sa propre vérité, il fait de son rêve, un rêve incarné. Et lorsque le vide lui-même prend un sens en présence de ces sculptures, on sent la magie opérer.

Si l'on ne devait retenir qu'une seule idée, après avoir été submergé par les formes, les textures, les couleurs et les mélanges de Miró, ce serait celle de liberté. En ces temps d'actualité houleuse, où guerres, discriminations, iniquités, manipulations et servitudes politiques règnent, où le personnel l'emporte sur le collectif, Miró nous donne une belle leçon de liberté et d'irrévérence. Il nous laisse rêver et croire en un monde où les aspirations personnelles n'empièteraient pas sur les libertés collectives, où le rêve commun deviendrait possible, comme il le devient pour ces milliers de spectateurs venus admirer, ensemble, ces sculptures pleines d'espoir. Une exposition-révolution à recommander d'urgence.

 

 

Diane Routex

 

 

 

 

Miró Sculpteur

Du 16 mars au 31 juillet 2011

Au Musée Maillol

61, rue de Grenelle, 75007 PARIS

Ouvert tous les jours de 10h30 à 19h

Nocturne le vendredi jusqu'à 21h30

 

 

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